Avis de sécurité ferroviaire – 09/19

Wagons-tombereaux baignoires potentiellement défectueux affectés au transport de ferrailles

Place du Centre
4e étage
200, promenade du Portage
Gatineau QC   K1A 1K8

Le 16 septembre 2019

617-09/19
R19T0107

Directrice générale, Sécurité ferroviaire
Transports Canada
Immeuble Entreprise, 14e étage
427, avenue Laurier
Ottawa ON K1A 0N5

Administrateur adjoint de la sécurité ferroviaire
Administrateur en chef de la sécurité
Federal Railroad Administration (FRA)
West Building W35-328
1200 New Jersey Avenue SE
Washington, DC 20590

Objet : Avis de sécurité ferroviaire – 09/19
Wagons-tombereaux baignoires potentiellement défectueux affectés au transport de ferrailles

Le 28 juin 2019, le train de marchandises M38331-27 du Chemin de fer Canadien National (CN) (le train) était utilisé comme train clé sur la subdivision Strathroy du CN (un itinéraire clé). Le train, qui circulait vers l’ouest, comprenait 2 locomotives de tête, 1 locomotive à traction répartie télécommandée en milieu de train (entre le 81e et le 82e wagon) et 140 wagons (125 chargés, 12 vides et 3 de résidus). Ce train mesurait 9541 pieds de long et pesait 15 674 tonnes.

La subdivision Strathroy consiste en une voie principale simple qui s’étend du point milliaire 0,0, à London (Ontario), au point milliaire 61,7, à Port Huron, (Michigan, États-Unis) où elle rejoint la subdivision Flint du CN au point milliaire 334,2. Les mouvements de train sont régis par le système de commande centralisée de la circulation, comme l’autorise le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada (REF), et sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire (CCF) en poste à Toronto (Ontario). La vitesse maximale permise pour les trains de marchandises est de 60 mi/h.

Vers 4 h 2, heure avancée de l’Est , le train, exploité par une équipe de trois personnes (mécanicien de locomotive, chef de train et serre-frein) a quitté Sarnia (Ontario) en direction de Port Huron. Le train est entré dans le tunnel Paul M. Tellier du CN (le tunnel), sous la rivière Sainte-Claire, qui relie Sarnia à Port Huron et traverse la frontière entre le Canada et les États-Unis (figure 1).

Figure 1. Lieu de l’événement à l’étude (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)
Image
Lieu de l'événement à l'étude (source : Association des chemins de fer du Canada, Atlas du rail canadien, avec annotations du BST)

La voie qui mène au tunnel et le traverse est une voie principale simple de catégorie 4 généralement en alignement droit. Elle présente une pente d’environ 2,00 % du point milliaire 59,32 qui s’aplanit légèrement près de la frontière (au point milliaire 60,63) avant de se transformer en rampe de 2,10 % qui prend fin immédiatement après l’extrémité ouest de la subdivision Strathroy à Port Huron.

Vers 4 h 20, tandis que le train roulait à 44 mi/h dans le tunnel, il y a eu freinage d’urgence provenant de la conduite générale au point milliaire 61,19. Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) et le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis ont examiné les données du consignateur d’événements et ont déterminé que le point de déraillement initial se trouvait au Canada. La tête du train s’est immobilisée à l’extérieur du tunnel (point milliaire 61,46) à environ 1670 pieds à l’ouest de la tête du tunnel à Port Huron.

Au total, 46 matériels roulants (de la 51e à la 98e position inclusivement) avaient déraillé et s’étaient immobilisés de part et d’autre de la frontière à l’intérieur du tunnel. L’un des wagons déraillés était le wagon-citerne de marchandises dangereuses UTLX 95205 (68e position), qui transportait de l’acide sulfurique (numéro ONU 1830, classe 8, groupe d’emballage [GE] II). Ce wagon avait subi une brèche pendant le déraillement et déversé la majeure partie de son chargement (soit environ 12 000 gallons américains) dans le tunnel.

L’extrémité arrière du 51e wagon et toutes les roues du 52e wagon avaient déraillé. Derrière le 52e wagon (à l’est), le rail sud s’était renversé, et il y avait une séparation de 696 pieds jusqu’au bout A (avant) du 53e wagon, un wagon-tombereau baignoire (DJJX 30478). Le bout A du DJJX 30478 semblait s’être affaissé; il était lourdement endommagé et sa mâchoire d’attelage était rompue. La surface de rupture de la mâchoire présentait des signes de rupture par fragilisation caractéristiques, mais aucun signe visible d’anomalie préexistante. Le bogie du bout A du wagon DJJX 30478 était désaxé sur la diagonale, et le rail sud s’était renversé du côté sud du tunnel (figure 2). Le wagon DJJX 30478 a probablement été le premier à dérailler.

Figure 2. Bout A du 53e wagon (DJJX 30478) in situ. À noter les lourds dommages, la mâchoire rompue, le bogie désaxé et le rail renversé (Source : CN)
Image
Bout A du 53e wagon (DJJX 30478) in situ. À noter les lourds dommages, la mâchoire rompue, le bogie désaxé et le rail renversé (Source : CN)

Les parois de renfort de tunnel adjacentes ainsi que l’extrémité arrière du wagon précédent (52e) ne portaient aucun signe d’impact visible. Il n’y avait aucun défaut de voie évident. 

Après l’accident, le BST et le NTSB ont inspecté la tête du train, qui n’avait pas déraillé. À la suite de cette inspection, on a découvert en tête du train 5 wagons d’âge et de type semblables. Ces wagons, ainsi que l’épave du wagon DJJX 30478, ont été mis de côté afin d’être soumis à un examen plus approfondi. 

À la fin de juillet 2019, le BST et le NTSB ont examiné de plus près le wagon défectueux (DJJX 30478) et les 5 wagons d’âge et de type semblables qui provenaient de la tête du train.

L’examen du wagon DJJX 30478 a permis de déterminer que le bout A avait probablement subi une défaillance structurale lorsqu’il a été soumis à des forces de compression en train élevées pendant qu’il traversait le tunnel. Ce wagon était déjà fragilisé par plusieurs défauts, comme de la corrosion et des fissures atteignant 24 pouces de long dans les soudures qui unissaient la plaque de cisaillement du bout A avec la longrine tronquée, la traverse de caisse et les brancards (figure 3).

Figure 3. Plaque de cisaillement, longrine tronquée et traverse pivot au bout A du wagon DJJX 30478 (1A – longrine tronquée; 2 – plaque de cisaillement)

Aperçu; (b) fissure de 24 pouces de long entre la plaque de cisaillement et la longrine tronquée (c) côté gauche du bout A, séparation entre la plaque de cisaillement et la traverse de caisse (Source : BST)

Image
Plaque de cisaillement, longrine tronquée et traverse pivot au bout A du wagon DJJX 30478 (1A – longrine tronquée; 2 – plaque de cisaillement)

Des fissures préexistantes semblables ont été observées dans les soudures qui unissaient la plaque de cisaillement du bout B avec la longrine tronquée, la traverse de caisse et les brancards (figure 4).

Figure 4. Châssis du bout B du wagon DJJX 30478 (1 – longrine tronquée; 2 – traverse de caisse; 3 – plaque de cisaillement; 4 – brancard)

(a) Dessous du bout B montrant la longrine tronquée et la traverse de caisse; (b) et (c) gros plans des fissures relevées sur la plaque de cisaillement (flèches jaunes); (d) et (e) fissures relevées dans le joint entre la traverse de caisse et le brancard (Source : BST)

Image
Châssis du bout B du wagon DJJX 30478 (1 – longrine tronquée; 2 – traverse de caisse; 3 – plaque de cisaillement; 4 – brancard)

Des fissures à ces endroits peuvent augmenter la contrainte et nuire à la capacité de transférer les forces en train par la structure du wagon, comme le prévoyait la conception originale. Dans certains cas, cela peut entraîner une défaillance structurale.

Le wagon-tombereau baignoire DJJX 30478 a été construit en 1978 par Berwick Forge, entreprise qui n’existe plus. Ce wagon avait d’abord servi à transporter du charbon pour les services publics, jusqu’en 2012 environ. Il a ensuite été acquis par la David J. Joseph Company (DJJ Company) et affecté au transport de ferrailles. D’autres entreprises, comme ACF, National Steel Car et Thrall ont également construit des variantes de ce type de wagon à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Il n’est pas rare de voir des wagons de ce type (figure 5) et de cet âge désormais servir à l’entretien de la voie ou au transport de ferrailles.

Figure 5. Vue de côté du wagon DJJX 30156, wagon-sœur du wagon DJJX 30478 (Source : BST)
Image
Vue de côté du wagon DJJX 30156, wagon-sœur du wagon    DJJX 30478 (Source : BST)

L’examen des 5 wagons d’âge et de type semblables prélevés à la tête du train à l’étude a permis de faire les observations suivantes :

  • Deux (2) de ces wagons, qui étaient en bon état, avaient fait l’objet de nombreuses réparations, et leurs brancards avaient été renforcés.
  • Tout comme le wagon à l’étude (DJJX 30478), les 3 autres wagons (DJJX 30156, DJJX 950782 et DJJX 950965) comportaient des fissures semblables dans les soudures qui unissent les plaques de cisaillement avec la longrine tronquée, la traverse de caisse et les brancards à chaque extrémité du wagon.

Le 19 août 2019, le BST a examiné 2 autres wagons-tombereaux baignoires (TFOX 3251 et TFOX 3279), d’âge et de construction semblables, au triage MacMillan du CN à Toronto (Ontario). Chacun de ces wagons comportait des fissures semblables à celles relevées sur le wagon à l’étude (DJJX 30478).

À ce jour, le BST et le NTSB ont examiné au total 8 wagons-tombereaux baignoires (incluant le wagon DJJX 30478 à l’étude). Ces wagons, qui étaient munis de longrines tronquées, étaient tous âgés d’au moins 35 ans et servaient au transport de ferrailles (annexe A).  Les soudures qui unissent les plaques de cisaillement avec les longrines tronquées, les traverses de caisses et les brancards de 6 des 8 wagons étaient fragilisées. On a aussi relevé sur certains de ces wagons des renflements, gauchissements, fissures ou affaissements dans des éléments de structure vitaux, comme les longrines tronquées et les brancards.

En mai 2018, une compagnie de chemin de fer américaine a diffusé un préavis d’alerte interne concernant les wagons-tombereaux baignoires de même âge et de même type, après que la caisse de certains de ces wagons eût subi une défaillance catastrophique à cause de fissures dans les brancards. On ne sait pas si ces renseignements ont été partagés avec le reste du secteur ferroviaire nord-américain.

Après le déraillement dans le tunnel à Sarnia, le CN a fait une recherche dans le système UMLER (Universal Machine Language Equipment Register ) et a trouvé quelque 2130 wagons d’âge et de type semblables qui servent à l’heure actuelle au transport de ferrailles en Amérique du Nord. Toutefois, il est difficile de déterminer exactement combien de wagons de ce type sont toujours en service. Le système UMLER n’identifie pas toujours les constructeurs de wagons et ne consigne ni l’année de construction des wagons ni le type de longrine centrale de la caisse (c.-à-d. complète ou tronquée). Par conséquent, il y a peut-être encore plus que 2130 wagons de cet âge et de ce type actuellement affectés au transport de ferrailles en Amérique du Nord. À ce jour, le CN a inspecté 416 des 2130 wagons cernés à mesure qu’ils entrent sur le réseau du CN : 149 (36 %) d’entre eux présentaient des défauts.

Compte tenu des circonstances du déraillement dans le tunnel à Sarnia, ainsi que des observations faites par d’autres chemins de fer de catégorie I et par le BST, il semble que les wagons-tombereaux baignoires munis d’une longrine tronquée construits à la fin des années 1970 et au début des années 1980 pourraient être susceptibles à des défaillances structurales, en particulier s’ils sont soumis à des forces de compression en train élevées.

Les conséquences d’un wagon de marchandises qui subit une défaillance structurale en pleine exploitation peuvent être graves. C’est pourquoi Transports Canada et la Federal Railroad Administration pourraient souhaiter que les compagnies de chemin de fer et les propriétaires de wagons aient des procédures en place pour identifier, inspecter et réparer (au besoin) les wagons-tombereaux baignoires qui sont munis de longrines tronquées, en particulier ceux qui ont été construits à la fin des années 1970 et au début des années 1980 et qui servent au transport de ferrailles.

Je vous prie d’accepter, Madame, Monsieur, l’expression de mes sentiments les meilleurs.

Original signé par

Kirby Jang
Directeur
Enquêtes (Rail/Pipeline)

cc.

  • Vice-président adjoint, Sécurité
    Chemin de fer Canadien National
  • Avocat principal, Affaires réglementaires
    Chemin de fer Canadien National
  • Vice-président adjoint, Services techniques
    Association of American Railroads
  • Directrice principale, Opérations et Affaires réglementaires
    Association des chemins de fer du Canada
  • Vice-président adjoint, Sécurité et durabilité
    Chemin de fer Canadien Pacifique
  • Directeur général, Services de la mécanique
    The David J. Joseph Company—Rail Equipment Group

Annexe A – Wagons-tombereaux baignoires examinés

Position No de wagon Type de wagon Code Fabricant Date construction Type longrine PBR Service

1

DJJX 950782

Wagon-tombereau baignoire - GT

J312

ACFX –ACF Industries

Oct. 80

Longrine

263 K

Services de ferraille

 

13

DJJX 30156

Wagon-tombereau baignoire – GTS

E106

BERW – Berwick Forge

Mars 78

Longrine

263 K

Services de ferraille

47

DJJX 1576

Wagon-tombereau baignoire - GT

J302

ACFX – ACF Industries

Mai 78

Longrine

263 K

Services de ferraille

48

DJJX 882062

Wagon-tombereau baignoire - GT

J302

ACFX – ACF Industries

Mai 78

Longrine

263 K

Services de ferraille

50

DJJX 950965

Wagon-tombereau baignoire - GT

J312

ACFX – ACF Industries

Déc. 80

Longrine

263 K

Services de ferraille

53

DJJX 30478

Wagon-tombereau baignoire – GTS

E106

BERW –Berwick Forge

Nov. 78

Longrine

263 K

Services de ferraille

 

Triage Mac

 TFOX 3251

Wagon-tombereau baignoire - GT

J312

National Steel Car

Mai 82

Longrine

286K

Services de ferraille

 

Triage Mac

TFOX 3279

Wagon-tombereau baignoire - GT

J312

National Steel Car

Mai 82

Longrine

286K

Services de ferraille

RENSEIGNEMENTS DE BASE

No d’événement

R19T0107