Rapport d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R23M0050

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    1.0 Renseignements de base

    1.1 L’accident

    Le 30 octobre 2023, le train de marchandises L59411-30 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a quitté la gare de triage Gordon du CN à MonctonTous les lieux sont situés dans la province du Nouveau-Brunswick, sauf indication contraire. à destination de Saint John. Le train de marchandises mixtes était formé de 2 locomotives de tête (CN 3306 et CN 2932) et de 46 wagons, dont 10 wagons-citernes transportant des marchandises dangereuses. Il pesait environ 5115 tonnes et avait une longueur de quelque 2832 pieds. L’équipe de train se composait de 1 mécanicien de locomotive, 1 chef de train et 1 mécanicien de locomotive stagiaire. Tous les membres de l’équipe étaient qualifiés pour leur poste respectif, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail, et connaissaient bien le territoire.

    Le train circulait vers l’ouest dans la subdivision de Sussex du CN à environ 38 mi/h lorsqu’un freinage d’urgence provenant de la conduite générale s’est déclenché vers 13 h 10Les heures sont exprimées en heure avancée de l’Atlantique.. Une fois le train immobilisé, le chef de train l’a inspecté et a constaté que les 4 derniers wagons avaient déraillé autour du point milliaire 32,7, près de Dunsinane (figure 1). Personne n’a été blessé et il n’y a pas eu d’incendie.

    Figure 1. Carte du lieu de l’événement au point milliaire 32,7, subdivision de Sussex du Canadien National (Source : Google Earth, avec annotations du BST), avec carte en médaillon montrant cet emplacement par rapport aux provinces maritimes (Source : Google Maps, avec annotations du BST)
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    1.2 Examen des lieux

    Les 4 wagonsLes wagons PROX 94918, TILX 306163, GATX 63141 et TILX 191869, respectivement. qui ont déraillé, aux positions 43 à 46, étaient des wagons-citernes transportant des marchandises dangereusesLes wagons aux positions 43, 44 et 45 étaient des wagons-citernes DOT-112J transportant du butane (UN1075), et le wagon à la position 46 était un wagon-citerne DOT-111 transportant du méthanol (UN1230).. Ils avaient déraillé du côté nord de la voie, à l’ouest d’un petit pont (figure 2). Les wagons aux positions 43 et 44, demeurés attelés, s’étaient renversés sur le côté, tandis que les wagons aux positions 45 et 46, demeurés attelés, s’étaient retournés. L’examen visuel des wagons-citernes a démontré qu’il n’y avait aucune brèche dans la coque des citernes.

    L’examen des lieux a également permis de constater qu’une section du rail nord s’était rompue en plusieurs morceaux du côté est du pont, depuis environ la traverse de culée du pont, là où le rail passait de la plateforme à la structure du pont, jusqu’aux 3 premières traverses du pont. La traverse de culée du pont et les deux 2 dernières traverses de bois de la plateforme, à l’est de la section où le rail s’était rompu, étaient fendues, et les selles de rail s’étaient encastrées dans les traverses de bois. 

    Figure 2. Schéma du lieu de l’événement (Source : BST)
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    Les pièces récupérées du rail nord ont été envoyées au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) pour un examen approfondi.

    L’observation sur place de l’état du rail a permis de montrer que le rail nord du pont présentait d’importantes criques du champignon sur sa surface de roulement (figure 3).

    Figure 3. Rail rompu récupéré, présentant des criques du champignon (Source : BST)
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    En revanche, le rail nord non endommagé de la plateforme à l’approche du pont présentait une surface de roulement lisse avec des marques correspondant à une activité de meulage récente (figure 4).

    Figure 4. Rail nord de la plateforme à l’approche du pont présentant des marques de meulage, encerclées en jaune (Source : BST)
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    Au cours des opérations de nettoyage après le déraillement, lorsque le dernier wagon-citerne ayant déraillé (wagon à la position 46, contenant du méthanol) a été déplacé pour transbordement de son contenu, on a découvert qu’environ 2000 litres de méthanol s’étaient déversés du dispositif de décharge de pression du wagon, qui avait été endommagé lors du déraillement. La fuite de méthanol s’est limitée à la zone entourant le wagon-citerne; le méthanol a été récupéré par la suite, de même que tout le sol contaminé.

    1.3 Renseignements consignés

    Les enregistrements de la caméra orientée vers l’avant et de l’enregistreur audio et vidéo de la locomotive de tête ont été récupérés et examinés par le BST. Sur la bande sonore de la caméra orientée vers l’avant, on peut entendre un bruit lorsque la locomotive a traversé le pont au point milliaire 32,7; toutefois, la voie semblait intacte lorsque la locomotive a traversé cette section de rail.

    Le BST a examiné les relevés du dernier détecteur de défauts de roue devant lequel la rame est passée (au point milliaire 29,0 de la subdivision de Napadogan du CN). Les lectures se situaient en deçà des limites critiques.

    1.3.1 Conditions météorologiques

    Au moment de l’événement à l’étude, il faisait −1 °C et il neigeait, avec une visibilité d’environ 2 kmDonnées climatiques historiques d’Environnement et Changement climatique Canada. Température horaire mesurée à la station la plus proche du lieu de l’événement : Sussex Four Corners (à 15 km du lieu).. Il y avait plusieurs centimètres de neige au sol et sur les rails.

    1.4 Renseignements sur la subdivision

    La subdivision de Sussex du CN est une voie de catégorie 3 en vertu du Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi connu sous le nom de Règlement sur la sécurité de la voie (RSV), avec un tonnage annuel moyen d’environ 4,8 millions de tonnes brutes. La voie principale simple s’étend de la jonction Marsh (point milliaire 0,0) à Moncton jusqu’à la station Coldbrook (point milliaire 83,5) près de Saint John.

    Du point milliaire 2,9 au point milliaire 83,5, les mouvements de train dans cette subdivision sont régis par le système de régulation de l’occupation de la voie, comme autorisé en vertu du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada. De plus, ils sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Edmonton (Alberta). La vitesse maximale est de 40 mi/h pour les trains de marchandises.

    1.5 Renseignements sur la voie

    Sur le lieu du déraillement, la voie était constituée de longs rails soudés en acier au carbone (du côté nord, rail de 100 livres fabriqué en 1951, et du côté sud, rail de 115 livres fabriqué en 1958), qui étaient fixés à des traverses de bois dur de 8 pieds. Le CN n’a pas pu confirmer la date d’installation du rail nord. Ce dernier avait des selles de 12 pouces retenues par des crampons en alternance (2 ou 3 crampons par selle), et le rail sud avait des selles de 14 pouces également retenues par des crampons en alternance. Les traverses étaient encadrées d’anticheminants toutes les 2 traverses dans une courbe à gauche menant à un pont au point milliaire 32,7. Le ballast de pierre concassée était en bon état et les cases et les épaulements étaient garnis.

    Le pont au point milliaire 32,7 était un pont à une travée et à tablier ajouré, mesurait environ 18 pieds de long et traversait un petit cours d’eau sans nom. Il se composait de culées en béton et d’une structure en acier avec 19 traverses de bois (3 traverses de 16 pieds et 16 traverses de 12 pieds). Il y avait aussi 5 traverses de 12 pieds de chaque côté du pont, assurant la transition avec les traverses de 8 pieds sur la plateforme. On avait signalé des inégalités de la voie dans la zone à l’étude au point milliaire 32,7.  

    1.6 Inspections de la voie

    Conformément au RSV, la subdivision de Sussex fait l’objet d’au moins 2 inspections visuelles par semaine, effectuées par véhicule rail-route, ainsi que d’un contrôle de détection des défauts de rail (DDR) par ultrasons et d’un contrôle de l’état géométrique 2 fois par année. Les normes de la voie du CN prévoient des inspections plus fréquentes que ce qui est prescrit par le RSV. Les inspections suivantes ont été effectuées à proximité du lieu du déraillement :

    1.7 Examen en laboratoire du rail récupéré

    La figure 5 montre les morceaux récupérés du rail nord rompu qui ont été envoyés au Laboratoire d’ingénierie du BST. Le segment étiqueté rail no 1 correspond à la section est du rail nord autour de la traverse de culée du pont. Le segment étiqueté rail no 2 correspond à la section ouest du rail nord sur le pont.Les plus petits fragments ont été trouvés entre le rail no 1 et le rail no 2.

    Figure 5. Segments de rail récupérés sur le lieu de l’événement (Source : BST)
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    L’examen des segments de rail récupérés du rail nord rompu a permis de déterminer ce qui suit :

    Figure 6. Criques du champignon sur le segment de rail no 1 (Source : BST)
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    Figure 7. Fissure de fatigue sur le segment de rail no 1 (Source : BST)
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    Figure 8. Fissure de fatigue sur le segment de rail no 2 (Source : BST)
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    1.8 Meulage des rails

    Le meulage des rails est une procédure de maintenance préventive habituellement effectuée en fonction du trafic ferroviaire, du taux de croissance des défauts de rail et de l’état de la table de roulement. Le meulage des rails permet de contrôler les dommages causés à la surface de roulement par la fatigue de contact de roulement, notamment l’usure ondulatoireL’usure ondulatoire consiste en de petites variations répétitives ou des vagues d’usure sur la surface du champignon qui sont typiquement attribuées au glissement répétitif des roues des trains qui passent., l’écaillageL’écaillage est une séparation horizontale progressive de l’acier qui peut se fissurer, habituellement au congé de roulement supérieur. L’écaillage se développe à partir de minuscules inclusions dans le champignon du rail ou sur des rails usés où le congé de roulement a été soumis à des charges concentrées (fatigue de surface)., les criques du champignonLes criques du champignon consistent en une séparation longitudinale du matériau près de la surface de roulement. Elles se produisent sous l’effet des contraintes exercées sur la surface du rail par le frottement de glissement dû à une géométrie de contact roue-rail non conforme. et l’exfoliationL’exfoliation est une dégradation localisée de la table de roulement avec des microfissures peu profondes, qui correspondent généralement au sens de la circulation. Il s’agit d’un défaut de fatigue de surface lié à des contraintes de cisaillement élevées ainsi qu’à des contraintes normales de contact.. Le meulage des rails sert également à régler la géométrie de contact roue-rail en donnant au champignon le profil approprié. Ce faisant, la position de contact roue-rail peut être déplacée sur le champignon à un endroit qui réduit au minimum les contraintes de contact. En réglant la géométrie de contact, on peut prévenir l’apparition d’écailles profondes comme les fissures de fatigue au congé de roulement supérieur. Le meulage des rails permet de ralentir l’apparition et la propagation de petites écailles profondes, et ainsi prolonger la durée de vie utile des rails. Un autre avantage du meulage des rails est d’obtenir une surface lisse qui réduit au minimum les interférences avec l’équipement de contrôle par ultrasons et permet à ce dernier de fonctionner comme prévu.

    Le dernier programme de meulage des rails dans la subdivision de Sussex a été achevé le 18 juin 2023. Selon les normes de la voie du CNCompagnie des chemins de fer nationaux du Canada, Normes de la voie de l’Ingénierie (juin 2021), NV 1.4 : Meulage des rails par engins automoteurs, Prévention des incendies, p. 1.4-2., certains ponts ne font pas l’objet d’un meulage par mesure de précaution en raison du risque d’incendie des traverses de bois du pontLes meuleuses de rails sont équipées de systèmes de protection contre les étincelles et sont suivies par des véhicules ferroviaires transportant de l’eau qui sont spécialement conçus pour prévenir les incendies. De plus, des agents extincteurs sont parfois ajoutés à l’eau pour renforcer la capacité de lutte contre les incendies. Toutefois, lorsque le risque d’incendie est élevé, les programmes de meulage sont adaptés afin d’éviter les zones sensibles au feu, comme les ponts.. Dans l’événement à l’étude, le CN a indiqué qu’en raison du risque d’incendie, le rail du pont du point milliaire 32,7 n’avait pas été meulé lors du dernier programme de meulage des rails; au moment de l’événement, ce meulage n’avait pas été replanifié.

    1.9 Défauts de fatigue transversaux

    Un défaut de fatigue transversal (DFT) est une catégorie de défaut de fatigue dans laquelle le plan de la crique ou de la fissure est perpendiculaire au sens de circulation du rail. La taille du défaut est habituellement exprimée en pourcentage de la surface transversale du champignon du rail.

    Les fissures de fatigue dues aux criques du champignon sont un type de DFT qui prend naissance dans le congé de roulement du champignon et se propage de façon transversale dans le champignon. La propagation peut être très rapide une fois que la fissure a atteint une taille de 5 à 10 % de la section transversale du champignon du rail.

    La combinaison de diverses forces en service et des contraintes qui en résultent et qui ont des effets sur le rail pendant sa durée de vie peut conduire au développement de défauts de fatigue. Ces contraintes comprennent :

    Les DFT ne sont pas décelables à l’œil nu; un contrôle aux ultrasons est nécessaire pour les détecter. Habituellement, un DFT provoque la rupture complète du rail, les fissures se propageant à un point tel que la table de roulement du champignon exempte de défaut ne peut plus supporter la charge.

    1.10 Détection des défauts de rail internes

    Les compagnies de chemin de fer s’appuient sur les contrôles de détection des défauts de rail effectués par des fournisseurs de service tiers pour repérer les défauts de rail internes. Les véhicules rail-route de détection des défauts de rail sont équipés d’une plateforme d’auscultation qui est installée sous leur châssis et qui contient des dispositifs électromagnétiques (à induction) et ultrasonores pour détecter les défauts de rail. Le matériel d’auscultation par ultrasons se compose de 3 unités de recherche à rouleaux remplies de fluide pour chaque rail. Chaque unité de recherche à rouleaux est dotée de transducteurs qui génèrent une énergie acoustique à haute fréquence à travers le rail sous forme d’ondes afin de détecter les défauts verticaux et transversaux à l’intérieur du rail. Les données recueillies sont analysées par l’exploitant du véhicule et transmises à la compagnie de chemin de fer afin qu’elle prenne les mesures appropriées.

    Comme pour toutes les méthodes de contrôle non destructif, les contrôles par ultrasons ont leurs limites; la détectabilité des défauts dépend de leur type, de leur taille et de leur orientation, et elle peut être influencée par les conditions environnementales ainsi que par l’état de la table de roulement, comme les criques du champignon, l’écaillage, l’exfoliation et l’usure du champignon. De telles conditions peuvent empêcher la transmission de l’énergie sonore dans le champignon du rail, entravant ainsi la détection de tout défaut interne. La table de roulement doit être lisse et propre pour optimiser la détection et l’identification des défauts. En cas d’interférence pendant les contrôles par véhicule, un contrôle manuel peut être effectué pour vérifier l’état du rail. Le contrôle manuel est effectué par l’opérateur à l’aide d’un outil manuel à ultrasons qui consiste habituellement en un seul transducteur placé au-dessus du champignon du rail. L’opérateur peut choisir différents réglages et angles du transducteur pour balayer le rail afin d’y repérer des défauts. Les lectures du transducteur sont interprétées par l’opérateur au moment du contrôle, et tout défaut relevé est enregistré.

    Les Normes de la voie de l’Ingénierie du CN prévoient que lorsqu’un contrôle par ultrasons ne donne pas de résultats valides, l’emplacement doit être marqué « No Test » (aucun contrôle), et un autre contrôle doit être effectué dans les 60 jours qui suivent.

    Les 3 contrôles par véhicule effectués sur le rail à l’étude n’ont pas permis d’obtenir de résultats valides, et, dans chaque cas, le rail a été contrôlé par le tiers fournisseur de services au moyen d’un outil manuel à ultrasons. Les résultats des contrôles par véhicule sont enregistrés.

    1.11 Rapports antérieurs du BST

    Au cours des 10 dernières années, le BST a enquêté sur 6 autres événements où il a été déterminé que le DFT était un facteur contributifRapports d’enquête sur la sécurité du transport ferroviaire R21S0048, R19C0094, R19E0147, R19W0329, R14C0114 et R14W0256 du BST..

    1.12 Rapports de laboratoire du BST

    Le BST a produit le rapport de laboratoire suivant dans le cadre de la présente enquête :

    2.0 Analyse

    Le train de marchandises mixtes L59411-30 de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) était exploité conformément aux exigences réglementaires. Ni l’état du matériel roulant ni la manière dont le train était conduit ne sont considérés comme des facteurs contributifs à l’accident à l’étude. Des segments de la section du rail nord rompue présentant des défauts ont été récupérés sur le lieu du déraillement. L’analyse se concentrera donc sur l’état, l’inspection et l’entretien de la section de rail qui s’est rompue.

    2.1 L’accident

    Le 30 octobre 2023, vers 13 h 10, le train de marchandises L59411-30 du CN roulait vers l’ouest dans la subdivision de Sussex du CN à une vitesse d’environ 38 mi/h sur un petit pont au point milliaire 32,7 lorsque les 4 derniers wagons du train ont déraillé.

    L’examen des lieux après l’événement a révélé qu’une section du rail nord s’était rompue entre le côté est du pont, où il passait de la plateforme à la structure du pont, et une partie du pont.

    2.2 État du rail

    La section du rail nord qui s’est rompue était un long rail soudé de 100 livres. Il avait été fabriqué par la Dominion Steel and Coal Corporation en 1951. Cette section du rail présentait d’importantes criques du champignon et ne présentait aucune marque de meulage récente. En revanche, le rail non endommagé de la plateforme situé à l’est de la section rompue présentait une surface de roulement lisse avec des marques correspondant à un meulage récent du rail.

    2.2.1 Meulage des rails

    Le meulage des rails est essentiel pour maintenir la table de roulement en bon état, et est considéré comme le principal moyen de défense contre l’apparition et la propagation de défauts de rail. Habituellement, le calendrier de meulage des rails est établi en fonction du trafic ferroviaire, de l’évolution de l’état de la table de roulement et de la nécessité de maintenir un profil optimal des rails.

    Selon les dossiers du CN, le dernier programme de meulage des rails de la subdivision de Sussex a été réalisé le 18 juin 2023, soit environ 4 mois avant le déraillement. Toutefois, en raison du risque d’incendie, le meulage du pont au point milliaire 32,7 n’avait été ni réalisé ni replanifié avant l’événement.

    D’après l’analyse du laboratoire du BST, un type de défaut de fatigue transversal (DFT), probablement une rupture de fatigue due aux criques du champignon, était présent dans le champignon du segment de rail no 1 (la section est du rail autour de la traverse de culée du pont) et du segment de rail no 2 (la section ouest du rail sur le pont).

    2.3 Développement d’un défaut de fatigue transversal

    Un DFT est un type de défaut de fatigue qui se développe sous l’effet des forces s’exerçant pendant le service et des contraintes qui en résultent, telles que les contraintes de contact avec les roues du matériel roulant et les contraintes cycliques de chargement et de déchargement dues au passage du matériel roulant. Ces contraintes sont amplifiées par de mauvaises conditions de support du rail.

    La structure du pont semblait en bon état, et les traverses du pont étaient toutes solides, sans signe de fissure. Cependant, les 2 traverses de bois à l’approche est du pont présentaient des signes de fissuration. Les selles de rail en acier s’étaient encastrées dans les traverses de bois, ce qui indique que le rail n’était peut-être pas entièrement supporté par ces traverses. L’examen des relevés de l’état géométrique de la voie effectués avant le déraillement a révélé une légère dénivellation à cet endroit. Bien que le degré de changement d’élévation de la voie n’eût pas atteint un niveau critique, cette différence d’élévation aurait permis au rail de fléchir verticalement alors que la structure du pont serait restée fixe. Cette différence de support entre des traverses de plateforme plus souples et une structure de pont solide a probablement contribué à augmenter les contraintes cycliques de chargement et de déchargement dues au passage du matériel roulant.

    Dans l’événement à l’étude, la combinaison de toutes ces contraintes a probablement entraîné la fatigue du rail à l’étude et la propagation de défauts internes tels que les DFT dans chacun des 2 segments de rail récupérés.

    Les DFT présents dans la section nord du rail rompue ont probablement été causés par les criques du champignon, devenant ensuite des fissures de fatigue transversales. Le rail nord s’est alors rompu sous l’effet d’une surcharge soudaine, une fois que la section transversale du champignon du rail exempt de défaut a été réduite au point de ne plus pouvoir supporter la charge appliquée.

    2.4 Détection des défauts de rail internes

    Un défaut de fatigue transversal peut passer inaperçu visuellement jusqu’à ce que le rail se rompe, car la séparation ou la fente longitudinale dans une fissure de fatigue n’est souvent pas exposée. Un rail peut donc se rompre avant qu’un défaut ne devienne visible.

    Les chemins de fer se fient aux contrôles de détection des défauts de rail comme méthode fiable et économique pour repérer les défauts de rail. Par exemple, un programme régulier de contrôles par ultrasons peut aider à prévenir les ruptures de rail qui se produisent au cours de l’exploitation des trains en détectant les défauts avant qu’ils provoquent des ruptures. La technologie pour l’inspection par ultrasons (c.-à-d. le matériel, les logiciels et les algorithmes de détection des défauts) est en constante évolution, ce qui permet d’améliorer la capacité de détection des défauts présentant un intérêt particulier.

    Une surface de roulement lisse, comme celle que l’on trouve après un programme de meulage du rail, améliore l’efficacité de la DDR par ultrasons.

    La section de rail qui s’est rompue dans la zone du point milliaire 32,7 avait fait l’objet d’un contrôle par ultrasons à l’aide d’un véhicule rail-route à 3 reprises au cours des 5 mois précédant le déraillement. Lors de chacun des contrôles, le tiers fournisseur de services n’a pas pu obtenir de résultats valides. Un outil manuel à ultrasons a alors été utilisé; toutefois, le défaut interne n’a pas été relevé.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Les criques importantes du champignon sur la table de roulement du rail ont probablement nui à la fiabilité des contrôles de DDR par ultrasons à cerner les DFT existants dans le rail rompu, de sorte que le défaut interne n’a pas été relevé.

    Fait établi quant aux risques

    S’il n’est pas obligatoire de signaler à un exploitant ferroviaire les conditions de la table de roulement du rail qui risquent de compromettre la fiabilité des contrôles de DDR par ultrasons, les défauts internes peuvent passer inaperçus et les mesures d’atténuation peuvent ne pas être mises en œuvre, augmentant ainsi le risque de déraillement dû à une défaillance en service du rail.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    1. Les 4 derniers wagons du train de marchandises L59411-30 du CN ont déraillé lorsqu’une section du rail nord s’est rompue alors que le train passait sur un petit pont au point milliaire 32,7 de la subdivision de Sussex du CN.
    2. Bien que le meulage du rail ait été effectué dans la subdivision de Sussex 4 mois avant le déraillement, le rail du pont au point milliaire 32,7 n’avait pas fait l’objet d’un meulage. Les criques importantes du champignon n’avaient donc pas été éliminées du rail qui s’est rompu.
    3. Les criques importantes du champignon sur le rail rompu ont probablement contribué à l’apparition de défauts de fatigue transversaux.
    4. Les défauts de fatigue transversaux ont pris naissance dans le champignon du rail et se sont propagés au fil du temps sous l’effet de la fatigue due aux forces s’exerçant pendant le service.
    5. Les défauts de fatigue transversaux du rail nord se sont développés à un point tel que le rail s’est rompu sous l’effet d’une contrainte excessive, dans des conditions de service normales.
    6. Les criques importantes du champignon sur la table de roulement du rail ont probablement nui à la fiabilité des contrôles de DDR par ultrasons à cerner les défauts de fatigue transversaux existants dans le rail rompu, de sorte que le défaut interne n’a pas été relevé.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    1. S’il n’est pas obligatoire de signaler à un exploitant ferroviaire les conditions de la table de roulement du rail qui risquent de compromettre la fiabilité des contrôles de détection des défauts de rail par ultrasons, les défauts internes peuvent passer inaperçus et les mesures d’atténuation peuvent ne pas être mises en œuvre, augmentant ainsi le risque de déraillement dû à une défaillance en service du rail.

    3.3 Autres faits établis

    1. Le wagon-citerne TILX 191869 s’est renversé lors du déraillement, et environ 2000 litres de méthanol se sont déversés du dispositif de décharge de pression endommagé du wagon.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    Le Bureau n’est pas au courant de mesures de sécurité prises à la suite de l’événement à l’étude.

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le 14 novembre 2024. Le rapport a été officiellement publié le 17 décembre 2024.