Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R22V0238

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L’événement

    Le 22 décembre 2022, une équipe du Chemin de fer Canadien Pacifique (Canadien Pacifique ou CP)Le 14 avril 2023, la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (CP) et la Kansas City Southern (KCS) se sont fusionnées pour former une seule et même compagnie de chemin de fer faisant affaires sous le nom de CPKC. Étant donné que l’événement a eu lieu avant la date de transition, l’acronyme CP sera utilisé tout au long du rapport. a été appelée pour 9 h 30Les heures sont exprimées en heure normale du Pacifique. à KamloopsTous les emplacements se trouvent dans la province de la Colombie-Britannique, sauf indication contraire.. L’équipe devait conduire le train de marchandises 302-25 vers l’est dans la subdivision de Shuswap, de Kamloops (point milliaire 128,5) à Revelstoke (point milliaire 0,0).

    Le train comptait 4 locomotives—3 à la tête du train et 1 en milieu de train—et tirait 113 wagons de céréales vides. Il pesait 3858 tonnes et mesurait 6627 pieds. Le train a quitté le triage à Kamloops à 9 h 40.

    Ce matin-là, un superviseur de la voie (le superviseur) travaillait dans la subdivision de Shuswap, inspectant la voie visuellement. Le superviseur conduisait un véhicule rail-route (véhicule L15034) qui était habituellement affecté à un autre superviseurAu CP, les superviseurs de la voie se voient habituellement affecter un véhicule rail-route qu’ils peuvent utiliser pendant une période prolongée dans l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, au cours de la semaine de l’événement, le superviseur dans l’événement à l’étude avait prêté son véhicule à un superviseur temporaire qui travaillait dans la subdivision. Lorsqu’il était en service au cours de cette semaine-là, le superviseur dans l’événement à l’étude utilisait les véhicules d’autres superviseurs qui n’étaient pas de service.. Il se déplaçait vers l’ouest sur la voie principale nord et inspectait les voies principales nord et sud à partir de la cabine du véhicule.

    Pour occuper la voie principale avec son véhicule rail-route, le superviseur devait obtenir un permis d’occuper la voie (POV)Un permis d’occuper la voie (POV) est une « [a]utorisation transmise pour protéger les véhicules d’entretien et les travaux en voie. » (Source : Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022], Définitions : permis d’occuper la voie (POV), p. 13). Les POV sont délivrés par le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) à un contremaître pour donner l’autorisation d’occuper la voie principale ou d’effectuer des travaux en voie; de tels permis servent aussi à protéger les mouvements des véhicules d’entretien Le terme « contremaître » renvoie à tout « [e]mployé responsable de la protection des travaux en voie et des véhicules d’entretien » (Source : Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022], Définitions : contremaître, p. 15). du contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF). Le matin de l’événement à l’étude, le superviseur avait obtenu et annulé plusieurs POV électroniques alors qu’il se déplaçait vers l’ouest à partir de Chase (point milliaire 94,8), en utilisant l’application EIC (Employee in Charge) propre au CP pour gérer les POV par voie électronique.Le CCF avait reçu et autorisé les demandes de chaque POV au moyen de son système informatique.

    Vers 9 h 02, le superviseur a présenté une autre demande électronique de POV, du signal 1218N (McCracken) au signal 1144N (Bromley) sur la voie principale nord, que le CCF a aussi autorisée. Le superviseur a continué d’inspecter les voies. À proximité de l’aiguillage conduisant à la voie de l’embranchement Lafarge, situé sur la voie principale sud, il a remarqué qu’une rupture d’éclissage s’était produite au point milliaire 116,67. Les rails s’étaient séparés d’environ 2 pouces, laissant un grand espace au niveau du joint. Ce défaut exigeait que la voie soit protégée ou mise hors service et réparée; le superviseur a choisi d’effectuer la réparation.

    Vers 9 h 21, en prévision de la réparation de la rupture d’éclissage, le superviseur a présenté une autre demande de POV électronique, cette fois pour la voie principale sud, du signal 1215S (McCracken) au signal 1144S (Bromley), en indiquant qu’il aurait besoin du POV pendant 45 à 55 minutes.

    Le CCF a reçu la demande de POV du superviseur pour la voie principale sud;  ne sachant pas que la demande avait été présentée pour réparer un défaut de la voie, il a délivré une autorisation indiquant un temps « Appeler le CCF avant »Les CCF ont l’habitude d’indiquer un temps de rappel, intitulé « Appeler le CCF avant » sur le formulaire de PVO, afin d’éviter de retarder la circulation et de fixer un moment pour obtenir une mise à jour du contremaître. de 29 minutes, car il s’agissait de la durée d’occupation de la voie qu’il estimait pouvoir accorder sans retarder les mouvements des trainsLes POV restent en vigueur jusqu’à ce qu’ils soient annulés par le contremaître désigné dans le POV (en l’occurrence, il s’agissait du superviseur). Si le détenteur d’un POV peut communiquer avec le CCF pour demander plus de temps, le temps « Appeler le CCF avant » peut créer une attente selon laquelle le personnel d’entretien de la voie doit terminer le travail dans le délai imparti.,Il y avait plusieurs autres trains dans le secteur qui auraient été retardés ou plus retardés par des travaux d’entretien au-delà du temps « Appeler le CCF avant » : le train 303-664 (qui était immobilisé sur la voie sud à Bromley), le train 301-994 (qui était immobilisé à la station suivante, à Ducks), et le train 587 (qui roulait sur la voix nord à McCracken)..

    Vers 9 h 22, en réponse au délai indiqué de 29 minutes, le superviseur a envoyé au CCF un message instantanéL’application de messagerie instantanée ne fait pas partie de l’application EIC. indiquant qu’il allait libérer la voie principale nord, c.-à-d. annuler le POV de la voie principale nord. Ainsi, le CCF pourrait diriger les trains vers cette voie et donc éviter certains retards de circulation.

    Le message indiquait aussi que le superviseur retiendrait la voie principale sud jusqu’à ce qu’il ait [traduction] « soudé le joint », ce qui indiquait au CCF que le superviseur effectuait une réparation de la voie et avait besoin de plus de temps. Toutefois, le CCF n’a pas vu le message et n’y a donc pas répondu. Puisqu’il avait un POV pour la voie principale sud, le superviseur s’est préparé à effectuer la réparation.

    Le superviseur a stationné le véhicule rail-route sur la voie principale sud, immédiatement à l’ouest de la rupture d’éclissage. Constatant que les piles de sa radio portative étaient à plat, il a cherché le chargeur de piles, mais ne l’a pas trouvé dans le véhicule rail-route qu’il avait emprunté, n’étant pas familier avec l’organisation de son contenu. Le véhicule rail-route était équipé d’une radio, mais pas d’un haut-parleur externe; le superviseur a donc ouvert les portes du côté conducteur du véhicule pour entendre les communications radio à l’extérieur du véhicule.

    La réparation d’une rupture d’éclissage est une tâche sensible au facteur temps qui doit être planifiée et exécutée avec efficienceLa réparation d’une rupture d’éclissage exige de chauffer le rail en enflammant une corde imbibée de carburant qui a été posée le long de la base du rail sur la distance prescrite.Lorsqu’il est suffisamment chauffé, le rail se dilate longitudinalement jusqu’à ce que les trous des boulons s’alignent et que les éclisses puissent être réattachées par des boulons. La réparation doit être terminée avant que le rail refroidisse et se contracte.. Le superviseur a commencé par brûler une corde imbibée de carburant le long du rail pour chauffer celui-ci et le dilater. Pendant que le rail chauffait, le superviseur est retourné au véhicule rail-route pour chercher des boulons, qu’il avait du mal à trouver.Il a fini par en trouver, mais ils n’étaient pas de la bonne grandeur. Il a appelé un collègue pour lui demander d’apporter les boulons nécessaires.

    À peu près au même moment, le superviseur s’est rendu compte qu’il n’avait pas encore annulé le POV de la voie principale nord comme il l’avait indiqué au CCF dans son message instantané. Il a accédé à l’application EIC sur l’ordinateur portable situé dans la cabine du véhicule rail-route et a annulé par inadvertance le POV de la voie principale sud au lieu du POV de la voie principale nord.

    Croyant que la voie principale sud était toujours protégée, le superviseur a continué à réparer la rupture d’éclissage. Vers 9 h 45, il a été rejoint par un soudeur, qui avait entendu à la radio qu’il y avait une rupture d’éclissage et souhaitait lui offrir son aide. Le soudeur avait emprunté une route adjacente pour se rendre à l’endroit où se trouvait le superviseur. Le soudeur et le superviseur ont effectué une séance de briefing, au cours de laquelle ils ont discuté du type de protection de la voie qui était à la disposition du superviseur. Cependant, ils n’ont pas discuté expressément de la zone d’application de la protection de la voie, ni examiné le POV électronique sur l’ordinateur portable. Après la séancede briefing, ils ont repris le travail de réparation de la voie.

    Pendant ce temps, le train 302-25, circulant vers l’est, s’approchait du signal 1170S, qui constitue le dernier signal de canton contrôlé avant l’emplacement de la rupture d’éclissage dans le sens de la marche.Le CCF, voyant que le POV de la voie principale sud avait été annulé et que la voie était inoccupéeLes véhicules d’entretien (comme le véhicule rail-route dans l’événement à l’étude) n’activent pas de signaux dans le système de commande centralisée de la circulation, et leur présence n’est pas indiquée sur les écrans du CCF., a donné au train un signal permissif lui permettant de poursuivre son trajet vers l’est sur la voie principale sud.

    Vers 10 h 01, le train est passé devant un détecteur de boîtes chaudes au point milliaire 118,5 de la subdivision de Shuswap, et un message correspondant a été diffusé à la radio. Vers 10 h 02, l’équipe de train a annoncé un signal de vitesse normale à vitesse limitéeUn signal de vitesse normale à vitesse limitée autorise les trains à avancer et à s’approcher du signal suivant à vitesse limitée (règle 406 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022]). La vitesse limitée est définie comme une vitesse ne dépassant pas 45 milles à l’heure (Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada [1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022], Définitions). pour la voie principale sud au signal 1170S; l’annonce a elle aussi été diffusée à la radio. Ni le superviseur ni le soudeur n’ont entendu les messages radio.

    Vers 10 h 02, le soudeur a remarqué qu’un train s’approchait, ce qu’il a mentionné au superviseur. Lorsqu’ils se sont rendu compte que le train était sur la voie principale sud et qu’une collision était imminente, ils sont descendus du remblai en courant pour se mettre à l’abri.

    Vers 10 h 02 min 45 s, le mécanicien de locomotive (ML), voyant le véhicule rail-route devant lui sur ce qui semblait être soit la voie de l’embranchement Lafarge, soit la voie principale sudLe train se trouvait dans une légère pente descendante (de 0,4 % à 0,2 %) et circulait vers l’est dans une légère courbe à gauche (1°), de sorte qu’il était difficile pour l’équipe de train de déterminer immédiatement si le véhicule rail-route se trouvait sur l’embranchement ou sur la voie principale sud.,a actionné le klaxon de la locomotive et émis une série de coups brefs, conformément au Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF).Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (en vigueur le 1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 14(f), p. 29. Vers 10 h 03, le ML, qui n’était toujours pas certain que le véhicule rail-route se trouvait dans la trajectoire directe du train et qui circulait à environ 47 mi/h, a fait un serrage normal à fond des freins. Environ 15 secondes plus tard, après s’être rendu compte qu’une collision était imminente, le ML a déclenché un freinage d’urgence, sans toutefois pouvoir empêcher la collision.L’équipe a émis le message radio d’urgence exigé sur le canal d’attente du trainRèglement d’exploitation ferroviaire du Canada (en vigueur le 1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 102 : Protection en cas d’arrêt d’urgence, p. 46-47.. Le train circulait à 28 mi/h lorsqu’il est entré en collision avec le véhicule rail-route stationnaire au point milliaire 116,7 sur la voie principale sud. La collision s’est produite près de Campbell Creek (Figure 1).

    Figure 1. Carte montrant le point de collision, avec carte en médaillon montrant l’emplacement de l’événement par rapport à Kamloops et à Vancouver (Source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)
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    La locomotive a poussé le véhicule rail-route sur une distance d’environ 507 pieds plus à l’est avant que le train s’arrête (Figure 2). 

    Figure 2. Diagramme du lieu (Source : BST)
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    Le train n’a pas déraillé; la locomotive de tête a subi des dommages mineurs. Le véhicule rail-route a pris feu et a été détruit (Figure 3).Personne n’a été blessé.

    Figure 3. Véhicule rail-route détruit après la collision (Source : CFJC Today)
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    1.2 Renseignements sur le personnel

    1.2.1 Équipe du train 302-25

    Les 2 membres de l’équipe du train 302-25—un ML et un chef de train—étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail et connaissaient bien la subdivision de Shuswap.

    1.2.2 Personnel d’entretien de la voie

    Le superviseur a été embauché par le CP en octobre 2013 en tant que manœuvre dans une équipe de pose de traverses. À partir de 2016, il a occupé plusieurs postes de superviseur de voie. Il travaillait dans la subdivision de Shuswap depuis 2019. Il était qualifié pour son poste et s’était reposé suffisamment avant de commencer son quart de travail le jour de l’accident.

    Le soudeur a été embauché par le CP en 2017 et est devenu soudeur en 2019. Au moment de l’événement à l’étude, il travaillait dans la subdivision de Shuswap depuis 2017. Il était qualifié pour son poste et s’était reposé suffisamment avant de commencer son quart de travail le jour de l’accident.

    1.2.3 Contrôleur de la circulation ferroviaire

    Le CCF s’est qualifié en 2005 pour son poste au CP. Au début de sa carrière, il travaillait habituellement au bureau des subdivisions de Shuswap et de Thompson, puis il a travaillé dans d’autres subdivisions, dont celles de Brooks et de Laggan. En 2020, il a pris en charge le quart de jour du CCF dans les subdivisions de Shuswap et de Thompson, poste qu’il occupait toujours au moment de l’événement. Il s’était reposé suffisamment avant de commencer son quart de travail le jour de l’accident.

    1.3 Renseignements sur la subdivision

    La subdivision de Shuswap comprend une voie principale simple et double orientée selon l’axe est-ouest, du point milliaire 0,0 à Revelstoke au point milliaire 128,5 à Kamloops. Au lieu de l’événement, il y avait 2 voies principales.

    La subdivision de Shuswap est un itinéraire clé« “Itinéraire clé” : Sur une période d’un an, voie sur laquelle sont acheminés au moins 10 000 wagons-citernes chargés ou citernes mobiles intermodales chargées de marchandises dangereuses, comme le définit la Loi de 1992 sur le transport des marchandises dangereuses, ou toute combinaison de ces transports comprenant au moins 10 000 wagons-citernes chargés et citernes mobiles intermodales chargées. » [Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés, 22 août 2021approuvé par Transports Canada le 22 février 2021), article 3.1].. La circulation des trains y est régie par la commande centralisée de la circulation (CCC), conformément au REF. Tous les mouvements sont répartis par un CCF du CP en poste à Calgary (Alberta).

    La circulation ferroviaire quotidienne dans ce corridor se compose d’environ 27 trains de marchandises. Au moment de la collision, en plus du train 302-25, 12 autres trains circulaient dans la subdivision de Shuswap ou y avaient été commandés.

    1.4 Renseignements sur la voie

    La voie sur le lieu de l’événement à l’étude est une voie de catégorie 4 en vertu du Règlement concernant la sécurité de la voie. Aux environs du déraillement, la vitesse maximale permise est de 55 mi/h pour les trains de voyageurs et de 50 mi/h pour les trains de marchandises.

    Dans les environs du lieu de l’événement à l’étude, la voie était faite de longs rails soudés (LRS) de 136 livres. Les rails étaient posés sur des selles à double épaulement standards de 14 pouces, chacune fixée par 4 crampons sur des traverses en bois dur. Les rails étaient fixés avec des attaches élastiques; ils étaient en bon état et respectaient les limites d’usure établies. Le ballast était propre et la roche concassée était en bon état. La plate-forme et le drainage étaient adéquats.

    1.4.1 Rupture d’éclissage près de l’aiguillage menant à l’embranchement Lafarge

    L’aiguillage menant à l’embranchement Lafarge au point milliaire 116,7 consistait en un aiguillage à cœur de croisement à flancs surélevés no 11 installé en 2016. Au point milliaire 116,67, il y avait une rupture d’éclissage de 2 pouces au niveau du premier joint, à l’est de l’aiguillage (figure 4). Le rail et les éclisses s’étaient contractés vers l’est. Les boulons fixant l’autre extrémité de l’éclisse au rail du côté ouest du joint s’étaient cisaillés à mesure que les rails se détachaient.Les abouts de rail étaient légèrement écrasés, ce qui indique qu’il y avait peut-être eu une circulation ferroviaire dans le secteur avant que la rupture d’éclissage ne soit décelée.

    Figure 4. Rupture d’éclissage au point milliaire 116,67 (Source : Canadien Pacifique)
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    Le joint qui s’était rompu avait été fixé par des éclisses à 6 trous pour un rail de 136 livres, retenu par des attaches élastiques et supporté par des selles laminées avec des tire-fonds; les selles laminées étaient retenues par des attaches Pandrol et ancrées à chaque traverse. Les éclisses avaient été fixées par 4 boulons, 2 de chaque côtéIl n’est pas rare de ne percer que 4 trous dans un rail joint lorsque l’on utilise des éclisses à 6 trous. Cette pratique est employée lorsque le rail doit être soudé de manière permanente dans un avenir proche. Si les 6 trous sont percés, il ne sera pas possible d’effectuer des travaux de soudage aluminothermique sans découper le joint et le remplacer par un rail de raccord, créant ainsi 2 joints, ce qui n’est pas souhaitable. Par conséquent, lorsque l’intention est de souder le joint, il est préférable de ne pas percer les 2 trous situés le plus près de l’extrémité du rail, ce qui compromettrait l’intégrité de la soudure aluminothermique.. Les rails du joint avaient été percés vis-à-vis les 4 trous extérieurs de chaque éclisse; c.-à-d. que les rails n’avaient pas été percés vis-à-vis les 2 trous de chaque éclisse les plus proches des abouts de rail.

    Au moment de la découverte de la rupture d’éclissage, les 2 boulons du côté ouest du joint s’étaient brisés et étaient tombés, tandis que les 2 boulons du côté est du joint étaient toujours en place. Au moment de la collision, 1 des boulons restants du côté est (pour un rail de 115 livres)Le Règlement concernant la sécurité de la voie ne prescrit pas le type de boulon qui doit être utilisé. Dans l’événement à l’étude, le boulon pour rail de 115 livres (1 pouce de diamètre) avait été utilisé comme mesure temporaire, l’intention étant de le remplacer plus tard par un boulon pour rail de 136 livres (1⅛ pouce de diamètre). Les boulons plus gros sont plus résistants aux contraintes de cisaillement causées par la contraction des rails. avait été retiré par le superviseur avec l’outil manuel approprié, tandis que l’autre était serré et devait être retiré au moyen d’outils électriques ou découpé à l’aide d’une scie à rails, ce qui n’avait pas encore été fait.

    Dans le secteur de la rupture d’éclissage, toutes les traverses étaient ancrées sur une distance de 195 pieds à l’est et à l’ouest de l’aiguillage, après quoi 1 traverse sur 2 était ancrée. Sous le joint, il y avait 2 traverses danseuses (c.-à-d. que les traverses ne fournissaient plus de support).

    Les inspections suivantes avaient été récemment effectuées dans le secteur de la rupture d’éclissage :

    • Une inspection visuelle de la voie sud le 26 décembre 2022; aucun défaut n’avait été relevé.
    • Une inspection à pied du branchement le 21 décembre 2022; aucun défaut n’avait été relevé.
    • Un test de détection des défauts de rail le 15 décembre 2022; aucun défaut n’avait été relevé.
    1.4.1.1 Plan d’entretien et d’inspection des joints de rail

    Les joints de rail créent des discontinuités dans les propriétés géométriques et mécaniques du rail et sont souvent considérés comme l’un des points les plus faibles de la structure de la voie, qui la rend plus vulnérable aux défauts et aux défaillances.

    L’article 5.3 du Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés exige que les compagnies ferroviaires élaborent et respectent un plan d’entretien et d’inspection des joints de rail permanents et temporaires pour les LRS sur les tronçons en voie principale et en voie de subdivision des itinéraires clés. Dans le cas des joints de rail temporaires, le plan exige que les éléments suivants soient consignés, et que les registres soient conservés pendant au moins 1 an (cette liste n’est pas exhaustive) :

    Cet article du règlement exige également que les compagnies ferroviaires déposent une copie du plan auprès de Transports Canada (TC) au plus tard le 1er septembre de chaque année civile.

    Conformément au règlement, le CP a élaboré un « Plan de gestion des joints des longs rails soudés », en vigueur à compter du 1er septembre 2021. Le plan précise que les joints de rail temporaires doivent être soudés ou transformés en joints permanents dans les 3 années suivant leur installation. Le plan stipule qu’un registre du lieu et de la date d’installation d’un joint de rail temporaire doit être conservé pendant 3 ans, ce qui dépasse la période de conservation minimale énoncée dans le Règlement.

    Les exigences relatives à un plan d’entretien et d’inspection des joints de rail permanents et temporaires sont entrées en vigueur le 22 août 2021. Auparavant, la réglementation n’exigeait pas que les compagnies de chemins de fer conservent des registres de joints de rail temporaires, et le CP ne tenait pas de tels registres à ce moment-là. Par conséquent, les renseignements relatifs à la date d’installation du joint au point milliaire 116,67 ne sont pas disponibles.

    1.4.2 Défauts de joints de rail près du lieu de l’événement en 2022

    En 2022, il est arrivé 15 fois qu’un entretien des joints soit nécessaire près du point milliaire 116,67 (jusqu’à 1 mille dans chaque direction) dans la subdivision de Shuswap (tableau 1). Les défauts de joints exigeant ces travaux d’entretien ont été découverts dans le cadre du programme d’inspection du CP, et les mesures nécessaires ont été prises.

    Tableau 1. Défauts de joints décelés près du point milliaire 116,67 de la subdivision de Shuswap en 2022
    DateNuméro de défaut
    (Canadien Pacifique)
    Point milliaireRemarques
    7 janvier846861116,67Boulon brisé (rail sud)
    3 février846409116,97Tête de boulon arrachée
    7 février846867116,67Boulon brisé (rail sud)
    7 février846868117,13Boulon brisé (rail nord)
    14 février848366116,67Remplacement des barres droites du rail nord
    10 mars853632116,66Tête de boulon séparée (rail sud)
    7 avril861849117,14Rail remplacé
    14 novembre921341116,49Écrou tombé d’un boulon à un joint (rail sud)
    17 novembre922328116,93Trou d’éclissage d’un joint
    25 novembre923585116,94Affaissement de joints, traverses exerçant un effet de pompage, ballast pollué
    28 novembre923869116,92Boulon brisé, fissure dans l’éclisse
    6 décembre925457116,97Ajustement aiguille/contre-aiguille (bord extérieur de la roue en contact avec la face intérieure du rail)
    6 décembre925458116,70Ajustement aiguille/contre-aiguille
    15 décembre926882116,49Boulon brisé (rail sud), tête de joint remplacée
    29 décembre928325116,69Boulons défectueux, libération du rail

    1.5 Permis d’occuper la voie

    Les POV autorisent les employés des chemins de fer à conduire des véhicules d’entretien sur la voie principale ou sur des voies d’évitement signalisées, à l’intérieur d’une zone d’application précisée. Les travaux en voieLes travaux en voie sont « [t]out travail sur ou à proximité d’une voie dont l’exécution rend la voie dangereuse pour les mouvements circulant à vitesse normale, ainsi que tout travail qui exige la protection des employés ou de leurs machines travaillant à la construction ou la réparation de voie ». [Transports Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), Définitions, p. 16.] sur la voie principale ou sur les voies d’évitement signalisées peuvent aussi être effectués dans la zone d’application d’un POV.

    Au CP, les POV peuvent être demandés et délivrés par radio ou par voie électronique.

    1.5.1 Permis d’occuper la voie gérés par radio

    Lorsque les POV sont demandés et autorisés par radio, il y a une interaction verbale directe entre le CCF et l’employé d’entretien de la voie.

    En ce qui concerne l’annulation des POV par radio, la règle 864 du REF indique ce qui suit :

    864. ANNULATION D’UN POV

    (a) Le contremaître doit informer le CCF du numéro du POV à annuler.

    (b) Le CCF doit indiquer le numéro et la zone d’application du POV à annuler, et le contremaître doit confirmer l’exactitude de ces renseignements.

    (c) Le CCF indiquera le numéro du POV, prononcera le mot « annulé » et donnera ses initiales, renseignements que doit répéter le contremaître.

    (d) L’annulation ne prend effet qu’après que le contremaître a répété correctement les renseignements et qu’il en a accusé réceptionIbid., règle 864 : Annulation d’un POV, p. 122..

    1.5.2 Permis d’occuper la voie gérés par voie électronique

    L’application EIC, qui a été introduite en 2016 et entièrement mise en œuvre sur tout le réseau canadien du CP en 2017, permet aux employés qualifiés de demander, de recevoir et d’annuler les POV par voie électronique sur le terrain au moyen d’un ordinateur portable et du réseau de données sans fil disponible. L’application fournit également un aperçu de la subdivision, affichant la zone d’application des POV et les trainsLa Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada dispose d’un système similaire, le système de permis d’occuper la voie électroniques, qu’elle a mis en œuvre en 2012..

    Bien que l’utilisation de l’application EIC soit très répandue au CP, les employés d’entretien de la voie peuvent toujours obtenir et annuler les POV par radio, à leur discrétion.

    Lorsqu’elles sont exécutées par voie électronique, les annulations de POV sont régies par la règle 131.1 du REF :

    Lorsqu’un BM [bulletin de marche], une feuille de libération, un POV et toute autre autorisation, instruction ou information sont transmis ou annulés au moyen d’une MCE [méthode de communication électronique] et non par liaison phonique, aucune répétition n’en sera faite au CCF; lors de la transmission, c’est la MCE qui produira le mot « Complété », et les initiales du CCF. Quand le document est annulé, les initiales du CCF ne sont pas nécessairesTransports Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 131.1 : Transmission électronique et annulation, p. 69..

    Les employés du CP reçoivent une formation sur l’utilisation de l’application EIC, qu’ils suivent à leur propre rythme, ainsi qu’un aide-mémoire qui donne un aperçu rapide des opérations les plus courantes effectuées à l’aide de l’application.

    La procédure d’annulation des POV électroniques, comme l’indique le matériel de formation du CP, indique, en partie, ce qui suit :

    Ouvrez le POV et cliquez sur le bouton Request Cancel au bas de l’écran POV.

    […]

    Revoyez la zone d’application de votre POV, et cliquez sur les cases à cocher pour vous assurer d’annuler le bon POV.

    […]

    Assurez-vous qu’aucuns travaux en voie et qu’aucun véhicule d’entretien ne seront sans protection.

    […]

    Saisissez votre mot de passe (le même que vous utilisez pour ouvrir une session sur votre ordinateur quand vous le mettez en marche).

    […]

    Cliquez sur Cancel my POV pour terminer l’annulation. 
    Une fois que vous aurez sélectionné le bouton Cancel myPOV et cliqué dessus , vous ne pourrez revenir sur vos pas.

    […]

    Cliquez sur Close pour fermer le POVCompagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2778 V5E [EICForeman French], Section 11La version française du document n’est pas datée..

    En ce qui concerne l’annulation des POV, l’aide-mémoire indique, en partie, ce qui suit  :

    1. Ouvrez le POV […].
    2. Cliquez sur le bouton Request Cancel au bas du POV.
    3. Vérifiez qu’aucun travaux en voie et véhicule d’entretien ne seront sans protection en cliquant sur les cases.
    4. Saisissez votre mot de passe et cliquez sur OK.
    5. Fermez le POV. Le CCF accusera réception de l’annulation quand il en aura le temps. Vous n’avez pas besoin d’attendre qu’il le fasse […]Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Aide-mémoire sur le système Employee In Charge (EIC), dernière mise à jour le 4 mai 2017.
    1.5.2.1 Conception de l’application EIC

    Le CP a déclaré qu’au lieu d’utiliser une norme précise de conception conviviale pour développer l’interface de l’application d’employé responsable, il a utilisé les pratiques exemplaires et les principes des technologies de l’information (TI). L’enquête du BST n’a pas permis de déterminer les pratiques exemplaires et les principes des TI qui se rapportaient à la convivialité; toutefois, les normes de convivialité et les pratiques de validation reconnues sont normalement précisées à la phase de conception et mises en correspondance avec les exigences des utilisateurs des interfaces logicielles et matérielles.

    La norme ISO 9241-110 (2020) Ergonomie de l’interaction homme-système – Principes d’interaction de l’Organisation internationale de normalisation est un exemple de norme de conception qui décrit les exigences des systèmes interactifs tels que l’application EIC du CP. La norme tient compte de la convivialité en permettant aux personnes d’atteindre des objectifs efficacement dans des contextes précis.Elle précise notamment que les systèmes interactifs doivent être développés de manière à réduire au minimum les erreurs de l’utilisateur, qu’elle définit comme des actions conduisant à un résultat différent de celui prévu par le fabricant ou par l’utilisateur.

    Les principes d’interaction énoncés dans la norme ISO 9241-110 vont plus loin et décrivent qu’une application logicielle devrait :

    Les normes de conception façonnent les interfaces humain-système utilisées dans les métiers du transport, comme le contrôle de la circulation ferroviaire. Essentiellement, les principes guidant l’ergonomie du logiciel décrivent les exigences de base selon lesquelles un système doit optimiser l’effort qu’une personne produit pour accomplir une tâche en présentant les renseignements clairement et sans ambigüité. Le logiciel doit répondre aux attentes de l’utilisateur en apportant aux données saisies des réponses appropriées et cohérentes qui sont conçues pour éviter les erreurs tout en offrant des moyens faciles de s’en rétablir.

    1.5.2.2 Sélection des autorisations dans l’application EIC

    Pour annuler un POV dans l’application EIC, un contremaître doit utiliser l’écran tactile; l’espace étant limité, les renseignements sont affichés en petits caractères. Tous les POV actifs sont répertoriés dans la fenêtre Sommaire des autorisations, où le contremaître peut sélectionner le POV à annuler (Figure 5). 

    Figure 5. Capture d’écran du tableau Sommaire des autorisations de l’application EIC (Source : Canadien Pacifique)
    Image

    Par défaut, les POV sont triés par numéro d’autorisation, le numéro le plus bas (l’autorisation la plus ancienne) se trouvant en haut de la liste. Toutefois, cet ordre peut être inversé sur l’écran tactile en tapant sur le titre de la colonne Numéro d’autorisation. L’action de taper sur le titre d’une colonne ne fait que changer l’ordre de ses éléments; l’application ne fournit aucune rétroaction au contremaître.

    L’enquête a permis de déterminer que le superviseur ignorait l’existence de cette fonction de tri. Au moment de l’événement, cette fonction n’était abordée ni dans la formation que les employés suivaient à leur propre rythme ni dans l’aide-mémoire.

    1.6 Détection des voies occupées dans le système de commande centralisée de la circulation

    1.6.1 Shuntage des circuits de voie

    Dans le système de CCC, une série de circuits de voie interconnectés sont utilisés pour transmettre un courant électrique par les rails. Le courant qui circule dans les rails peut indiquer la présence de trains et la continuité des circuits de voie —autrement dit, si un rail est rompu ou si un aiguillage est resté ouvert. Les voies sont divisées en cantons interconnectésUn canton est une « [p]artie de voie, d’une longueur déterminée, dont l’occupation par un mouvement est commandée par des signaux de canton ». [Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), Définitions, p. 11.] de différentes longueurs. Des signaux de cantonUn signal de canton est un « [s]ignal fixe implanté à l’entrée d’un canton et réglant la marche d’un mouvement à l’entrée ou à l’intérieur de ce canton ». [Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), Définitions, p. 14.] se trouvent à l’entrée de chaque canton pour régir la circulation des trains et assurer des intervalles adéquats entre les trains. Quand un train entre dans un canton inoccupé et que les circuits de voie sont complets, le système de signalisation affiche une indication permissive. Cependant, si un autre train occupe le canton devant, ou si la continuité des circuits de voie est interrompue en raison de la rupture d’un rail ou de l’ouverture d’un aiguillage, le système de signalisation affichera une indication restrictive informant l’équipe soit d’arrêter le train avant d’entrer dans le canton, soit de réduire sa vitesse suffisamment pour être en mesure de s’arrêter en deçà de la moitié de la distance de visibilité d’un matériel, d’un rail brisé ou d’un aiguillage mal orienté (Figures 6 et 7).

    Figure 6. Diagramme d’un canton occupé illustrant comment les roues et l’essieu d’un train ou d’un véhicule font le shuntage des voies et génèrent un signal d’arrêt absolu (Source : BST)
    Image
    Figure 7. Diagramme d’un canton libre et du signal de vitesse normale qui est affiché (Source : BST)
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    1.6.2 Véhicules d’entretien et circuits de voie

    Au Canada, la plupart des véhicules d’entretien sont spécialement conçus pour que le courant électrique ne circule pas entre les roues opposées du même essieu : les essieux sont isolés de manière à ne pas shunter les circuits de voieDe nombreux véhicules d’entretien ne sont pas suffisamment lourds pour assurer un contact fiable entre les roues rail-route et le champignon du rail afin de garantir un shuntage uniforme des circuits de voie. De plus, certaines activités d’entretien telles que les tests des systèmes de signalisation et des systèmes d’avertissement de passages à niveau sont réalisées plus rapidement à l’aide de véhicules rail-route qui ne shuntent pas les circuits de voie.. Par conséquent, l’emplacement d’un véhicule d’entretien n’est pas habituellement indiqué sur l’écran de subdivision du CCF en tant que « voie occupée », et la présence d’un véhicule d’entretien n’entraîne pas l’affichage d’un signal d’arrêt absolu ou de marche à vue lorsque le système de signalisation est actionné par un train qui s’approche. Dans le cas des véhicules d’entretien, l’occupation de la voie est gérée par l’utilisation de POV. Avant d’émettre un POV, les CCF doivent bloquer à Arrêter absolu tous les signaux contrôlésUn signal contrôlé est « [e]n commande centralisée de la circulation (CCC) [un] signal de canton qui peut donner l’indication Arrêt absolu jusqu’à ce que le contrôleur de la circulation ferroviaire [CCF] lui fasse présenter une indication moins restrictive » [Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), Définitions, p. 13-14.] régissant la circulation des trains dans la zone visée par le POV.

    1.6.2.1 Recommandation du National Transportation Safety Board des États-Unis concernant le shuntage par le matériel d’entretien de la voie

    Le 29 janvier 1988, un train d’Amtrak circulant vers le nord a heurté du matériel d’entretien de la voie à Chester (Pennsylvanie), aux États-Unis. Le ML du train a subi de graves blessures.Huit membres de l’équipe du train et 15 voyageurs ont subi des blessures mineures. À la suite de son enquête sur cet événement, le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a émis la recommandation suivante à l’intention de l’American Railway Engineering Association (AREA)L’American Railway Engineering Association a fusionné avec l’American Railway Engineering and Maintenance-of-Way Association (AREMA) en 1997.  : [traduction]

    Déterminer des méthodes pour assurer un shuntage adéquat des circuits des systèmes de signalisation par la machinerie d’entretien circulant sur la voie et ajouter ces méthodes au manuel des pratiques recommandées.

    Recommandation R-89-005 du NTSBNational Transportation Safety Board des États-Unis, Recommandation R-89-005, à l’adresse https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/R-89-005 (dernière consultation le 29 août 2024).

    Le 14 juin 1989, en réponse à cette recommandation, l’AREA a entre autres indiqué ce qui suit : [traduction]

    La décision d’utiliser du matériel isolé ou non est une décision qu’il vaut mieux laisser aux différents chemins de fer en fonction des particularités de leurs règles de sécurité et procédures d’entretien, telles qu’établies par leurs services d’exploitation, de signalisation et d’entretien de la voie. La principale mesure de sécurité doit prendre la forme d’ordres écrits qui interdisent l’exploitation simultanée imprévue de trains et de matériel d’entretien de la voie sur une même voie. Pour les raisons susmentionnées, l’AREA est d’avis qu’il ne convient pas de recommander des pratiques suivant les suggestions du NTSB. L’AREA croit que, dans l’intérêt de la sécurité, il vaut mieux qu’elle ne prenne aucune mesure relativement aux questions mentionnées par le NTSB dans sa recommandation de sécurité R-89-5Ibid..

    Le 15 novembre 1989, le NTSB a déterminé que la réponse de l’AREA était inacceptable et a fermé le dossier. Le NTSB a entre autres indiqué ce qui suit : [traduction]

    Le NTSB est toujours d’avis que la protection offerte par le système de cantonnement automatique est essentielle à la prévention des accidents causés par une erreur humaine, comme il l’a indiqué dans son rapport sur l’accident d’Amtrak à Chester (Pennsylvanie) à l’origine de cette recommandation. […] Jusqu’à ce qu’il soit possible d’assurer un niveau suffisant de protection contre les intrusions sur des voies hors service à l’aide d’équipement non isolé et de dispositifs positifs de shuntage, la protection dépendra seulement des procédures. Le NTSB est d’avis que les règles d’exploitation d’Amtrak et les instructions relatives à la protection de l’équipement d’entretien sur la voie doivent toujours être considérés comme la principale mesure de sécurité, et, dans la mesure du possible, les procédures doivent être conçues pour réduire au minimum les risques d’erreur humaineIbid..

    Depuis l’événement concernant Amtrak, à la suite de ses enquêtes sur d’autres événements au cours desquels un train avait heurté de l’équipement ou des employés de la voie, le NTSB a formulé plusieurs autres recommandations demandant une protection redondante des signaux, comme le shuntage de la voie : R-08-006National Transportation Safety Board des États-Unis, Recommandation R-08-006, à l’adresse https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/R-08-006 (dernière consultation le 29 août 2024)., R-13-017National Transportation Safety Board des États-Unis, Recommandation R-13-017, à l’adresse https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/R-13-017 (dernière consultation le 29 août 2024)., R-13-039National Transportation Safety Board des États-Unis, Recommandation R-13-039, à l’adresse https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/R-13-039 (dernière consultation le 29 août 2024). et R-18-024National Transportation Safety Board des États-Unis, Recommandation R-18-024, à l’adresse https://data.ntsb.gov/carol-main-public/sr-details/R-18-024 (dernière consultation le 29 août 2024)..

    Au moins une compagnie ferroviaire, l’Union Pacific Railroad, exige que les véhicules rail-route soient capables de shunter les circuits de voie pour activer les signaux et les systèmes actifs d’avertissement de passage à niveau. Toutefois, cette exigence ne s’applique pas aux véhicules rail-route utilisés par les employés d’entretien des signaux chargés de tester les signaux. Plusieurs activités d’entretien effectuées par les préposés à l’entretien de la signalisation, y compris les tests et l’entretien des systèmes d’avertissement de passage à niveau, ne peuvent être menées à bien si la voie est shuntée.

    Il existe des limites au shuntage des circuits de voie par les véhicules d’entretien. Par exemple, lorsque les roues du véhicule d’entretien n’établissent pas un contact efficace avec le rail (p. ex., si la surface du rail est rouillée ou si les roues se soulèvent au-dessus de dépôts de matières comme la neige, le sable, la saleté ou les feuilles), le shuntage pourrait ne pas être uniforme. Dans de telles circonstances, les indicateurs d’occupation de la voie peuvent être intermittents ou ne pas s’afficher du tout sur les écrans de subdivision du CCF.Par conséquent, la présence d’un véhicule d’entretien pourrait ne pas activer les indications des signaux sur le terrain.

    1.6.2.2 Dispositifs de shuntage

    Les dispositifs de shuntage (Figure 8) offrent une solution de rechange au shuntage par les véhicules d’entretien. Ces dispositifs, qui sont installés à la main, shuntent le circuit de voie et, par conséquent, garantissent que les signaux d’arrêt absolu seront affichés pour les trains qui s’approchent des cantons occupés par des travailleurs.

    Figure 8. Dispositif de shuntage (Source : BST)
    Image

    Aux États-Unis, certains chemins de fer exigent l’utilisation de dispositifs de shuntage lorsque du personnel travaille sur la voie. Le CP ne fournit aucune directive sur l’autorisation ou l’interdiction de l’utilisation de dispositifs de shuntage.

    1.6.3 Occupation de la voie sur les écrans des contrôleurs de la circulation ferroviaire pour la subdivision

    Au centre d’exploitation du CP, des logiciels permettent aux CCF de surveiller leur territoire sur des écrans d’ordinateur. L’écran donne un aperçu de l’ensemble de la subdivision, y compris les voies d’évitement, les signaux, les trains et la zone d’application des POV. Si un train se trouve à l’intérieur d’un canton contrôlé ou à un endroit contrôléUn emplacement contrôlé est « un emplacement en CCC [système de commande centralisée de la circulation] dont la zone est définie par des signaux de canton contrôlés de sens contraire ». [Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), Définitions, p. 11.], l’écran de la CCC affiche également le train lorsqu’il quitte un canton contrôlé et entre dans un autre, et lorsqu’il passe à un endroit contrôlé.

    Dans l’événement à l’étude, après que le superviseur a annulé le POV pour la voie principale sud, l’écran de la CCC indiquait que la voie était inoccupée et qu’elle pouvait être utilisée, même si le véhicule rail-route occupait toujours la voie.

    Le BST a enquêté sur plusieurs accidents au cours desquels des trains circulant en présence d’indications de signal permissives étaient entrés en collision avec des véhicules d’entretienRapports d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R98T0141, R00V0206, R03Q0003, R12V0008, R16H0024, R20D0088 et R20H0130 du BST.. Dans chacun de ces cas, le véhicule d’entretien n’a pas shunté le circuit de voie et il n’y avait pas d’autre dispositif de shuntage disponible pour fournir un moyen de défense d’appoint contre les collisions entre le train et les véhicules d’entretien.

    1.7 Utilisation de la technologie de système de positionnement mondial pour détecter l’équipement sur la voie

    Certains chemins de fer utilisent la technologie de système de positionnement mondial (GPS) pour situer l’équipement sur la voie et en assurer la surveillance.

    Après une collision entre 2 trains survenue en 1996 près de Sept-Îles (Québec)Rapport d’enquête ferroviaire R96Q0050 du BST., le Chemin de fer QNS&L a mis au point un système d’évitement des collisions‑, qu’il a mis en œuvre sur son réseau ferroviaire en juillet 1997. Le dispositif, qui utilise la technologie GPS pour localiser toutes les locomotives et tous les véhicules d’entretien sur la voie, émet des avertissements sonores et visuels aux utilisateurs d’autres équipements se trouvant à des distances précisées et déclenche un freinage compensateur si les équipes de train n’interviennent pas.

    Aux États-Unis, au début des années 2000, le chemin de fer Burlington Northern and Santa Fe Railway a également mis au point un système d’évitement des collisions utilisant la technologie GPS. Le système, appelé Hi-Rail Limits Compliance System, surveille l’emplacement des véhicules rail-route en comparant les limites d’autorisation délivrées aux véhicules par rapport à leur emplacement physique. Lorsqu’un véhicule s’approche de ses limites d’autorisation, les employés d’entretien de la voie sont alertés. Si un véhicule dépasse ses limites d’autorisation, une alarme continue retentit et le système avise le répartiteur.

    Plus récemment, en 2021-2022, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a installé un système de vérification électronique de l’autorisation de circuler (ETAV) aux États-Unis et au Canada. Ce système est conçu pour aider les travailleurs de la voie à circuler sur le réseau de voies en fournissant une carte précise des actifs du CN sur le terrain avec un suivi GPS en temps réel et une assistance au positionnement sur le réseau de voies. Il permet aussi de créer des couloirs de navigation appelés « périmètres virtuels ».Les périmètres virtuels représentent les limites géographiques des POV accordés par le CCF, ce qui aide les contremaîtres à connaître leur position sur le réseau de voies. Le système ETAV fournit des indices visuels et sonores sur la position GPS d’un véhicule d’entretien sur le réseau de voies, ce qui permet de s’assurer que les contremaîtres restent toujours à l’intérieur de la zone d’application de leur POV. Si un contremaître tente par inadvertance d’annuler un POV alors qu’il se trouve encore dans la zone d’application, une alerte sonore est émise, prévenant le contremaître de ne pas annuler la POV.

    Le CP a installé des dispositifs GPS sur la plupart de ses véhicules d’entretien. Les données GPS sont recueillies en temps quasi‑réel et sont principalement utilisées à des fins de gestion de la flotte. Au moment de l’événement à l’étude, les données GPS n’étaient pas utilisées pour éviter les collisions.

    1.8 Séances de briefing sur les travaux en voie

    Au CP, les exigences en matière de séances  de briefing relatives aux travaux d’entretien de la voie sont énoncées dans le Manuel de sécurité de l’Ingénierie. À la section E-0, sous l’en-tête « Règles propres à l’Ingénierie et principes de sécurité au travail », on indique, en partie, ce qui suit :

    I.     Toutes les personnes qui participent au travail ou aux tâches, ou qui se trouvent dans la zone de travail, doivent assister à la séance d’information sur la sécurité avant le début des travaux. Une autre séance d’information sur la sécurité doit avoir lieu chaque fois que les conditions changent. L’employé responsable dirigera la séance d’information et la consignera dans le Cahier sur les séances d’information sur la sécurité de l’Ingénierie.

    La séance d’information sur la sécurité comprend :

    En outre, la règle 7.1 dans le Livre des règles pour les employés de l’ingénierie stipule notamment [caractères gras et soulignement dans l’original] :

    Avant de donner suite à un POV

    (a) Le contremaître responsable d’un seul véhicule d’entretien doit :

        (i) lire le POV aux employés qui accompagnent le véhicule d’entretien;

        (ii) leur demander de lire le POV et d’y apposer leurs initialesChemin de fer Canadien Pacifique, Livre des règles pour les employés du service de l’ingénierie (28 octobre 2021), article 7.1 : Protection par POV, p. 23..

    L’application EIC du CP comprend un champ où les employés peuvent apposer leurs initiales sur le POV pour confirmer qu’ils l’ont lu.

    Selon ces instructions, le type de protection de la voie doit faire l’objet d’une discussion pendant la séance de briefing, mais il n’est pas explicitement exigé que la discussion porte expressément sur les limites du POV. Toutefois, le CP s’attend à ce que les limites du POV soient examinées dans le cadre de ces instructions.

    Au cours de la séance de briefing obligatoire qui a eu lieu lors de cet événement, les employés concernés n’ont discuté ni de la voie à laquelle le POV électronique s’appliquait, ni de la zone d’application du POV; ils n’ont pas non plus examiné le POV ni consigné les résultats de l’exposé dans le Cahier sur les séances d’information sur la sécurité de l’Ingénierie.

    1.9 Inspection des véhicules, du matériel, de l’équipement et des outils

    Le CP fournit aux travailleurs d’entretien de la voie le document Registre d’inspection de sécurité quotidienne et de maintenance planifiée des véhicules, des véhicules rail-route et des grues sur camion, connu au CP sous le nom de « livre vert ». Le livre vert exige que les employés mènent une inspection quotidienne des pièces des véhicules rail-route qu’ils utilisent, telles que les goupilles de direction, d’engrenage et de verrouillageCompagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, Registre d’inspection de sécurité quotidienne et de maintenance planifiée des véhicules, des véhicules rail-route et des grues sur camion, en vigueur en janvier 2019.. Il n’exige pas de faire l’inventaire des matériaux ou des outils nécessaires aux travaux de voie.

    Dans cet événement, le superviseur a effectué l’inspection requise et a déterminé que le véhicule rail-route était en bon état de fonctionnement.

    1.9.1 Listes de vérification

    Les listes de vérification donnent aux employés un cadre objectifA. Degani et E. L. Weiner, « Cockpit Checklists: Concept, Design and Use », Human Factors: The Journal of the Human Factors and Ergonomics Society, vol. 35, no 2 (1993), p. 28-43. qui offre :

     

    Les listes de vérification des opérateurs sont généralisées dans toute l’industrie du transport, notamment les modes aérien et maritime. Toutefois, elles ne sont généralement pas utilisées dans l’exploitation ferroviaire, comme c’était le cas dans l’événement à l’étude.

    1.10 Transmission radio et écoute radio permanente

    La transmission de messages radio et l’écoute radio permanente sont des processus importants qu’utilisent à la fois les employés de l’exploitation ferroviaire (c.-à-d. les équipes de train et les CCF) et les employés des services d’ingénierie ferroviaire (c.-à-d. le personnel d’entretien de la voie et personnel chargé de la signalisation et des communications). Par souci de sécurité et de rapidité, les employés chargés de l’exploitation et ceux chargés des services d’ingénierie utilisent des canaux radio différents. Lorsque les CCF sont tenus de surveiller leurs activités mutuelles, ils doivent utiliser le balayage multicanal ou changer manuellement de fréquence radio. Les CCF interagissent régulièrement avec les employés de l’exploitation et des services d’ingénierie et doivent donc être équipés de radios capables d’accéder aux deux catégories d’employés.

    Des haut-parleurs externes sur les véhicules d’entretien ou des radios portatives aident les employés des services d’ingénierie à écouter les communications radio lorsqu’ils travaillent à l’extérieur de leur véhicule. La règle 119 du REF indique ce qui suit :

    119. ÉCOUTE PERMANENTE

    (a)  Lorsqu’il n’y a pas de communication à transmettre ou à recevoir, les récepteurs doivent être réglés au canal d’attente approprié et à un volume qui permettra une écoute permanente. Lorsqu’un autre canal doit être utilisé pour remplir d’autres tâches, au moins une radio, quand c’est faisable, doit être réglée au canal d’attente approprié afin de recevoir les communications d’urgence.

    (b)  Le volume d’un récepteur radio devrait être gardé à un niveau qui évitera de gêner le public dans les voitures et les installations de gare.

    (c)  Les contremaîtres nommés dans un BM [bulletin de marche] du modèle Y, un POV ou une feuille de libération doivent régler leur radio en « mode balayage » lorsqu'elle n'est pas utilisée pour communiquer avec un autre employé, autrement leur radio doit être réglée pour l’écoute du canal d'attente désigné applicableRèglement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 119 : Écoute permanente, p. 65-66.,Le mode balayage consiste à laisser la radio ouverte sur le canal approprié afin d’écouter les transmissions radio des trains qui s’approchent et des autres travailleurs sur la voie..

    Dans l’événement à l’étude, les piles de la radio portative du superviseur n’étaient pas suffisamment chargées pour durer tout le quart de travail du superviseur, et elles étaient à plat avant que ce dernier commence les travaux de réparation sur la voie.

    Le soudeur qui s’était joint au superviseur ignorait qu’il n’y avait pas de haut-parleur externe sur le véhicule d’entretien et que la radio portative du superviseur ne fonctionnait pas. Lorsque le soudeur a quitté son camion qui était stationné près de la route adjacente, il n’a pas apporté sa radio portative.

    1.11 Incidence de la charge cognitive sur la conscience situationnelle

    La charge cognitive désigne la capacité d’une personne à résoudre des problèmes lorsqu’elle fait face à plusieurs tâches à accomplir dans un laps de temps donné. En règle générale, plus la complexité de la tâche augmente, plus la capacité d’une personne à maintenir le même niveau de performance dans cette tâche diminue. De même, la charge augmente lorsque le nombre de tâches à accomplir augmente ou lorsque le délai accordé pour les accomplir diminue. Les personnes utilisent à la fois des ressources physiologiques (p. ex., la libération d’hormones de lutte ou de fuite)Le système nerveux sympathique fait partie du système nerveux autonome de l’organisme. Il est responsable des fonctions de réponse au stress telles que le contrôle du rythme cardiaque, de la pression artérielle, de la digestion, de la miction et de la transpiration. (Source : Cleveland Clinic, https://my.clevelandclinic.org/health/body/23262-sympathetic-nervous-system-sns-fight-or-flight; dernière consultation le 4 septembre 2024). et cognitives (p. ex., une concentration de l’attention) pour gérer des situations à charge élevée. Une charge cognitive excessive survient lorsque l’exécution d’une tâche nécessite plus de ressources (incluant le temps) que celles qui sont disponibles, ce qui entraîne une diminution au niveau de la performance.

    La conscience situationnelle est la perception des éléments dans l’environnement, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans l’avenir. Une conscience situationnelle exacte permet à une personne d’effectuer des prédictions informées et précises relativement aux conséquences potentielles de ses actionsM. R. Endsley, « Situation awareness in aviation systems », dans B.H. Kantowitz (éd.), Handbook of Aviation Human Factors, 2e édition (CRC Press, 2009), p. 12-1 à 12-22..

    La relation entre la charge cognitive et la conscience situationnelle n’est pas simple. Étant donné qu’elles reposent toutes deux sur les mêmes processus sous-jacents, elles ont tendance à être incompatibles dans une certaine mesure [traduction] : « [p]lus la tâche est exigeante, plus la situation est complexe et plus il y a de “travail” à faire pour accomplir la tâche et évaluer la situationP. S. Tsang et M. A. Vidulich, « Mental workload and situation awareness », dans G. Salvendy (éd.), Handbook of human factors and ergonomics, 4e édition (John Wiley & Sons, 2012), p. 248.. » Par conséquent, dans la plupart des situations, une charge cognitive excessive s’accompagne généralement d’une conscience situationnelle réduite.

    Un modèle mental est une représentation conceptuelle d’un système qu’une personne construit à partir de ses connaissances et sa compréhension de ce systèmeC. Capelo et J. F. Dias, « A system dynamics-based simulation experiment for testing mental model and performance effects of using the balanced scorecard », System Dynamics Review, vol. 25. no 1 (2009), p. 1 à 34.. Un modèle mental peut comprendre des renseignements descriptifs ainsi que spatiaux. Un modèle mental exact — qui représente bien le monde réel — favorise une meilleure prise de décisions et une meilleure exécution générale des tâchesIbid.. L’élaboration d’un modèle mental nécessite des ressources de mémoire et d’attention. Plusieurs processus permettent d’assurer l’exactitude du modèle mental, y compris la répétition de renseignements identiques ou similaires au fil du temps. Les modèles mentaux sont généralement résistants au changement, sauf si des indices évidents du contraire sont perçus et que leur signification est comprise. Dans des conditions de charge mentale élevée, la mise à jour d’un modèle mental est plus difficile, car les ressources d’attention et de mémoire sont déjà utilisées ailleurs.

    Dans l’événement à l’étude, le superviseur devait composer avec plusieurs facteurs qui augmentaient les charges cognitives auxquelles il était soumis, dégradaient sa conscience situationnelle et nuisaient à son modèle mental. Par exemple :

    1.12 Systèmes de gestion de la sécurité

    Un système de gestion de la sécurité (SGS) est un cadre reconnu à l’échelle internationale qui permet aux entreprises de cerner les dangers, de gérer les risques et d’améliorer la sécurité de leurs activités. Un SGS améliore la sécurité en s’appuyant sur les processus existants, en démontrant la diligence raisonnable de la compagnie et en développant la culture générale de sécurité.

    La gestion de la sécurité représente une approche systémique de la sécurité qui comprend, sans toutefois s’y limiter, un processus d’amélioration continue de la sécurité (figure 9). Un SGS efficace intègre les 4 piliers de la gestion de la sécurité : la politique et les objectifs de sécurité, la gestion des risques de sécurité, l’assurance de la sécurité et la promotion de la sécurité.

    Figure 9. Modèle générique de système de gestion de la sécurité (Source : BST)
    Image

    Le cadre du SGS n’est pas une nouveauté pour les opérations ferroviaires canadiennes. Une réglementation sur le SGS a été mise en place en 2001. En 2013, l’enquête sur le déraillement mortel de Lac-Mégantic (Québec)Rapport d’enquête ferroviaire R13D0054 du BST. a mis en évidence des lacunes dans cette réglementation, ce qui a mené à sa révision en 2015. En vertu du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS), les compagnies ferroviaires doivent élaborer un SGS qui comprend des processus pour déterminer les préoccupations liées à la sécurité,Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire ne définit pas ce qu’est une « préoccupation liée à la sécurité », mais il indique à titre d’exemples des tendances, des tendances émergentes et des situations répétitives. effectuer des évaluations des risques ainsi que mettre en œuvre des mesures correctives (de sécurité) et les évaluerTransports Canada, DORS/2015-26, Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, article 5.,Dans le contexte de systèmes de gestion de la sécurité, les expressions « mesures correctives » et « mesures de sécurité » sont généralement comprises comme étant synonymes, et toutes deux désignent des mesures prises pour améliorer la sécurité. Le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire utilise l’expression « mesures correctives », tandis que l’expression « mesures de sécurité » est utilisée dans le présent rapport.. Cependant, un processus conforme aux règles ne garantit pas nécessairement l’efficacité d’un SGS.

    Les mesures de sécurité prises ne constituent qu’une étape du processus du SGS. Par conséquent, toute mesure de sécurité prise à la suite d’un événement doit s’inscrire dans un processus d’amélioration continue de la sécurité, où la portée du changement est définie, les dangers sont cernés, les risques sont évalués, les mesures de sécurité sont mises en œuvre et évaluées, et l’ensemble du processus est consigné. Dès lors, l’efficacité des mesures de sécurité prises (leur efficacité à réduire la probabilité ou la gravité d’un événement indésirable) peut être mesurée objectivement.

    Le BST enquête sur des événements afin de cerner les lacunes de sécurité, y compris celles du SGS d’une compagnie, et rend compte des cas où le système de sécurité pourrait gérer les risques de façon plus efficace ou proactive.

    Système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique

    Conformément au Règlement sur le SGS, le CP a élaboré et mis en œuvre un SGS qui prévoit une politique et une procédure d’évaluation des risques. La politique d’évaluation des risques indique les conditions dans lesquelles une évaluation des risques doit être réalisée. Elle énonce, notamment [traduction] :

    Au CP, une évaluation des risques doit être effectuée lorsqu’une préoccupation liée à la sécurité est soulevée à la suite de l’analyse des données de sécurité ou lorsqu’un changement proposé aux activités ferroviaires est susceptible d’avoir une incidence négative sur la sécurité des employés, du public, de l’environnement ou de l’exploitation […]Chemin de fer Canadien Pacifique, Risk Assessment Policy (numéro de politique H&S4400), dernière révision en octobre 2015.

    Bien que les procédures du CP ne le déclarent pas explicitement, ces conditions englobent les situations énumérées dans le Règlement sur le SGS qui nécessitent une évaluation des risques, notamment :

    (i)   l’introduction ou l’élimination d’une technologie ou une modification apportée à une technologie,

    (ii)  l’ajout ou l’élimination d’une installation ferroviaire ou une modification apportée à une installation ferroviaire;

    (iii) une augmentation du volume des marchandises dangereuses qu’elle transporte;

    […]

    (v)  une modification touchant le personnel, y compris une augmentation ou une réduction du nombre d’employés ou une modification apportée à leurs responsabilités ou à leurs fonctionsTransports Canada, DORS/2015-26, Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (modifié le 1er avril 2015), alinéa 15(1)c)..

    Le BST a demandé au CP de fournir des dossiers sur son processus de gestion des risques pour la sécurité concernant la mise en œuvre de l’application EIC et l’utilisation des POV électroniques au Canada. Le CP a fourni une copie de sa feuille de travail intitulée Risk Assessment Worksheet, utilisée par le personnel du CP directement concerné par un changement potentiel, telle qu’elle avait été remplie pour le déploiement de l’application EIC au Canada. 

    1.12.1.1 Évaluation des risques liés au déploiement de l’application EIC au Canada

    En tant que nouveau logiciel, l’application EIC a nécessité des travaux de conception et de développement. La mise en œuvre a nécessité des tests de l’application, de la formation et des modifications aux processus. L’application EIC aurait des effets directs sur les tâches et la charge de travail des employés du CP au bureau du CCF et sur la façon dont les travailleurs de la voie établissent, maintiennent et annulent la protection de la voie.

    En mars 2016, le CP a mené une évaluation des risques liés à la mise en service de l’application EIC, qu’il a documentée dans la Risk Assessment Worksheet (feuille de travail pour l’évaluation des risques). En avril 2016, l’évaluation des risques a été envoyée au groupe du CP chargé des risques d’entreprise pour être classée. La feuille de travail est datée du 30 avril 2016.

    Le BST a examiné la feuille de travail remplie, qui décrit les étapes qui guident et documentent le processus d’évaluation des risques pour la sécurité. Des experts en la matière et des représentants des travailleurs ont participé au processus. Celui-ci a commencé par la définition du facteur déclencheur et de la portée de l’évaluation des risques, suivie d’un recensement des dangers et des événements indésirables possibles, de même que d’une évaluation des risques associés à ces événements. La feuille de travail se termine par une liste de mesures de sécurité à l’appui de la méthode d’amélioration continue du SGS.

    D’après la feuille de travail remplie, on a déterminé que le facteur déclencheur de l’évaluation des risques était une proposition de modification aux opérations. La portée était axée sur l’adéquation des ressources de formation et de la formation en cours d’emploi pour le passage des POV sur papier aux POV électroniques.

    Certains risques et événements indésirables associés ont été cernés, et leur niveau de risque et leur probabilité ont été déterminés. Par exemple, l’un des événements indésirables potentiels cerné était [traduction] « Le contremaître occupe la voie sans autorisation », et la probabilité que cet événement se produise a été jugée rare (dans la feuille de travail, une probabilité rare est définie comme [traduction] « Ne peut se produire que dans des circonstances exceptionnelles, moins d’une fois tous les cinquante ans »). D’après la feuille de travail, 1 seul risque (que le contremaître exécute un POV avant d’y être autorisé) nécessitait une mesure corrective (formation).

    Même si la feuille de travail remplie ne contenait pas de critères pour évaluer l’efficacité de la mesure de sécurité pour réduire ou éliminer le risqué cerné, en pratique, l’efficacité de la formation a été évaluée par l’entremise d’essais d’efficacité sur l’application EIC (il y a eu 5  essais d’efficacité différents). De décembre 2020 à décembre 2023, le CP a effectué presque 206 000 de ces essais d’efficacité; le taux de défaillance moyen était de 4,6 %.

    1.12.1.2 Notification et dépôt d’une proposition de modification aux opérations ferroviaires

    En vertu du Règlement sur le SGS, les compagnies de chemin de fer doivent notifier le ministre des Transports avant d’apporter une modification opérationnelle qui pourrait avoir une incidence sur la sécurité du public ou du personnel, ou encore sur la protection des biens ou de l’environnement (comme l’introduction ou l’élimination d’une technologie, ou bien une modification aux responsabilités ou aux fonctions du personnel) :

    Notification et dépôt

    38 La compagnie de chemin de fer qui se propose d’apporter une modification visée à l’alinéa 15(1)b) ou c) en avise le ministre, avant de l’apporter, et dépose auprès de celui-ci, à sa demande, la documentation relative à l’évaluation des risques qu’elle a effectuée à l’égard de cette modificationTransports Canada, DORS/2015-26, Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (modification 1er avril 2015), article 38..

    Le CP n’a pas officiellement avisé le ministre avant de mettre en œuvre l’application EIC en 2016, bien que TC eut été au courant de l’initiative. TC n’a pas demandé l’évaluation des risques réalisée au printemps 2016 qui concernait le déploiement de cette application.

    1.12.1.3 Audit exhaustif de 2016 par Transports Canada sur le système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique

    De septembre à novembre 2016, TC a mené un audit exhaustifL’objectif de l’audit exhaustif était de déterminer la conformité de la compagnie avec le Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire, et non d’évaluer l’efficacité de son système de gestion de la sécurité. des processus du CP en matière d’évaluation des risques et de mise en œuvre et d’évaluation des mesures correctives. Le processus d’audit exhaustif a permis d’examiner les documents du SGS du CP afin de s’assurer qu’ils étaient conformes aux exigences énoncées dans le Règlement sur le SGS.

    L’audit par TC portait sur de multiples évaluations des risques réalisées en 2015 et 2016. Bien que le processus d’évaluation des risques du CP lié au déploiement de l’application EIC n’ait été ni envoyé à TC, ni demandé par TC, avant la mise en œuvre complète de l’application EIC, il a été inclus dans la liste des évaluations des risques examinées dans le cadre de l’audit.

    En mars 2017, TC a fourni au CP le rapport d’audit, qui comprenait les constatations suivantes :

    En réaction, le CP a pris les mesures de sécurité suivantes :

    1.12.2 Recommandation antérieure relative au système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique

    À la suite de son enquête sur un événement survenu le 4 février 2019, au cours duquel un train de marchandises du CP avait déraillé dans une pente abrupte descendante près de Field (Colombie-Britannique), et les 3 membres de l’équipe qui se trouvaient à bord ont subi des blessures mortellesRapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19C0015 du BST., le BST a déterminé que les SGS de certaines compagnies ferroviaires ne permettaient pas encore de cerner efficacement les dangers et d’atténuer les risques dans le transport ferroviaire. Lorsque les dangers ne sont pas cernés, que ce soit par les signalements, les analyses des tendances des données ou les évaluations de l’incidence des changements opérationnels, et lorsque les risques qu’ils posent ne sont pas rigoureusement évalués, des lacunes dans les moyens de défense peuvent ne pas être atténuées, ce qui augmente le risque d’accident.

    Le Bureau a également déterminé que, tant que la culture de sécurité générale et le cadre du SGS du CP n’incluront pas des moyens de cerner les dangers de façon exhaustive, notamment par l’examen des rapports de sécurité et l’analyse des tendances des données, et d’évaluer les risques avant d’apporter des changements opérationnels, le SGS du CP ne sera pas pleinement efficace. C’est pourquoi le Bureau avait recommandé que :

    Dans sa réponse de décembre 2023 à cette recommandation, TC a indiqué qu’au cours des 16 mois précédents, il avait pris de nombreuses mesures pour évaluer l’efficacité du SGS du CP. En juillet 2022, TC a exigé des dépôts périodiques de rapports sur le SGS de la part du CP afin de faciliter l’évaluation de l’efficacité des processus du CP pour déterminer les dangers, cerner les préoccupations liées à la sécurité et évaluer les risques. En plus, TC a effectué 2 vérifications ciblées du SGS du CP. À la suite de ces vérifications, TC a communiqué ses attentes au CP, dont celle de la modification du processus de la compagnie pour cerner les préoccupations liées à la sécurité. Le processus modifié du CP a été reçu et TC est en train de l’examiner et l’évaluer. De plus, TC a augmenté sa fréquence d’inspection des comités de santé et sécurité au travail du CP, le nombre d’inspections ayant augmenté de 7 au cours des exercices 2020-2021 et 2021-2022.

    Dans son évaluation de la réponse de TC de février 2024, le Bureau a indiqué qu’il voyait d’un bon œil le fait que TC avait effectué des vérifications ciblées du SGS du CP et qu’il avait augmenté la fréquence de ses inspections de surveillance des comités de santé et sécurité au travail, et qu’il attendait avec intérêt les résultats de l’examen et de l’évaluation menés par TC quant aux processus de SGS modifiés du CP. Le Bureau a estimé que la réponse de TC à la recommandation R22-03 dénotait une intention satisfaisanteRecommandation R22-03 du BST : Gestion du risque par l’identification des dangers, l’analyse des tendances des données et l’évaluation des risques, à l’adresse https://www.tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/rail/2022/rec-r2203.html (dernière consultation le 5 septembre 2024)..

    1.13 Statistiques du BST sur les mouvements de véhicules d’entretien qui dépassent les limites d’autorisation lorsqu’un permis d’occuper la voie électronique est annulé par inadvertance

    Afin de déterminer les événements similaires au cours desquels des employés d’entretien de la voie du CP ont conduit des véhicules d’entretien (y compris des véhicules rail-route) sur la voie sans autorisation, le BST a mené un examen de sa base de données sur les événements ferroviaires (RODS) pour la période de 5 ans allant de 2017 à 2021 afin d’obtenir une moyenne à comparer avec les données de 2022. De 2017 à 2021, il y a eu un total de 2 événements de ce genre; à titre de comparaison, il y a eu 7 événements de ce genre en 2022(tableau 2). Le nombre d’événements survenus en 2022 (7) peut être considéré comme une valeur statistique aberrante par rapport aux autres chiffres de la périodeLes 7 événements survenus en 2022 se situent à 2 écarts-types (écart-type de 2,73) de la moyenne sur 6 ans de 1,5..

    Tableau 2. Nombre et fréquence des événements du CP signalés au BST où des véhicules d’entretien ont circulé sur la voie principale sans autorisation après que des permis d’occuper la voie électroniques aient été annulés par inadvertance, de 2017 à 2022
     201720182019202020212022
    Nombre de POV électroniques délivrés

    26 803

    110 775

    171 719

    223 734

    242 259

    271 686

    Nombre d’événements concernant l’annulation par inadvertance de POV électroniques

    0

    0

    1

    0

    1

    7*

    Nombre d’événements par 100 000 POV électroniques délivrés

    0

    0

    0,6

    0

    0,4

    2,6

    *Une description de ces événements figure à l’annexe A.

    Au cours de cette enquête, le BST a demandé au CP pourquoi il y avait eu une forte augmentation des cas d’annulation de POV électroniques (7) en 2022 par rapport aux années précédentes. Le CP a répondu que tous les POV électroniques annulés par erreur étaient le résultat d’[traduction] « erreurs attribuables à des facteurs humains » (comme un manque d’attention aux détails ou un manque de concentration sur la tâche à accomplir). Bien que le CP ait confirmé que chacun de ces événements a fait l’objet d’une enquête interne, la compagnie n’était à ce moment-là pas en mesure de déterminer pourquoi le nombre d’événements a connu un sommet en 2022.

    2.0 Analyse

    L’analyse portera sur les facteurs qui ont conduit à l’annulation par inadvertance du permis d’occuper la voie (POV) sur la voie principale sud; sur l’adéquation des procédures de vérification au moment d’annuler des POV électroniques à l’aide de l’application EIC du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP); sur l’évaluation des risques effectuée avant la mise en service de l’application d’employé responsable au Canada; sur la détection des véhicules d’entretien sur les voies principales signalisées; sur les listes de vérification avant le quart de travail; et sur les risques associés au fait de ne pas retirer les joints temporaires en temps opportun.

    2.1 L’événement

    Le matin du 29 décembre 2022, un superviseur des inspections de la voie (le superviseur) circulait vers l’ouest dans un véhicule rail-route sur la voie principale nord, inspectant les voies principales nord et sud de la subdivision de Shuswap du CP, lorsqu’il a repéré une rupture d’éclissage sur la voie principale sud au point milliaire 116,67. À ce moment-là, le superviseur était autorisé au moyen d’un POV électronique qui avait été émis par l’entremise de l’application EIC, à occuper ce tronçon de la voie principale nord.

    Pour protéger la voie principale sud pendant qu’il effectuait la réparation, le superviseur a présenté une autre demande de POV électronique indiquant qu’il aurait besoin de la voie principale sud pendant 45 à 55 minutes. Toutefois, la demande ne fournissait  aucun détail sur la raison pour laquelle le POV était nécessaire, et elle n’était pas tenue de fournir de tels détails. Le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) a autorisé le POV, mais a fourni un temps « Appeler le CCF avant » de 29 minutes.

    Le superviseur a fait un suivi par message instantané auprès du CCF afin de lui indiquer qu’il devrait demeurer sur la voie sud jusqu’à ce que la réparation du joint soit terminée; cependant, le CCF n’a pas reçu le message instantané.

    Le superviseur a déplacé son véhicule sur la voie principale sud et a commencé à réparer la rupture d’éclissage. Toutefois, il a tôt fait de se rendre compte que parce qu’il n’avait pas encore annulé le POV pour la voie principale nord, la voie n’était toujours pas disponible pour l’exploitation des trains. Le superviseur a ensuite annulé par inadvertance le POV pour la voie principale sud au lieu du POV pour la voie principale nord. Le superviseur, ses activités de réparation de la voie et le véhicule rail-route se sont donc retrouvés sans protection sur la voie principale sud.

    Le CCF, voyant sur son écran que le POV pour la voie principale sud avait été annulé et que la voie était inoccupée, a demandé un signal permissif pour le train de marchandises 302-25 circulant en direction est qui se trouvait au signal 1170S, c.-à-d. directement dans le canton où le véhicule rail-route du superviseur était positionné et où les réparations de la voie étaient en cours.

    L’équipe de train qui s’approchait a aperçu le véhicule rail-route qui se trouvait sur les voies devant elle. Le train se trouvait dans une légère pente descendante (de 0,4 % à 0,2 %) et circulait vers l’est dans une courbe à gauche peu profonde (1°), de sorte qu’il était difficile pour l’équipe de train de déterminer immédiatement si le véhicule rail-route se trouvait sur l’embranchement ou sur la voie principale sud. Néanmoins, un serrage normal à fond des freins a eu lieu alors que le train roulait à 47 mi/h. Lorsque l’équipe de train s’est rendu compte qu’une collision était imminente, un freinage d’urgence a été déclenché, mais il n’a pas pu empêcher le train, qui circulait à 28 mi/h, d’entrer en collision avec le véhicule rail-route inoccupé et stationnaire. Le véhicule rail-route a pris feu et a été détruit. Le superviseur et le soudeur qui  l’aidait ont vu le train s’approcher et se sont mis hors de danger avant que ne survienne la collision. Personne n’a été blessé.

    2.2 Procédures de vérification de l’annulation des permis d’occuper la voie

    Au CP, les POV peuvent être demandés, émis et annulés par l’intermédiaire du système radio ferroviaire ou, depuis 2017, par voie électronique à l’aide de l’application EIC.

    Lorsqu’on communique par radio, il y a une interaction verbale directe de personne à personne entre l’employé d’entretien de la voie et le CCF à tous les stades du processus. Lorsque l’on utilise l’application EIC, l’interaction entre l’employé et le CCF se fait par la transmission de données électroniques et par la messagerie instantanée; elle ne prévoit pas de processus pour communiquer et vérifier si les renseignements essentiels à la sécurité ont bien été reçus.

    Les procédures de demande et d’annulation des POV par radio sont bien documentées dans le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF).

    En ce qui concerne l’annulation des POV par radio :

    (a) Le contremaître doit informer le CCF du numéro du POV à annuler.

    (b) Le CCF doit indiquer le numéro et la zone d’application du POV à annuler, et le contremaître doit confirmer l’exactitude de ces renseignements.

    (c) Le CCF indiquera le numéro du POV, prononcera le mot « annulé » et donnera ses initiales, renseignements que doit répéter le contremaîtreRèglement d’exploitation ferroviaire du Canada (1er octobre 2022, approuvé par Transports Canada le 9 mai 2022), règle 864..

    Le REF indique aussi que « [l]’annulation ne prend effet qu’après que le contremaître a répété correctement les renseignements et qu’il en a accusé réception » Ibid..

    En revanche, lorsque les POV sont annulés par transmission électronique, le REF n’exige pas qu’ils soient répétés au CCF.

    Les employés du CP reçoivent une formation sur l’utilisation de l’application EIC, ainsi qu’un aide-mémoire qui donne un aperçu des opérations les plus courantes effectuées à l’aide de l’application. Ces documents définissent un processus plus rationalisé pour l’annulation des POV électroniques :

    1. Le contremaître accède à la liste des POV actifs dans l’application EIC et sélectionne le POV applicable.
    2. L’application affiche le POV sélectionné et le contremaître vérifie si les renseignements sont exacts, puis coche les cases appropriées pour confirmer qu’aucun travail en voie ou véhicule d’entretien ne sera laissé sans protection.
    3. Le contremaître saisit son mot de passe, puis clique sur « OK », ce qui annule automatiquement le POV. La protection de la voie prend fin dès que le contremaître clique sur « OK » dans l’application EIC. Il n’est pas obligatoire d’attendre l’accusé de réception de l’annulation par le CCF, qui est censé en accuser réception lorsque le temps le lui permet.

    L’application EIC présente plusieurs avantages par rapport à la méthode traditionnelle de gestion des POV par radio. Par exemple, elle peut réduire les risques d’erreurs de transcription ou la confusion en ce qui concerne les zones d’autorisation, et elle réduit la charge de travail du CCF.Ce processus est considéré comme étant plus efficient, et il s’agit de la méthode préférée des employés d’entretien de la voie et des CCF pour gérer les POV.

    Dans l’événement à l’étude, le superviseur a suivi la procédure d’annulation des POV électroniques. Toutefois, bien qu’il ait examiné le POV qu’il avait sélectionné, il ne s’est pas rendu compte qu’il s’agissait du POV pour la voie principale sud, car les 2 POV étaient similaires. Il a donc coché les cases et cliqué sur « OK ». Étant donné que le processus d’annulation des POV électroniques ne nécessitait pas de vérification par une 2e personne qualifiée, l’erreur est passée inaperçue.

    L’annulation par inadvertance de POV électroniques n’est apparue que récemment comme un événement plus fréquent. Neuf événements de ce genre sont survenus au CP depuis 2017, année où l’application EIC a été entièrement mise en œuvre. Parmi ces événements, 7 se sont produits en 2022, et tous les 7 ont été attribués par le CP à des erreurs causées par des facteurs humains. Les enquêtes que le CP a menées sur ces événements n’ont pas permis de déterminer pourquoi leur nombre a connu un sommet cette année-là.

    2.3 Charge cognitive

    Pour annuler un POV dans l’application EIC, un employé d’entretien de la voie doit sélectionner le POV à partir de la page Sommaire des autorisations, qui énumère tous les POV actifs sous forme de tableau. Par défaut, les POV sont affichés par ordre chronologique (du plus ancien au plus récent). Toutefois, cet ordre peut être changé sur l’écran tactile en tapant sur les titres de colonne dans le tableau. Au moment de l’événement, le superviseur et plusieurs autres employés d’entretien de la voie ne savaient pas que l’ordre des POV pouvait être modifié.

    Dans cet événement, le superviseur avait obtenu un POV pour la voie principale nord, puis obtenu un autre POV assorti de limites similaires, mais pour la voie principale sud. Après que le CCF eut autorisé le POV pour la voie principale sud, les deux POV étaient actifs et apparaissaient sur la page Sommaire des autorisations dans l’application EIC.

    Pendant qu’il réparait la rupture d’éclissage, le superviseur était confronté à plusieurs facteurs liés à la ‑pression temporelle qui ont probablement altéré son modèle mental et dégradé sa conscience situationnelle :

     

    Lorsque le superviseur a annulé le POV, il venait de terminer un appel avec son collègue tout en cherchant dans le camion le matériel dont il avait besoin. Il a rapidement tourné son attention vers l’application EIC et a procédé à l’annulation du POV pour la voie principale sud. Puisqu’il avait annulé plusieurs POV précédents ce jour-là, qui étaient tous apparus du plus ancien au plus récent sur la page Sommaire des autorisations, il avait pour modèle mental que les POV étaient encore affichés dans le même ordre. Il a donc sélectionné le POV situé en haut de la liste, sans se rendre compte qu’il avait tapé par inadvertance sur un titre et réorganisé les POV de sorte que le plus récent était affiché au haut de la liste.

    Une fois le POV sélectionné ouvert, le superviseur a fait un survol rapide et superficiel des renseignements, car il disposait de peu de temps et son attention était partagée entre l’annulation du POV et la planification des travaux à effectuer. Les 2 POV étaient assortis de limites similaires, mais sur des voies différentes. De plus, les renseignements relatifs aux POV étaient présentés en petits caractères et n’étaient donc pas suffisamment en évidence pour attirer l’attention du superviseur et lui faire remettre en question son modèle mental. Par conséquent, il n’a pas remarqué qu’il avait sélectionné le POV pour la voie principale sud au lieu du POV pour la voie principale nord, et il a annulé le mauvais POV.

    2.4 Systèmes de gestion de la sécurité

    Depuis 2010, la Liste de surveillance du BST insiste sur la nécessité d’une mise en œuvre efficace du système de gestion de la sécurité (SGS) d'un exploitant pour veiller à ce que les dangers soient cernés de façon proactive et que les risques soient atténués.

    La gestion efficace des risques n’élimine pas complètement les risques. Elle ramène plutôt les risques au niveau le plus faible raisonnablement réalisable. Par conséquent, lorsque le BST cerne un danger qui a probablement contribué à un événement ou à un risque d’événement, il doit se demander si le SGS de la compagnie a été appliqué, et, dans l’affirmative, s’il a été appliqué efficacement.

    En vertu du Règlement de 2015 sur le système de gestion de la sécurité ferroviaire (Règlement sur le SGS), les compagnies de chemin de fer doivent effectuer une évaluation des risques dans diverses circonstances— par exemple, lorsqu’une compagnie introduit une nouvelle technologie ou encore lorsqu’elle apporte un changement aux responsabilités ou aux tâches des employés.

    Conformément au Règlement sur le SGS, avant de mettre en œuvre l’application EIC au Canada, le CP a effectué une évaluation des risques à l’aide de sa Risk Assessment Worksheet (feuille de travail pour l’évaluation des risques). Un examen de la feuille de travail a révélé ce qui suit :

    Le Règlement sur le SGS exige que les compagnies de chemins de fer avisent le ministre avant de mettre en œuvre certains changements dans leurs activités, comme lorsqu’elles adoptent de nouvelles technologies. Le CP n’a pas officiellement avisé le ministre avant de mettre en œuvre l’application EIC en 2016, même si TC était au courant de l’initiative. TC n’a pas demandé l’évaluation des risques complétée au printemps 2016 relativement au déploiement de cette application. TC a donc manqué une occasion d’examiner l’évaluation des risques et de cerner toute lacune de façon proactive.

    Lors de l’évaluation des risques, la probabilité d’occurrence a été évaluée pour chaque événement indésirable potentiel cerné. La probabilité qu’un contremaître occupe la voie sans autorisation a été jugée « rare » (c.-à-d. uniquement dans des circonstances exceptionnelles, moins d’une fois tous les 50 ans). Cependant, depuis l’introduction de l’application EIC, il y a eu plusieurs événements sur le réseau canadien du CP au cours desquels des employés de l’entretien de la voie ont conduit des véhicules d’entretien sans autorisation, après avoir annulé par inadvertance un POV électronique. L’incohérence entre la probabilité indiquée dans l’évaluation des risques et le nombre d’événements enregistrés n’a pas donné lieu à un nouveau cycle d’évaluation dans le cadre des processus du SGS du CP visant à confirmer que tous les dangers avaient été cernés, que les risques étaient évalués adéquatement et que les mesures d’atténuation étaient efficaces.

    2.4.1 Surveillance par Transports Canada du système de gestion de la sécurité du Canadien Pacifique

    En 2016, TC a mené un audit exhaustif des processus du CP en matière d’évaluation des risques et de mise en œuvre et d’évaluation des mesures de sécurité. TC a déterminé qu’une évaluation des risques pour l’application EIC du CP avait été effectuée, et l’évaluation des risques a été incluse dans l’audit.

    En mars 2017, TC a envoyé au CP un rapport sur ses conclusions. TC y indiquait que la formation à l’évaluation des risques n’était pas dispensée aux gestionnaires du CP, que les gestionnaires ne comprenaient pas toujours les étapes à suivre pendant les évaluations des risques, et que les feuilles de travail pour l’évaluation des risques ne définissaient pas clairement les exigences à prendre en considération.

    En avril 2017, le CP a répondu à TC et a indiqué ses mesures de sécurité. On trouvait parmi ces mesures une formation sur l’évaluation des risques à l’intention des gestionnaires, ainsi que des modifications à la procédure d’évaluation des risques, afin d’apporter plus de clarté dans des sections précises et d’indiquer qui est responsable d’une tâche donnée.

    2.5 Véhicules d'entretien dans le système de commande centralisée de la circulation

    Au Canada, la plupart des véhicules d’entretien sont spécialement conçus pour que le courant électrique ne circule pas entre les roues opposées du même essieu, c.-à-d. que les essieux sont isolés de manière à ne pas shunter les circuits de voie. Par conséquent, lorsque des véhicules rail-route isolés se trouvent sur la voie principale, ils ne génèrent pas de façon fiable une occupation de la voie sur l’écran de subdivision du CCF et ne sont pas protégés par le système de signalisation contre les trains qui s’approchent.

    Dans l’événement à l’étude, après que le POV eut été annulé par inadvertance, ce qui a retiré  le blocage des signaux qui avait été mis en place pour protéger le POV, l’écran de subdivision du CCF indiquait que la voie était dégagée et qu’elle pouvait être utilisée. Le CCF a donc sélectionné la voie principale sud comme itinéraire pour le train 302‑25 et a aligné les signaux de canton contrôlés pour le mouvement vers l’est. Lorsque le train en direction est 302-25 s’est approché du signal 1170S sur la voie principale sud, le système de signalisation a donné un signal permissif au train 302‑25, malgré que le véhicule rail-route occupait toujours la voie.

    La vulnérabilité des véhicules d’entretien qui ne shuntent pas les circuits de voie avait fait l’objet d’une recommandation du National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis. En 1989, le NTSB a expressément demandé à l’American Railway Engineering Association de [traduction] « déterminer des méthodes pour assurer un shuntage adéquat des circuits des systèmes de signalisation par la machinerie d’entretien circulant sur la voie et ajouter ces méthodes au manuel des pratiques recommandées ». À ce jour, seules des mesures limitées ont été prises aux États-Unis, et le NTSB estime que cette recommandation est fermée et que la réponse est inacceptable.

    Le BST a enquêté sur plusieurs accidents au cours desquels des trains circulant en vertu de signaux permissifs étaient entrés en collision avec des véhicules d’entretien. Dans chacun de ces cas, le véhicule d’entretien n’a pas shunté le circuit de voie et il n’y avait pas d’autre dispositif de shuntage disponible pour fournir un moyen de défense d’appoint contre les collisions entre le train et les véhicules d’entretien.

    2.6 Séance de briefing pour garantir une protection adéquate de la voie

    Au CP, toutes les personnes participant aux travaux d’entretien de la voie qui se trouvent dans la zone de travail et qui travaillent ensemble doivent tenir une séancede briefing. Cette séance de briefing doit être dirigée par l’employé responsable et être consignée dans le Cahier sur les séances d’information sur la sécurité de l’Ingénierie.

    Dans l’événement à l’étude, le superviseur et le soudeur avaient tenu une séance de briefing verbale, au cours de laquelle ils avaient discuté des tâches à accomplir, des dangers présents et du type de protection de la voie en vigueur (le POV électronique pour la voie principale sud). Toutefois, les limites du POV n’y ont pas été examinées, et rien n’exigeait explicitement de le faire (bien que le CP s’attende à ce que les limites soient examinées). En outre, le superviseur, en tant qu’employé responsable, était tenu de consigner la séance de briefing dans le Cahier sur les séances d’information sur la sécurité de l’Ingénierie, mais il a décidé de renoncer à cette étape, préférant entamer la réparation de la voie.

    2.7 Communications radio

    Il n’y avait pas de haut-parleur externe pour la radio du véhicule rail-route que le superviseur avait emprunté (les haut-parleurs externes ne sont pas obligatoires sur les véhicules d’entretien). De plus, les piles de la radio portative du superviseur n’étaient pas suffisamment chargées pour durer tout le quart de travail du superviseur, et elles étaient à plat avant que commence les travaux de réparation de la voie. Par ailleurs, le superviseur n’a pas pu trouver de chargeur dans le véhicule rail-route. Le soudeur, qui avait offert son aide, ne savait pas que la radio portative du superviseur était à plat; il avait laissé sa radio portative dans son véhicule en bordure de la route à son arrivée sur le lieu de travail.

    Dans l’événement à l’étude, les portes du véhicule rail-route ont été laissées ouvertes du côté sud, de sorte que les émissions radio des autres employés du chemin de fer pouvaient être entendues sur la radio du véhicule rail-route. Cependant, pendant qu’ils travaillaient sur la rupture d’éclissage, le superviseur et le soudeur se trouvaient trop loin de la radio du véhicule pour entendre les communications radio. Ils n’ont donc pas entendu les émissions radio lorsque le train a franchi un système de détection en voie à proximité et n’ont pas non plus entendu l’équipe de train émettre le signal avancé à leur position.

    Le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada exige que les récepteurs radio soient réglés à un volume permettant une surveillance continue. Cependant, même lorsque les radios sont réglées à un volume adéquat et qu’elles sont en mode balayage, les employés d’entretien de la voie peuvent ne pas entendre une communication radio, par exemple lorsqu’elle est faible, ou lorsque le bruit de leurs activités d’entretien les empêche de l’entendre. En outre, ce ne sont pas toutes les indications des signaux qui doivent être diffusées par radio par les équipes de train.

    2.8 Listes de vérification avant le quart de travail

    Les listes de vérification sont utiles pour soutenir la mémoire : elles permettent de s’assurer que toutes les étapes d’un processus ont été exécutées et que les modèles mentaux d’une situation sont exacts, par exemple en indiquant aux contremaîtres le matériel ou l’équipement dont ils ont besoin pour exécuter une tâche.

    Dans l’événement à l’étude, le superviseur ne disposait pas de liste de vérification de l’équipement et du matériel essentiels du véhicule et il ne s’est pas assuré que les fournitures manquantes avaient fait l’objet d’un réapprovisionnement au début du quart de travail.

    Le CP a mis en place une inspection quotidienne obligatoire des véhicules rail-route avant le début du quart de travail, que le superviseur a effectuée. Cette inspection est toutefois centrée sur les aspects mécaniques et liés à la sécurité; elle n’englobe pas l’inventaire de l’équipement et du matériel de travail.

    2.9 Enlèvement des joints de rail temporaires

    L’enquête a permis de déterminer qu’en 2022, dans un rayon de 1 mille de la rupture d’éclissage en cours de réparation, il y avait eu 11 autres occasions où l’entretien des joints avait été nécessaire. De plus, sous le joint à l’étude, il y avait 2 traverses danseuses (c.-à-d. des traverses qui étaient suspendues au bas du rail, qui ne supportaient plus la voie).

    À l’emplacement de la rupture d’éclissage, le joint avait été fixé à l’aide d’éclisses percées de 6 trous et fixées par 4 boulons. Les trous pour les 2 boulons les plus à l’intérieur n’avaient pas été percés dans l’âme du rail, ce qui donne à penser que l’intention initiale était de rapidement souder le joint de façon permanente.Un joint de long rail soudé (LRS) qui n’est pas installé avec l’ensemble des boulons nécessaires peut être moins susceptible de résister aux contraintes d’exploitation normales, ce qui le rend plus sujet à une rupture.

    Les joints sont un point connu de vulnérabilité de la voie. Par conséquent, le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés exige que les compagnies ferroviaires élaborent et respectent un plan d’entretien et d’inspection des joints de rail permanents et temporaires pour les LRS sur la voie principale. Dans le cas des joints de rail temporaires, le plan doit inclure les éléments suivants (cette liste n’est pas exhaustive) :

    Le plan du CP prévoit l’enlèvement des joints de rail temporaires dans les 3 années suivant leur installation sur la voie d’un itinéraire clé.

    Avant le 22 août 2021, la réglementation n’exigeait pas que les compagnies de chemins de fer conservent des registres des joints de rail temporaires. Par conséquent, il n’y a aucune trace de la date d’installation du joint à l’emplacement de la rupture d’éclissage. Cependant, il est probable que le joint ait été installé en même temps qu’un aiguillage en 2016.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Lorsque le superviseur de la voie a annulé par inadvertance le permis d’occuper la voie électronique qui protégeait les travaux en voie sur la rupture d’éclissage, la voie principale sud est devenue disponible pour l’exploitation des trains. Par la suite, le train de marchandises 302‑25 circulant vers l’est a été acheminé sur la voie sur laquelle travaillaient le superviseur de la voie et un soudeur.
    2. Lorsque l’équipe de train s’est rendu compte que le véhicule rail-route se trouvait sur la voie devant elle, un freinage d’urgence a été déclenché; cependant, le train n’a pas eu le temps de s’arrêter et d’éviter la collision.
    3. En l’absence d’une procédure de vérification à plusieurs niveaux dans l’applicationEIC (Employee in Charge) du Chemin de fer Canadien Pacifique, le superviseur de la voie a pu sélectionner, vérifier et annuler par inadvertance le permis d’occuper la voie qui protégeait ses activités de travail sur la voie.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    1. L’utilisation d’un moyen de communication qui ne comprend pas un processus pour communiquer clairement et vérifier les renseignements essentiels à la sécurité, comme la messagerie instantanée, peut faire en sorte que des décisions soient prises sans que les deux parties comprennent pleinement la situation, ce qui fait augmenter le risque d’accident.
    2. Si tous les contremaîtres qui utilisent une application informatisée utilisée pour gérer les permis d’occuper la voie ne sont pas pleinement conscients des fonctionnalités du système, certains contremaîtres peuvent commettre des erreurs en naviguant dans l’application, surtout dans des situations où la charge cognitive est élevée, ce qui augmente le risque qu’un permis d’occuper la voie soit annulé par erreur.
    3. Si la portée et le facteur déclencheur déclarés d’une évaluation des risques ne sont pas définis avec exactitude, le processus peut ne pas être efficace, faisant en sorte que les risques associés ne sont pas atténués.
    4. Si des événements connexes continuent à se produire et ne déclenchent pas de réévaluation des risques dans le cadre des processus du système de gestion de la sécurité, il se peut que les dangers ne soient pas décelés et que les risques ne soient pas atténués.
    5. Tant qu’un mécanisme d’appoint pour la protection des véhicules d’entretien et des travaux sur les voies principales signalisées, tel qu’un dispositif positif de shuntage, ne sera pas utilisé systématiquement, il subsistera un risque que des mouvements de train reçoivent des signaux permissifs pour circuler dans des zones de travaux en voie sur des voies occupées par des véhicules d’entretien non protégés.
    6. Si des dossiers montrant la date d’installation des joints temporaires ne sont pas conservés, il n’est pas possible de savoir avec certitude combien de temps les joints temporaires restent sur la voie, ce qui accroît le risque de ruptures d’éclissage et de déraillements.

    3.3 Autres faits établis

    1. À la suite de l’audit entrepris par Transports Canada en 2016, les évaluations des risques réalisées précédemment par des gestionnaires qui ne comprenaient pas les étapes à suivre au cours de l’évaluation des risques n’ont pas été corrigées, et Transports Canada n’a pas exigé qu’elles le soient.
    2. La séance de briefing qui a eu lieu entre le superviseur de la voie et le soudeur ne comprenait pas d’examen détaillé du type, des limites et de l’état du permis d’occuper la voie.
    3. Lorsque les employés d’entretien de la voie ne disposent pas de radios portatives ou de haut-parleurs de véhicule externes opérationnels lorsqu’ils travaillent sur la voie principale ou à proximité de celle-ci, ils peuvent manquer des communications qui pourraient les avertir de l’approche d’un train.
    4. La mise en œuvre d’une liste de vérification avant le quart de travail qui comprend un inventaire de l’équipement et du matériel essentiels dans un véhicule rail-route peut contribuer à garantir qu’ils sont disponibles pour les employés de l’entretien de la voie. 

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

    4.1.1.1 Avis de sécurité ferroviaire 04/23 du BST

    Le 24 avril 2023, le BST a envoyé au Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) l’avis de sécurité ferroviaire 04/23, « Verification procedures when cancelling an electronic track occupancy permit » [Procédures de vérification à suivre pour annuler un permis d’occuper la voie électronique].

    L’avis indiquait entre autres que les procédures de vérification pour l’annulation d’un permis d’occuper la voie (POV) au moyen de l’application EIC étaient moins rigoureuses que celles pour l’annulation d’un POV par radio. Notamment, il n’était pas nécessaire qu’un 2e employé qualifié vérifie si le POV annulé est le bon avant que l’annulation soit effectuée. En l’absence d’une vérification par une 2e personne qualifiée, les employés  rataient une occasion de mettre à jour leur conscience situationnelle et de détecter et corriger les erreurs avant qu’elles n’entraînent un accident.

    Compte tenu des conséquences potentielles de l’annulation par inadvertance d’un POV, l’avis indiquait que le CP souhaiterait peut-être envisager la nécessité de procédures de vérification plus rigoureuses pour les employés des chemins de fer qui annulent des POV électroniques.

    4.1.2 Canadien Pacifique

    Le 6 juillet 2023, le CP a répondu à l’avis de sécurité ferroviaire 04/23, indiquant qu’il avait mis en œuvre les mesures de sécurité suivantes :

    En 2023, le CP a également entamé un projet pour améliorer l’application EIC. Dans le cadre de ce projet, il a examiné des erreurs de POV qui sont survenues pendant les dernières années et a engagé une compagnie tierce qui se spécialise dans l’analyse des interactions homme-technologie. Pour ce qui est des contremaîtres qui délivrent la mauvaise autorisation, il a été déterminé que l’écran d’annulation d’un POV devait être amélioré. C’est pourquoi les changements suivants ont été apportés :

    À la suite de ce projet, d’autres changements ont été apportés, dont les suivants :

    • Lorsqu’on n’accuse pas réception d’un POV, celui-ci est mis en évidence et clignote à l’écran. Après l’accusé réception, le POV prend une couleur unie.
    • Les noms des stations sont désormais statiques (lorsqu’un contremaître agrandit la carte pour voir une station, le nom de la station continue d’être affiché à l’écran).

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 14 août 2024. Le rapport a été officiellement publié le 17 octobre 2024.

    Annexes

    Annexe A – Permis d’occuper la voie de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique annulés par voie électronique alors que le personnel d’entretien de la voie occupait toujours la voie principale, de 2017 à 2022

    Numéro d’événementDateLieuRésumé
    R19V010516 mai 2019Point milliaire 32,1, subdivision de ThompsonUn contremaître de l’ingénierie du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a annulé par voie électronique un permis d’occuper la voie (POV) alors qu’il se trouvait encore dans la zone d’application (du point milliaire 33,5 au point milliaire 37,2). Aucun blessé.
    R21C00312 avril 2021Point milliaire 20, subdivision de Maple CreekUn opérateur du CP responsable de 2 POV électroniques a annulé le mauvais POV, se retrouvant alors sans protection sur la voie principale. Le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) a noté l’occupation de la voie et a protégé celle-ci.
    R22V006713 avril 2022Point milliaire 71,3, subdivision de ThompsonUn employé du CP a indiqué que son ordinateur avait gelé. Lorsqu’il a redémarré l’ordinateur portable, le POV électronique avait disparu. Il a demandé et obtenu immédiatement les mêmes limites.
    R22V012815 juillet 2022Point milliaire 50,4, subdivision de ShuswapUn employé d’entretien de la voie du CP disposait de 2 POV électroniques : 1 pour la voie sud (de Canoe à Mowitch) et 1 pour la voie principale (de Mowitch à Sicamous West). L’employé a annulé par inadvertance le POV électronique pour la voie principale alors qu’il occupait l’autre voie.
    R22S014211 septembre 2022Point milliaire 84,0, subdivision de Maple CreekUn contremaître du CP responsable des machines a annulé un POV électronique pour la voie principale, sans s’assurer que les machines se trouvaient sur la voie d’évitement. Le CCF a remarqué un feu de voie et le contremaître a obtenu un nouveau POV électronique pour protéger la voie principale.
    R22W01612 novembre 2022Point milliaire 121,6, subdivision d’IgnaceUn superviseur du CP a annulé un POV électronique sans s’être assuré au préalable que la protection du sous-contremaître n’était plus nécessaire, laissant une bourreuse sans protection sur la voie nord à Hawk Lake.
    R22V021523 novembre 2022Point milliaire 105,0, subdivision de MountainUn opérateur de machine du CP a demandé à remplacer un POV électronique incorrect, se retrouvant ainsi sans protection, tout en obtenant un nouveau POV pour dégager la voie d’évitement. Après l’annulation, il a demandé un nouveau POV.
    R22C01139 décembre 2022Point milliaire 72,0, subdivision de Red DeerUn superviseur du CP a annulé un POV électronique alors qu’il se trouvait sur la voie à 10 h 56. À 10 h 57, se rendant compte de son erreur, il a demandé un nouveau POV pour assurer sa protection.
    R22V0238 (l’événement à l’étude)29 décembre 2022Point milliaire 116,7, subdivision de ShuswapUn superviseur du CP détenant 2 POV électroniques a annulé par inadvertance le mauvais, après quoi le superviseur, un soudeur et un véhicule d’entretien se sont retrouvés sans protection sur la voie principale sud de la subdivision de Shuswap. Le véhicule d’entretien a été heurté par un train et détruit. Personne n’a été blessé.