Place du Centre
200, promenade du Portage, 4e étage
Gatineau QC K1A 1K8
4 mars 2020
Lettre adressée à
Directrice générale, Sécurité ferroviaire
Transports Canada
Immeuble Entreprise, 14e étage
427, avenue Laurier
Ottawa (Ontario) K1A 0N5
Objet :
Avis de sécurité ferroviaire 617-03/20
Normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés
Le 6 février 2020, un train-bloc de pétrole brut du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) composé de 2 locomotives à traction répartie (1 en tête et 1 en queue), de 104 wagons-citernes chargés de pétrole brut (UN 1267, classe 3, groupe d’emballage I) et de 2 wagons-trémies couverts chargés de sable (soit 108 matériels roulants au total) roulait vers l’est à environ 42 mi/h dans la subdivision de Sutherland du CP. Le train pesait 14 896 tonnes et mesurait 6445 pieds de longueur. C’était un train cléNote de bas de page 1 exploité sur un itinéraire cléNote de bas de page 2.
Vers 6 h 15, heure normale du Centre, un freinage d’urgence provenant de la conduite générale a été déclenché vers le point milliaire 43,4, à environ 1,5 mille à l’ouest de Guernsey (Saskatchewan). Un examen ultérieur a permis de constater que 32 wagons-citernes (de la 32e à la 63e position inclusivement) avaient initialement déraillé au point milliaire 43,64, juste à l’ouest du passage à niveau passif du chemin Bloomfield situé au point milliaire 43,63. (figure 1).
Les wagons-citernes déraillés étaient tous des wagons-citernes DOT 117J100-W. Un des wagons déraillés qui était resté à la verticale n’a subi aucun autre dommage et a été remis sur les rails par la suite. On estime que 19 des 31 wagons-citernes déraillés restants ont déraillé du côté ouest du passage à niveau et ont été touchés par un feu en nappe engendré par le produit déversé, et que les 12 autres wagons-citernes ont déraillé du côté est du passage à niveau mais n’ont pas été directement touchés par l’incendie (événement R20W0025 du BST).
Aucune blessure n’a été signalée. Par mesure de précaution, le préfet de la municipalité de Guernsey a exigé l’évacuation de quelque 85 personnes. La température au moment de l’accident était d’environ −18 °C.
L’examen des lieux après l’accident suggère que 27 des wagons ont rejeté environ 1,6 million de litres de produit dans le sol ou dans l’atmosphère. Aucun cours d’eau n’a été touché. Le nombre exact de wagons-citernes ayant subi des brèches lors du déraillement n’a pas encore été déterminé.
Un examen des données téléchargées du consignateur d’événements de la locomotive a permis de déterminer que le train avait été exploité conformément aux exigences de la réglementation et de la compagnie. Jusqu’à présent, on n’a constaté aucune défaillance mécanique pouvant être considérée comme un facteur causal.
Une inspection visuelle de la tête du train, qui n’a pas déraillé, a été effectuée. Sur le côté nord du train, des marques d’impact ont été relevées sur les tables de roulement des wagons-citernes situés aux 28e, 29e et 31e positions derrière la locomotive de tête. Les marques d’impact observées correspondaient à l’impact qui se produit quand une table de roulement entre en contact avec un rail rompu.
Le pétrole brut était transporté dans des wagons-citernes DOT 117J100-W, le plus récent type de wagons-citernes construits pour transporter des liquides inflammables de classe 3. Le type de pétrole brut en cause dans cet événement avait des propriétés comparables à celles du pétrole brut que le BST a évalué lors d’enquêtes précédentesNote de bas de page 3.
La subdivision de Sutherland du CP s’étend vers l’ouest de Wynyard, en Saskatchewan (point milliaire 0,0), à Saskatoon, en Saskatchewan (point milliaire 113,5). Les mouvements de train dans cette subdivision sont régis par le système de régulation de l’occupation de la voie, tel qu’il est autorisé par le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada, et sont supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Calgary, en Alberta. La subdivision de Sutherland du CP est une zone exempte de signalisation (c.-à-d. qu’il n’y a pas de système de signalisation en voie ni de circuits de voie connexes pour régir la circulation des trains et aider à détecter les ruptures de rail).
La voie principale simple aux environs du déraillement appartenait à la catégorie 4, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie, aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie (RSV), approuvé par Transports Canada (TC). La vitesse autorisée pour les trains de marchandises circulant en direction est dans le secteur du déraillement était de 45 mi/h. Au moment de l’événement, aucune limitation de vitesse n’était en vigueur.
Depuis 10 ans environ, l’exploitation des trains a évolué et plusieurs améliorations opérationnelles ont été implantées à l’échelle du secteur ferroviaire, notamment l’utilisation de plus en plus fréquente de la technologie de traction répartie. Ces avancées permettent de gérer plus efficacement les forces exercées le long des trains, qui peuvent donc maintenant être plus longs et plus lourds.
De même, le trafic ferroviaire a évolué et généralement augmenté : de plus en plus de marchandises dangereuses sont transportées soit dans de grands lots de wagons dans un train de marchandises, soit dans des trains-blocs transportant une seule marchandise dangereuse, comme du pétrole brut. Par exemple, en 2017, le CP a transporté 10 523 wagons-citernes complets de pétrole brut dans sa subdivision de Sutherland. Ce nombre a augmenté à 77 312 en 2019.
En 2015, le BST a enquêté sur 2 déraillements du Canadien National (CN) dans la subdivision de Ruel du CN qui ont entraîné le déversement de grands volumes de pétrole brutNote de bas de page 4. Dans les 2 cas, entre autres facteurs, le déraillement était attribuable à des ruptures d’éclisses ou de rail. L’enquête a révélé que le système de gestion de la sécurité du CN était fondé sur des indicateurs réactifs et ne lui permettait pas d’anticiper la nécessité d’augmenter l’entretien de la voie pour faire contrepoids à une augmentation considérable des quantités de marchandises dangereuses et du volume de transport ferroviaire. L’enquête a aussi fait ressortir que si les évaluations des risques réalisées dans le cadre du système de gestion de la sécurité de l’entreprise ne tiennent pas compte du volume accru de transport ferroviaire, de l’utilisation de wagons plus lourds et des risques de dégradation accélérée de la structure de la voie, l’entretien ordinaire de la voie peut ne plus suffire à son maintien dans un état satisfaisant aux normes en vigueur, ce qui fait croître les risques de défaillance de l’infrastructure de la voie.
Après ces déraillements, le CN a investi des sommes considérables dans l’infrastructure de voie de la subdivision de Ruel et amélioré ses pratiques d’inspection et d’entretien de la voie. Bien que la subdivision de Ruel soit toujours principalement composée de voies de catégorie 4, il n’y a eu aucun déraillement majeur en voie principale dans cette subdivision depuis mars 2015.
Dans cet événement (R20W0025), le déraillement s’est produit à une vitesse autorisée par le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés en vigueur à l’époque et le pétrole brut était transporté dans des wagons-citernes DOT 117J100-W, dont la conception a été considérablement améliorée par rapport aux anciens wagons-citernes DOT  La réduction de la vitesse des trains est une autre stratégie employée dans le secteur ferroviaire pour gérer le risque de déraillement. La vitesse des trains a toujours été établie en fonction de la catégorie et de l’état de la voie, ainsi que des limites imposées par le matériel et les conditions environnementales, le cas échéant. Des limitations permanentes et temporaires de vitesse des trains peuvent être imposées lorsque l’exploitation ou l’entretien de la voie l’exigent. Ce sont des pratiques employées depuis longtemps dans le secteur.
Depuis le 1er janvier 2015, le BST a dépêché des enquêteurs sur les lieux de 7 déraillements de trains mettant en cause des wagons-citernes qui transportaient du pétrole brut. Six de ces déraillements ont entraîné un déversement important de pétrole brut (annexe A). Un examen de ces accidents a révélé que chacun des 7 déraillements est survenu sur un itinéraire clé dont les voies étaient maintenues conformes aux normes de catégorie 3 ou 4 du RSV. Dans chaque cas, le déraillement a été provoqué par une rupture de rail ou d’éclisses ou un autre problème touchant l’infrastructure de la voie. Six des 7 déraillements se sont produits en hiver.
Même si le CP maintenait la subdivision de Sutherland conforme aux normes de la catégorie 4, au cours de la période de 2 mois entre le 9 décembre 2019 et le 6 février 2020, il y a eu 2 déraillements majeurs près de Guernsey, qui ont eu pour conséquence le déversement de quantités importantes de pétrole brut. Les 2 enquêtes sont toujours en cours, mais dans les 2 cas, la cause semble être liée à un rail rompu. Au vu des déraillements subis par le CN en 2015 dans la subdivision de Ruel et des cas récents du CP dans la subdivision de Sutherland, il semble que maintenir la voie conforme aux normes minimales du RSV sur les itinéraires clés pourrait ne pas constituer une protection adéquate contre les déraillements.
L’exploitation des trains a évolué, mais le RSV n’a pas suivi. L’actuel RSV est entré en vigueur le 25 mai 2012, soit près de 4 ans avant le Règlement relatif aux trains et aux itinéraires clés approuvé par TC, en février 2016. Bien que le RSV établisse des normes minimales pour l’infrastructure de la voie, il ne contient aucune disposition répondant au besoin de normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés, malgré les hausses parfois importantes de volumes de marchandises dangereuses transportées.
Afin de réduire la fréquence des accidents de trains clés sur des itinéraires clés et d’atténuer les risques connexes, il est vital d’entretenir adéquatement l’infrastructure de voie. Puisque les causes sous-jacentes des 7 accidents mentionnés étaient toutes liées à des défaillances de l’infrastructure de voie, TC est informé que le RSV actuel ne pallie pas les risques accrus associés à l’exploitation de trains clés. Par conséquent, TC devrait envisager une révision du Règlement concernant la sécurité de la voie visant à y intégrer des normes de la voie renforcées pour les itinéraires clés.
Le BST souhaite connaître le point de vue de TC sur cette lacune de sécurité et être informé de toute mesure mise en œuvre à cet égard, s’il y a lieu. Le Bureau publiera des rapports au terme de ses enquêtes R20W0025 et R19W0320 sur ces événements.
Je vous prie d’accepter, Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs.
Original signé par
Dan Holbrook
Directeur intérimaire des enquêtes ferroviaires et pipelinières
c.c.
- Administrateur adjoint de la sécurité ferroviaire, Administrateur en chef de la sécurité, Federal Railroad Administration (FRA)
- Vice-président adjoint, Sécurité et durabilité, Chemin de fer Canadien Pacifique
- Vice-président adjoint, Sécurité, Chemin de fer Canadien National
- Directrice principale, Opérations et Affaires réglementaires, Association des chemins de fer du Canada
Renseignements de base
No d'événements
- R20W0025
- R19W0320
Annexe A — Autres déraillements mettant en cause du pétrole brut depuis 2015
R15H0013 | R15H0021 | R19W0050 | R19W0145 | R19W0320 | R20W0025 | R20W0031 | |
---|---|---|---|---|---|---|---|
Année | 2015-02-14 | 2015-03-07 | 2019-02-26 | 2019-05-04 | 2019-12-09 | 2020-02-06 | 2020-02-18 |
Lieu | Gladwick (Ontario) | Gogama (Ontario) | St-Lazare (Manitoba) | Barwick (Ontario) | Près de Guernsey (Saskatchewan) | Guernsey (Saskatchewan) | Emo (Ontario) |
Heure du déraillement | 23 h 35 (HNE) | 2 h 42 (HNE) | 2 h 31 (HNC) | 18 h 30 (HAE) | 0 h 10 (HNC) | 6 h 15 (HNC) | 20 h 36 (HNC) |
Température au moment du déraillement | −31 °C | −9 °C | −27 °C | 10 °C | −19 °C | −18 °C | −27 °C |
Compagnie de chemin de fer | CN | CN | CN | CN | CP | CP | CN |
Point milliaire | 111,70 | 88,70 | 198,3 | 115,13 | 48,85 | 43,64 | 108,22 |
Subdivision | Ruel | Ruel | Rivers | Fort Frances | Sutherland | Sutherland | Fort Frances |
Nombre de locomotives (dont des locomotives à traction répartie) | 2 | 2 | 3 (1) | 3 (1) | 2 (1) | 2 (1) | 3 (1) |
Nombre total de wagons | 100 | 94 | 110 | 98 | 101 | 106 | 144 |
Wagons chargés | 100 | 94 | 110 | 98 | 101 | 106 | 132 |
Wagons vides | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 12 |
Tonnage | 14 355 | 13 497 | 15 990 | 14 317 | 14 217 | 14 896 | 18 103 |
Longueur (en pieds) | 6089 | 5733 | 6724 | 5805 | 6130 | 6445 | 9228 |
Catégorie de voie | 3 | 4 | 4 | 4 | 4 | 4 | 4 |
Système de régulation de l’occupation de la voie (ROV)/commande centralisée de la circulation (CCC) | CCC | CCC | CCC | CCC | ROV | ROV | CCC |
Vitesse (mi/h) | 38 | 43 | 49 | 24 | 45 | 42 | 44 |
Nombre de wagons déraillés | 29 | 39 | 37 | 8 | 34 | 32 | 31 |
Nombre de wagons-citernes de marchandises dangereuses (MD) déraillés | 29 | 39 | 37 | 6 | 33 | 32 | 27 |
Type de wagons-citernes | CPC 1232 | CPC 1232 | DOT 117R | DOT 117R | 24 CPC 1232 9 DOT 117R |
DOT 117J | 25 CPC 1232 2 DOT 117R |
Produit en cause | Pétrole brut | Pétrole brut | Pétrole brut | Pétrole brut | Pétrole brut | Pétrole brut | Pétrole brut |
Nombre de wagons-citernes ayant rejeté du produit | 19 | 33 | 14 | 0 | 23 | 27 | 5 |
Quantité de produit déversée (en litres) | 1,7 million | 2,6 millions | 820 000 | 0 | 1,5 million | 1,6 million | 210 000 |
Cause | Éclisses rompues | Rupture de rail à un joint | Éclisses rompues | Surécartement (voie) | Rupture de rail soupçonnée | Rupture de rail soupçonnée | Infrastructure de la voie |