Collision avec un plan d’eau
Cessna 150J (C-FHPU)
Goderich (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Déroulement du vol
Un aéronef Cessna 150J privé (immatriculé C-FHPU et portant le numéro de série 15070602) a décollé de l'aéroport de Brampton-Caledon (CNC3) (Ontario) vers 19 h 51Note de bas de page 1 pour effectuer un vol d'entraînement à la navigation selon les règles de vol à vue (VFR) de nuit à destination de l'aéroport de Goderich (CYGD) (Ontario). Les conditions météorologiques étaient propices au vol avec des vents légers, une bonne visibilité et quelques nuages.
Deux pilotes étaient à bord de l'aéronef : le propriétaire de l'aéronef, qui occupait le siège gauche, et une instructrice du Brampton Flying Club, qui occupait le siège droit.
Après le départ, l'aéronef a monté jusqu'à une altitude de 3000 pieds au-dessus du niveau de la mer, altitude qu'il a conservée durant la phase de croisière du vol. La position de l'aéronef apparaissait à l'écran radar jusqu'à l'interruption de la couverture alors que l'aéronef descendait vers CYGD. Le dernier écho radar, enregistré à 20 h 36, indiquait que l'aéronef était à 1800 pieds au-dessus du niveau de la mer et à 0,8 mille marin (nm) à l'est de l'aéroport.
On a vu l'aéronef voler vers l'ouest en direction du lac Huron, puis vers le sud-est en direction de l'aéroport, avant qu'il n'amorce une descente rapide. De grands arbres ont ensuite bloqué la vue de l'aéronef, mais peu de temps après, on l'a entendu percuter le plan d'eau.
On a appelé les services d'urgence, et une recherche exhaustive a été menée. On a retrouvé l'aéronef au fond du lac Huron, à 25 pieds de profondeur, à environ 0,6 nm de la rive. L'aéronef a été détruit par la force de l'impact. Les 2 occupants ont été mortellement blessés.
Renseignements sur l'aéronef et l'épave
L'aéronef a été fabriqué en 1969 et avait accumulé environ 5896 heures de vol depuis sa sortie d'usine.
On a récupéré l'épave, qui a été transportée aux installations régionales du BST à Richmond Hill (Ontario), où elle a fait l'objet d'un examen détaillé. Les dommages à l'aéronef indiquaient qu'il a percuté le plan d'eau dans une forte assiette en piqué (presque verticale). Les volets étaient dans un état asymétrique : le volet de l'aile droite était entièrement rentré (levé), tandis que celui de l'aile gauche était sorti (abaissé) au-delà de sa contrainte matérielle de 40°.
On a examiné les systèmes de bord dans la mesure du possible, et toutes les gouvernes étaient présentes. Les dommages à l'hélice indiquaient que le moteur produisait une puissance considérable au moment de l'impact.
On a récupéré les instruments de bord, qui ont été examinés au Laboratoire d'ingénierie du BST à Ottawa (Ontario). L'examen du coordonnateur de virage, du conservateur de cap, de l'altimètre et de l'anémomètre n'a révélé aucun renseignement utile; toutefois, l'indicateur de vitesse verticale indiquait un taux de descente supérieur à 2000 pieds par minute. L'horizon artificiel a été mis à l'essai et on a déterminé qu'il fonctionnait au moment de l'impact.
Examen des volets et des composants connexes
Les volets de l'aéronef Cessna 150J sont alimentés électriquement. L'ensemble du vérin de volet se trouve dans l'aile droite, et il y a 2 poulies d'entraînement (1 dans chaque aile), qui sont raccordées l'une à l'autre par des câbles. Les poulies d'entraînement sont raccordées aux volets par des tiges-poussoirs. Le système de volets ainsi que les composants connexes ont fait l'objet d'un examen approfondi.
Le volet de l'aile gauche a été endommagé à l'extrémité intérieure par suite de l'impact. Les surfaces du volet étaient cependant intactes.
La section avant du rail de volet intérieur arrière de l'aile gauche était rompue (figure 1). Par conséquent, le galet intérieur arrière du volet gauche, qui est normalement positionné à l'intérieur du rail de volet connexe, se trouvait à l'extérieur du rail de volet rompu.
Comme le rail de volet extérieur était toujours intact, il est possible que le volet gauche ait été incliné, ce qui aurait empêché tout mouvement.
La surface rompue du rail de volet intérieur a été examinée au microscope électronique à balayage. On a déterminé que les dommages ont été causés par la corrosion, qui prenait l'allure d'une délamination (figure 2). La corrosion était présente avant l'événement; toutefois, on n'a pu déterminer comment et quand elle s'est installée. La corrosion a un effet préjudiciable sur la résistance de tout composant en aluminium et peut compromettre l'intégrité structurale et la durée de vie d'un composant d'aéronef de façon considérable.
La rupture de la partie non corrodée du rail de volet était attribuable à une surcharge causée par une combinaison d'efforts de cisaillement et de tension. Par contre, on n'a pu déterminer si ces efforts se sont produits avant ou durant l'impact.
La bielle attachée à la poulie d'entraînement du volet de l'aile gauche était pliée à presque 90° de sa position originale en raison d'une surcharge en tension (figure 3). Il se peut que ces dommages se soient produits durant la séquence d'impact. Toutefois, le volet gauche, qui est relié à la bielle de la poulie d'entraînement par une tige-poussoir, ne présentait aucun dommage correspondant. Il se peut également que le fléchissement de la bielle de la poulie d'entraînement se soit produit durant le fonctionnement des volets. Si le mouvement du volet était bloqué, il se peut que la tension du câble produite par le vérin du volet ait causé le fléchissement de la bielle.
L'examen du volet de l'aile droite, du vérin de volet et d'autres composants a révélé que le volet droit était complètement rentré au moment de l'impact. On a constaté que le câble de liaison d'orientation du volet (sorti) qui entraîne le volet gauche vers le bas, parallèlement au volet droit, était rompu près de l'emplanture de l'aile droite. Un examen de ce câble a révélé que sa rupture était due à une surcharge; aucun signe de fatigue ou de corrosion du métal n'a été décelé.
On n'a pu déterminer avec certitude le moment où le câble s'est rompu. Il se peut que la force de l'impact ait rompu le câble, mais il se peut aussi que l'extrême tension appliquée durant le fonctionnement des volets l'ait rompu, si le volet gauche était incliné.
Maintenance et inspection de l'aéronef
La maintenance de l'aéronef était effectuée selon le calendrier de maintenance pour aéronefs privés préalablement approuvé (norme 625, appendice B, partie I du Règlement de l'aviation canadien [RAC]). L'inspection prévue par la norme 625, appendice B, partie I doit être faite à des intervalles d'au plus 12 mois et comprendre les tâches d'inspection de l'aéronef pour détecter toute trace de corrosion.
La dernière inspection annuelle de l'aéronef a été effectuée en octobre 2016; l'aéronef avait accumulé 32 heures de vol depuis cette inspection. Aucune anomalie ni modification concernant les volets n'avait été consignée dans le carnet de bord de l'aéronef depuis l'importation de ce dernier au Canada en 1990.
Le manuel d'entretien de l'aéronef Cessna 150 comprend un document d'inspection supplémentaire qui explique en détail les intervalles recommandés ci-dessous en ce qui a trait à l'inspection des rails de volet pour y déceler de la corrosion :
- Dans le cas d'aéronefs exploités dans des régions où la gravité de la corrosion est évaluée comme étant faible à moyenne, l'inspection initiale doit avoir lieu après 20 ans de service, puis tous les 10 ansNote de bas de page 2.
- Dans le cas d'aéronefs exploités dans des régions où la gravité de la corrosion est élevée, l'inspection initiale doit avoir lieu après 10 ans de service, puis tous les 5 ansNote de bas de page 3.
Ces inspections supplémentaires recommandées ne sont pas obligatoires pour les aéronefs sous immatriculation privée au Canada. Aucune inspection de ce genre n'a été consignée dans les carnets de route de l'aéronef depuis que ce dernier a été importé au Canada.
Équipage de conduite
Selon les dossiers, les 2 pilotes possédaient les certifications et les qualifications requises pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Rien n'indiquait que des facteurs physiologiques aient pu nuire à leur performance.
Le pilote avait obtenu sa licence de pilote privé environ 5 semaines avant l'accident; il avait accumulé quelque 142 heures de temps de vol au total. L'événement à l'étude était un vol d'entraînement à la navigation de nuit, qui constitue l'une des exigences pour obtenir une qualification de vol de nuit.
L'instructrice était titulaire d'une licence de pilote professionnel, d'une qualification d'instructeur de classe 3 et d'une qualification de vol de nuit. L'instructrice était au service du Brampton Flying Club depuis janvier 2017 et avait accumulé environ 700 heures de vol au total, dont 42 heures de vol de nuit et 35 heures de vol aux instruments. D'après les dossiers, elle avait effectué 2 vols de nuit à destination de CYGD – une fois en mai 2017, et l'autre en juillet 2017.
Ni le pilote ni l'instructrice ne détenait de qualification de vol aux instruments.
Brampton Flying Club
Le Brampton Flying Club est le propriétaire-exploitant d'une flotte d'aéronefs qui sert principalement à la formation au pilotage et à la location. L'aéroclub permet toutefois aux élèves-pilotes d'utiliser leur propre aéronef aux fins de formation.
Afin que les élèves-pilotes acquièrent une expérience réaliste du vol de nuit, le Brampton Flight Centre Flight Training Operations Manual [manuel d'exploitation de la formation au pilotage du Brampton Flight Centre] du Brampton Flying Club stipule que [traduction] :
Note de bas de page 4Au moment de l'événement, le Brampton Flying Club n'offrait à ses instructeurs aucune formation particulière relative à l'effet de trou noir, et n'offrait aucune formation de perfectionnement à ses instructeurs sans qualification de vol aux instruments. De plus, les instructeurs n'étaient soumis à aucun test permettant de déterminer leurs compétences en cas de trou noir en approche ou pendant un vol de nuit avec peu de repères visuels. Ce type de formation au pilotage n'est pas requis par la réglementation en vigueur.
Le système de gestion de la sécurité du Brampton Flying Club ne contenait aucun avis de sécurité concernant l'effet de trou noir ou les vols de nuit avec peu de repères visuels.
Règles de vol à vue de nuit
Le vol de nuit comporte plusieurs risques, étant donné le peu de repères visuels, surtout au décollage et à l'atterrissage. Le nombre limité ou l'absence de repères visuels la nuit peut mener à diverses illusions qui causent une désorientation spatiale, en raison de l'absence d'un horizon visible. Le vol de nuit au-dessus d'un relief uniforme comme un plan d'eau ou un terrain boisé, appelé vol dans des conditions de trou noir, est particulièrement difficile.
Le principe qui régit le vol VFR consiste en l'utilisation d'indices visuels à l'extérieur de l'aéronef (par exemple, l'horizon ou des repères au sol) pour déterminer son assiette. Il faut donc satisfaire à certaines exigences de base avant d'effectuer un vol VFR, peu importe si on l'effectue de jour ou de nuit.
Selon les articles 602.114 et 602.115 du RAC, un aéronef doit être « utilisé avec des repères visuels à la surfaceNote de bas de page 5Note de bas de page 6 », qu'on l'utilise dans un espace aérien contrôlé ou non contrôlé. Le RAC définit la surface comme « toute surface au sol ou sur l'eau, y compris une surface geléeNote de bas de page 7 ». Cependant, il n'offre aucune définition de la notion de « repère visuel à la surface », que l'on interprète librement dans le secteur comme des conditions météorologiques de vol à vue.
Par conséquent, un vol au-dessus d'une région éloignée de toute source d'éclairage artificiel et sans éclairage ambiant adéquat qui permette de discerner clairement l'horizon (c.-à-d. uniquement au moyen de repères à la surface) ne satisferait probablement pas aux exigences d'exploitation selon les règles de vol à vue. Un tel vol exigerait plutôt que les pilotes utilisent leurs instruments de vol pour assurer l'exploitation sécuritaire de l'aéronef.
Dans l'événement à l'étude, les pilotes pouvaient s'attendre à apercevoir les lumières de la ville de Goderich, située à environ 1 nm au sud de l'aéroport, et de l'éclairage artificiel (p. ex., des maisons et des véhicules sur la route) à l'est et au nord de l'aéroport. Toutefois, à l'ouest de l'aéroport, au-dessus du lac Huron, les pilotes n'apercevraient en général aucun éclairage artificiel.
Dans un rapport d'enquêteNote de bas de page 8 du BST sur un hélicoptère qui s'est écrasé alors qu'il décollait selon les règles de vol à vue de nuit d'un aéroport éloigné au balisage lumineux insuffisant, on a souligné le problème du manque de clarté dans la définition de « vol avec repères visuels à la surface », dans les faits. Le BST a recommandé que
le ministère des Transports modifie la réglementation de manière à définir clairement les repères visuels (y compris les considérations d'éclairage ou autres moyens) requis pour réduire les risques liés aux vols de nuit selon les règles de vol à vue.
Recommandation A16-08 du BST
Transports Canada a répondu qu'il donnera suite à cette recommandation en deux temps afin de réduire les risques liés aux vols VFR de nuit. À court terme, Transports Canada mènera des activités de sensibilisation et d'éducation sur la sécurité, suivies d'un projet de modification de la réglementation.
Le Bureau a estimé que la réponse de Transports Canada à la recommandation A16-08 dénotait une intention satisfaisante.
Dans cet accident, on n'a pu écarter la possibilité de volets asymétriques en vol. Le rail de volet rompu était très corrodé, au point d'affaiblir son intégrité structurale et de raccourcir sa durée de vie. La corrosion était présente depuis un certain temps, mais n'a été détectée durant aucune des inspections annuelles réalisées selon les normes établies dans le RAC. L'avionneur recommande des inspections périodiques supplémentaires pour détecter la corrosion; toutefois, la réglementation en vigueur ne les exige pas, et les dossiers indiquaient qu'aucune inspection de ce genre n'avait été faite.
Même si les 2 pilotes avaient certaines compétences de vol aux instruments, ni l'un ni l'autre n'était titulaire d'une qualification de vol aux instruments. Pourtant, on utilisait l'aéronef de nuit dans une région offrant peu de repères visuels à la surface. Comme le souligne la recommandation A16-08 du BST, le RAC n'offre aucune définition claire des repères visuels nécessaires dans ces situations.
Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .
Summary
In this accident, an in-flight flap asymmetry could not be ruled out. The broken flap track was heavily corroded, which weakened its structural integrity and life expectancy. The corrosion had been present for some time, but was not noticed in any of the annual inspections that followed standards set out in the CARs. The manufacturer recommends periodic supplemental corrosion inspections; however, these are not required by regulation, and none were documented as having been completed.
Although both pilots had received some instrument training, neither of them had an instrument rating. Nonetheless, the aircraft was being operated at night in an area with limited visual reference to the surface. As detailed in TSB Recommendation A16-08, the CARs do not clearly define the visual references that are required in these situations.
This report concludes the Transportation Safety Board's investigation into this occurrence. The Board authorized the release of this report on . It was officially released on .