Mort d’un employé
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de manœuvre YPC011-06
Point milliaire 1,9, subdivision de Montréal
Montréal (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L’événement
Le 6 janvier 2021, l’équipe du train de manœuvre YPC011-06 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), composée d’un chef de train, d’un mécanicien de locomotive (ML) et d’un chef de train adjoint, effectuait des manœuvres sur une voie près du triage de Pointe-Saint-Charles à Montréal (Québec), au point milliaire 1,9 de la subdivision de Montréal (figure 1). Vers 12 h 25Note de bas de page 1, le train reculait sur la voie PD06, l’embranchement du Port de Montréal, à une vitesse approximative de 10 mi/h en direction ouest vers le triage. Lors d’un arrêt à l’approche du signal 410RC, un étirement brusque provoqué par le jeu des attelages s’est produit et s’est propagé jusqu’au wagon de tête COER 353680. Le chef de train adjoint, qui se tenait sur l’échelle de bout de ce wagon, a perdu prise et est tombé sur la voie avant l’arrêt du train. Il a subi des blessures mortelles.
Il n’y a pas eu de déraillement ni de collision.
Les membres de l’équipe étaient aptes au travail et qualifiés pour leurs postes respectifs, et ils connaissaient bien le territoire.
Au moment de l’événement, le train était composé de 2 locomotives et de 21 wagons-trémies couverts vides. Il pesait environ 908 tonnes courtes et mesurait environ 1365 pieds.
Le ciel était dégagé et il faisait −1 °C. Le sol était recouvert d’environ 10 cm de neige et les rails étaient dégagés.
Informations sur le triage de Pointe-Saint-Charles
Le triage de Pointe-Saint-Charles est situé dans le quartier industriel du même nom dans le sud-est de l’île de Montréal. Il est desservi par la subdivision de Montréal à l’ouest et par la subdivision de Saint-Hyacinthe à l’est. On y trouve aussi plusieurs embranchements industriels de clients, incluant la voie PD06 menant au Port de Montréal.
La voie PD06 traverse la rue Bridge à un passage à niveau publicNote de bas de page 2. Des panneaux d’arrêt installés de chaque côté du passage à niveau public indiquent aux mouvements qu’ils doivent s’immobiliser complètement avant le franchissement du passage afin de confirmer l’activation des dispositifs de signalisationNote de bas de page 3. Par la suite, la voie traverse un tunnel d’une longueur d’environ 175 pieds, sous les voies reliant le pont Victoria à la Gare Centrale. Des panneaux indicateurs de gabarit réduit sont situés aux deux extrémités du tunnelNote de bas de page 4 (figure 2). Ces panneaux rappellent aux équipes de train qu’il est interdit de se déplacer sur du matériel roulant en mouvement dans la section délimitéeNote de bas de page 5 afin de réduire les risques de blessures.
À l’extrémité ouest de la voie PD06, le signal 410RC régit l’accès à la voie principale de la subdivision de Montréal.
Examen des lieux
Sur les lieux de l’événement, les locomotives étaient immobilisées à l’est de l’entrée du tunnel sur la voie PD06; le wagon de tête se trouvait à environ 400 pieds du signal 410RC (figure 3).
Aucune obstruction ne se trouvait sur la voie ferrée le long du parcours du train. Les boyaux de la conduite générale du train étaient tous raccordés.
Manœuvres effectuées et procédures
Le train venait de s’atteler à 21 wagons vides et reculait sur la voie PD06 en direction ouest vers le triage de Pointe-Saint-Charles. Le train devait emprunter la voie principale de la subdivision de Montréal pour pouvoir changer de direction et amener ces wagons sur une voie du triage. Le ML et le chef de train se trouvaient à bord de la locomotive CN 4807, alors que le chef de train adjoint se tenait sur l’échelle latérale du wagon de tête afin de confirmer que la voie était libreNote de bas de page 6 et de communiquer au ML la distance restante à parcourirNote de bas de page 7.
Lors du mouvement de recul, le chef de train a communiqué avec le contrôleur de la circulation ferroviaire pour obtenir son autorisation et les signaux requis. Le chef de train a effectué cette communication à l’aide de son téléphone cellulaire personnel, contrairement à la réglementation en vigueurNote de bas de page 8. Avant de franchir le passage à niveau public de la rue Bridge, le train s’est arrêté pendant 20 secondes au panneau d’arrêt, conformément à la réglementation. Par la suite, le train a poursuivi sa route vers l’ouest sur la voie PD06 et s’est approché du tunnel à gabarit réduit.
Contrairement à la réglementation en vigueur, le train ne s’est pas arrêté avant d’entrer dans le tunnel pour permettre au chef de train adjoint de descendre du wagon et de franchir le tunnel à pied. Pour pouvoir demeurer sur le wagon lors du franchissement du tunnel et éviter de se retrouver entre l’échelle latérale du wagon et la paroi de béton, le chef de train adjoint s’est repositionné sur l’échelle de bout du wagon de tête. Ce repositionnement sur l’échelle de bout était contraire à l’instruction du CN qui stipule que tous les déplacements du personnel sur du matériel roulant doivent se faire sur l’échelle latérale (figure 4)Note de bas de page 9. Les employés peuvent ainsi descendre plus facilement du wagon en cas d’urgence. De plus, cette position réduit les risques de blessures graves en cas de chute accidentelle. Cette équipe avait l’habitude de procéder de cette manière, à l’insu des superviseurs responsables du triage, afin de diminuer le nombre d’arrêts nécessaires pour monter sur du matériel roulant ou en ou descendreNote de bas de page 10, et de réduire la durée totale d’occupation du passage à niveau public de la rue Bridge.
Alors que le wagon de tête s’approchait de l’extrémité ouest de la voie PD06, le chef de train adjoint a indiqué au ML par radio que le signal 410RC présentait une indication de vitesse moyenne à arrêt. Il lui a ensuite indiqué qu’il restait une distance de 15 wagons à parcourir avant d’immobiliser le trainNote de bas de page 11. Lorsqu’il restait une distance de 8 wagons à parcourir, le chef de train adjoint a de nouveau communiqué avec le ML pour l’en aviser. Contrairement à ce que stipule la règle 123.2 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), le ML n’a pas répété la distance à parcourir lors de ces 2 communications.
Le chef de train adjoint a ensuite indiqué au ML qu’il restait une distance de 4 wagons avant le signal. Le ML a alors répondu qu’il arrêtait le train immédiatement avant que les locomotives n’entrent dans le tunnel. Il voulait procéder ainsi pour éviter les inconvénients liés à l’accumulation de fumée dans l’espace restreint et au bruit excessif causé par la réverbération des moteurs. Selon les renseignements consignés dans le cadre de l’enquête, en même temps que le ML répondait au chef de train adjoint, il a serré le frein indépendantNote de bas de page 12 et, environ 15 secondes plus tard, le train s’est immobilisé. Cet arrêt rapide a provoqué un étirement brusque des attelages des wagons du train qui s’est propagé jusqu’au wagon de tête. Le chef de train adjoint, qui se tenait toujours sur l’échelle de bout de ce wagon, a perdu prise et est tombé sur la voie, devant le wagon, avant l’arrêt du train. Il a subi des blessures mortelles.
Adaptation des règles et des procédures
Une adaptation est une pratique qui consiste à dévier intentionnellement des règles, instructions ou procédures. Ces pratiques sont généralement utilisées pour augmenter l’efficacité dans l’achèvement des tâches sans nécessairement tenir pleinement compte des répercussions sur la sécurité. Lorsque des pratiques n’engendrent aucune conséquence négative, ces adaptations peuvent se perpétuer. Ainsi, cette façon de travailler devient la norme et peut effriter la marge de sécurité que les règles, instructions et procédures étaient censées assurer. Des adaptations peuvent se perpétuer en l’absence d’une supervision adéquate. Les adaptations notées dans cette enquête reflètent la tendance naturelle d’accepter des risques afin d’éviter des incidences négatives, par exemple, une perte de temps et une productivité moindreNote de bas de page 13.
Reconstitution
Une reconstitution de l’événement effectuée le lendemain a permis de déterminer qu’après le serrage du frein indépendant, les attelages se sont étirés brusquement, engendrant une décélération linéaire supérieure à 2 gNote de bas de page 14 dans un très court laps de temps à l’extrémité du wagon de tête. Ceci a provoqué un à-coup inattendu peu avant l’immobilisation du train.
Supervision
La supervision des équipes de train affectées au territoire de Pointe-Saint-Charles est effectuée par les employés cadres du CN basés au triage Southwark, sur la Rive-Sud de Montréal. Chaque semaine, les superviseurs se rendent à Pointe-Saint-Charles pour observer ponctuellement le travail des équipes.
Dans les semaines qui ont précédé l’événement, les membres de l’équipe dans l’événement à l’étude ont été soumis à des vérifications par les superviseurs pour évaluer la conformité de leurs méthodes de travail avec les règles à suivre lors des manœuvres. Aucun comportement à risque n’avait alors été relevé. Au cours de l’année précédant l’événement, aucune observation relative à l’instruction générale d’exploitation (IGE) 8.12.4 du CN, « Déplacements sur du matériel roulant », n’avait été consignée au dossier du chef de train adjoint, et le ML n’avait pas été évalué sur les règles de conduite des trains.
La réglementation en vigueur au CNNote de bas de page 15 permet exceptionnellement l’utilisation de téléphones cellulaires personnels pour les besoins de l’exploitation ferroviaire, sous l’autorité spécifique d’un superviseur. D’ailleurs, les membres de l’équipe en cause dans l’événement à l’étude utilisaient leur téléphone cellulaire personnel dans le cadre de leur travail pour communiquer avec les superviseurs sans que cela ne leur soit reproché. Par contre, ils utilisaient également leur téléphone cellulaire à des fins personnelles pendant leurs quarts de travail, sans que cette utilisation ait été relevée par la supervision locale lors des vérifications effectuées.
Autres événements mettant en cause des employés en devoir
De janvier 2011 à janvier 2021, le BST a répertorié 92 événements au Canada où des employés de compagnies de chemin de fer ont subi des blessures graves ou mortelles à la suite d’incidents survenus durant leur quart de travail. Sur ces 92 événements, 46 sont survenus lors de manœuvres, que ce soit dans des cours de triage ou pendant le déplacement de trains sur les différentes subdivisions ferroviaires du pays. Lors de ces 46 événements, 33 employés ont subi des blessures graves et 13 employés ont subi des blessures mortelles.
Mesures de sécurité prises
Après l’événement, le CN a émis une circulaire réseau à ses employés pour les mettre en garde contre les étirements brusques provoqués par le jeu des attelages à la suite de l’utilisation excessive du frein indépendant. La circulaire réitérait les règles de sécurité relatives aux déplacements sur du matériel roulant, les règles de communication entre pairs, ainsi que l’importance de demeurer vigilant afin de se protéger contre les mouvements brusques et les chocs provoqués par le jeu des attelages. Le CN a également émis un bulletin d’exploitation qui exige que les mouvements se déplaçant sur l’embranchement du Port de Montréal soient menés par une locomotive ou, pour les mouvements de pousse, par le fourgon de queue CN 79834Note de bas de page 16.
Le 9 juillet 2021, TC a envoyé au CN une lettre de non-conformité relative aux règles portant sur le déplacement des employés sur du matériel roulant. La lettre a aussi soulevé des préoccupations concernant des non-conformités aux instructions spéciales du CN, en particulier l’IGE 8.12.4 et la règle générale A(xii) du REF.
Message de sécurité
Les règles de sécurité en vigueur sont généralement élaborées en tenant compte des conditions d’exploitation afin de minimiser les risques liés aux opérations ferroviaires. Pour assurer une exploitation en toute sécurité, il est primordial que le personnel respecte systématiquement toutes les règles et que la compagnie de chemin de fer assure leur application uniforme et constante en tout temps.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .