Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A19C0026

Défaillance de l'ensemble de mâts de voilure et collision avec le relief
Piper J3C-65, C-FLDQ (privé)
Lac Snowshoe (Ontario)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Déroulement du vol

    Le 30 mars 2019, un Piper J3C-65 en exploitation privée monté sur skis (immatriculation C-FLDQ, numéro de série 16839) effectuait un vol selon les règles de vol à vue (VFR) du lac Gun (Ontario) au lac Snowshoe (Ontario), à environ 53 milles marins (NM) au nord-ouest de l'aéroport de Kenora  (CYQK) (Ontario), avec le pilote et 1 passager à bord. Le but de ce vol était d'amener le passager à un camp de chasse et de pêche éloigné pour y faire des travaux de rénovation. Le passager était un employé du pilote, lui-même propriétaire de l'avion et du camp.

    À l'arrivée au lac Snowshoe, vers 13 h 19Note de bas de page 1, le pilote a fait un passage à basse altitude en provenance du nord-nord-ouest, près du camp, pour attirer l'attention des occupants du camp sur leur arrivée. Durant le passage, le pilote a perdu la maîtrise de l'avion et a percuté la surface glacée du lac. Les témoins au camp ont immédiatement réagi et appelé les services d'urgence.

    Le pilote a été mortellement blessé. Le passager a été grièvement blessé et a succombé à ses blessures 6 jours plus tard. L'avion a été détruit; aucun incendie ne s'est déclaré après l'impact. L'avion n'avait pas de radiobalise de repérage d'urgence (ELT), même si la loi l'exigeait.

    Renseignements sur l'aéronef

    Le Piper J3C-65 en cause dans cet événement était un avion monomoteur à ailes hautes à 2 places (en tandem) muni d'un train d'atterrissage classique. Il avait été construit par Piper Aircraft Corporation en 1946. Ultérieurement, l'avion a été équipé d'un moteur Continental C90-12FNote de bas de page 2 et de skis pour pouvoir être utilisé sur la neige et la glace. Sa capacité totale de carburant était de 12 gallons américains et il était certifié pour les vols VFR de jour seulement.

    Conformément à la norme 625.86 du Règlement de l'aviation canadien (RAC), l'aéronef en cause, sous exploitation privée, devait être entretenu selon le programme d'inspection annuel stipulé à la partie I de la norme 625, annexe B du RAC. On a appris à l'examen du carnet de route d'aéronef que la dernière entrée avait été faite le 16 octobre 2017, et que l'avion avait accumulé 6478 heures d'utilisation depuis la mise en service initiale de la cellule. Selon les dossiers de maintenance, la dernière inspection annuelle de l'avion remontait au 19 mai 2017, soit après 6450 heures d'utilisation depuis la mise en service initiale de la cellule. L'enquête a permis de déterminer qu'au moment de l'événement, l'avion avait volé en moyenne 35 heures par année au cours des 5 années précédentes et qu'il avait accumulé environ 6528 heures d'utilisation depuis la mise en service initiale de la cellule.

    L'avion en cause était visé par la consigne de navigabilité (CN)Note de bas de page 3 2015-08-04Note de bas de page 4, de la Federal Aviation Administration des États-Unis, exigeant l'inspection de l'ensemble de mâts de voilure du longeron principal pour repérer tout signe de corrosion. Cette CN était entrée en vigueur en juin 2015 et devait être respectée tous les 24 mois. Rien dans les dossiers de maintenance de l'avion n'indique que la CN 2015-08-04 a été suivie.

    Masse et centrage

    L'avion avait une masse à vide de 741 livres et une masse maximale au décollage de 1220 livres (sur les skis). L'enquête n'a pas permis de déterminer la quantité de carburant à bord au moment de l'événement. Un examen de la masse et du centrage à vide et pour le vol à l'étude a révélé que l'avion était exploité conformément aux limites de masse et de centrage fixées.

    Renseignements sur le pilote

    Le pilote était titulaire d'une licence canadienne de pilote professionnel – avion délivrée le 4 septembre 1990, et d'un certificat médical de catégorie 3 valide. Selon l'information recueillie au cours de l'enquête, il avait accumulé quelque 3000 heures de vol, dont environ 2500 sur l'avion en cause dans l'événement à l'étude. Les dossiers indiquaient que le pilote avait la licence et les qualifications nécessaires pour effectuer le vol, conformément à la réglementation en vigueur.

    Renseignements météorologiques

    Selon le message d'observation météorologique régulière d'aérodrome (METAR) émis à CYQK – la source la plus proche de données météorologiques pour l'aviation, à 53 NM au sud-est du lac Snowshoe – les conditions à 13 h (soit environ 19 minutes avant l'accident) étaient les suivantes :

    • vents : 320° vrai (V), variables de 280 °V à 360 °V, soufflant à 12 nœuds avec rafales à 19 nœuds;
    • visibilité : 15 milles terrestres;
    • quelques nuages à 4300 pieds au-dessus du niveau du sol (AGL), plafond de nuages fragmentés à 7200 pieds AGL;
    • température : −4 °C.

    Les conditions météorologiques n'ont pas été considérées comme un facteur contributif dans cet événement.

    Examen de l'épave

    L'avion a percuté la surface glacée du lac en position renversée à faible inclinaison; sa vitesse verticale de descente et sa vitesse de déplacement étaient élevées. L'avion s'est immobilisé à l'endroit et orienté vers le nord, à environ 125 pieds du point d'impact initial (figure 1).

    Figure 1. Site de l'épave (Source : BST)
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    Site de l'épave (Source : BST)

    Le pilote occupait le siège avant et le passager était assis à l'arrière de l'avion. Seul le siège avant était équipé d'un manche à balai. L'avion avait des ceintures sous-abdominale avant et arrière, mais pas de siège passager installé à l'arrière. L'enquête a permis de déterminer que le pilote et le passager ne portaient pas leur ceinture sous-abdominale au moment de l'accident.

    L'avion transportait divers articles qui n'avaient pas été arrimés.

    Une inspection des câbles de commandes de vol n'a révélé aucune anomalie antérieure à l'impact. Les dommages subis par le moteur et l'hélice laissent croire que l'hélice tournait et que le moteur produisait une puissance relativement élevée au moment de l'impact.

    Une inspection de la cellule sur les lieux de l'accident a révélé que l'ensemble de mâts de voilure du longeron principal gauche s'était séparé près de la chape inférieure de l'attache (figure 2). Un examen visuel de l'ensemble de mâts de voilure a révélé une corrosion excessive dans la zone où la séparation s'est produite. L'ensemble de mâts rompu a été envoyé au Laboratoire d'ingénierie du BST à Ottawa (Ontario) à des fins d'analyse.

    Figure 2. Dommages à l'ensemble de mâts de voilure du longeron principal gauche (Source : BST)
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    Dommages à l'ensemble de mâts de voilure du longeron principal gauche (Source : BST)

    Structure des ailes de l'avion

    La structure des ailes de l'avion est recouverte de tissu et est composée de longerons d'aile avant et arrière, d'un bord d'attaque et de plusieurs nervures en aluminium. Les ailes sont fixées à la partie supérieure de la structure du fuselage; chaque aile est soutenue approximativement à la mi-longueur par des ensembles de mâts de voilure avant et arrière. Les ensembles de mâts de voilure relient la structure inférieure du fuselage à chaque ensemble de longeron avant et arrière de l'aile. Les mâts de voilure transfèrent les charges de vol aux ailes et sont sous tension pendant le vol. Inversement, lorsque l'avion est au sol, les mâts de voilure subissent une compression.

    À l'origine, les avions Piper de la série J3 avaient des mâts de voilure se terminant par des chapes filetées de 3/8 pouce. Toutefois, la taille des chapes filetées des mâts de voilure a peu après été portée à 7/16 pouce. Les deux types de mâts de voilure étaient faits d'acier ordinaire et ouverts aux 2 bouts une fois les chapes retirées. L'avion à l'étude avait des mâts de voilure à bouts ouverts (numéro de pièce 13233-4 pour le longeron principal et numéro de pièce 12352-4 pour le longeron arrière) avec des chapes filetées de 7/16 pouce.

    En 1989, de nouveaux ensembles de mâts de voilure fermés en acier ordinaire ont été fabriqués avec des chapes filetées de 5/8 pouce. Une fois les nouveaux ensembles de mâts de voilure fermés installés, l'inspection aux 24 mois prescrite par la CN 2015-08-04 n'est plus requise.

    Examen des mâts de voilure

    L'analyse de l'ensemble de mâts de voilure défectueux par le Laboratoire d'ingénierie du BST a révélé que la défaillance était attribuable à une corrosion et à un amincissement excessifs de la surface intérieure portante du mât. Cet état a provoqué une fatigue et finalement, une rupture en surcharge.

    La CN 2015-08-04 stipule que, pour satisfaire à ses exigences, on peut inspecter l'ensemble des mâts de voilure soit par essai de perforation, méthode décrite dans le bulletin de service obligatoire (BSO) 528D publié par Piper, soit par ultrasons, méthode décrite dans la CN même. Si l'un ou l'autre de ces essais révèle une importante corrosion, la CN exige le remplacement de l'ensemble de mâts de voilure. La CN donne aussi le choix de remplacer l'ensemble de mâts de voilure au lieu d'effectuer l'une des deux méthodes d'inspection admissibles.

    Le Laboratoire d'ingénierie du BST a réalisé des examens plus approfondis de l'ensemble de mâts de voilure rompu ainsi que l'essai de perforation prescrit dans le BSO 528D. D'après ce bulletin, si l'essai de perforation produit un enfoncement apparentNote de bas de page 5 au moyen d'un pointeauNote de bas de page 6, le métal de l'ensemble de mâts de voilure est corrodé au-delà de la limite spécifiée, et l'ensemble doit être remplacé avant que l'avion puisse voler de nouveau. Si aucun enfoncement n'est apparent, l'ensemble de mâts de voilure peut demeurer en service. Des représentants de Piper Aircraft Inc. et Transports Canada (TC) ont observé les essais. Plusieurs essais de perforation ont été faits tout près et plus loin de la zone de rupture, sur les moitiés supérieure et inférieure de l'ensemble de mâts de voilure rompu.

    L'autre méthode décrite dans la CN consiste en une inspection aux ultrasons. L'épaisseur typique de la paroi d'un mât de voilure de référence est entre 0,034 et 0,041 pouce. D'après la procédure d'inspection aux ultrasons, si l'épaisseur d'une paroi est de 0,024 pouce ou moins, l'ensemble de mâts de voilure doit être remplacé avant que l'avion puisse voler de nouveau. Aucune inspection aux ultrasons n'a été faite sur l'ensemble de mâts de voilure rompu. Toutefois, on a réalisé un examen de la pièce au microscope électronique à balayage pour mesurer avec exactitude l'épaisseur de la paroi. Cet examen a permis de déterminer ce qui suit :

    • Dans la zone très corrodée de la moitié inférieure du mât de voilure rompu, l'épaisseur de la paroi n'était plus que de 0,002 à 0,019 pouce, soit largement inférieure au minimum requis. Des essais de perforation effectués dans cette zone ont produit un enfoncement apparent;
    • Dans la zone corrodée de la moitié supérieure du mât de voilure rompu, l'épaisseur de la paroi était de 0,021 à 0,031 pouce; ainsi, l'épaisseur à certains endroits était inférieure au minimum requis. Des essais de perforation effectués dans cette zone n'ont produit aucun enfoncement apparent.

    Mesures de sécurité prises

    Le 31 juillet 2019, le BST a émis un avis de sécuritéNote de bas de page 7 pour informer les organismes de réglementation et le constructeur de l'avion en cause des risques associés à l'utilisation de la méthode d'inspection par essai de perforation mentionnée dans la CN 2015-08-04 et prescrite par le BSO 528D.

    Messages de sécurité

    L'entretien d'un aéronef conformément aux normes de navigabilité pertinentes est important pour s'assurer qu'il est sécuritaire et en état de vol.

    Veiller à ce que les aéronefs soient munis d'un siège pour chaque occupant est l'une des mesures que peuvent prendre les propriétaires et exploitants pour améliorer la sécurité de vol. En outre, les dispositifs de retenue sont des éléments importants de l'équipement de sécurité embarqué, et leur port peut réduire les risques de blessure ou de mort en cas d'accident.

    Les bagages et marchandises à bord des aéronefs devraient être bien arrimés pour empêcher qu'ils se déplacent et blessent les pilotes et les passagers.

    Dans l'événement à l'étude, des témoins oculaires de l'accident ont immédiatement appelé les secours. Lorsque personne n'est témoin d'un accident, les ELT sont essentielles pour alerter rapidement les organismes de recherche et sauvetage.

    Le présent rapport conclut l'enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .