Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R23H0006

Mouvement dépassant ses limites d’autorisation
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada
Train de marchandises M 37231-13
Point milliaire 69,4, subdivision de Kingston
Près de Cornwall (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 13 avril 2023 vers 14 h 51, heure avancée de l’Est, le train de marchandises mixtes M 37231-13 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada circulait vers l’est sur la voie sud de la subdivision de Kingston à environ 43,2 mi/h lorsqu’il a franchi le signal 694S affichant une indication d’arrêt absolu à Wesco (point milliaire 69,4). Au même moment, le train de voyageurs P 06721-13 de VIA Rail Canada Inc. circulait à environ 45 mi/h en direction ouest sur la voie sud de la subdivision de Kingston et s’approchait de Wesco, où il serait aiguillé pour passer à la voie nord. Les 2 trains se sont arrêtés à environ 1100 pieds l’un de l’autre. Aucun passager ou membre d’équipe n’a été blessé.

    1.0 Renseignements de base

    Le 13 avril 2023, une équipe de train de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (Canadien National ou CN) a reçu l’ordre de se rendre à BellevilleTous les lieux sont dans la province de l’Ontario, sauf indication contraire. à 8 h 15Les heures sont exprimées en heure avancée de l’Est. pour conduire le train de marchandises mixtes M 37231-13 (CN 372) de Belleville à Montréal (Québec), en passant par la subdivision de Kingston du CN. Le train CN 372 était composé de 2 locomotives en configuration de traction répartie, soit 1 à la tête du train et l’autre vers le milieu du train, et tirait 113 wagons chargés et 23 wagons vides. Le train comprenait 16 wagons chargés de marchandises dangereuses et 17 wagons de résidus dont le dernier contenu avait été des marchandises dangereuses. Il mesurait 9937 pieds de longueur et pesait 12 592 tonnes. L’équipe de train était composée d’un mécanicien de locomotive (ML) et d’un chef de train. Les 2 membres de l’équipe étaient qualifiés pour leurs postes respectifs, répondaient aux normes d’aptitude au travail et de repos, et connaissaient bien le territoire sur lequel ils travaillaient.

    Le même matin, une équipe de VIA Rail Canada Inc. (VIA) a reçu l’ordre de se rendre à Montréal à 11 h 23 pour conduire le train de voyageurs P 06721-13 (VIA 67) de Montréal à Toronto, en passant par la subdivision de Kingston du CN. Le train VIA 67 était constitué de 1 locomotive et 4 voitures-coachs emportant 167 passagers. Il pesait 332 tonnes et mesurait 398 pieds. L’équipe d’exploitation du train était composée de 2 ML. Les 2 membres de l’équipe étaient qualifiés pour leurs postes respectifs, répondaient aux normes d’aptitude au travail et de repos, et connaissaient bien le territoire sur lequel ils travaillaient.

    1.1 L’événement

    En vertu de l’article 28 de la Loi sur le Bureau canadien d’enquête sur les accidents de transport et de la sécurité des transports, les enregistrements de bord sont protégés. Cependant, le BST peut utiliser tout enregistrement de bord lorsque la sécurité des transports l’exige. Pour cette raison, le Bureau peut faire référence à un enregistrement de bord, lorsque nécessaire, pour étayer un fait établi et cerner une lacune de sécurité importante, mais d’autres parties ne pourront pas utiliser les enregistrements de bord protégés ni y avoir accès.

    La raison pour laquelle les enregistrements de bord sont protégés se fonde sur le principe que cette protection respecte la vie privée du personnel exploitant dont les paroles et actions sont consignées dans ces enregistrements, et aide aussi à s’assurer que ce matériel essentiel est disponible aux fins d’une enquête sur la sécurité du BST.

    Ce rapport fait référence au contenu d’un enregistreur audio-vidéo de locomotive (EAVL), un type d’enregistrement de bord dans le secteur ferroviaire. Pour chaque référence à cet enregistrement, le BST utilise le contenu de l’EAVL comme justification pour certains de ses faits établis et dans le but de cerner les lacunes de sécurité importantes. Dans chaque cas, le matériel a été examiné soigneusement afin de s’assurer que les extraits utilisés sont nécessaires pour déterminer les causes ou les facteurs contributifs de l’accident ou pour cerner des lacunes de sécurité.

    Le train CN 372 a quitté Belleville à 8 h 50. Vers 13 h 13, le train s’est arrêté en raison d’une conduite d’air qui s’était séparée, et des réparations temporaires ont été effectuées sur le wagon HESX 52 (position 38). La direction du CN a décidé de faire garer le wagon au prochain endroit convenable (Regis, point milliaire 65,4). L’équipe a ensuite discuté de la mesure dans laquelle le lieu de garage prévu était convenable compte tenu de la longueur du train et de la procédure de garage.

    Vers 14 h 10, le train CN 372 a repris sa route vers l’est sur la voie sud de la subdivision de Kingston. Les membres de l’équipe ont consulté le contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) par radio au sujet du garage du wagon; à plusieurs reprises, ils ont passé du temps à consulter des renseignements sur leurs tablettes fournies par la compagnie pour se préparer au garage à Regis. Pendant ce temps, ils ont aussi évalué un autre lieu de garage, soit Coteau, au point milliaire 37,8, pour déterminer s’il pouvait accommoder la longueur du train.

    Vers 14 h 48, le train CN 372 s’approchait du signal 716S (point milliaire 71,6), qui affichait une indication de vitesse normale à arrêtUne indication de vitesse normale à arrêt est utilisée pour aviser les équipes de train de poursuivre leur route, en se préparant à s’arrêter au signal suivant.. Les membres de l’équipe discutaient par radio avec le CCF au sujet du garage du wagon, mais n’ont pas reconnu l’indication de signal et ne se la sont pas communiquée entre eux. Lorsque le train se trouvait à environ 2650 pieds du signal 716S, la communication avec le CCF a pris fin. Les membres de l’équipe étaient toujours en train de converser lorsque la tête de leur train a franchi le signal à une vitesse d’environ 52 mi/h.

    Vers 14 h 49, le CCF a communiqué de nouveau avec l’équipe du train CN 372 pour discuter plus longuement du garage du wagon. L’échange a duré environ 50 secondes.

    Vers 14 h 50, alors qu’il circulait à 49 mi/h, le train CN 372 s’approchait du signal suivant, soit le signal 694S situé à Wesco, près de Cornwall (point milliaire 68,0) (figure 1). À environ 1400 pieds du signal, l’équipe a constaté le signal et s’est demandé s’il s’agissait d’un signal d’arrêt absoluLe dernier signal que l’équipe a reconnu avant de manquer le signal 716S était le signal 740S, qui affichait une indication de vitesse normale, autorisant le train à poursuivre sa route.. Le ML a alors effectué un serrage minimal des freins. Environ 13 secondes plus tard, le chef de train a reconnu et communiqué le signal d’arrêt absolu et a déclenché un freinage d’urgence. Le train a dépassé le signal d’arrêt absolu à une vitesse de 43,2 mi/h. Le chef de train a émis un message d’urgence par radio pour communiquer la situation, comme l’exige le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF). À 14 h 52 min 8 s, le train CN 372 s’est immobilisé aux environs du point milliaire 69,1, soit 1786 pieds au-delà du signal d’arrêt absolu.

    Figure 1. Carte indiquant le lieu de l’événement; la carte en médaillon indique l’emplacement de Cornwall (Ontario) (Source de la carte principale : Association des chemins de fer du Canada, avec annotations du BST. Source de la carte en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Le même jour, le train VIA 67 avait quitté Montréal à 13 h 23, circulant vers l’ouest dans la subdivision de Kingston. Il a reçu une indication de vitesse normale à vitesse limitéeUne indication de vitesse normale à vitesse limitée autorise un train à poursuivre sa route; toutefois, le train doit s’approcher du signal suivant à une vitesse limitée. Une vitesse limitée est définie comme une vitesse ne dépassant pas 45 mi/h. [Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (en vigueur le 28 octobre 2021), règle 406 : De vitesse normale à vitesse limitée, p. 83, et Définitions (Vitesses), p. 14.] au signal 667S sur la voie sud. Vers 14 h 50, alors qu’il circulait à 45 mi/h, le train VIA 67 s’approchait de Wesco, où il devait passer à la voie nord. Vers 14 h 51, après avoir entendu le message radio d’urgence de l’équipe du train CN 372, le ML aux commandes du train VIA 67 a effectué un arrêt contrôlé de son train. Le train VIA 67 s’est immobilisé, la tête du train se trouvant aux environs du point milliaire 68,9, soit à 1100 pieds à l’est de la tête du train CN 372 (figure 2). Aucun passager ou membre d’équipe n’a été blessé.

    Figure 2. Tête du train CN 372, vue de la locomotive du train VIA 67, après que les 2 trains se sont immobilisés (Source : VIA Rail Canada Inc.)
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    Figure 2. Tête du train CN 372, vue de la locomotive du train VIA 67, après que les 2 trains se sont immobilisés (Source : VIA Rail Canada Inc.)

    La figure 3 montre l’emplacement des signaux pertinents et la position relative des trains immobilisés par rapport à ces signaux ainsi que l’un par rapport à l’autre.

    Figure 3. Schéma de la voie près du lieu de l’événement (Source : BST)
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    Figure 3. Schéma de la voie près du lieu de l’événement (Source : BST)

    1.2 Renseignements sur la subdivision et sur la voie

    La subdivision de Kingston du CN est constituée de 2 à 4 voies principales qui s’étendent de Dorval Est, à Montréal (point milliaire 10,3), jusqu’à Toronto (point milliaire 333,8).

    La subdivision est un important corridor de circulation ferroviaire à grande vitesse au Canada. En moyenne, 18 trains de marchandises du CN et 12 trains de voyageurs de VIA circulent quotidiennement dans la subdivision.

    Les mouvements de train sont régis par le système de commande centralisée de la circulation (CCC) autorisée par le REF, et gérés par un CCF du CN situé à Edmonton (Alberta).

    La voie aux environs du lieu de l’événement est composée de 2 voies principales (nord et sud). Il s’agit d’une voie de catégorie 5 selon le Règlement concernant la sécurité de la voie. La vitesse maximale autorisée est de 100 mi/h pour les trains de voyageurs et de 65 mi/h pour les trains de marchandises; toutefois, le jour de l’événement, les limitations de vitesse suivantes étaient en vigueur :

    • Une protection de voie exigeant une limitation de vitesse au point milliaire 69,4 sur la voie sud; celle-ci limitait la vitesse des trains de voyageurs à un maximum de 80 mi/h et celle des trains de marchandises à un maximum de 60 mi/hCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Bulletin de marche tabulaire no 4079 (13 avril 2023)..
    • Une restriction de vitesse prévue dans l’indicateur exigeait que les trains de marchandises circulant en direction est ayant une capacité de 80 tonnes ou plus par frein en bon état de fonctionnementLe nombre de tonnes par frein en bon état de fonctionnement correspond au poids total du train (en incluant les locomotives) divisé par le nombre total de distributeurs de freins à air en bon état de fonctionnement qui sont présents sur le train. En fonction de l’infrastructure et des contraintes opérationnelles, les chemins de fer peuvent appliquer des restrictions de vitesse à certaines zones lorsque les tonnes par frein en bon état de fonctionnement d’un train atteignent un seuil précisé (dans l’événement à l’étude, il s’agit de plus de 80 tonnes par frein en bon état de fonctionnement). ne dépassent pas 60 mi/h à l’approche des signaux 716S (voie sud) et 716N (voie nord) au point milliaire 71,6Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Région de l’Est, Division Champlain, Indicateur 86 (en vigueur le 1er février 2023).,Le train CN 372 avait un ratio de 92,6 tonnes par frein en bon état de fonctionnement et devait donc se conformer à cette limitation de vitesse..

    1.3 Renseignements consignés

    La locomotive de tête du train CN 372 était munie d’un consignateur d’événements de locomotive et d’une caméra vidéo orientée vers l’avant. L’examen des données provenant de ces dispositifs indique les faits suivants :

    • À 14 h 48 min 45 s, la locomotive de tête, qui circulait à 52 mi/h, a franchi le signal 716S (de vitesse normale à arrêt) au point milliaire 71,6.
    • À 14 h 49 min 23 s, la locomotive de tête, qui circulait à 51,6 mi/h, a franchi le point milliaire 71,0 (à 1,6 mille du signal d’arrêt absolu à Wesco).
    • À 14 h 50 min 34 s, la locomotive de tête, qui circulait à 49 mi/h, a franchi le point milliaire 70,0 (à 3199 pieds du signal d’arrêt absolu à Wesco).
    • À 14 h 51 min 6 s, le ML a effectué un serrage minimal des freins.
    • À 14 h 51 min 13 s, alors que le train circulait à 46,5 mi/h et que le frein rhéostatique se trouvait à la position 8, un freinage d’urgence a été enregistré alors que la locomotive de tête se trouvait au point milliaire 69,3 (467 pieds avant le signal d’arrêt absolu à Wesco).
    • À 14 h 51 min 20 s, la locomotive de tête, qui circulait à 43,2 mi/h, a franchi le signal 694S (signal d’arrêt absolu) au point milliaire 69,4.
    • À 14 h 52 min 8 s, la locomotive de tête s’est immobilisée au point milliaire 69,1 après avoir parcouru environ 2300 pieds en freinage d’urgence.

    Lors de la lecture des données de la caméra vidéo orientée vers l’avant, le BST a constaté qu’un essuie-glace obstruait la vue de la caméra (figure 4). Pendant les opérations de jour, la vue des signaux à partir de la caméra est limitée par la résolution de la caméra, ce qui limite la possibilité de reconnaître l’indication de signal. Dans l’événement à l’étude, cela n’a pas empêché l’équipe de reconnaître formellement le signal.

    Le CN exige que les équipes de train s’assurent en tout temps que rien ne bloque la vue de la caméra orientée vers l’avantCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Guide du mécanicien de locomotive (1er mai 2016), section A1.18 : Caméra de locomotive – Champ de vision libre, p. 6..

    Figure 4. Vue de la caméra orientée vers l’avant du train CN 372, montrant que la vue est obstruée par un essuie-glace (Source : Canadien National)
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    Le BST a constaté cette situation dans 3 autres événements depuis 2023, d’après des enregistrements fournis par le CN et d’autres chemins de fer.

    Fait établi : Autre

    Une caméra vidéo orientée vers l’avant est un outil utile aux enquêtes sur les accidents; cependant, dans l’événement à l’étude, la vue de la caméra de la locomotive du train CN 372 était partiellement obstruée par un essuie-glace, ce qui a limité la possibilité de reconnaître l’indication de signal.

    1.3.1 Enregistreur audio et vidéo dans la locomotive de tête du train CN 372

    Dans le cadre de son enquête, le BST a demandé les données d’enregistreur audio et vidéo de locomotive (EAVL) provenant de la locomotive de tête du train CN 372.

    En examinant les données du train CN 372, le BST a constaté que les 35 premières minutes de l’enregistrement ne contenaient pas d’enregistrement audio en cabine. La réglementation canadienne exige l’enregistrement tant audio que vidéo en cabine sur les trains exploités au Canada« La compagnie veille à ce que le système d’EAVL, à la fois […] enregistre de façon continue les données audio et vidéo dès que le moteur de la locomotive de commande est mis en marche et jusqu’au moment où il est éteint » (Transports Canada, Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive, DORS/2020-178 [modifié le 2 septembre 2022], Exigences techniques, alinéa 5b)..

    Il s’agit du 3e événement visé par une enquête du BST où l’enregistrement du son en cabine n’était pas disponible. Dans le cadre de ses enquêtes sur les événements R22D0106 et R22V0238, le BST a envoyé à Transports Canada (TC), le 23 février 2023, la Lettre d’information sur la sécurité du transport ferroviaire 01/23 intitulée « Absence du canal audio de la cabine sur les données des enregistreurs audio et vidéo des locomotives (EAVL) ». La lettre indiquait qu’afin de s’assurer de l’application du Règlement sur les enregistreurs audio et vidéo de locomotive (Règlement sur les EAVL), TC pourrait vouloir examiner la fonctionnalité des systèmes EAVL employés par les compagnies ferroviaires pour confirmer que tous les paramètres requis par ce règlement sont correctement saisis et enregistrésBureau de la sécurité des transports du Canada, Lettre d’information sur la sécurité du transport ferroviaire 01/23, « Absence du canal audio de la cabine sur les données des enregistreurs audio et vidéo des locomotives (EAVL) », à l’adresse https://www.tsb.gc.ca/fra/securite-safety/rail/2023/r22d0106/r22d0106-01-23.html (dernière consultation le 10 septembre 2024)..

    Dans ces 3 événements, les trains circulaient près de la frontière canado-américaine. Dans un cas, l’événement R22D0106, le système d’EAVL n’avait commencé à enregistrer le son en cabine qu’une fois que le train s’était trouvé à 9 milles de la frontière.

    On a déterminé que le système d’EAVL utilise un algorithme de géoblocage virtuel qui coupe l’enregistrement du son en cabine lorsque la locomotive circule aux États-Unis, pour se conformer aux exigences réglementaires de ce pays. TC a répondu qu’il travaillerait avec les compagnies de chemin de fer pour trouver des façons de mettre à l’essai l’équipement dans les limites du cadre réglementaire existant afin d’assurer le respect des exigences techniques du Règlement sur les EAVL.

    Fait établi : Autre

    Comme il manquait 35 minutes aux données audio provenant du système d’EAVL du train CN 372, le BST n’a pas été en mesure de déterminer quelles communications verbales avaient eu lieu entre les membres de l’équipe pendant une partie du voyage, ce qui a nui à la capacité des enquêteurs d’analyser le comportement de l’équipe.

    1.4 Indications de signal

    1.4.1 Système de commande centralisée de la circulation

    Les systèmes de contrôle des trains assurent la sécurité durant la marche des trains, et durant les travaux en voie, sur une ou plusieurs voies principales. La CCC, en particulier, utilise des circuits de voie interconnectés avec les signaux affichés sur le terrain pour contrôler les mouvements des trains.

    Les indications de signal sont utilisées pour contrôler la circulation des trains dans les cantons en transmettant visuellement aux équipes de train des renseignements précoces sur l’occupation et la condition de la voie, les limites de vitesse et les limites immédiates à l’intérieur desquelles le train peut circuler, c’est-à-dire habituellement 1 ou 2 cantons consécutifs dans le sens de la marche.

    Les indications de signal indiquent également si le prochain canton est occupé par un autre mouvement et elles offrent une protection contre certaines conditions, comme un rail brisé ou un aiguillage laissé ouvert. Les indications de signal sont progressives : le signal précédent indique ce qui pourrait être affiché sur le signal suivant.

    En territoire CCC, les signaux sont régis par le REF. Les équipes de train doivent connaître toutes les indications des signaux et sont tenues de régler la marche de leur train en conséquence.

    1.4.2 Indications de signal et règles correspondantes dans le présent événement

    Les règles 405 à 439 du REF régissent les signaux utilisés en territoire CCC.

    Dans l’événement à l’étude, le train CN 372 circulant vers l’est a croisé une succession de 3 indications de signal régissant l’approche de Wesco :

    • Le 1er signal, 740S à Bergin, affichait une indication de vitesse normale (règle 405 du REF), signifiant que le train pouvait poursuivre sa route.
    • Le 2e signal, 716S, affichait une indication de vitesse normale à arrêt (règle 411 du REF), signifiant que le train pouvait poursuivre sa route, mais qu’il devait être prêt à s’arrêter au signal suivant.
    • Le 3e signal, 694S, affichait une indication d’arrêt absolu (règle 439 du REF). La règle 439 indique entre autres que face à un signal d’arrêt absolu, « [à] moins qu’il ne soit nécessaire de libérer un aiguillage, un passage à niveau, un emplacement contrôlé ou pour placer du matériel voyageurs devant un quai de gare un mouvement qui n’est pas autorisé en vertu de la règle 564, doit s’arrêter à au moins 300 pieds d’un signal d’ARRÊT ABSOLUCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (en vigueur le 28 octobre 2021), règle 439 : Arrêt absolu, p. 92-93. ».

    L’approche du signal 716S est en légère descente sur une voie en alignement, sur une distance d’environ 3,5 milles. L’approche du signal 694S est sur une pente ondulée avec une légère descente sur une distance de 0,5 mille avant le signal, qui se trouve sur une voie en alignement. Les lignes de visibilité des 3 signaux permettent de percevoir les indications à partir de la cabine de la locomotive à une distance suffisante pour que l’équipe puisse prendre les mesures qui s’imposent.

    1.4.3 Reconnaissance et respect des signaux

    La reconnaissance et le respect des signaux sont régis en partie par la règle 34 du REF (Reconnaissance et observation des signaux fixes), qui prévoit notamment ce qui suit :

    (b) Les membres de l’équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiqueront d’une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu’ils sont tenus d’annoncer. Tout signal influant sur un mouvement doit être nommé à haute voix dès l’instant où il est reconnu formellement; cependant, les membres de l’équipe doivent surveiller les changements d’indication et, le cas échéant, s’en faire part rapidement et agir en conséquence.

    Les signaux/panneaux indicateurs suivants doivent être communiqués :

    i Signaux de canton et d’enclenchement;

    ii Signaux des règles 42 et 43;

    […]

    v Panneau indicateur d’arrêt;

    […]Ibid., règle 34 : Reconnaissance et observation des signaux fixes, p. 32.

    Les trains circulant sur une voie simple sont également tenus d’émettre un message radio indiquant le nom du signal affiché sur le signal avancéUn signal avancé est un « [s]ignal fixe relié à un ou plusieurs signaux dont il règle l’approche par un mouvement ». (Source : Ibid., Définitions, p. 12) avant que le train n’atteigne le prochain emplacement contrôlé, point contrôlé ou enclenchement (règle 578 du REF)Ibid., section 578 : Exigences relatives aux messages radio, p. 100).. Cependant, le train de l’événement à l’étude circulait en territoire à voies multiples et n’était pas tenu de se conformer à cette règle à ce moment-là.

    Dans le présent événement, entre les points milliaires 82,1 et 69,4, le train a franchi 5 signaux de cantonUn signal de canton est un « [s]ignal fixe implanté à l’entrée d’un canton et réglant la marche d’un mouvement à l’entrée ou à l’intérieur de ce canton [c.-à-d. une partie de voie d’une longueur déterminée] » (Source : Ibid., Définitions, p. 12). affichant des indications de signal et 3 signaux de protection de voie exigeant une limitation de vitesse (signaux visés par la règle 43)La règle 43 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF) indique que lorsqu’une protection de voie exigeant une limitation de vitesse (c.-à-d. une limitation temporaire de la vitesse) a été mise en place en vertu d’un bulletin de marche tabulaire, des signaux jaunes et verts doivent être placés à droite de la voie pour indiquer la présence d’une telle protection et ses limites (Source : Ibid., section 43 : Protection d’une voie exigeant une limitation de vitesse, p. 34 ).. L’équipe n’a pas annoncé les signaux dans la cabine de la locomotive, comme l’exige la règle 34 du REFLa règle 34 du REF exige que « [l]es membres de l’équipe qui sont à portée de voix les uns des autres se communiqueront d’une manière claire et audible le nom de chaque signal fixe qu’ils sont tenus d’annoncer », y compris les signaux de canton et les signaux de la règle 43. (Source : Ibid., section 34 : Reconnaissance et observation des signaux fixes, p. 30), à l’exception d’une indication de signal de vitesse normale à l’emplacement contrôlé au point milliaire 74,0 (2 signaux avant le signal 694S).

    La détection et la perception visuelles sont nécessaires afin que les équipes de train prennent conscience des indications de signal affichées sur le terrain. La perception visuelle exacte et en temps opportun des signaux est essentielle au respect des indications. La perception des signaux, par bonne visibilité, peut se faire rapidement à partir de distances relativement longues. Toutefois, l’aptitude au travail de l’équipe, les distractions, les modèles mentaux et les attentes peuvent influer sur la perception et le temps de réaction. Pour réduire au minimum le risque de distractions, en août 2022, le CN a mis en place un moyen de défense administratif supplémentaire : les zones de vigilance absolue (ZVA).

    1.4.4 Zones de vigilance absolue des équipes de train

    Le 23 août 2022, le CN a publié le Bulletin d’exploitation réseau no 007, qui introduisait une nouvelle instruction spéciale en vertu de la règle 34 du REF pour la mise en œuvre des ZVA. Le texte intégral du bulletin figure à l’annexe A.

    Les instructions relatives aux ZVA sont des procédures spéciales à appliquer lorsque la vigilance de l’équipe est de la plus haute importance. Par exemple, lorsqu’une ZVA est en vigueur, les employés qui se trouvent dans la cabine d’une locomotive de commande doivent cesser toute communication ou toute autre tâche ne se rapportant pas à l’exploitation immédiate du train. Si les membres d’une équipe de train sont joints par d’autres employés au sujet d’une question non liée à la sécurité de leur mouvement, ils doivent répondre en indiquant qu’ils se trouvent dans une ZVA et dire à l’autre employé d’attendre.

    Une ZVA commence à 3 milles avant un signal d’arrêt absolu ou au moment où le signal avancé est observé (s’il se trouve à moins de 3 milles), et elle reste en vigueur jusqu’à ce que le mouvement se soit arrêté pour le signal d’arrêt absolu ou jusqu’à ce que l’on détermine que le signal suivant est permissif. Lorsqu’une ZVA est en vigueur, tous les membres d’équipe présents dans la cabine doivent se communiquer entre eux les restrictions à venir, telles que les indications de signal d’arrêt absolu.

    Dans l’événement à l’étude, lorsque le train CN 372 s’approchait du signal 716S (point milliaire 71,6), qui affichait une indication de vitesse normale à arrêt, les instructions relatives aux ZVA auraient dû s’appliquer. Toutefois, l’équipe discutait avec le CCF au sujet du garage d’un wagon et ne s’est pas rendu compte qu’elle se trouvait dans une ZVA, et ne l’a pas indiqué au CCF.

    1.4.5 Le système de commande intégrale des trains aux États-Unis

    Depuis 1995, le BST souligne, dans ses rapports d’enquête, l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pouvant ralentir ou arrêter un train lorsqu’il circule en territoire CCC, de même que l’absence d’un système d’avertissement passif pouvant alerter les équipes de train lorsqu’elles s’approchent de leurs limites d’autorisationRapport d’enquête ferroviaire R95V0174 du BST.. Des moyens de défense inadéquats en cas d’indications de signal mal appliquées ou mal interprétées ont été cités comme une cause ou un facteur contributif dans de nombreuses enquêtes menées par le BSTRapports d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0002, R18D0096, R16T0162, R16E0051, R15D0118, R15V0183, R14T0294, R13C0049, R12T0038, R11E0063, R10Q0011, R10V0038, R09V0230, R07E0129, R99T0017, R98V0148 et R95V0174 du BST., et cet enjeu figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2012Liste de surveillance du BST, « Respect des indications des signaux ferroviaires », à l’adresse https://www.tsb.gc.ca/fra/surveillance-watchlist/rail/2022/rail-01.html (dernière consultation le 10 septembre 2024)..

    Après une collision frontale survenue en 2008 entre un train de marchandises et un train de voyageurs à Chatsworth (Californie), causant des pertes massives, les législateurs des États-Unis ont exigé le développement et la mise en œuvre de systèmes physiques de commande des trains à sécurité intégrée, appelés « Positive Train Control » (c.-à-d. la commande intégrale des trains [CIT]). Depuis le 29 décembre 2020, la technologie CIT est en service sur l’ensemble des 57 536 milles de voies ferrées pour trains de marchandises et pour trains de voyageurs sur lesquels cette obligation est en vigueur aux États-UnisDépartement des Transports des États-Unis, Federal Railroad Administration, Information Guide on Positive Train Control in 49 CFR Part 236, Subpart I (12 décembre 2022), à l’adresse https://railroads.dot.gov/sites/fra.dot.gov/files/2022-12/2022_12%20PTC%20FAQs_final.pdf (dernière consultation le 10 septembre 2024)..

    Les systèmes CIT est conçu pour prévenir les collisions entre trains, les déraillements dus à un excès de vitesse, les incursions dans les zones de travaux et le franchissement d’aiguillages mal orientés.

    Les systèmes CIT vise à parer le risque qu’un train dépasse un signal d’arrêt absolu. La distance d’arrêt est calculée automatiquement en fonction de la vitesse réelle du train et d’algorithmes liés à l’effort de freinage. Si un train a dépassé la distance d’arrêt calculée et qu’aucune mesure n’a été prise ou que les mesures prises sont insuffisantes, le système déclenche un freinage de contrôleSur une locomotive munie d’un système CIT, lorsqu’un freinage de contrôle est déclenché automatiquement, le système de freins à air électronique réduit la pression de la conduite générale entre 55 et 62 lb/po2; cela permet de réduire davantage la pression de la conduite générale jusqu’à 0 lb/po2 en cas de freinage d’urgence. pour immobiliser le train avant le point de restriction. La distance d’arrêt du train lors d’un freinage de contrôle est évaluée par le système et, si elle est considérée insuffisante pour effectuer un arrêt avant le point de restriction, un freinage d’urgence est déclenché.

    Alors que des méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée sous forme de CIT ont été mises en œuvre aux États-Unis, l’infrastructure nécessaire pour prendre en charge la CIT n’existe pas au Canada, et elle n’est pas exigée par la Loi sur la sécurité ferroviaire.

    1.4.6 Recommandation active du BST liée aux moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque

    À la suite d’un événement survenu le 3 janvier 2019, quand 2 trains du CN étaient entrés en collision après qu’un des trains avait dépassé un signal contrôlé qui affichait une indication d’arrêt absoluRapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R19W0002 du BST., le Bureau a déclaré que si TC et le secteur ferroviaire ne prennent pas de mesures pour mettre en œuvre des moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque afin de réduire les conséquences d’erreurs humaines inévitables, le risque de collision et de déraillement persistera, avec une augmentation proportionnelle du risque sur les itinéraires clés au Canada. Le Bureau a donc recommandé que :

    le ministère des Transports exige que les grands transporteurs ferroviaires canadiens accélèrent la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés.

    Recommandation R22-04 du BST

    Dans sa réponse de décembre 2023, TC a indiqué qu’à la suite de la publication d’un avis d’intention en février 2022L’avis d’intention indiquait que les corridors les plus à risque du Canada doivent être dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intrinsèque (c.-à-d. de la commande des trains améliorée, ou CTA) d’ici 2030., il avait mis au point une méthode d’évaluation des risques destinée à guider la mise en œuvre de la commande des trains améliorée (CTA) au Canada. En mai 2023, TC a communiqué la méthode d’évaluation à l’industrie ferroviaire, puis il y a eu des discussions aux deux semaines tout au long de l’été 2023. De plus, l’Association canadienne de normalisation a achevé et publié une série de lignes directrices pour l’interopérabilité des applications de CTA. TC a également indiqué qu’il continue de consulter les intervenants pour éclairer la rédaction d’un futur règlement sur la CTA.

    Dans son évaluation de février 2024 de la réponse de TC, le Bureau a reconnu que le développement et la mise en œuvre de la CTA est un projet complexe nécessitant des investissements importants. Le Bureau a toutefois noté que TC et l’industrie ferroviaire discutent depuis 2013 du cadre nécessaire pour résoudre l’enjeu de sécurité « Respect des indications des signaux ferroviaires », et que TC a pris des mesures positives en vue de trouver une solution pour les moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque sous forme de CTA, mais que les progrès sont lents.

    Au moment de l’évaluation par le Bureau, 3 enquêtes du BST, dont la présente, étaient en cours concernant des événements où des trains circulant sur des itinéraires clés avaient franchi un signal d’arrêt absoluÉvénements de transport ferroviaire R23E0079, R23H0006 et R23V0205 du BST.. Bien que l’enquête préliminaire sur ces événements indiquait que chacun des trains en cause avait reçu un préavis approprié de l’obligation de s’arrêter, les moyens de défense administratifs existants avaient été inadéquats pour garantir que ces trains respectent leurs limites d’autorisation.

    Malgré les appels par le BST à des moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque supplémentaires en territoire signalisé depuis 2000 et la mise en œuvre d’une telle solution aux États-Unis depuis 2020 (c.-à-d. la CIT), le réseau ferroviaire canadien continue de s’appuyer sur des moyens de défense administratifs centrés sur le respect des règles par les équipes de train.

    Le Bureau est encouragé par le fait que TC a formulé une méthode d’évaluation des risques dans les corridors et que l’Association canadienne de normalisation a publié une série de lignes directrices pour l’interopérabilité des applications de CTA. Ces mesures constituent une étape positive vers la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés d’ici 2030. Toutefois, compte tenu des risques encourus par les équipes de train et le public voyageur, le Bureau a pressé TC et l’industrie ferroviaire d’accélérer la mise en œuvre de méthodes physiques de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays. Le Bureau a estimé que la réponse à la recommandation R22-04 dénotait une intention satisfaisanteRecommandation R22-04 du BST : Commande de trains améliorée pour les itinéraires clés (émise le 24 août 2022), à l’adresse https://www.bst-tsb.gc.ca/fra/recommandations-recommendations/rail/2022/rec-r2204.html (dernière consultation le 1er octobre 2024)..

    1.5 Appareils électroniques fournis par la compagnie

    Il est bien connu que l’utilisation d’appareils électroniques peut entraîner des distractions. Ce problème est particulièrement préoccupant au cours d’opérations où la sécurité est primordiale. La propension inhérente à accéder à de l’information à partir d’appareils électroniques, combinée avec les exigences cognitives, visuelles et manuelles qu’imposent de tels appareils, peut entraîner une diminution de l’attention, une prolongation des temps de réaction et un accroissement du risque d’accidents.

    En août 2019, le CN a commencé à fournir à ses équipes de train des tablettes qu’elles peuvent utiliser pour consulter les versions électroniques des règlements, les Instructions générales d’exploitation, indicateurs, bulletins et avis de la compagnie et d’autres renseignements pertinents. Par le passé, chaque membre d’équipe transportait cette documentation sur papier dans un manuel d’exploitation. D’autres améliorations ont été introduites par la suite, permettant aux équipes de saisir en temps réel les rapports sur les travaux et les manœuvres effectués en cours de route, ainsi que les détails requis des voyages.

    Au moment de l’événement à l’étude, les tablettes pouvaient également afficher une vue d’ensemble du territoire CCC, indiquant la position des trains dans la subdivision et la signalisation. Les tablettes sont dotées de capacités de transmission de données cellulaires qui leur permettent d’être mises à jour en temps réel, au besoin, en fonction de nouveaux bulletins ou avis et des mises à jour des règles et des procédures d’exploitation.

    Le CN a mené des évaluations des risques liés à l’utilisation des tablettes, avant et après leur introduction. La distraction pendant les opérations a été reconnue comme un danger potentiel. Afin d’atténuer le risque et de clarifier les attentes concernant l’utilisation de ces appareils électroniques, le CN a publié plusieurs bulletins et a fait un ajout à son REF, qui indique entre autres ce qui suit : « Appareil électronique fourni par la compagnie, qui peut être utilisé par les membres du personnel quand ils sont en service pour envoyer et recevoir de l’information. L’utilisation de l’appareil est restreinte aux besoins de l’exploitation ferroviaire. Son utilisation ne doit pas empêcher les membres des équipes de train de se concentrer sur leur environnement, de tenir compte des restrictions en vigueur ou des situations d’urgence existantes ou susceptibles de se produire, et de diriger les mouvements de façon sécuritaireCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (en vigueur le 28 octobre 2021), Règle générale A(xii), p. 17.. » Les équipes d’exploitation ont également dû suivre des cours de formation obligatoires en ligne sur les tablettes. Cette formation comprenait des stratégies destinées à éviter que l’utilisation des tablettes ne devienne une distraction.

    Le CN a également publié le Bulletin d’exploitation réseau no 014, qui ajoutait les précisions suivantes à ses Instructions générales d’exploitation :

    10. Information sur l’appareil électronique fourni par la compagnie

    Sensibilisation aux distractions :

    L’utilisation d’un appareil électronique peut affecter la perception qu’on se fait d’une situation. Il est important de gérer les éléments qui pourraient être une distraction avant d’utiliser l’appareil électronique fourni par la compagnie. Si l’attention est attirée sur un objet ou une personne près de soi, on risque de ne pas percevoir un danger potentiel. Il ne faut donc pas utiliser l’appareil électronique fourni par la compagnie s’il existe une distraction dans son environnement qui aurait un effet négatif sur la capacité à travailler de façon sécuritaireCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Bulletin d’exploitation réseau no 014 (16 août 2019)..

    L’enquête sur l’événement à l’étude a permis de déterminer que dans l’heure précédant le moment où l’équipe du train CN 372 a déclenché le freinage d’urgence, les membres de l’équipe avaient consulté leurs tablettes respectives à plusieurs reprises, parfois tous 2 en même temps. Les tablettes ont été utilisées pendant des durées variables, parfois pendant plusieurs minutes consécutives. Cependant, à l’approche des signaux 716S et 694S, les membres de l’équipe ne consultaient pas leurs tablettes.

    1.6 Conscience situationnelle et modèles mentaux

    On définit la conscience situationnelle comme étant la perception des éléments dans l’environnement, la compréhension de leur signification et la projection de leur état dans l’avenir procheM. R. Endsley, « Design and evaluation for situation awareness enhancement », dans Proceedings of the Human Factors Society: 32nd Annual Meeting (Santa Monica [Californie] : 1988), p. 97 à 101.. Dans un environnement dynamique, la conscience situationnelle requiert d’extraire continuellement de l’information de l’environnement, d’intégrer cette information avec les connaissances internes pertinentes pour se faire un modèle mental cohérent de la situation actuelle, et d’utiliser ce modèle mental pour prévoir les événements futurs. Des problèmes peuvent survenir au cours de n’importe laquelle de ces 3 étapes de la conscience situationnelle, si des éléments critiques passent inaperçus, leur importance n’est pas perçue ou leurs conséquences ne sont pas prévues. Les communications sont indispensables pour qu’une équipe établisse une conscience situationnelle commune.

    Un modèle mental est une structure interne qui permet aux personnes de décrire, d’expliquer et de prédire des événements et des situations dans leur environnementE. Salas, F. Jentsch et D. Maurino, Human Factors in Aviation, 2e édition (Academic Press, 2010), p. 66.. Quand un modèle mental est adopté, il est résistant au changement. De nouveaux renseignements convaincants doivent être assimilés pour modifier un modèle mental. Un modèle mental inexact nuira à la conscience situationnelle, notamment à la perception des éléments critiques ou à la compréhension de leur importanceM. R. R. Endsley, « Situation Awareness in Aviation Systems », dans J. A. Wise, V. D. Hopkin et D. J. Garland, Handbook of Aviation Human Factors, 2e édition (Boca Raton [Floride] : CRC Press, 2010), partie II : Human Capabilities and Performance, chapitre 12, p. 12..

    1.7 Attention et performance humaine

    L’attention est un état dans lequel les ressources cognitives d’une personne sont concentrées sur certains aspects de l’environnement de travail plutôt que sur d’autres. On parle d’attention partagée lorsque l’attention d’une personne se porte simultanément sur 2 canaux d’information ou plus pour s’occuper de plus de 2 tâchesAmerican Psychological Association, APA Dictionary of Psychology, « Attention », à l’adresse https://dictionary.apa.org/attention (dernière consultation le 10 septembre 2024).. La Federal Railroad Administration des États-Unis décrit l’attention comme étant le comportement d’une personne qui se concentre sur l’information essentielle à l’intérieur et à l’extérieur de la cabine.

    Les ressources attentionnelles d’une personne sont limitées; par conséquent, l’attention portée à de l’information qui n’est pas essentielle à un moment donné devient une distraction. Pour une équipe de train, cela signifie qu’il faut se concentrer sur les aspects essentiels de l’environnement de travail à un moment précis. Une personne peut être sélective et diriger son attention sur ce qu’elle juge le plus important. Cependant, le fait qu’une personne partage son attention en la portant sur plus de 2 aspects de l’environnement de travail peut entraîner une réduction de son rendement, ce qui peut conduire à un incident ou à un accidentFederal Railroad Administration, « Attention: Definition and Examples », à l’adresse https://railroads.dot.gov/human-factors/elearning-attention/attention-definition-and-examples (dernière consultation le 10 septembre 2024)..

    1.8 Temps de réaction des humains

    Le temps de réaction est l’intervalle entre le moment où l’on perçoit quelque chose et celui où l’on y réagit. Cet intervalle peut varier entre moins d’une seconde et de nombreuses secondes.

    Le temps de réaction à un stimulus est influencé par la conscience situationnelle, c’est-à-dire qu’il dépend de la perception du stimulus, de sa compréhension et de sa projection dans l’avenir. Le temps de réaction d’un opérateur augmente considérablement en fonction de la complexité d’une situation et en présence de stimuli inattendusAmerican Association of State Highway and Transportation Officials, A Policy on Geometric Design of Highways and Streets, 6e édition (2011)..

    1.9 Adaptation

    Les adaptations sont des dérogations intentionnelles aux règles ou aux procédures. Les adaptations routinières sont des dérogations souvent répétées. Ces dérogations peuvent survenir parce que la règle ou la procédure peut être perçue comme étant redondante et non nécessaire. Lorsque des adaptations sont faites sans qu’il y ait de conséquences négatives, ces adaptations peuvent persister et devenir pratique courante. Ces pratiques deviennent normalisées et peuvent éroder les marges de sécurité que les règles et les procédures étaient censées fournir.

    1.10 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    Le respect des indications de signal – la nécessité d’éviter que des équipes de train n’observent pas une indication de signal ou n’y réagissent pas, faisant que le signal n’est pas suivi et qu’un train dépasse ses limites d’autorisation – est un enjeu figurant sur la Liste de surveillance de 2022. Cet enjeu de sécurité figure sur la Liste de surveillance depuis 2012. Même si la probabilité est faible qu’un signal raté mène à une collision ou un déraillement de train, les conséquences d’un tel accident peuvent être catastrophiques pour les personnes, les biens et l’environnement.

    MESURES À PRENDRE

    L’enjeu du respect des indications des signaux ferroviaires demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce que TC exige des compagnies de chemin de fer qu’elles mettent en œuvre des moyens de défense physiques supplémentaires pour que les indications de signal régissant la vitesse d’exploitation et les limites d’autorisation soient systématiquement reconnues et respectées. 

    2.0 Analyse

    L’analyse portera sur l’attention partagée de l’équipe du train de marchandises M 37231-13 (CN 372) de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) à l’approche du signal 716S, qui affichait une indication de vitesse normale à arrêt, ainsi que sur la conscience situationnelle et le modèle mental de l’équipe à l’approche du signal suivant (le signal 694S), qui affichait une indication d’arrêt absolu.

    L’analyse portera également sur l’échec des moyens de défense administratifs existants lors de cet événement et sur l’absence, au Canada, de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pouvant ralentir ou arrêter un train.

    2.1 L’événement

    Le train CN 372 circulait vers l’est à 43,2 mi/h sur la voie principale sud de la subdivision de Kingston du CN lorsqu’il a franchi le signal 694S qui affichait une indication d’arrêt absolu à Wesco. Lorsque le chef de train du CN s’est rendu compte que le train était sur le point de franchir le signal d’arrêt absolu, il a immédiatement déclenché un serrage d’urgence des freins à air du train et a émis un message radio d’urgence, tel qu’il était tenu de faire. Le train de voyageurs P 06721-13 (VIA 67) de VIA Rail Canada Inc. (VIA) circulant vers l’ouest respectait les indications des signaux et s’approchait de Wesco sur la voie principale sud à une vitesse d’environ 45 mi/h, s’apprêtant à passer à la voie nord. Après avoir entendu le message radio d’urgence de l’équipe du train CN 372, le mécanicien de locomotive aux commandes du train VIA 67 a immobilisé son train de façon contrôlée. Les 2 trains se sont arrêtés à environ 1100 pieds l’un de l’autre.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Le train de marchandises CN 372 circulant vers l’est a franchi le signal 694S affichant une indication d’arrêt absolu à une vitesse de 43,2 mi/h, sur la voie principale sud de la subdivision de Kingston du CN, alors que le train VIA 67 circulant vers l’ouest s’approchait sur la même voie à une vitesse d’environ 45 mi/h, ce qui a entraîné un risque de collision.

    Fait établi : Autre

    Après que le train CN 372 eut dépassé le signal 694S, qui affichait une indication d’arrêt absolu, le message radio d’urgence émis rapidement par l’équipe du train a alerté l’équipe du train VIA 67, ce qui lui a permis d’arrêter son train à temps pour éviter la collision.

    Le train CN 372 avait franchi une progression de 3 signaux qui régissaient l’approche de Wesco (c.-à-d. les signaux 740S, 716S et 694S). Le 1er signal, le signal 740S à Bergin, affichait une indication de vitesse normale, qui autorisait le train à poursuivre sa route. Ce signal était le dernier signal à avoir été reconnu et communiqué par l’équipe dans la cabine de la locomotive conformément aux exigences de la règle 34 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada. N’ayant ni reconnu ni communiqué dans la cabine l’indication de vitesse normale à arrêt au signal 716S, l’équipe du train CN 372 avait une conscience inexacte de la façon dont le train devait être exploité sur cette portion de la voie ainsi qu’un modèle mental inexact de l’indication qui serait affichée au signal suivant (le signal 694S). Par conséquent, elle ne s’attendait pas à une indication de signal d’arrêt absolu.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    L’indication manquée de vitesse normale à arrêt au signal 716S a fait en sorte que l’équipe du CN 372 se fasse un modèle mental inexact de ce qui l’attendait au signal suivant. Par conséquent, elle n’était pas prête à arrêter le train au signal 694S (Wesco).

    Lorsque le train s’est trouvé à environ 1400 pieds du signal 694S, le mécanicien de locomotive a effectué un serrage minimal des freins pour ralentir le train. Toutefois, ce n’est que 13 secondes plus tard, alors que le train se trouvait à environ 500 pieds du signal, que le chef de train a reconnu formellement que le signal affichait une indication d’arrêt absolu. Le chef de train a alors déclenché un freinage d’urgence pour immobiliser le train. Cependant, le train s’est arrêté 1786 pieds après le signal d’arrêt absolu, aux environs du point milliaire 69,1.

    Le modèle mental inexact de l’équipe a retardé sa réaction et sa décision de déclencher le freinage.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Lorsque le chef de train du CN 372 a réagi à l’indication d’arrêt absolu du signal 694S en déclenchant un freinage d’urgence alors que le train se trouvait à environ 500 pieds du signal, la distance était insuffisante pour que le train s’arrête avant le signal. Les trains CN 372 et VIA 67 se sont immobilisés à 1100 pieds l’un de l’autre.

    2.2 Attention partagée de l’équipe du train CN 372 à l’approche du signal 716S

    En août 2022, le CN a publié un bulletin d’exploitation réseau qui introduisait les zones de vigilance absolue (ZVA). Lorsqu’une ZVA est en vigueur, les équipes qui se trouvent dans la cabine d’une locomotive de commande doivent cesser toute communication ou toute autre tâche sans rapport avec l’exploitation immédiate du train. Si les membres d’une équipe sont joints par d’autres employés, comme un contrôleur de la circulation ferroviaire, au sujet d’une question n’étant pas liée à la sécurité de leur mouvement, ils doivent répondre en indiquant qu’ils se trouvent dans une ZVA et dire à l’autre employé d’attendre. Les ZVA ont pour but de réduire ou d’éliminer les distractions de l’équipe alors qu’elle se concentre sur le contrôle de la vitesse du mouvement à l’approche de signaux et de restrictions imminents.

    Une ZVA commence à 3 milles avant un signal d’arrêt absolu ou au moment où le signal avancé est observé, et elle reste en vigueur jusqu’à ce que le mouvement se soit arrêté pour le signal d’arrêt absolu ou jusqu’à ce que l’on détermine que le signal suivant est permissif. Lorsqu’une ZVA est en vigueur, tous les membres d’équipe présents dans la cabine doivent se communiquer entre eux l’approche de restrictions telles que les indications de signal d’arrêt absolu.

    À l’approche du signal 716S en provenance de l’ouest, la voie est en alignement. Le jour de l’accident, les lignes de visibilité et la visibilité étaient bonnes, et la vue du signal était donc dégagée. Au moment même où l’indication de vitesse normale à arrêt du signal 716S pouvait être vue de l’intérieur de la cabine de la locomotive, le train CN 372 circulait dans une ZVA, ce qui exigeait de porter une attention particulière au contrôle de la vitesse du train pendant qu’il s’approchait du signal suivant, ainsi qu’à la reconnaissance formelle du signal. Toutefois, une fois la conversation avec le contrôleur de la circulation ferroviaire terminée, l’attention de l’équipe était partagée, car elle discutait de la tâche à venir consistant à garer le wagon HESX 52 (position 38). Par conséquent, elle n’a pas vu l’indication de vitesse normale à arrêt au signal 716S et ne s’est pas rendu compte qu’elle se trouvait dans une ZVA. Les membres de l’équipe n’ont donc pas reconnu le signal et il n’a pas fait l’objet d’une discussion à l’intérieur de la cabine.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    L’équipe du train CN 372 était concentrée sur la planification d’une tâche future qui n’était pas liée à l’exploitation immédiate du train, ce qui a détourné son attention de la tâche principale consistant à exploiter le train de façon sécuritaire conformément aux indications de signal. Par conséquent, elle a manqué l’indication de vitesse normale à arrêt au signal 716S.

    2.3 Reconnaissance et respect des signaux

    Dans l’événement à l’étude, entre le point milliaire 82,1 et le moment où l’équipe du train CN 372 a déclenché un freinage d’urgence du train, environ 500 pieds avant le signal 694S au point milliaire 69,4, le train a franchi 5 signaux de canton et 3 signaux visés par la règle 43. De ces signaux, l’équipe n’a reconnu et communiqué de vive voix qu’un seul signal (740S), ce qui donne à penser qu’il y a eu adaptation à la règle 34 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, qui exige que les membres de l’équipe soient à portée de voix les uns des autres et se communiquent d’une manière claire et audible (de vive voix) chaque signal qui influe sur leurs mouvements, comme les signaux de canton et d’enclenchement, et les signaux visés par la règle 43 (c.-à-d. les signaux en bordure de la voie). Cette règle constitue un moyen de défense administratif destiné à réduire le risque que des signaux soient manqués, mal perçus ou mal interprétés, ce qui pourrait entraîner une perte de conscience situationnelle ainsi que des modèles mentaux inexacts.

    Étant donné l’attention partagée de l’équipe, on n’a pas pu déterminer avec certitude dans le cadre de cette enquête si l’adaptation par l’équipe consistant à ne pas systématiquement communiquer les signaux de vive voix a joué un rôle dans l’événement à l’étude.

    Fait établi quant aux risques

    Lorsque des règles ou des procédures d’exploitation font l’objet d’adaptations, les marges de sécurité intégrées à ces règles ou procédures sont souvent réduites, ce qui augmente le risque d’activités dangereuses et d’accidents.

    2.4 Moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pour que les indications de signal soient systématiquement reconnues et respectées

    Le concept de base des systèmes de signalisation de commande centralisée de la circulation (CCC) au Canada est bien établi depuis un certain temps. Bien que des circuits de signalisation plus récents aient été intégrés aux systèmes de CCC au fil des ans, la sécurité des activités ferroviaires dépend toujours principalement des moyens de défense administratifs. Les moyens de défense administratifs, s’ils ne sont pas jumelés à des moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque, dépendent excessivement du respect par les employés de règles et de procédures qui, souvent, ne tiennent pas compte des facteurs humains qui influent sur le comportement.

    Cependant, les moyens de défense administratifs ne se sont pas révélés pleinement efficaces pour garantir que les indications de signal sont systématiquement reconnues et respectées, et l’enjeu du non-respect des indications de signal figure sur la Liste de surveillance du BST depuis 2012. Depuis 1995, le BST souligne dans ses rapports d’enquête l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pouvant ralentir ou arrêter un train lorsqu’il circule en territoire CCC, de même que l’absence d’un système d’avertissement passif pouvant alerter une équipe lorsqu’elle s’approche de ses limites d’autorisation.

    Dans l’événement à l’étude, l’équipe du train CN 372 était tenue de respecter les indications de signal, mais ce moyen de défense administratif n’a pas empêché le mouvement de dépasser un signal d’arrêt absolu. Le CN a aussi mis en place un moyen de défense administratif supplémentaire sous la forme de ZVA, exigeant que l’équipe d’exploitation se concentre sur le contrôle de la vitesse du mouvement à l’approche de restrictions imminentes afin de réduire ou éliminer les distractions. Malgré l’ajout de ce moyen de défense administratif supplémentaire par le CN, puisque l’équipe n’a pas vu l’indication de vitesse normale à arrêt au signal 716S, elle ne savait pas qu’elle se trouvait alors dans une ZVA, et donc n’a pas mis en œuvre la procédure relative aux ZVA.

    Des moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque, sous la forme de la technologie systèmes de commande intégrale des trains, ont été mis en œuvre aux États-Unis sur tous les itinéraires à risque élevé, qui s’étendent sur un total de 57 535,7 milles, soit environ 41 % des près de 140 000 milles de parcours du réseau ferroviaire américain, depuis le 29 décembre 2020. La commande intégrale des trains est conçue de manière à agir automatiquement pour ralentir ou arrêter un train si une équipe d’exploitation ne réagit pas correctement à un signal affiché sur le terrain. En février 2022, Transports Canada a publié un avis d’intention indiquant qu’il entendait exiger que les corridors les plus à risque du Canada soient dotés d’un système de protection automatique des trains à sécurité intrinsèque (appelé commande des trains améliorée, ou CTA) d’ici 2030. Dans sa réponse de janvier 2024 à la recommandation R22-04, Transports Canada a déclaré avoir pris des mesures conjointement avec des partenaires de l’industrie pour faire progresser la mise en œuvre de la CTA. Cependant, les détails concernant les itinéraires particuliers qui nécessiteraient une CTA et quelle serait la forme finale de la CTA n’ont pas été déterminés. Aucune mesure provisoire visant à mettre en place des moyens de défense physiques supplémentaires n’a été mise en œuvre face au risque actuel.

    Fait établi quant aux risques

    En l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque qui peuvent agir en cas de défaillance des moyens de défense administratifs, le risque de collisions et de déraillements augmente.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. Le train de marchandises CN 372 circulant vers l’est a franchi le signal 694S affichant une indication d’arrêt absolu à une vitesse de 43,2 mi/h, sur la voie principale sud de la subdivision de Kingston de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, alors que le train VIA 67 circulant vers l’ouest s’approchait sur la même voie à une vitesse d’environ 45 mi/h, ce qui a entraîné un risque de collision.
    2. L’indication manquée de vitesse normale à arrêt au signal 716S a fait en sorte que l’équipe du CN 372 se fasse un modèle mental inexact de ce qui l’attendait au signal suivant. Par conséquent, elle n’était pas prête à arrêter le train au signal 694S (Wesco).
    3. Lorsque le chef de train du CN 372 a réagi à l’indication d’arrêt absolu du signal 694S en déclenchant un freinage d’urgence alors que le train se trouvait à environ 500 pieds du signal, la distance était insuffisante pour que le train s’arrête avant le signal. Les trains CN 372 et VIA 67 se sont immobilisés à 1100 pieds l’un de l’autre.
    4. L’équipe du train CN 372 était concentrée sur la préparation pour une tâche future qui n’était pas liée à l’exploitation immédiate du train, ce qui a détourné son attention de la tâche principale consistant à exploiter le train de façon sécuritaire conformément aux indications de signal. Par conséquent, elle a manqué l’indication de vitesse normale à arrêt au signal 716S.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Lorsque des règles ou des procédures d’exploitation font l’objet d’adaptations, les marges de sécurité intégrées à ces règles ou procédures sont souvent réduites, ce qui augmente le risque d’activités dangereuses et d’accidents.
    2. En l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque qui peuvent agir en cas de défaillance des moyens de défense administratifs, le risque de collisions et de déraillements augmente.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Une caméra vidéo orientée vers l’avant est un outil utile aux enquêtes sur les accidents; cependant, dans l’événement à l’étude, la vue de la caméra de la locomotive du train CN 372 était partiellement obstruée par un essuie-glace, ce qui a limité la possibilité de reconnaître l’indication de signal.
    2. Comme il manquait 35 minutes aux données audio provenant du système d’enregistreur audio et vidéo de locomotive du train CN 372, le BST n’a pas été en mesure de déterminer quelles communications verbales avaient eu lieu entre les membres de l’équipe pendant une partie du voyage, ce qui a nui à la capacité des enquêteurs d’analyser le comportement de l’équipe.
    3. Même si les tablettes fournies par la compagnie n’ont pas joué de rôle dans l’événement à l’étude, les mesures d’atténuation visant à réduire le risque de distraction doivent prendre en compte la possibilité que les membres d’équipes d’exploitation consultent simultanément des renseignements opérationnels sur des appareils électroniques.
    4. Après que le train CN 372 eut dépassé le signal 694S, qui affichait une indication d’arrêt absolu, le message radio d’urgence émis rapidement par l’équipe du train a alerté l’équipe du train VIA 67, ce qui lui a permis d’arrêter son train à temps pour éviter la collision.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

    Le 17 avril 2024, à la lumière de cet événement et de 2 autres enquêtes en coursRapports d’enquête R23E0079 et R23V0205 du BST., le BST a envoyé au ministre des Transports une lettre concernant l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pour les trains circulant au Canada. La lettre indiquait que, malgré les appels par le BST à des moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque supplémentaires en territoire signalisé depuis 2000 et la mise en œuvre d’une telle solution aux États-Unis depuis 2020, sous la forme du système de commande intégrale des trains, la sécurité du réseau ferroviaire canadien continue de dépendre de moyens de défense administratifs centrés sur le respect des règles par les équipes de train. Cependant, la science des facteurs humains démontre – et le BST l’a révélé dans de multiples rapports d’enquête – que même les équipes de train bien formées et bien intentionnées peuvent à l’occasion mal interpréter ou mal appliquer les signaux, et que les moyens de défense administratifs ne sont pas efficaces à eux seuls pour prévenir des conséquences négatives. La lettre notait en outre que Transports Canada et l’industrie ferroviaire discutent depuis 2013 du cadre nécessaire pour résoudre le problème, et bien que Transports Canada ait pris des mesures positives en vue de cerner une solution pour les moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque sous forme de commande des trains améliorée, le rythme du développement est lent. En l’absence de moyens de défense physiques à sécurité intrinsèque pour protéger les équipes de train et le public voyageur, il existe un important risque de collisions, voire d’un événement causant des pertes massives, sur les chemins de fer canadiens. Compte tenu des risques encourus par les équipes de train et le public voyageur, le BST a pressé le ministère des Transports et l’industrie ferroviaire d’accélérer la mise en œuvre des méthodes de commande des trains à sécurité intégrée dans les corridors ferroviaires à grande vitesse du Canada et sur tous les itinéraires clés du pays.

    4.1.2 Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

    Le 15 avril 2023, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a distribué le bulletin d’exploitation no 026 à tous les employés d’exploitation régis par le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada. Le bulletin d’exploitation introduisait une instruction spéciale modifiant la règle 578 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada de façon à ce que l’obligation de diffuser les indications affichées sur un signal avancé s’applique non seulement en territoire à voie unique, mais aussi en territoire à voies multiples.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 14 août 2024. Le rapport a été officiellement publié le 16 octobre 2024.

    Annexes

    Annexe A – Bulletin d’exploitation réseau no 007 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada introduisant les zones de vigilance absolue

    Le contenu du Bulletin d’exploitation réseau no 007 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN), qui introduit les zones de vigilance absolue, est reproduit ci-dessous.

    RÈGLEMENT D’EXPLOITATION FERROVIAIRE DU CANADA (REFC)

    ***NOUVEAU***

    Règle 34 RECONNAISSANCE ET OBSERVATION DES SIGNAUX FIXES – Ajouter la nouvelle instruction spéciale sous la règle 34

    Zone de vigilance absolue (ZVA)

    Une zone de vigilance absolue (ZVA) est un environnement que vous créez dans la cabine de la locomotive de commande qui permet au mécanicien de locomotive de se concentrer sur la vitesse du mouvement à l’approche de restrictions. L’objectif de la ZVA est de réduire et d’éliminer les distractions lorsque le mouvement s’approche d’une situation potentiellement dangereuse.

    Lorsqu’il faut mettre en place la zone de vigilance absolue (ZVA) en mouvement, le personnel situé dans la cabine de la locomotive de commande doit cesser toute communication ou action qui ne sont pas liées aux tâches ou aux manœuvres immédiates du train. Dans la mesure du possible, toutes les autres tâches, y compris la transmission des restrictions à chaque cinq miles [sic] qui n’empêche pas la manœuvre sécuritaire du mouvement, doivent être effectuées pendant la ZVA. Cependant, la priorité est de se conformer à la ZVA et aux restrictions à venir.

    Lorsque la locomotive fonctionne en mode automatique avec l’Optimiseur de parcours, à moins que le mouvement approche une règle 42 ou 43, le mécanicien de locomotive doit prendre le contrôle du train en mode manuel.

    Pour la durée de la ZVA, le mécanicien de locomotive devra communiquer par radio seulement les tâches que lui seul peut accomplir (manœuvres, nombre de wagons), le chef de train ou un membre de l’équipe autre que le mécanicien de locomotive devra faire les autres communications radio requises. Lorsque l’équipe reçoit un appel d’un autre membre du personnel, à propos de quelque chose qui n’a aucun lien avec les restrictions à venir ou la manœuvre sécuritaire du mouvement, l’équipe doit répondre comme suit : « dans une ZVA, restez à l’écoute. » À l’écoute de ce message, s’il y a une urgence, l’appelant doit en informer l’équipe et le mouvement en ZVA devra s’arrêter.

    Il faut appliquer la ZVA à l’approche des conditions suivantes :

    1. Signal arrêt absolu - La ZVA débute trois miles avant le signal d’arrêt absolu ou au moment où celui-ci est aperçu (si en deçà de 3 miles) et se maintient jusqu’à l’arrêt du mouvement ou lorsque le prochain signal est permissif.
    2. Règle 42 – La ZVA s’applique 3 miles avant l’emplacement de signaux rouges et jusqu’à ce que des instructions du contremaître autorisant le mouvement à circuler dans toutes ses limites sans restriction soient reçues et confirmées ou jusqu’à ce que les restrictions soient respectées.
    3. Se protéger contre – La ZVA s’applique lorsqu’il est nécessaire de se protéger contre un train, un transfert ou un contremaître 3 miles avant la limite indiquée sur le permis de circuler ou la feuille de libération ROV, et jusqu’à ce que des instructions du contremaître ou de l’autre mouvement soient reçues et confirmées.
    4. Règle 43 - La ZVA débute 3 miles avant l’emplacement de signaux verts et jusqu’à ce que la limite de vitesse indiquée soit atteinte afin de respecter la règle 43.
    5. Zone de circulation en ROV - La ZVA débute 3 miles avant la fin de la limite de la zone de circulation de la feuille de libération lorsque l’une des conditions suivantes survient :
      • Le mouvement est arrêté à la fin de la zone de circulation
      • Une autre feuille de libération a été obtenue
      • Le mouvement entre dans un territoire en CCC en raison d’un signal permissif
      • Le mouvement entre sur une voie non principale

    Méthode de conduite/planification des manœuvres

    • Tous les membres de l’équipe dans la cabine doivent confirmés [sic] les restrictions à venir : signal d’arrêt absolu ou signal à bande jaune sur bande rouge [Règle 34 (b)].
    • Au moins un mile avant l’endroit à s’arrêter, le chef de train doit confirmer que le mécanicien de locomotive connaît l’emplacement où le train doit s’arrêter et qu’il est en mesure de s’y conformer.

    Nota : Cette instruction spéciale CN ne s’applique pas à VIA Rail.

    ***FIN***