Publication du rapport d’enquête M21P0297 - ZIM Kingston

Kathy Fox, TSB Chair
Yoan Marier, membre du Bureau
Étienne Séguin-Bertrand, enquêteur principal/analyste de la sécurité (Maritime)

Vancouver (Colombie-Britannique)
31 juillet 2024

Seul le texte prononcé fait foi.

Yoan Marier – Introduction

Bonjour à tous, et merci de vous joindre à nous.

Nous sommes réunis aujourd’hui pour vous faire part de deux préoccupations liées à la sécurité, émises à la suite de l’événement survenu en 2021 mettant en cause le porte-conteneurs ZIM Kingston au banc La Pérouse, au large de l’île de Vancouver, en Colombie-Britannique. Cet accident a entraîné la perte de 109 conteneurs à la mer, ainsi qu’un incendie à bord qui a duré pendant cinq jours.

Ce genre d’accident n’est pas qu’un simple incident survenu en mer – ses effets sont de grande portée et de longue durée. Les conséquences de tels accidents menacent les écosystèmes marins et mettent en péril les navires et leurs équipages, ainsi que la santé et la sécurité des Canadiens et des gens au-delà de nos frontières.

La perte d’un conteneur peut survenir en quelques secondes seulement, mais les dommages persistent pendant des années.

Je cède maintenant la parole à Étienne, qui vous relatera les événements et expliquera comment et pourquoi les choses se sont déroulées de cette façon.

Étienne Séguin-Bertrand – Faits établis de l’enquête

Merci, Yoan.

Le 6 octobre 2021, le ZIM Kingston a quitté Busan, en Corée du Sud, chargé de près de 2000 conteneurs de marchandises dangereuses et de produits de consommation. Le 21 octobre, alors que le navire approchait de Vancouver trois jours plus tôt que prévu, le capitaine a été informé du fait qu’aucun mouillage n’était disponible; il a donc décidé d’attendre au large à l’extérieur du détroit de Juan de Fuca.

Vers 22 h 30, heure locale, le navire a roulé de façon prononcée de bâbord à tribord à quatre reprises, entraînant la perte à la mer de 109 conteneurs, soit environ 11 % du chargement en pontée du navire. La majorité des conteneurs ont probablement coulé, tandis que ceux qui sont restés à flot ont commencé à dériver vers le nord-ouest, parallèlement à la côte de l’île de Vancouver.

Au moment de l’événement, le ZIM Kingston était confronté à de forts coups de vent et à des vagues de cinq à six mètres. Cependant, les conditions météorologiques n’étaient pas extrêmes pour un navire de sa taille et de sa conception. Trente-six heures après la perte des conteneurs, et après l’arrivée du navire dans un mouillage du banc Constance, un incendie s’est déclaré à bord dans un conteneur de marchandises dangereuses qui s’était effondré. L’incendie s’est ensuite propagé à des conteneurs voisins et a brûlé pendant cinq jours.

Les essais sur modèle effectués au cours de notre enquête ont confirmé que le ZIM Kingston a connu un roulis paramétrique – un phénomène complexe qui est difficile à prévoir, et qui, comme nous l’avons vu dans l’événement à l’étude, en est un qui peut avoir des conséquences néfastes.

Le roulis paramétrique se produit lorsque les conditions de la mer, comme la hauteur, la longueur et la direction des vagues, sont combinées à d’autres facteurs, dont bon nombre sont propres au navire, notamment sa stabilité, sa vitesse, la forme de ses œuvres vives ou sa longueur. Lorsque ces facteurs interagissent d’une certaine façon précise, des roulis soudains et dangereux se produisent.

Bien que le roulis paramétrique puisse se produire par temps orageux, il peut également se produire dans un large éventail de conditions environnementales.

Cet événement a fait ressortir les défis auxquels le Canada est confronté lorsqu’il fait face à des urgences maritimes qui dépassent la capacité d’intervention de l’équipage du navire, y compris la disponibilité des ressources pour intervenir en cas d’incendie et d’incidents mettant en cause des substances nocives et dangereuses.

Après que l’incendie s’est déclaré à bord du navire, l’équipage est intervenu avec tout l’équipement qui était à sa disposition. Toutefois, l’incendie a dépassé sa capacité d’intervention et de l’aide extérieure a été nécessaire.

L’intervention d’urgence qui a suivi a été déclenchée principalement en raison de circonstances imprévues, mais fortunées : premièrement, la législation des États-Unis exigeait que les navires qui traversaient les eaux américaines, comme le ZIM Kingston, aient conclu un contrat avec une compagnie de sauvetage et d’intervention maritimes en cas d’urgence maritime. Deuxièmement, cet entrepreneur a rapidement été en mesure d’assigner deux navires, battant pavillon étranger et disposant de moyens de lutter contre les incendies, qui se trouvaient par hasard à Victoria au moment de l’événement.

Notre enquête a permis de déterminer que l’intervention de lutte contre l’incendie a suivi les normes de l’industrie, et a été menée de façon efficace. Le contrat entre le gestionnaire du navire et l’entrepreneur américain de sauvetage et d’intervention maritimes a fait en sorte qu’il y avait un accès rapide à des spécialistes d’urgence qui ont fourni des conseils et à une équipe de personnel qualifié qui a pu monter à bord du navire pour aider à contenir le feu. Les deux navires battant pavillon étranger ont fourni un important soutien dans les mesures de lutte contre l’incendie pendant l’intervention, capacité qui n’est pas facilement accessible dans cette zone particulière.

Yoan vous parlera maintenant des deux préoccupations liées à la sécurité que le Bureau émet aujourd’hui.

Yoan Marier – Répercussions environnementales et préoccupations liées à la sécurité

Avec la perte de plus de 100 conteneurs d’expédition et de leur contenu, l’accident du ZIM Kingston a eu, et continue d’avoir, des répercussions importantes.

Les conteneurs perdus à la mer sont un danger pour la navigation lorsqu’ils flottent et, une fois qu’ils dérivent jusqu’au rivage ou coulent et se rompent, ils peuvent présenter un risque pour les milieux côtiers et les habitats marins.

À la suite de cet événement, un plan d’enlèvement des débris a été élaboré pour récupérer les conteneurs échoués et leur contenu. Le propriétaire du navire a assumé la responsabilité des premiers travaux de nettoyage, qui se sont terminés en décembre 2022.

Toutefois, en janvier 2024, les nettoyages de plages en cours en Colombie-Britannique avaient permis de trouver de nouveaux débris provenant vraisemblablement du ZIM Kingston sur de longues étendues de la ligne de côte. La fraîcheur des débris donne à penser que les conteneurs continuent de déverser leur contenu.

Au total, on estime que 1490 tonnes de fret ont été perdues à la mer. Seulement environ 48 tonnes ont été récupérées pendant les efforts de nettoyage à court terme, ce qui signifie que 97 % des débris demeurent dans nos eaux ou s’échouent le long des côtes.

En raison du volume et de la variété des contenus perdus à la mer, et du fait qu’il manque généralement d’études sur les pertes de conteneurs, il est difficile de déterminer les conséquences à long terme que le présent événement et d’autres événements semblables continueront d’avoir sur les eaux et les côtes canadiennes.

Notre première préoccupation liée à la sécurité concerne la nécessité de disposer de directives complètes pour gérer le risque de roulis paramétrique.

Notre enquête a révélé que le risque de roulis paramétrique aurait pu être décelé à l’aide des documents d’orientation dont dispose généralement l’industrie. Toutefois, ces documents ne se trouvaient pas à bord du ZIM Kingston au moment de l’événement.

Bien que des ressources disponibles à l’industrie fournissent des directives sur la façon de cerner le risque de roulis paramétrique, elles ne fournissent pas d’orientation complète pour aider les propriétaires de navires, les affréteurs et les équipes à la passerelle à gérer efficacement le risque.

Il existe des incohérences et des lacunes dans la formation des équipes à la passerelle et dans l’adoption de procédures et d’outils pour les aider à gérer le risque.

L’Organisation maritime internationale prend des mesures pour mettre à jour les directives de l’industrie pour la gestion du roulis paramétrique; toutefois, ces mesures prendront du temps.

Dans l’intérim, le Bureau craint qu’en l’absence de directives complètes et à jour à l’intention de l’industrie sur la gestion du roulis paramétrique, il y a un risque que les politiques, les procédures, les outils et la formation des entreprises à cet égard soient incohérents, inefficaces ou totalement absents, ce qui pourrait entraîner de nouvelles pertes de conteneurs et les conséquences négatives qui en découlent pour la sécurité et l’environnement.

Notre seconde préoccupation liée à la sécurité concerne l’état de préparation du Canada en cas d’urgence maritime.

Les gros navires commerciaux sont généralement équipés pour gérer les urgences à bord, et les membres d’équipage sont formés en conséquence. Cependant, il arrive qu’une urgence dépasse la capacité d’intervention de l’équipage. Le fait d’avoir des contrats préétablis en sauvetage et en intervention peut améliorer la rapidité de l’intervention grâce à la disponibilité des renseignements sur le navire et à la planification préalable.

Dans l’événement à l’étude, heureusement, le gestionnaire du navire avait pris les dispositions préalables pour une intervention d’urgence ET deux navires bien équipés se trouvaient à proximité par pur hasard.

Il est important de ne pas confondre cette chance avec la préparation aux situations d’urgence. La prochaine fois, nous pourrions ne pas avoir autant de chance!

À la suite de modifications apportées à la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, le gouvernement du Canada a maintenant le pouvoir d’adopter des règlements concernant les dispositions d’urgence pour les navires.

Le gouvernement a également reconnu le besoin d’améliorer l’état de préparation en cas de rejet de substances nocives et dangereuses. Un système national unique pour répondre à tous les incidents de pollution marine est en cours d’élaboration, et la mise en œuvre est prévue en 2027.

Transports Canada élabore un règlement qui obligera la prise de dispositions en matière d’intervention d’urgence, mais le ministère estime que ces travaux prendront quatre ans et ne seront pas en place avant 2028.

Nous savons par expérience que ce processus pourrait prendre plus de temps que prévu, mais ce délai n'est pas nécessaire. « C’est une question de priorité, et cela peut certainement être fait beaucoup plus rapidement! »

Par conséquent, le Bureau se préoccupe du fait qu’il y a des lacunes dans l’état de préparation du Canada relativement aux urgences maritimes qui dépassent la capacité d’intervention de l’équipage d’un navire, ce qui présente un risque pour les navires, pour l’environnement, ainsi que pour la santé et la sécurité du public.

Des mesures plus urgentes et plus efficaces pour répondre aux urgences maritimes dans les eaux canadiennes s’imposent afin de réduire les risques connexes.

Yoan Marier – Conclusion

Le ZIM Kingston a ajouté un autre chapitre à l’histoire des urgences maritimes, ce qui vient souligner le risque omniprésent pour les personnes, les biens et l’environnement. La question n’est pas de savoir si, mais bien quand un incident semblable surviendra à nouveau, et si le Canada sera prêt à intervenir.

Merci.