Publication du rapport d’enquête M21A0065 – Tyhawk

Notes d’allocution – M21A0065 (Tyhawk)

L’allocution définitive fait foi.

Introduction – Kathy Fox

Bonjour à tous, et merci de vous joindre à nous.

Aujourd’hui, nous sommes ici pour parler des faits établis et des recommandations de notre enquête sur le chavirement du bateau de pêche Tyhawk en 2021, qui a causé la perte de deux membres des Premières Nations Mi’kmaq.

Nos pensées et nos condoléances accompagnent tous ceux qui y ont perdu des êtres chers et qui ont été touchés par cet accident tragique.

La pêche est l’épine dorsale de nombreuses collectivités côtières. Mais c’est aussi l’une des professions les plus dangereuses du pays. En moyenne, 11 pêcheurs meurent chaque année, souvent à la suite d’accidents qui auraient pu être évités.

Les enjeux qui sont recensés dans cette enquête ne sont pas nouveaux, mais ils continuent de coûter la vie à des pêcheurs chaque année.

Je cède maintenant la parole à Marie-Hélène Roy.

Résumé de l’accident – Marie-Hélène Roy

Merci, Kathy.

Le 1er avril 2021, Pêches et Océans Canada a avisé les pêcheurs que la pêche au crabe des neiges dans la zone 12 du golfe du Saint-Laurent ouvrirait à minuit et une minute le 3 avril.

Aux petites heures du matin le 3 avril, le Tyhawk a quitté Chéticamp (Nouvelle-Écosse) en direction des lieux de pêche pour y poser des casiers à crabes. Au cours du voyage, une accumulation de glace s’est formée sur le bateau en raison de la pluie verglaçante. Le capitaine et quatre membres d’équipage ont entrepris un deuxième voyage pour poser d’autres casiers plus tard dans la journée. Pendant ce voyage vers les lieux de pêche, le vent et les vagues se sont intensifiés. Des vagues heurtaient le côté tribord du bateau, de la pluie et de la pluie verglaçante tombaient, et de l’eau s’accumulait à bord.

Près des lieux de pêche, les mouvements du bateau se sont aggravés. Il y a eu un important roulis sur tribord, et les casiers se sont déplacés. Peu après, le pont a été submergé, plus d’eau est entrée, et le bateau a chaviré.

Incapable d’enfiler des gilets de sauvetage ou des combinaisons d’immersion, ou encore de mettre à l’eau le radeau de sauvetage qui s’était coincé sous le pont amovible, l’équipage est entré dans l’eau et a grimpé sur la coque renversée du bateau jusqu’à l’arrivée de secours, qui s’est avéré être un bateau de pêche qui se trouvait dans les environs. Pendant l’attente, le capitaine a été emporté par les eaux puis a été porté disparu. La mort d’un des membres d’équipage repêchés a été prononcée plus tard.

Faits établis de l’enquête – Marie-Hélène Roy

L’enquête a permis de cerner de nombreux facteurs qui ont contribué à cet accident.

  • Malgré des préoccupations de l’industrie, la date d’ouverture fixée par Pêches et Océans Canada a été devancée de près de trois semaines par rapport aux années précédentes, sans une évaluation intégrale des risques pour la sécurité.
  • La perception du capitaine à l’égard du risque a été influencée par plusieurs facteurs, dont ses 20 années d’expérience de la pêche au crabe des neiges, sa familiarité avec la zone et le certificat d’inspection valide du bateau délivré par Transports Canada, qui n’a noté aucune lacune. Par conséquent, le capitaine croyait probablement que le bateau était sécuritaire et bien adapté à la pêche au crabe des neiges.
  • Finalement, la stabilité du bateau avait été compromise en partie par l’ajout d’un pont amovible pesant utilisé pour la pêche au crabe des neiges.

Lorsque l’on parle de stabilité, on fait référence à la capacité d’un navire à se redresser lorsqu’il est perturbé par des forces externes comme le vent, les vagues ou les activités de pêche.

Pour démontrer de quelle façon, par exemple, des modifications peuvent altérer la stabilité d’un navire, nous avons une animation simple.

Vous verrez à gauche de l’écran un navire non modifié, et à droite, un navire modifié.

Lorsqu’un poids supplémentaire est ajouté dans la partie supérieure d’un navire, par exemple sous la forme d’un pont amovible et d’engins, le centre de gravité du navire s’élève. En d’autres mots, le navire devient lourd du haut, ce qui cause un roulis plus lent et plus profond.

Si on y ajoute le poids supplémentaire de l’eau et de la glace qui s’accumulent sur le navire, ce dernier s’enfonce plus bas dans l’eau et le roulis ralentit davantage, ce qui donne l’impression que la stabilité est meilleure, mais c’est le contraire.

De plus, le franc-bord du navire, qui est la hauteur entre la ligne de flottaison et le bord du pont, diminue avec l’ajout de poids. Cela accroît la probabilité que de l’eau entre dans le navire, ce qui augmente la profondeur du roulis et fait en sorte que le bord du pont plonge sous la ligne de flottaison. Une fois que le bord du pont est submergé, un chavirement ou un naufrage se produit très rapidement.

Au cours des huit dernières années, les problèmes de stabilité ont été cernés comme un facteur contributif important dans 16 accidents de bateaux de pêche qui ont coûté la vie à 37 personnes.

Il est important de noter que les petits bateaux de pêche chavirent souvent très rapidement et de manière inattendue. Les équipages disposent de très peu de temps, s’ils en ont même, pour trouver, enfiler ou mettre à l’eau l’équipement de sauvetage, comme ce fut le cas dans cet événement. Aucun membre d’équipage du Tyhawk ne portait de vêtement de flottaison individuel. Le port d’un tel vêtement sur le pont et l’installation de radeaux de sauvetage à mise à l’eau automatique peuvent augmenter considérablement les chances de survie dans de telles situations.

D’après ces faits établis, le Bureau a émis trois recommandations, que Kathy abordera.

Recommandations – Kathy Fox

Merci, Marie-Hélène.

À la suite de l’inspection du Tyhawk réalisée par Transports Canada en 2013, le pont amovible a été cerné comme une lacune, ce qui exigeait de remplir un questionnaire sur la stabilité et d’effectuer une évaluation de la stabilité du bateau.

Deux ans plus tard, le capitaine a rempli le questionnaire. Bien qu’il ait indiqué la présence du pont amovible, il n’a pas reconnu que ce dernier constituait une modification qui exigerait une évaluation de la stabilité. Par conséquent, l’évaluation de la stabilité n’a jamais été effectuée.

En 2017, Transports Canada a inspecté le bateau sans que le pont amovible soit en place, a noté la lacune comme étant réglée et a délivré un certificat d’inspection.

La réglementation en vigueur indique que les évaluations de la stabilité sont exigées lorsqu’un navire a subi une modification importante, qui s’entend « d’une modification ou d’une réparation, ou d’une série de modifications ou de réparations, qui change considérablement la capacité ou les dimensions d’un bâtiment de pêche ou la nature d’un système à bord de celui-ci, ou qui a une incidence sur l’étanchéité à l’eau ou la stabilité de celui-ci ».

Toutefois, la définition d’une modification importante et les exigences relatives à une évaluation de la stabilité sont qualitatives et sujettes à interprétation.

Bien que Transports Canada fournisse des lignes directrices permettant de déterminer si une modification nécessite une évaluation de la stabilité, le respect de ces lignes directrices est volontaire; et sans une compréhension de la stabilité des navires, ces lignes directrices sont difficiles à utiliser.

En l’absence d’une définition claire de ce que constitue une modification importante, les propriétaires de navires, les capitaines et même les inspecteurs de Transports Canada peuvent ne pas cerner l’incidence d’une modification importante sur la stabilité d’un navire.

Par conséquent, le Bureau recommande que 

Transports Canada [le ministère des Transports] établisse des critères objectifs pour définir les modifications importantes apportées aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux.
Recommandation M23-06 du BST

 

Les bateaux de pêche sont modifiés fréquemment et pour diverses raisons, par exemple pour créer plus d’espace d’entreposage, pour respecter diverses exigences des permis de pêche ou, dans le cas du Tyhawk, pour ajouter un pont amovible.

Toutefois, Transports Canada n’exige pas d’approbation préalable ni d’évaluation des modifications prévues aux petits navires commerciaux.

Dans cet événement, le capitaine est parti à bord d’un bateau qui avait été immatriculé, inspecté et certifié par Transports Canada, donnant l’impression que le bateau était sécuritaire et n’avait pas besoin de faire l’objet d’une évaluation de la stabilité.

Une évaluation systématique menée par une personne compétente de l’ensemble des modifications prévues, à l’instar de ce qui se fait dans d’autres pays, peut aider à déterminer celles qui constituent des modifications importantes et la nécessité d’entreprendre une évaluation de la stabilité.

Étant donné que les petits bateaux de pêche et les autres petits bâtiments commerciaux changent souvent de propriétaire, le fait d’avoir un registre établi des modifications peut aider à garantir que toutes les parties disposent de renseignements complets et à jour lorsqu’elles évaluent la stabilité des navires.

Par conséquent, le Bureau recommande que 

Transports Canada [le ministère des Transports] exige que les modifications prévues aux petits bateaux de pêche et autres petits bâtiments commerciaux soient évaluées par une personne compétente, que tous les registres des modifications apportées à ces bateaux soient tenus à jour et que les registres soient mis à la disposition du ministère.
Recommandation M23-07 du BST

 

La dernière recommandation que nous émettons s’adresse à Pêches et Océans Canada. Dans l’événement à l’étude, le ministère a devancé la date d’ouverture de près de trois semaines par rapport aux années précédentes, sans prendre en considération la probabilité accrue d’eau plus froide, de glace et de pluie verglaçante. De plus, le fait d’ouvrir la saison de pêche à minuit augmentait le risque de fatigue.

Toutefois, comme la décision relative à l’ouverture de la saison avait été gérée comme une situation de routine depuis de nombreuses années, elle n’a pas été perçue comme une nouvelle situation, et ces nouveaux dangers n’ont pas été cernés comme des risques additionnels.

Lorsque les mesures et les décisions en matière de gestion des ressources halieutiques ne tiennent pas compte des interactions entre les facteurs économiques, de conservation et de sécurité, y compris leurs effets cumulatifs, il se peut que des décisions soient prises sans que les dangers pour la sécurité aient été convenablement recensés, ce qui accroît les risques pour TOUS les pêcheurs.

Par conséquent, le Bureau recommande que

Pêches et Océans Canada [le ministère des Pêches et des Océans] veille à ce que les politiques, les procédures et les pratiques prévoient une détermination exhaustive des dangers et une évaluation des risques connexes pour les pêcheurs lorsque des décisions relatives à la gestion des ressources halieutiques sont prises et intègre une expertise indépendante en matière de sécurité à ces processus.
Recommandation M23-08 du BST

Conclusion – Kathy Fox

Comme je l’ai mentionné au début, les enjeux recensés dans cette enquête ne sont pas nouveaux. En mars dernier, nous avons discuté dans cette même salle de notre enquête sur le naufrage mortel survenu en 2020 du Chief William Saulis, un bateau de pêche au pétoncle qui n’avait pas été soumis à une évaluation de la stabilité officielle, ce qui a entraîné la prise de décisions d’exploitation sans connaître suffisamment les limites d’exploitation sécuritaires. Six pêcheurs ont perdu la vie ce jour-là.

ET au cours des huit mois qui ont suivi la publication de ce rapport, cinq autres pêcheurs sont morts, un a été porté disparu en mer et 11 autres ont été grièvement blessés.

La semaine prochaine, des milliers de pêcheurs et plus de 1500 petits bateaux de pêche prendront la mer pour l’ouverture de la saison dans les zones de pêche au homard 33 et 34 du sud-ouest de la Nouvelle-Écosse.

Comme nous le savons, la pêche au homard est compétitive, et il est courant que les bateaux soient modifiés et que les pêcheurs chargent le plus grand nombre de casiers possible sur leurs bateaux le jour de l’ouverture.

Combien d’autres pêcheurs doivent mourir avant que l’on apporte des changements?

Les pêcheurs et les exploitants n’ont pas besoin d’attendre que l’organisme de réglementation intervienne. Ils peuvent sauver des vies en étant proactifs et en dépassant les exigences réglementaires minimales. Je l’ai déjà dit, mais cela vaut la peine d’être répété : la sécurité est une responsabilité partagée.

Nous ne voulons pas nous retrouver dans cette salle dans un an ou deux pour parler des mêmes enjeux et des morts qui auraient pu être évitées.

Merci.