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Rapport d’enquête sur la sécurité du transport aérien A21F0210

Sortie de piste au décollage et déséquilibre de carburant en vol entraînant un déroutement
Jazz Aviation LP
Mitsubishi Heavy Industries, Ltd. CL-600-2D24 (aéronef Regional Jet de la série 900), C-GJZV
Aéroport international de San Diego (Californie, États-Unis)



Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Résumé

Le 29 novembre 2021, l’aéronef Mitsubishi Heavy Industries, Ltd. CL-600-2D24 (aéronef Regional Jet de la série 900), (immatriculation C-GJZV, numéro de série 15424) exploité par Jazz Aviation LP effectuait le vol JZA767 de l’aéroport international de San Diego (Californie, États-Unis) à destination de l’aéroport international de Vancouver (Colombie-Britannique) avec à son bord 2 membres d’équipage de conduite, 2 membres d’équipage de cabine et 69 passagers. Vers 18 h 42, heure normale du Pacifique, durant les heures d’obscurité, l’aéronef a décollé à gauche de l’axe de la piste 27. Pendant le décollage, les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté 3 feux de bord de piste avant que la trajectoire de l’aéronef ne soit corrigée vers l’axe de piste.

Pendant la montée, un déséquilibre de carburant a été détecté. Incapable de corriger ce déséquilibre, l’équipage de conduite a coupé le moteur droit et a déclaré une situation d’urgence. L’aéronef a été dérouté vers l’aéroport international de Los Angeles (Californie, États-Unis), où il a atterri et s’est immobilisé sur la piste vers 19 h 46. Les passagers ont débarqué et ont été transportés à l’aérogare. Aucun passager ou membre d’équipage n’a été blessé. Le personnel d’urgence a signalé qu’un des pneus du train d’atterrissage principal gauche était dégonflé et que de la fumée s’échappait de la roue. On a constaté par la suite que le flanc du pneu no 1 de l’aéronef était endommagé et que le volet gauche de l’aéronef avait 2 perforations.

Dans l’événement à l’étude, le mauvais d’alignement au décollage et le déséquilibre de carburant ont été 2 événements distincts et indépendants l’un de l’autre et ont été traités comme tels dans le cadre de l’enquête.

Afin de déterminer les facteurs qui ont contribué au mauvais alignement de l’aéronef sur la piste, l’enquête a porté sur les conditions de visibilité dans lesquelles l’aéronef a décollé de l’aéroport international de San Diego. Du refoulement au décollage, l’aéronef a circulé de nuit dans le brouillard et dans une zone où la visibilité était comprise entre ¼ et ½ mille terrestre et se dégradait. Par conséquent, l’équipage de conduite disposait de peu de repères visuels pour déterminer et vérifier la position de l’aéronef sur la piste 27. L’un de ces repères était la partie de la marque d’axe de voie de circulation qui était visible devant l’aéronef; cependant, au moment de circuler pour prendre position sur la piste, le commandant de bord a décalé l’aéronef par rapport à la marque d’axe de voie de circulation afin d’augmenter la distance de piste disponible pour le décollage. Ce faisant, il avait encore moins de repères visuels sur lesquels se fier pour déterminer la position de l’aéronef sur la piste. Lorsque le commandant de bord a ensuite effectué un virage à gauche pour s'établir sur le cap de piste en vue du décollage, il a perçu la marque de bord de piste gauche comme étant l’axe de piste. Les repères visuels limités et ambigus qui étaient disponibles répondaient probablement aux attentes du commandant de bord et, par conséquent, l’aéronef a été aligné latéralement sur le bord gauche plutôt qu’au centre de la piste.

Étant donné que la piste 27 présentait un seuil décalé, on a comparé l’environnement visuel d’une zone de seuil décalé à celui d’un seuil de piste non décalé. Il est ressorti qu’il existe un risque accru de mauvais alignements ou de sorties latérales de piste si les équipages de conduite s’alignent sur des pistes dans la zone située avant le seuil décalé ou s’ils effectuent des départs à partir d’une intersection, que ce soit dans des conditions visuelles dégradées ou des conditions visuelles de nuit, sans confirmer la position latérale de l’aéronef sur la piste. En effet, les zones de seuil décalé et les intersections des pistes et des voies de circulation ne comportent pas de marques de seuil de piste ni de numéros de piste, 2 éléments distinctifs qui permettent aux équipages de conduite de définir la largeur — et donc l’axe — de la piste.

La nature des opérations à l’aéroport de l’événement à l’étude a également été examinée. L’aéroport international de San Diego, l’un des aéroports de service commercial à piste unique les plus achalandés au monde, enregistre un volume élevé d’arrivées et de départs qui se succèdent très rapidement, ce qui se traduit par une cadence que les équipages de conduite sont tenus de suivre. On a constaté que la complexité des opérations selon les règles de vol aux instruments sur l’unique surface de piste, où les arrivées se faisaient d’un côté et les départs de l’autre, avait créé un environnement dans lequel l’équipage de conduite a perçu une pression temporelle pour le décollage. Par conséquent, le premier officier a effectué les vérifications d’alignement pendant que le commandant de bord circulait pour se mettre en position, si bien que le premier officier n’a pas surveillé la progression de la circulation. En raison du nombre réduit de repères visuels et de leur mauvaise qualité, ainsi que de la pression temporelle ressentie par le premier officier, celui-ci ne s’est pas rendu compte que le nez de l’aéronef était aligné avec le bord gauche de la piste lorsqu’il s’est vu confier le rôle de pilote aux commandes peu avant d’entreprendre la course au décollage.

L’enquête a permis de déterminer que peu après, pendant la course au décollage, les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté et cassé 3 feux de bord de piste, endommageant du même coup les pneus et les volets de l’aéronef. Cependant, l’équipage de conduite ne s’en est pas rendu compte, croyant que les bruits et les vibrations correspondaient à un contact normal avec les feux d’axe de piste encastrés et, a par conséquent poursuivi le décollage. Cet aspect de l’événement a révélé un risque particulier pour la sécurité des autres aéronefs. Étant donné que l’aéroport n’est pas équipé d’un système de détection des objets intrus, l’exploitant ou les contrôleurs de l’aéroport n’ont découvert la présence de débris que plusieurs heures après le mauvais alignement au décollage. Si la présence d’objets intrus sur les pistes n’est pas détectée et repérée en temps opportun, il y a un risque que de tels objets endommagent des aéronefs pendant les phases critiques de vol.

L’enquête s’est aussi attardée aux causes du déséquilibre de carburant survenu lors de l’événement. Il est probable que, lors de l’exécution de la liste de vérification avant décollage ou de celle après décollage, l’équipage de conduite a appuyé par inadvertance sur l’interrupteur à bouton-poussoir de flux transversal par gravité plutôt que sur celui de surpassement automatique de flux transversal situé plus ou moins au même endroit. Par conséquent, pendant le vol, le carburant a été périodiquement transféré par gravité entre les réservoirs d’aile de l’aéronef lorsque celui-ci était incliné à gauche ou à droite, ce qui a aggravé le déséquilibre de carburant.

Les directives fournies aux équipages de conduite par l’exploitant aérien, Jazz Aviation LP, et le constructeur, Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group, pour corriger les déséquilibres de carburant sont peu claires et incohérentes. Lorsque le libellé d’une liste de vérification est ambigu ou peu clair ou lorsque le libellé de la liste de vérification d’un exploitant diffère de celui de la liste de vérification fournie par le constructeur, un équipage de conduite peut, pour tenter de remédier à une situation anormale ou d’urgence, exécuter des procédures d’une manière non prévue par le constructeur, ce qui accroît le risque que l’aéronef se retrouve dans un état indésirable. Le pilote automatique étant embrayé, l’aéronef a été placé involontairement en glissade du côté du réservoir d’aile contenant la plus grande quantité de carburant, et ce, sans que l’équipage de conduite s’aperçoive de cette inclinaison opposée. Par conséquent, le déséquilibre latéral de carburant n’a pas été contrôlé et s’est exacerbé. Le déséquilibre de carburant, qui n’était pas lié aux dommages subis pendant la course au décollage, a amené l’équipage à déclarer une situation d’urgence et à dérouter l’aéronef vers un aéroport voisin en vue d’un atterrissage d’urgence. En outre, les listes de vérification de l’aéronef n’exigeaient pas que l’équipage de conduite ferme le robinet de flux transversal par gravité après la tentative d’exécution de la procédure d’intercommunication par gravité. Par conséquent, le robinet ouvert a eu occasionnellement pour effet d’aggraver le déséquilibre de carburant lors des manœuvres qui ont suivi si bien que ce déséquilibre a, à un moment donné, été 3 fois plus élevé que la valeur maximale admissible.

À la suite de l’événement, Jazz Aviation LP a ajouté des avertissements supplémentaires à ses cartes d’aéroports afin de souligner les risques liés aux décollages effectués à partir de zones de seuil décalé. Par exemple, les cartes de l’aéroport international de San Diego comprennent désormais une remarque concernant les départs, qui informe les équipages de conduite de la menace d’une vérification incorrecte de la piste par visibilité réduite et prescrit des mesures supplémentaires à prendre pour vérifier la piste et l’alignement de l’aéronef par rapport à l’axe de piste. Jazz Aviation LP a également publié une note de service concernant les départs à partir des zones de seuil décalé. De plus, l’exploitant aérien a révisé sa procédure de vérification de l’alignement ainsi que sa procédure d’intercommunication par gravité, qui contient désormais davantage de directives sur la façon d’amorcer une glissade.

1.0 Renseignements de base

Le National Transportation Safety Board (NTSB) des États-Unis a délégué l’enquête sur cet événement au BST conformément à l’Annexe 13 de l’OrNote de bas de page 1ganisation de l’aviation civile internationale (OACI).

1.1 Déroulement du vol

Le 29 novembre 2021, l’équipage de conduite de l’événement à l’étude devait effectuer un vol de l’aéroport international de Vancouver (CYVR) (Colombie-Britannique) à l’aéroport international de San Diego (KSAN) (Californie, États-Unis), puis revenir à bord de l’aéronef de l’événement à l’étude, le Mitsubishi Heavy Industries, Ltd. (MHI) CL-600-2D24 (aéronef Regional Jet de la série 900) exploité par Jazz Aviation LP (Jazz). À 17 h 06Note de bas de page 2, l’aéronef est arrivé à KSAN sous l’indicatif de vol JZA766. Immédiatement après ce vol aller, l’équipage, composé de 2 membres d’équipage de conduite et de 2 membres d’équipage de cabine, a commencé à se préparer pour le vol de retour (vol JZA767 selon les règles de vol aux instruments) à bord du même aéronef.

À 17 h 58, après l’embarquement de 69 passagers et l’ajout de carburant (pour un total d’environ 17 700 livresNote de bas de page 3), l’équipage de conduite a démarré le moteur droit tandis que l’aéronef était toujours garé à la porte d’embarquement. L’aéronef a été refoulé de la porte d’embarquement à 18 h 03. Le moteur gauche a été mis en marche et, à 18 h 09, le commandant de bord a fait circuler l’aéronef sur la voie de circulation B en prévision d’un départ sur la piste 27. À ce moment-là, 6 autres aéronefs se trouvaient devant l’aéronef à l’étude en attente d’un décollage sur la piste 27, et 9 autres aéronefs étaient en rapprochement de KSAN pour atterrir dans la direction opposée, sur la piste 09.

En raison d’un retard prévu pour atteindre la piste pour le décollage, un certain nombre d’aéronefs, y compris l’aéronef à l’étude, ont coupé 1 moteur pendant leur circulation au sol afin d’économiser du carburant. L’équipage de conduite de l’aéronef à l’étude a coupé le moteur gauche à 18 h 22.

Vers 18 h 30, le contrôleur de la tour de contrôle de la circulation aérienne (ATC) de KSAN a informé les 3 aéronefs suivants dans la file d’attente (y compris l’aéronef à l’étude) que leur départ commencerait dans environ 5 minutes. Deux minutes après avoir reçu cet avis, l’équipage de l’aéronef à l’étude a redémarré le moteur gauche en suivant la procédure de démarrage par interprélèvement de Jazz, a exécuté la liste de vérification après le démarrage, puis a commencé la liste de vérification avant le décollage.

À 18 h 41 min 16 s, l’aéronef à l’étude a reçu l’autorisation de s’aligner et d’attendre sur la piste 27. Le commandant de bord a d’abord fait circuler l’aéronef le long de l’axe de voie de circulation en franchissant la marque de point d’attente avant piste, puis a poursuivi tout droit, en déviant vers la droite de l’axe de voie de circulation jusqu’au bord de piste (figure 1). Pendant ce temps, le premier officier effectuait les vérifications avant décollage et exécutait les listes de vérification connexes. À 18 h 41 min 46 s, l’aéronef avait effectué un virage pour s’engager sur la piste, mais il était aligné sur le bord gauche de la piste à l’insu de l’équipage de conduite. À 18 h 41 min 53 s, le premier officier a relu l’autorisation de décoller de l’ATC et le commandant de bord lui a alors confié les commandes de l’aéronef. Le premier officier était le pilote aux commandes (PF), et le commandant de bord était le pilote surveillant (PM). À 18 h 41 min 59 s, le PF a poussé les manettes des gaz de l’aéronef et a amorcé la course au décollage environ 1500 pieds avant le seuil décalé de la piste 27.

Figure 1. Route de circulation de l’aéronef de l’événement à l’étude sur la piste 27, d’après les données de l’enregistreur de données de vol (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Route de circulation de l’aéronef de l’événement à l’étude sur la piste 27, d’après les données de l’enregistreur de données de vol (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Pendant la course au décollage, les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté et endommagé 3 feux de bord de piste consécutifs. L’équipage de conduite a entendu des bruits et senti des vibrations, mais il a cru que l’aéronef roulait sur des feux encastrés d’axe de piste et ne s’est donc pas rendu compte du contact avec les feux de bord de piste. À peu près au même moment, le PF a constaté visuellement le mauvais alignement avec la piste et a rectifié la trajectoire de l’aéronef vers l’axe de celle-ci. Au moment où l’aéronef a franchi le seuil décalé de la piste, il s’était décalé latéralement d’environ 40 pieds vers la droite (plus près de l’axe de piste). Lorsqu’il a amorcé le cabrage, à environ 4650 pieds du point où il avait commencé sa course au décollage, il était toujours à environ 40 pieds à gauche de l’axe de piste. L’aéronef n’a jamais atteint l’axe de piste.

Après le décollage, l’aéronef a effectué une montée normale. Environ 1 minute après le décollage, quand l’aéronef a franchi en montée une altitude de 2500 pieds au-dessus du niveau de la mer (ASL), le PM a réglé la puissance de montée.

Environ 3 minutes après le départ, au moment où l’aéronef a atteint une altitude d’environ 6500 pieds ASL, l’équipage de conduite a reçu un message d’avertissement « XFLOW PUMP » du système d’affichage des paramètres moteurs et d’alerte de l’équipage (EICAS) de l’aéronef. Le PM a alors exécuté la procédure relative au message d’avertissement XFLOW PUMP figurant dans le manuel de référence rapide (QRH) de l’aéronefNote de bas de page 4. La liste de vérification de la procédure indique à l’équipage de conduite de déterminer s’il existe un déséquilibre latéral de carburant entre le réservoir d’aile gauche et celui d’aile droite. L’équipage de conduite n’a pas décelé de déséquilibre important, de sorte que, conformément à la liste de vérification, il a continué de surveiller périodiquement la présence d’un déséquilibre pendant que l’aéronef poursuivait sa montée.

Au moment où l’aéronef a franchi le niveau de vol (FL) 310 en montée, approximativement 17 minutes après l’affichage du message d’avertissement « XFLOW PUMP », la quantité de carburant dans le réservoir d’aile gauche a commencé à augmenter tandis que celle dans le réservoir d’aile droit diminuait. À ce moment-là, bien que l’équipage de conduite ne s’en soit pas rendu compte, le carburant était transféré à un débit supérieur à 5000 livres par heure (lb/h). Peu après, l’équipage de conduite s’est rendu compte de ce déséquilibre croissant et a mis l’aéronef en palier à une altitude de croisière au FL340. Tandis que le déséquilibre latéral de carburant continuait de s’accentuer, l’équipage de conduite a tenté d’augmenter la poussée du moteur gauche et de réduire celle du moteur droit afin d’équilibrer le carburant dans les réservoirs.

Environ 25 minutes après l’apparition du premier message d’avertissement « XFLOW PUMP », le déséquilibre de carburant avait dépassé les 800 livres, soit le déséquilibre de carburant maximal admissible en vol préconisé par le constructeur, et un message d’avertissement « FUEL IMBALANCE » s’est affiché sur l’écran de l’EICAS. Ce message d’avertissement fait l’objet d’une procédure particulière décrite dans le QRHNote de bas de page 5. La première étape consiste à s’assurer que le flux transversal automatique fonctionne; toutefois, l’affichage du message d’avertissement « XFLOW PUMP » indiquait que ce n’était pas le cas. Alors, le PM a de nouveau exécuté la liste de vérification de la procédure relative au message d’avertissement « XFLOW PUMP » qui, en cas de déséquilibre de carburant, demande à l’équipage de conduite de suivre la procédure d’intercommunication par gravité.

Pour exécuter la procédure d’intercommunication par gravité du QRH, il faut notamment créer une situation de glissadeNote de bas de page 6Note de bas de page 7. Le PF a exercé une pression sur la gouverne de direction droite pendant les 4 minutes suivantes (approximativement), ce qui a entraîné une glissade, tout en continuant de piloter l’aéronef au moyen du pilote automatique. Au cours de cette procédure, les agents de bord ont ressenti un mouvement vers le bas de l’aile gauche et ont communiqué avec l’équipage de conduite pour se renseigner sur cette assiette de vol anormale. De plus, la quantité de carburant dans le réservoir d’aile gauche a continué d’augmenter jusqu’à ce que le réservoir soit plein, tandis que la quantité de carburant dans le réservoir d’aile droit a continué de diminuer.

La procédure d’intercommunication par gravité du QRH conclut que si un déséquilibre de carburant persiste et ne peut être contrôlé dans les limites prescrites, le moteur alimenté par le réservoir contenant la plus faible quantité de carburant doit être arrêté. L’équipage de conduite a demandé un déroutement vers l’aéroport international de Los Angeles (KLAX) (Californie, États-Unis), situé à environ 112 milles marins (NM), et a reçu l’autorisation d’effectuer un virage à gauche pour amorcer la procédure d’arrivée. Pendant le virage à gauche, l’équipage de conduite a éteint le moteur droit par mesure de précaution. Le PF a continué de piloter l’aéronef, tandis que le PM, durant les minutes qui ont suivi, s’est occupé de la coordination avec l’ATC et avec le service de régulation des vols de Jazz pour le déroutement, de la notification de l’équipage de cabine et des passagers, ainsi que de la planification et de la programmation des ordinateurs de gestion de vol pour l’arrivée et l’approche. À ce moment-là, le déséquilibre de carburant entre les réservoirs droit et gauche avait atteint environ 1700 livres, celui de gauche contenant la plus grande quantité de carburant.

L’équipage de conduite a déclaré une situation d’urgence (MAYDAY) à l’ATC et, tandis que le vol se poursuivait vers KLAX, le déséquilibre de carburant a continué de s’aggraver, atteignant une valeur maximale enregistréeNote de bas de page 8 de 2464 livres. Environ 11 minutes avant l’atterrissage, le carburant a commencé à retourner dans le réservoir d’aile droit sans aucune intervention de l’équipage de conduite. Le transfert de carburant s’est poursuivi pendant environ 7 minutes, ce qui a permis de réduire le déséquilibre à environ 1120 livres.

Environ 3 minutes avant l’atterrissage, après le virage à droite de l’aéronef sur la trajectoire d’approche finale vers KLAX, l’aéronef volait en palier et le carburant a commencé à se transférer de nouveau dans le réservoir d’aile gauche. Au moment de l’atterrissage (vers 19 h 46), le déséquilibre était de 1568 livres, le réservoir gauche contenant la plus grande quantité de carburant.

L’équipage de conduite a immobilisé l’aéronef sur la piste, où le personnel du service de sauvetage et de lutte contre les incendies d’aéronefs de KLAX a constaté que le pneu no 1 du train d’atterrissage principal gauche était à plat et a également signalé la présence de fumée provenant de la roue du train d’atterrissage principal gauche. Les roues ont été aspergées d’eau et la fumée s’est dissipée.

Tous les passagers et membres d’équipage ont débarqué sur la piste en empruntant l’escalier incorporé et ont été transportés à l’aérogare. L’aéronef a été remorqué jusqu’à un hangar-atelier.

1.2 Personnes blessées

Aucun passager ni membre du personnel n’a été blessé.

1.3 Dommages à l’aéronef

Après l’atterrissage à KLAX, les équipes d’intervention d’urgence présentes ont immédiatement constaté que le pneu gauche du train d’atterrissage principal gauche était endommagé. Celui-ci était à plat et son flanc extérieur était déchiré. Une inspection plus approfondie de l’aéronef par les équipes d’intervention d’urgence et l’équipage de conduite a permis de découvrir 2 perforations dans le revêtement intradorsal du volet intérieur de l’aile gauche.

Le personnel de maintenance contractuel a remplacé les roues du train d’atterrissage principal gauche pour permettre le remorquage de l’aéronef depuis la piste. Le personnel de maintenance de Jazz a procédé à des vérifications fonctionnelles et opérationnelles du train d’atterrissage, qui n’ont révélé aucune autre défaillance.

Après l’événement, le personnel de maintenance de Jazz n’a relevé aucun élément apparent indiquant une fuite de carburant et a validé les indications informatiques relatives à la quantité de carburant en mesurant manuellement la quantité de carburant dans chaque réservoir, ce que les données de l’enregistreur de données de vol (FDR) de l’aéronef ont permis d’étayer par la suite.

Dans le cadre de l’examen du circuit carburant de l’aéronef, le personnel de maintenance de Jazz a inspecté l’ordinateur de diagnostic de maintenance et a trouvé, lors d’une vérification de l’historique des données opérationnelles de l’ordinateur de jaugeage carburant (FQGC), qu’un code de défaillance interne (B1-006805) avait été enregistré. Le FQGC a été remplacé. Une vérification de fonctionnement a ensuite été effectuée : aucune défaillance n’a été relevée. Le FQGC de l’événement à l’étude a alors été envoyé au fabricant en vue d’une analyse plus approfondie, mais il a été établi que son matériel ne présentait aucune défaillance. Le personnel de maintenance de Jazz n’a découvert aucun autre signe de défaillance mécanique sur la pompe de flux transversal ou le robinet de flux transversal par gravité, et rien n’indique que l’incident se soit reproduit après le vol à l’étude.

Le 4 décembre 2021, l’aéronef de l’événement à l’étude a été piloté jusqu’à la base de maintenance de Jazz à l’aéroport international de Calgary (CYYC) (Alberta), en vertu d’un permis de convoyage. Les trous de perforation dans le volet intérieur de l’aile gauche ont été réparés conformément à une instruction technique de réparation émise par le constructeur.

L’aéronef a été remis en service le 9 décembre 2021.

1.4 Autres dommages

Étant donné qu’au moment de l’événement l’équipage de conduite ne savait pas que l’aéronef était entré en contact avec les feux de bord de piste, il n’a pas communiqué avec l’ATC pour signaler un possible contact.

Les débris des feux de bord de piste ont été découverts à 2 h 28 le 30 novembre 2021 par un membre de l’équipe au sol des opérations aéroportuaires qui effectuait une inspection de routine de nuit. Les électriciens de l’aéroport ont immédiatement remplacé les 3 feux endommagés.

Rien n’indique qu’il y ait eu des répercussions négatives sur les opérations aéroportuaires entre le moment où les feux ont été endommagés et celui de leur découverte, soit une période de 7 heures et 46 minutes.

1.5 Renseignements sur le personnel

Tableau 1. Renseignements sur le personnel
  Commandant de bord Premier officier
Licence de pilote Licence de pilote de ligne Licence de pilote de ligne
Date d’expiration du certificat médical 1er mai 2022 31 août 2022
Heures totales de vol 24 826 20 213
Heures de vol sur type 11 517 7157
Heures de vol au cours des 7 jours précédant l’événement 22 16
Heures de vol au cours des 30 jours précédant l’événement 48 55
Heures de vol au cours des 90 jours précédant l’événement 162 202
Heures de vol sur type au cours des 90 derniers jours 162 202
Heures de service avant l’événement 6 6
Heures hors service avant la période de travail 120 49

L’équipage de conduite était titulaire des licences appropriées et satisfaisait aux exigences de mise à jour des connaissances pour le vol, conformément à la réglementation en vigueur. Les deux pilotes étaient à l’emploi de Jazz depuis plusieurs années et avaient volé ensemble à de nombreuses reprises. Ils avaient également tous deux effectué régulièrement le trajet entre CYVR et KSAN, et ce, parfois ensemble en tant qu’équipage de conduite.

1.6 Renseignements sur l’aéronef

Tableau 2. Renseignements sur l’aéronef
Constructeur Bombardier Inc.*
Type, modèle et immatriculation CL-600-2D24, aéronef Regional Jet de la série 900, C-GJZV
Année de construction 2016
Numéro de série 15424
Date d’émission du certificat de navigabilité / permis de vol 30 novembre 2016
Total d’heures de vol cellule 11 227,4 heures
Type de moteur (nombre) General Electric CF34-8C5 (2)
Masse maximale autorisée au décollage 38 329 kg (84 500 lb)
Types de carburant recommandés Jet A, Jet A-1, Jet B
Type de carburant utilisé Jet A

* Depuis le 1er juin 2020, le certificat de type de l’aéronef a été transféré à Mitsubishi Heavy Industries, Ltd.

1.6.1 Généralités

L’aéronef Regional Jet de la série 900, conçu à l’origine par Bombardier Inc. et approuvé par Transports Canada (TC) en 2002, est une version allongée de l’aéronef de la série 700. L’aéronef de la série 900 peut accueillir de 76 à 90 passagers; les 35 appareils appartenant à Jazz sont configurés pour accueillir 76 passagers. Au total, 487 aéronefs de la série 900 ont été livrés à 24 exploitants aériens différents dans le monde.

1.6.2 Travaux récents de maintenance de l’aéronef

Entre le 26 novembre et le moment de l’événement, en raison d’une panne du groupe auxiliaire de bord (APU), l’aéronef avait été utilisé conformément aux restrictions de sa liste d’équipement minimal (MEL)Note de bas de page 9. L’APU fournit de l’électricité à l’aéronef lorsque ses moteurs ne sont pas en marche et constitue une source d’air comprimé (provenant de l’air de prélèvement de l’APU) pour le démarrage des 2 moteurs de l’aéronef. Étant donné que l’APU était devenu inutilisable, les équipages de conduite de l’aéronef démarraient 1 moteur en utilisant un groupe de démarrage pneumatique quand ils étaient garés aux portes d’embarquement de l’aéroport. L’aéronef était ensuite refoulé de la porte d’embarquement, puis l’autre moteur était mis en marche en exécutant une procédure de démarrage par interprélèvement (dans laquelle l’air de prélèvement du moteur en marche, plutôt que celui de l’APU, est utilisé). Ce processus prend quelques minutes de plus qu’une procédure de démarrage qui utilise l’APU, mais il s’agit d’une procédure courante chez Jazz et celle-ci est décrite en détail dans les procédures d’exploitation normalisées (SOP) de la compagnie.

1.6.3 Circuit carburant

Le circuit carburant de l’aéronef Regional Jet de la série 900 (également commun aux aéronefs des séries 700 et 1000) se compose de 3 réservoirs structuraux situés dans le caisson d’aile : un réservoir dans chacune des ailes et un réservoir central (figure 2). Le carburant peut être transféré entre les réservoirs d’ailes au moyen d’un circuit de flux transversal alimenté par pompage motorisé (électrique) ou par gravité. Un FQGC mesure la quantité de carburant et sa température; cependant, les relevés relatifs à la quantité de carburant peuvent varier légèrement en raison des changements d’assiette de l’aéronef. Le FQGC contrôle également de façon automatique le transfert de carburant entre les réservoirs d’ailes, ainsi que les transferts de carburant entre le réservoir central et les réservoirs d’ailes par l’intermédiaire des éjecteurs de transfert gauche et droit. L’EICAS dans le poste de pilotage affiche un schéma du circuit de distribution de carburant, et toute anomalie détectée par le FQGC est annoncée sous forme de message visuel.

Figure 2. Circuit de transfert et de flux transversal de carburant de l’aéronef Regional Jet de la série 900 (Source : Mitsubishi Heavy Industries, Ltd., Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group, CSP C-013, Flight Crew Operating Manual, révision 4 [16 février 2010], chapitre 28 : Fuel System, p. 28-13-2.)
Circuit de transfert et de flux transversal de carburant de l’aéronef Regional Jet de la série 900 (Source : Mitsubishi Heavy Industries, Ltd., Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group, CSP C-013, Flight Crew Operating Manual, révision 4 [16 février 2010], chapitre 28 : Fuel System, p. 28-13-2.)
1.6.3.1 Éjecteurs de transfert

Le transfert de carburant du réservoir central aux réservoirs d’ailes est assuré par des éjecteurs de transfert (appelés XFER EJECT sur la figure 2). Les éjecteurs ne sont pas des pompes entraînées par un moteur électrique, mais sont alimentés uniquement par la pression de carburant provenant des circuits d’alimentation réacteur. Le FQGC contrôle l’ouverture des robinets d’arrêt des éjecteurs de transfert lorsque la quantité de carburant du réservoir d’aile associé descend à 93 %, soit environ 7000 livres, et la fermeture lorsque la quantité de carburant atteint 97 % ou environ 7200 livres. Le FQGC continue le cycle de fonctionnement et d’arrêt du circuit de transfert jusqu’à ce que le réservoir central soit vide.

1.6.3.2 Circuit de flux transversal de carburant

Le flux transversal de carburant motorisé ou par gravité permet le transfert de carburant entre les réservoirs d’ailes afin de corriger les déséquilibres de carburant et de maintenir la stabilité latérale. Les équipages de conduite peuvent contrôler les opérations de flux transversal grâce au panneau carburant (figure 3) situé sur le tableau plafond du poste de pilotage. Les positions des interrupteurs du panneau carburant ne sont pas enregistrées par le FDR de l’aéronef.

Figure 3. Panneau carburant du tableau plafond des aéronefs de la série 900 (Source : Mitsubishi Heavy Industries, Ltd., Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group, CSP C-013, Flight Crew Operating Manual, révision 4 [16 février 2010], chapitre 28 : Fuel System, p. 28-13-2.)
Panneau carburant du tableau plafond des aéronefs de la série 900 (Source : Mitsubishi Heavy Industries, Ltd., Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group, CSP C-013, Flight Crew Operating Manual, révision 4 [16 février 2010], chapitre 28 : Fuel System, p. 28-13-2.)

Il s’agit d’interrupteurs à bouton-poussoir à commande simple. Les interrupteurs L et R BOOST PUMP et ceux L et R XFLOW sont en position d’arrêt lorsqu’ils ne sont pas enfoncés. De même, le flux transversal par gravité est arrêté lorsque l’interrupteur GRAVITY XFLOW n’est pas enfoncé. Lorsqu’ils sont enfoncés et allumés (lumière blanche), ces interrupteurs sont en position de marche (ON) ou, dans le cas de l’interrupteur GRAVITY XFLOW, ouvert (OPEN). L’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE, qui porte l’indication « MAN » et qui contrôle le mode du FQGC, est en mode automatique (AUTO) lorsqu’il n’est pas enfoncé et en mode manuel (MAN) lorsqu’il est enfoncé et allumé.

La pompe de flux transversal (XFLOW PUMP sur la figure 2) permet de réaliser des opérations de flux transversal motorisé en mode automatique (lorsque l’interrupteur à bouton-poussoir XFLOW AUTO OVERRIDE n’est pas enfoncé) ou en mode manuel (lorsque l’interrupteur est enfoncé). En mode automatique, le FQGC contrôle le flux transversal motorisé. Lorsque le FQGC détecte un déséquilibre latéral de plus de 200 livres pendant plus de 30 secondes, la pompe de flux transversal se met en marche automatiquement dans la direction requise pour corriger le déséquilibre. De plus, en mode automatique, le FQGC surveille activement la position et l’état de fonctionnement de la pompe de flux transversal grâce à une paire de capteurs à effet HallNote de bas de page 10. Ces capteurs créent une boucle de rétroaction avec le FQGC pour détecter la direction dans laquelle le carburant est transféré.

À l’inverse, un équipage de conduite peut contrôler le flux transversal motorisé en mode manuel en annulant le mode automatique. En mode manuel, l’équipage de conduite contrôle le flux en enfonçant d’abord l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE, puis en sélectionnant la direction du carburant dans la pompe de flux transversal en enfonçant soit l’interrupteur L XFLOW, soit l’interrupteur R XFLOW. Dans le cas où l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE est enfoncé, mais pas l’interrupteur L XFLOW ni l’interrupteur R XFLOW, il y aura annulation du circuit de transfert automatique et le flux transversal motorisé n’a pas lieu.

D’après Mitsubishi Heavy Industries Regional Jet Aviation Group (MHI RJ), la pompe de flux transversal est capable de transférer du carburant à un débit d’environ 1700 à 2500 livres par heure (lb/h) (environ 28 à 42 lb/min), selon la température et la densité du carburant.

En plus de la pompe de flux transversal, les aéronefs de toutes les séries du Regional Jet sont équipés d’un circuit de flux transversal par gravité qui sert de circuit d’appoint pour le transfert de carburant motorisé. En cas de défaillance du circuit de flux transversal motorisé, l’équipage de conduite peut ouvrir le robinet de flux transversal par gravité (qui relie le réservoir d’aile gauche au droit) et permettre le transfert de carburant par gravité entre les réservoirs en enfonçant l’interrupteur à bouton-poussoir GRAVITY XFLOW situé sur le panneau carburant du tableau plafond du poste de pilotage de l’aéronef. L’interrupteur et le robinet qu’il commande n’ont aucun lien avec le FQGC, et, de la même façon, aucun lien avec la pompe de flux transversal ou son interrupteur. L’EICAS affichera le message GRAV XFLOW FAIL lorsque le robinet de flux transversal n’est pas dans la position sélectionnée. L’équipage de conduite n’a pas signalé l’affichage du message au cours du vol à l’étude.

Les exigences de conception du circuit de flux transversal par gravité de l’aéronef établissent un débit de transfert de 8000 lb/h (130 lb/min). Lors de l’élaboration du circuit, les essais de performance de l’aéronef ont démontré que le débit de transfert moyen du circuit était de 3000 lb/h (50 lb/min) au sol, lorsque l’angle de roulis était nul et que les moteurs tournaient au ralenti. Les vérifications de performance en vol ont démontré qu’un angle de glissade de 5° permettait d’obtenir un débit de transfert de 19 200 lb/h (320 lb/min) et qu’un angle de glissade de 10° permettait d’obtenir un débit de transfert de 24 000 lb/h (400 lb/min). Bien qu’il s’agisse des performances démontrées de l’aéronef, les débits réels varient en fonction des éléments suivants :

Au cours de l’enquête, MHI RJ a souligné qu’une analyse de défaillance effectuée pendant les essais du circuit avait démontré que le débit de transfert par gravité permettait de réduire considérablement le déséquilibre dans le cas d’une pompe de flux transversal en panne. Le débit de transfert, tel qu’il est décrit dans la procédure d’intercommunication par gravité du QRH de MHI RJNote de bas de page 11, peut atteindre 100 lb/min.

1.7 Renseignements météorologiques

Durant le vol aller de l’équipage de conduite en direction de KSAN et pendant qu’il était au sol là-bas, les conditions météorologiques à la destination du vol en question, CYVR, ainsi qu’à l’aéroport de dégagement, l’aéroport international de Calgary (CYYC) (Alberta), sont demeurées favorables aux conditions de vol à vue.

L’aéronef, lors de son vol aller, a atterri à KSAN à 17 h 03. À ce moment-là, le plus récent message d’observation météorologique régulière d’aérodrome (METAR)Note de bas de page 12 de l’aéroport indiquait que les conditions météorologiques étaient les suivantes : vents soufflant du 310° vrai (V) à 4 nœuds, visibilité de 10 milles terrestres (SM) et quelques nuages à 200 pieds au-dessus du sol (AGL).

Le soleil s’est couché à l’aéroport à 16 h 42; le vol aller est donc arrivé au crépuscule civil du soirNote de bas de page 13. À 18 h 03, pendant les heures d’obscurité, l’aéronef a été refoulé de la porte d’embarquement de l’aérogare pour amorcer sa circulation en vue du décollage du vol à l’étude.

Pendant que l’équipage de conduite se préparait pour le vol à l’étude à destination de CYVR, les conditions météorologiques à KSAN se sont détériorées en raison d’un banc de brouillard qui approchait. À 17 h 49, le METAR pour KSAN indiquait des vents calmes, une visibilité de 3 SM, de la brume et une couche de nuages fragmentés à 200 pieds AGL. Alors que la visibilité dominante était de 3 SM, la visibilité observée autour de la tour ATC était variable et allait de ¾ SM à l’ouest et au sud-ouest, jusqu’à 4 SM au nord-est et au sud-est.

Vers 18 h 42, lorsque l’aéronef a décollé pour le vol à l’étude, les conditions météorologiques continuaient de se dégrader. Le plus récent METAR, émis à 18 h 35 et diffusé sur la fréquence du service automatique d’information de région terminale (ATIS) de l’aéroport, indiquait ce qui suit :

Compte tenu des observations météorologiques, les conditions de visibilité à divers endroits de l’aéroport étaient très variables pendant la course au décollage de l’aéronef. Alors que la visibilité à l’extrémité ouest de la piste s’était dégradée pour atteindre environ ¼ SM, la visibilité à l’extrémité est, où l’aéronef a amorcé son décollage, s’était également dégradée, mais de façon moins importante (elle était d’au moins ½ SM). Au moment du décollage, l’équipage de conduite ne voyait pas clairement l’extrémité de la piste ni les bâtiments de l’aéroport.

En raison du déséquilibre de carburant en vol, l’aéronef a été dérouté vers KLAX. Les METAR publiés pendant le déroutement et l’atterrissage indiquaient tous un ciel dégagé, des vents légers et une visibilité de 10 SM.

1.8 Aides à la navigation

KSAN dispose de nombreuses approches pour la piste 09 et la piste 27. Chacune de ces pistes dispose d’un radiophare d’alignement de piste (LOC) traditionnel distinct, mais la piste 09 est également dotée d’un alignement de descente pour un système d’atterrissage aux instruments (ILS). Tous ces systèmes étaient en état de service au moment de l’événement à l’étude.

1.9 Communications

Pendant que l’aéronef de l’événement à l’étude attendait son autorisation de décollage, 9 autres aéronefs étaient en approche vers la piste 09. L’équipage de conduite du 6e aéronef à atterrir sur la piste 09 a indiqué au contrôleur tour de KSAN, vers 18 h 34, qu’il n’avait pas vu l’environnement de la piste avant d’avoir atteint l’altitude minimale en approche.

À 18 h 35, KSAN a émis un message d’observation météorologique à jour (tel qu’il est décrit à la section 1.7 Renseignements météorologiques), qui a été diffusé sur la fréquence de l’ATIS. Environ 1 minute plus tard, le contrôleur tour a informé les aéronefs sur la fréquence de la tour que le nouveau rapport d’observation météorologique était disponible sur l’ATIS.

Les 3 aéronefs suivants en approche ont été informés par le contrôleur tour qu’ils devaient s’attendre à voir l’environnement de la piste seulement au moment où ils atteindraient l’altitude minimale en approche. De ces 3 aéronefs, 2 ont atterri; l’équipage du 3e a effectué une approche interrompue vers 18 h 39, et a indiqué peu après au contrôleur tour qu’il ne voyait pas l’environnement de la piste à l’altitude minimale.

Le contrôleur tour de KSAN n’a pas su que l’aéronef de l’événement à l’étude avait fait une sortie de piste jusqu’à ce que le personnel de l’aéroport découvre les feux brisés 7 heures et 46 minutes plus tard. Par conséquent, la tour n’a pas pu alerter l’équipage de conduite de l’aéronef de l’événement à l’étude pendant qu’il était encore en vol.

1.10 Renseignements sur l’aérodrome

KSAN est un aéroport à piste unique situé sur la rive nord de la baie de San Diego et entouré par la ville de San Diego (figure 4). KSAN est l’un des aéroports de service commercial à piste unique les plus achalandés au monde et le 3e aéroport en importance en ce qui concerne l’achalandage en Californie. La piste 09/27 de l’aéroport mesure 200 pieds de largeur et 9400 pieds de longueur. Toutefois, le seuil de la piste 09 est décalé de façon permanente de 1000 pieds et celui de la piste 27 est décalé de façon permanente de 1810 pieds. La piste 27 comprend également un dispositif d’arrêt à matériau absorbant (EMAS)Note de bas de page 14, qui mesure 315 pieds de long et qui est situé immédiatement à l’ouest du seuil de la piste 09.

Figure 4. Vue de l’aéroport international de San Diego et de la piste 09/27 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Vue de l’aéroport international de San Diego et de la piste 09/27 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Le point d’entrée de la voie de circulation B1 sur la piste 27 se trouve directement en face de celui de la voie de circulation C1, qui entre sur la piste par le côté nord. La piste elle-même mesure 200 pieds de large, mais la largeur de la surface revêtue à cette intersection, où l’aéronef de l’événement à l’étude a amorcé son décollage, est d’environ 870 pieds. La chaussée s’étend sur environ 260 pieds à gauche du bord sud de la piste et 410 pieds à droite du bord nord de la piste (figure 5).

Figure 5. Carte montrant la largeur des surfaces revêtues adjacentes à la piste 27 de l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Carte montrant la largeur des surfaces revêtues adjacentes à la piste 27 de l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Jazz assure des vols quotidiens réguliers entre CYVR et KSAN. L’enquête s’est penchée sur les tendances typiques d’arrivée et de départ des vols aller (CYVR-KSAN) ainsi que des vols de retour (KSAN-CYVR) pendant une période de 3 mois autour de la date de l’événement à l’étude. Parmi les 158 vols individuels étudiés, environ 94 % des atterrissages et décollages effectués à KSAN ont été réalisés sur la piste 27. Au cours de cette période, il est arrivé seulement 3 fois qu’un vol aller atterrisse sur la piste 09, alors que le vol de retour a décollé de la piste 27.

1.10.1 Environnements visuels des seuils de piste et des seuils décalés

Les normes canadiennes et américaines en matière de marques de seuil de piste sont très semblables. Les marques de seuil de piste permettent de repérer le début de la piste disponible pour l’atterrissage. Ces marques sont des bandes longitudinales peintes en blanc qui s’étendent latéralement sur la largeur approximative de la piste. Les caractéristiques des bandes sont déterminées par la certification de la piste, par la largeur de celle-ci, ainsi que par la catégorie d’approche dont elle fait l’objet.

De plus, la marque d’identification de piste est le numéro de piste peint et centré sur l’axe de piste et située à 12 m du bord supérieur de la marque de seuil de piste.

Dans certains cas, le seuil d’atterrissage peut être déplacé ou décalé; par exemple, lorsque des obstacles naturels ou artificiels interfèrent avec les trajectoires d’approche de la piste et leur utilisation doit être limitée. Aux États-Unis, [traduction]

[un] seuil décalé est un seuil situé à un point de la piste autre que le début désigné de la piste. Le décalage d’un seuil réduit la longueur de piste disponible pour les atterrissages. La partie de la piste située derrière un seuil décalé est disponible pour les décollages dans l’une ou l’autre des directions et pour les atterrissages dans la direction opposée. Une barre de seuil blanche d’une largeur de 10 pieds est présente sur toute la largeur de la piste à la hauteur du seuil décalé. Des flèches blanches sont positionnées le long de l’axe dans la zone entre le début de la piste et le seuil décaléNote de bas de page 15.

Les normes canadiennes indiquent que la pointe de flèche doit mesurer 10 m de long et le fût au moins 20 mNote de bas de page 16. Les normes américaines sont semblables puisqu’elles imposent des longueurs de 13,5 m et 24 m, respectivement. La partie décalée d’une piste peut être utilisée pour la circulation au sol et le décollage. Elle peut également être utilisée pour la course de décélération après un atterrissage à l’extrémité opposée.

Figure 6. Seuil de piste (en haut) et zone de seuil décalée (en bas) à l’aéroport international de Vancouver (Source : Google Earth)
Seuil de piste (en haut) et zone de seuil décalée (en bas) à l’aéroport international de Vancouver (Source : Google Earth)
Figure 7. Seuil de piste (en haut) et zone de seuil décalée (en bas) à l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth)
Seuil de piste (en haut) et zone de seuil décalée (en bas) à l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth)

Les intersections entre les pistes ou les voies de circulation, comme l’intersection à partir de laquelle l’aéronef de l’événement à l’étude a commencé sa course au décollage, ont un environnement visuel semblable à celui des zones de seuil décalées (dans le sens où il n’y a aucune marque définissant la largeur). Un grand nombre d’exploitants aériens se sont dotés de politiques concernant les départs aux intersections. Par exemple, Jazz autorise les décollages à partir d’intersections, mais la politique repose sur le fait que l’équipage de conduite doit être en mesure de déterminer si la longueur de piste est suffisanteNote de bas de page 17.

1.10.2 Marques d’axe de voie de circulation

Les marques d’axe de voie de circulation fournissent aux équipages de conduite un guidage visuel continu le long d’une trajectoire désignée. Selon la norme de la Federal Aviation Administration (FAA) relative aux marques présentes aux aéroports, les marques d’axe sur une voie de circulation qui mène à la piste peuvent se terminer au bord de la piste. Cependant, pour les voies de circulation qui entrent sur la piste dans une zone de seuil décalé, les marques d’axe de voie de circulation continuent sur la piste et se prolongent parallèlement aux flèches qui mènent au seuil décalé sur au moins 200 pieds au-delà du point de tangence ou jusqu’à la barre de seuil décalé, selon la distance la plus courteNote de bas de page 18.

Les marques d’axe de voie de circulation fournissent ainsi aux équipages de conduite des repères pour atteindre la piste; toutefois, elles réduisent légèrement la longueur disponible pour le décollage si un équipage roule jusqu’à l’endroit où ces marques deviennent tangentes avec les marques de seuil décalé. À KSAN, les marques d’axe sur la voie de circulation B1 atteignent la tangence à environ 425 pieds au-delà du début de la piste 27.

Lors de l’événement à l’étude, l’aéronef s’est engagé sur la piste 27 à partir de la voie de circulation B1, où les marques d’axe de voie de circulation se prolongeaient jusqu’au centre de la piste. De plus, l’intersection de la voie de circulation B1 et de la piste 27 est également dotée d’un balisage lumineux encastré le long d’une partie des marques d’axe de voie de circulation. Toutefois, il ne s’agit pas du balisage lumineux d’axe de voies de circulation, mais plutôt du système de feux d’état de la piste (RWSL). Les RWSL forment un système d’avertissement entièrement automatique (c’est-à-dire qu’ils ne nécessitent aucune activation de la part des contrôleurs de la circulation aérienne) conçu pour réduire le nombre d’incursions sur piste. Lorsqu’ils sont allumés, les RWSL indiquent aux équipages de conduite ou aux conducteurs de véhicules aéroportuaires que la piste est occupée ou qu’un aéronef est en approche de celle-ci. Lorsque le système détecte un aéronef sur la piste et à proximité de l’intersection, le balisage lumineux encastré passe automatiquement au rouge. Au moment de l’événement à l’étude, des systèmes RWSL étaient installés dans 20 aéroports aux États-Unis. Le soir de l’événement à l’étude, le système RWSL fonctionnait à KSAN et les feux rouges étaient allumés en direction de l’aéronef à l’étude alors que l’aéronef qui le précédait se trouvait à l’intersection de la piste 27 et de la voie de circulation B1 au début de sa course au décollage. Les feux rouges se sont éteints automatiquement et, peu après, l’ATC a autorisé l’aéronef à l’étude à s’aligner sur la piste 27.

1.10.3 Marques de bord de piste

Les marques de bord de piste (connues sous le nom de marques latérales de piste au Canada) améliorent le contraste visuel entre les bords de piste et le relief environnant ou les accotements de piste et définissent la largeur de la piste. Les marques latérales se présentent sous la forme d’une bande parallèle sur chacun des bords de la piste. Les normes canadiennes régissant les marques de piste des aérodromes prévoient que les bandes latérales sont interrompues aux intersections entre 2 pistes ou aux intersections entre 1 piste et 1 voie de circulation (figure 8)Note de bas de page 19Note de bas de page 20. En revanche, la norme américaineNote de bas de page 21 relative aux marques de bord de piste précise que les pistes doivent présenter des marques de bord de piste ininterrompues (figure 9).

Figure 8. Marques latérales de piste à l’aéroport international de Vancouver (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Marques latérales de piste à l’aéroport international de Vancouver (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Figure 9. Marques de bord de piste à l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Marques de bord de piste à l’aéroport international de San Diego (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Les marques de bord de piste à KSAN avaient été peintes pour la dernière fois en mai 2020, soit 18 mois avant l’événement à l’étude. De plus, en juin 2021, la FAA avait effectué son inspection de sécurité annuelle à KSAN, dont l’un des éléments consistait à vérifier la conformité des marques de piste avec les normes en vigueur.

1.10.4 Marques d’accotement de piste

Les accotements de piste sont les zones adjacentes aux bords définis de la piste qui offrent une résistance à l’érosion due au souffle des moteurs et qui permettent le passage de l’équipement de maintenance et d’urgence. Les accotements revêtus aident à réduire la quantité de terre et de débris qui pénètrent sur la piste, offrent une zone de dégagement plus lisse pour les sorties de piste latérales et permettent le passage des véhicules destinés aux opérations aéroportuaires sans utiliser la surface de la piste.

Bien que les normes américainesNote de bas de page 22 relatives à la géométrie des pistes indiquent que les surfaces stabilisées, comme le gazon ou le pavage à faible coût, conviennent pour l’accotement, les surfaces d’accotement revêtues sont requises pour les pistes qui accueillent des aéronefs ayant une envergure de 36 m ou plus et une hauteur de queue de 13,7 m ou plus (les mesures approximatives d’un Boeing 767).

Aux États-Unis, les accotements de piste peuvent présenter des marques pour mieux les distinguer de la piste. Dans ce cas, elles sont constituées de bandes orientées à 45° par rapport à l’axe de piste et peintes en jauneNote de bas de page 23.

Les accotements de piste et de voie de circulation à KSAN sont peints en vert foncé avec des rayures jaunes. L’accotement de piste du côté sud de la piste 27, à proximité de l’entrée de la voie de circulation B1, a une largeur de 64 pieds, dont 50 pieds sont peints et rayés. Cependant, il y a aussi une zone revêtue non marquée et non peinte qui s’étend sur 125 pieds entre l’accotement de la piste 27 et le bord nord de la voie de circulation B1. Elle couvre le rayon intérieur du virage où la voie de circulation B1 rencontre la piste 27 (figure 10). À l’endroit où l’aéronef de l’événement à l’étude s’est aligné avec la piste et s’est immobilisé, l’accotement peint se trouvait à une distance d’environ 180 pieds devant lui. La figure 12 de la section 1.10.5 Balisage lumineux de piste offre une représentation de l’environnement visuel de l’équipage de conduite, dans lequel l’accotement est visible.

Figure 10. Configuration de l’accotement de la piste 27 à la hauteur de la voie de circulation B1 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Configuration de l’accotement de la piste 27 à la hauteur de la voie de circulation B1 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

Les normes canadiennes ne comprennent pas de dispositions exigeant l’ajout d’accotements de piste ou de leurs marques. L’enquête s’est intéressée à 18 aéroports canadiens régulièrement desservis par JazzNote de bas de page 24. Parmi ceux-ci, 9 présentaient des complexes de piste sans accotements définis, tandis que les 9 autres avaient des accotements de piste définis d’une largeur allant de 5 pieds à un maximum de 25 pieds.

1.10.5 Balisage lumineux de piste

Au Canada et aux États-Unis, la norme relative au balisage lumineux de bord de piste exige que celui-ci émette une lumière blanche. Au fur et mesure qu’un aéronef s’approche de la fin du balisage lumineux de piste, la couleur du balisage passe du blanc au jaune, ce qui indique les 600 derniers mètres (ou 610 m aux États-Unis) de la piste, qui peuvent comprendre un seuil décalé. Lorsqu’un seuil de piste est décalé, le balisage lumineux de bord de piste situé dans la zone avant le seuil décalé émet une lumière rouge orientée vers l’aéronef en approcheNote de bas de page 25,Note de bas de page 26 et une lumière jaune dans la direction opposée (figure 11).
Figure 11. Couleurs du balisage de bord de piste et d’axe de piste (Source : Transports Canada, TP 312F, Aérodromes - Normes et pratiques recommandées, 5e édition, modification 1 [en vigueur le 15 janvier 2020], figure 5-37 : Feux de bord de piste, d’axe de piste et de zone de poser, p. 172.)
Couleurs du balisage de bord de piste et d’axe de piste (Source : Transports Canada, TP 312F, Aérodromes - Normes et pratiques recommandées, 5e édition, modification 1 [en vigueur le 15 janvier 2020], figure 5-37 : Feux de bord de piste, d’axe de piste et de zone de poser, p. 172.)

Tous les feux de bord de piste sont disposés en 2 rangées parallèles, chacun équidistant de l’axe de piste, et présentent un intervalle uniforme ne dépassant pas 60 m (ou 61 m aux États-Unis).

Si une piste est équipée de balisage lumineux d’axe de piste, ces feux émettent une lumière blanche orientée vers l’aéronef en approche. Pour avertir les équipages de conduite de l’extrémité imminente d’une piste, la coloration passe au rouge et au blanc en alternance pour les 900 derniers mètres, puis au rouge pour les 300 derniers mètres (figure 11)Note de bas de page 27Note de bas de page 28.

La piste 27 de KSAN est munie de feux de bord de piste et d’axe de piste. La plupart des feux de bord de piste sont surélevés par rapport à la surface de la piste et reposent sur des bases frangibles. Cependant, un certain nombre de feux de bord de piste sont encastrés dans le bord de la piste, notamment les feux de bord de piste qui traversent la voie de circulation B1 à l’endroit où elle s’engage sur la piste 27. De plus, compte tenu de la longueur de la zone de seuil décalé de la piste, le balisage lumineux d’approche de piste est également encastré dans la surface revêtue. Par conséquent, le 1er feu de bord de piste situé devant l’aéronef de l’événement à l’étude, lorsqu’il s’est aligné sur le bord de piste, était encastré dans la surface de la piste, de la même façon que le balisage lumineux d’approche sur l’axe de piste (figure 12).

Figure 12. Représentation visuelle approximative de l’environnement de la piste, telle qu’elle est visible par l’équipage de conduite de l’événement à l’étude, alors que l’aéronef était aligné avec les marques du bord gauche de la piste (Source : San Diego County Regional Airport Authority, avec des ajustements de transparence apportés à l’image par le BST pour recréer la visibilité lors de l’événement)
Représentation visuelle approximative de l’environnement de la piste, telle qu’elle est visible par l’équipage de conduite de l’événement à l’étude, alors que l’aéronef était aligné avec les marques du bord gauche de la piste (Source : San Diego County Regional Airport Authority, avec des ajustements de transparence apportés à l’image par le BST pour recréer la visibilité lors de l’événement)

Les deux extrémités de la piste 09/27 de KSAN sont munies d’un balisage lumineux d’approche de moyenne intensité. La majeure partie du balisage lumineux d’approche de chaque piste est encastrée dans la surface de celle-ci, dans la zone avant le seuil décalé. Les feux encastrés dépassent légèrement de la surface et peuvent rendre la circulation et la course au décollage cahoteuses. Selon la norme relative à la configuration de l’installation de balisage lumineux [traduction] :

la commande des feux d’approche et des feux d’axe de la zone de seuil décalé est interverrouillée pour s’assurer que, lorsque les feux d’approche sont allumés, les feux d’axe de la zone décalée sont éteints, et vice versaNote de bas de page 29.

La piste 09 était utilisée pour des approches au moment de l’événement à l’étude, ce qui signifie que les feux d’axe de la zone de seuil décalé de la piste 09 étaient éteints, mais que ceux de la zone de seuil décalé de la piste 27 étaient allumés.

Les normes canadiennes et américaines en matière de balisage lumineux des aéroports sont semblables. Entre le coucher et le lever du soleil, ou lorsque d’autres conditions environnementales particulières persistent, les feux de bord de piste et d’axe de piste (s’ils sont installés) doivent être allumés pour les aéronefs au départ. Le balisage lumineux d’approche doit être allumé uniquement pour la piste d’atterrissage desservie par les feux. Toutefois, les contrôleurs peuvent allumer les feux autrement, s’ils le jugent nécessaire, et les pilotes peuvent également demander que le balisage lumineux d’approche soit allumé.

Lors du décollage de l’aéronef de l’événement à l’étude, les feux de bord de piste et d’axe de piste étaient allumés. Puisque la piste 09 était utilisée pour les arrivées, le balisage lumineux d’approche encastré de la piste 27, dans la zone située derrière le seuil décalé, était éteint.

Pendant la course au décollage, l’aéronef de l’événement à l’étude a heurté et sectionné 3 feux de bord de piste hors-sol consécutifs (étiquetés E-14, E-16 et E-18 sur la figure 13).

Figure 13. Trajectoire de décollage de l’aéronef de l’événement à l’étude fondée sur les données tirées de l’enregistreur de données de vol par rapport au balisage lumineux de bord de la piste 27 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)
Trajectoire de décollage de l’aéronef de l’événement à l’étude fondée sur les données tirées de l’enregistreur de données de vol par rapport au balisage lumineux de bord de la piste 27 (Source : Google Earth, avec annotations du BST)

1.10.6 Départs et arrivées aux deux extrémités de la piste à l’aéroport international de San Diego

Lorsque les conditions météorologiques sont mauvaises, les approches et les atterrissages sont souvent effectués sur la piste 09, qui offre une approche de précision assortie de limites de visibilité et d’altitude publiées inférieures à celles de la piste 27. Par contre, la piste 27 est la piste de choix pour les décollages en raison de la pente de montée plus faible qu’elle requiert (les aéronefs décollent vers l’océan plutôt que vers le relief ascendant) et du bruit moins important qu’elle entraîne au-dessus de la ville. Dans une pratique communément appelée « opérations 9/27 », la tour de contrôle collabore avec le contrôleur d’approche/des départs pendant une période précise au cours de laquelle des départs successifs décollent, suivis d’une autre période au cours de laquelle des arrivées successives atterrissent. Il n’existe aucune procédure détaillée relative à la commutation des feux d’approche pour ces périodes et cette configuration de piste, et les contrôleurs doivent respecter les normes établies par la FAA pour les systèmes de balisage lumineux des aéroportsNote de bas de page 30.

1.10.7 Aides de la tour de l’aéroport international de San Diego

KSAN est l’un des 35 aéroports dotés d’une tour de contrôle aux États-Unis qui utilisent un équipement aéroportuaire de détection de surface – modèle X (ASDE-X). Le système utilise un radar ATC, des capteurs de multilatération et des capteurs satellitaires pour fournir aux contrôleurs de la circulation aérienne la position et l’identification de tous les aéronefs et véhicules présents sur l’aire de mouvement de l’aéroport. L’ASDE-X a été mis au point pour aider à réduire les incursions sur piste et, à KSAN, il fonctionne de concert avec le système RWSL de l’aéroport, qui indique de façon visuelle aux équipages de conduite et aux conducteurs de véhicules l’état d’une piste. ASDE-X alerte également de façon automatique les contrôleurs de la circulation aérienne en cas de conflit potentiel sur piste.

Toutefois, étant donné qu’il n’est pas conçu pour émettre des alertes en cas de mauvais alignement latéral d’un aéronef sur une piste, le contrôleur de la circulation aérienne n’a reçu aucune alerte en ce sens. Par conséquent, le contrôleur, qui travaillait de nuit et dans des conditions de visibilité réduite, ne s’est pas rendu compte du mauvais alignement de l’aéronef de l’événement à l’étude pour le décollage.

En outre, KSAN n’est pas muni d’un système de détection des objets intrus, conçu pour détecter les objets qui se trouvent sur la surface des pistes et alerter le personnel de l’aéroport de leur présence. Après le mauvais alignement lors du décollage de l’aéronef, les contrôleurs et l’exploitant de l’aéroport ne se sont donc pas aperçus de l’absence des feux de bord de piste et de la présence de débris sur la piste pendant les 7 heures et 46 minutes qui ont suivi.

1.10.8 Historique des sorties latérales de piste à l’aéroport international de San Diego

La FAA a été en mesure de fournir des renseignements détaillés sur les événements de sortie de piste latérale connus à KSAN. Ces dossiers montrent qu’au cours des 5 années précédant l’événement à l’étude, 6 sorties de piste latérales se sont produites à l’aéroport. Deux d’entre elles étaient le résultat direct d’un problème mécanique de l’aéronef. Dans le cas des 4 autres, l’aéronef est sorti de la piste en raison de la perception visuelle par l’équipage de conduite de l’environnement de la surface revêtue, et plus précisément des zones d’asphalte peintes en vert avec des bandes jaunes et contenues dans les accotements de piste, ainsi que des îlots peints.

Aux États-Unis, la National Aeronautics and Space Administration (NASA) gère l’Aviation Safety Reporting System (ASRS), dans le cadre duquel les rapports d’incident décrivant des événements ou des situations dangereuses présentés volontairement par des pilotes, des contrôleurs de la circulation aérienne et d’autres personnes du secteur de l’aviation sont enregistrés, traités et analysés. L’ASRS contient 7 rapports volontaires de sorties de piste latérales qui se sont produites à KSAN depuis 1990. Parmi ces rapports, 2 concernent des équipages de conduite qui sont sortis de la piste sur les accotements de piste et les îlots peints, car ils avaient eu l’impression qu’il s’agissait d’une voie de circulation. Les 5 autres événements concernent de mauvais alignements de piste survenus la nuit, au cours desquels les équipages de conduite ont tenté de décoller, ou ont réussi à décoller, tout en confondant les marques et les feux de bord de piste dans la zone de seuil décalé de la piste 27 avec l’axe de piste.

L’Accident and Incident Data SystemNote de bas de page 31 de la FAA contient un autre événementNote de bas de page 32 au cours duquel l’équipage de conduite qui effectuait un décollage de nuit depuis la zone située avant le seuil décalé de la piste 27 a aligné l’aéronef avec le bord de piste et a heurté 4 feux de bord de piste pendant le décollage.

1.11 Enregistreurs de bord

L’aéronef était doté d’un FDR numérique et d’un enregistreur de conversations de poste de pilotage (CVR).

Les données ont été récupérées du FDR numérique et traitées au Laboratoire d’ingénierie du BST à Ottawa (Ontario). Elles contenaient 444 paramètres enregistrés et couvraient plus de 500 heures.

Le CVR a été retiré par un organisme de maintenance sous contrat avec Jazz et expédié au Laboratoire d’ingénierie du BST. L’enregistrement durait 2 heures et 4 minutes et provenait de 4 canaux. Le laboratoire a constaté que la qualité d’enregistrement du microphone du poste de pilotage était excellente. Il n’y avait pas de données de communication entre les membres de l’équipage parce que le CVR n’a été isolé qu’environ 4 heures après l’atterrissage de l’aéronef à KLAX. Par conséquent, l’enregistrement de l’événement à l’étude a été écrasé et les renseignements qui auraient pu être importants pour l’enquête ont été perdus.

1.12 Renseignements sur l’épave et sur l’impact

Sans objet.

1.13 Renseignements médicaux et pathologiques

Selon les renseignements recueillis au cours de l’enquête, rien n’indique que des facteurs médicaux ont nui au rendement de l’équipage de conduite.

1.14 Incendie

Sans objet.

1.15 Questions relatives à la survie des occupants

Sans objet.

1.16 Essais et recherche

1.16.1 Essais relatifs à l’environnement visuel du seuil de piste

Afin de mieux comprendre l’environnement visuel dans lequel l’équipage de conduite de l’événement à l’étude s’est retrouvé lorsqu’il a décollé dans la zone de seuil décalé de la piste 27, l’enquête a simulé un modèle de piste représentatif qui correspond à peu près à l’accotement, aux marques et au balisage lumineux de la piste à KSAN. Les conditions environnementales allaient d’une visibilité de ½ SMNote de bas de page 33 à une visibilité illimitée; les conditions variaient également entre le jour et la nuit. Les images prises à partir de la zone de seuil décalé (figure 14) ont permis de démontrer dans le cadre de l’enquête le degré d’importance des marques de piste lorsqu’un équipage de conduite évalue l’alignement latéral d’un aéronef par rapport à la piste. Elles ont également montré la manière dont l’accotement revêtu de la piste contribue à l’environnement visuel global.

Figure 14. Simulation d’environnements de piste au bord gauche de la piste. Dans le sens horaire, à partir du haut à gauche : de jour, au seuil de la piste; de nuit avec visibilité réduite, au seuil de la piste; de nuit, dans la zone de seuil décalé; de jour, dans la zone de seuil décalé. (Source : BST)
Simulation d’environnements de piste au bord gauche de la piste. Dans le sens horaire, à partir du haut à gauche : de jour, au seuil de la piste; de nuit avec visibilité réduite, au seuil de la piste; de nuit, dans la zone de seuil décalé; de jour, dans la zone de seuil décalé. (Source : BST)

1.16.2 Analyse des données de vol

Les données de vol enregistrées indiquent que l’aéronef de l’événement à l’étude a décollé de KSAN à 18 h 42 min 38 s (annexe A) et que l’équipage de conduite a réduit la poussée des moteurs à la poussée de montée environ 1 minute plus tard. À ce moment-là, la charge de carburant était équilibrée sur le plan latéral. Au cours des 2 minutes suivantes, la quantité de carburant enregistrée dans le réservoir d’aile droit et le réservoir central a diminué, mais la quantité de carburant dans le réservoir d’aile gauche est demeurée stable.

Environ 3 minutes après le départ, le FQGC a détecté un léger déséquilibre latéral – le réservoir de carburant gauche pesait environ 220 livres de plus.

Le léger déséquilibre a persisté tandis que l’aéronef poursuivait sa montée. Au cours de cette période, la quantité de carburant dans le réservoir d’aile droit a fluctué plus ou moins autour des seuils prévus pour permettre l’utilisation des éjecteurs de transfert du réservoir central par le FQGC. Toutefois, pendant la même période, la quantité de carburant dans le réservoir d’aile gauche est restée relativement stable. Selon les données du FDR, une fois que l’aéronef a franchi les 10 000 pieds ASL, l’aéronef était piloté selon un angle d’inclinaison à gauche constant d’environ 1°, alors que l’angle d’inclinaison moyen au sol avant le décollage était d’environ 0,5°.

L’enquête a également permis de calculer que la quantité totale de carburant consommée par les deux moteurs correspondait à la quantité de carburant transférée du réservoir central au réservoir d’aile droit par les éjecteurs de transfert. Étant donné que le carburant ne peut pas être acheminé directement du réservoir central aux moteurs, ce calcul indique que la totalité du carburant consommé par les deux moteurs provenait en général uniquement du réservoir d’aile droit.

C’est au moment où l’aéronef a franchi le FL310 en montée que le déséquilibre latéral de carburant a commencé à se manifester de façon plus importante. Cette partie du vol coïncide avec la réduction de la consommation de carburant des moteurs à un débit approximativement égal au débit de transfert de la pompe de flux transversal. Lorsque l’aéronef s’est approché de son altitude de croisière de FL340, le déséquilibre latéral a continué de s’aggraver, atteignant environ 400 livres. Pendant cette période, tandis que l’aéronef maintenait un angle d’inclinaison constant de 1° vers la gauche, la quantité de carburant contenue dans les 2 réservoirs divergeait, celle du réservoir d’aile gauche augmentait lentement en quantité tandis que les quantités du réservoir d’aile droit et du réservoir central diminuaient.

Lorsque le déséquilibre latéral a atteint environ 700 livres, l’équipage de conduite a tenté d’utiliser des réglages de poussée différentielle des moteurs, en réduisant la poussée sur le moteur droit, ce qui a permis de ralentir le débit de carburant. Après cette tentative, l’équipage de conduite a reçu un message d’avertissement « FUEL IMBALANCE » parce que le déséquilibre avait alors atteint le seuil maximal admissible en vol, soit 800 livres. Les calculs effectués dans le cadre de l’enquête montrent que la quantité de carburant consommée par les moteurs pendant cette période était égale à la quantité de carburant transférée du réservoir central, et que la quantité de carburant augmentait approximativement au même rythme dans le réservoir d’aile gauche qu’elle diminuait dans le réservoir d’aile droit.

Lorsque l’équipage de conduite a poursuivi l’exécution de la liste de vérification initiale (dans la procédure relative au message d’avertissement XFLOW PUMP), il a été amené à suivre la procédure d’intercommunication par gravité, qui exige la réalisation d’une glissade. Le pilote automatique étant toujours embrayé, l’équipage de conduite a établi la glissade; cependant, il a exercé une pression sur la gouverne de direction droite (en direction du réservoir contenant la plus faible quantité de carburant), et par conséquent le pilote automatique a incliné l’aéronef d’environ 2,2° vers la gauche (en direction du réservoir contenant la plus grande quantité de carburant) pendant environ 3 minutes. Cette manœuvre a fait en sorte que le réservoir d’aile gauche a atteint sa quantité maximale et que du carburant supplémentaire a probablement été poussé par les évents du réservoir et a atteint le réservoir central.

Lorsque le déséquilibre latéral de carburant a atteint environ 1400 livres, l’équipage de conduite a entrepris un déroutement vers KLAX. L’ATC a autorisé l’équipage de conduite à effectuer un virage à gauche et à descendre et, pendant ce temps, le robinet d’arrêt de flux transversal par gravité qui était ouvert a continué d’aggraver le déséquilibre latéral de carburant. C’est au cours de ce virage en descente que l’équipage de conduite a coupé le moteur no 2 conformément à la procédure d’intercommunication par gravité. Après le virage, l’aéronef a conservé un angle d’inclinaison moyen vers la gauche, en partie en raison de la trajectoire donnée par l’ATC, mais aussi probablement à cause du poids de l’aile gauche qui, à ce moment-là, pesait près de 2000 livres de plus que l’aile droite. Par conséquent, la quantité de carburant contenue dans le réservoir d’aile gauche a été maintenue à son maximum. Malgré le fait que seul le moteur gauche fonctionnait, le réservoir d’aile droit a été le seul à enregistrer une réduction de la quantité de carburant.

Selon les données de vol, le réservoir d’aile gauche est resté plein et l’aéronef a atteint un déséquilibre latéral maximal de carburant de 2464 livres tandis qu’il franchissait environ 10 000 pieds ASL en descente. Au cours des 9 minutes qui ont suivi, l’angle d’inclinaison de l’aéronef a parfois été orienté vers la droite, notamment lors d’un virage d’environ 180° vers la droite où l’angle d’inclinaison était en moyenne d’environ 15°. Pendant cette période, le déséquilibre latéral de carburant a été réduit à environ 1120 livres. De plus, tandis que l’aéronef s’apprêtait à effectuer son approche finale sur KLAX, l’angle d’inclinaison s’est de nouveau légèrement déplacé vers la gauche, et l’aéronef s’est posé avec un déséquilibre latéral de carburant d’environ 1600 livres.

1.16.3 Rapports de laboratoire du BST

Le BST a produit les rapports de laboratoire suivants dans le cadre de la présente enquête :

1.17 Renseignements sur les organismes et sur la gestion

1.17.1 Généralités

Jazz Aviation LP est une compagnie aérienne régionale qui exploite un total de 114 aéronefs en vertu de la sous-partie 705 du Règlement de l’aviation canadien (RAC), y compris sa flotte d’aéronefs MHI RJ Regional Jet de la série 900. Conformément à ce règlement, la compagnie dispose d’un système de gestion de la sécurité (SGS).

1.17.2 Formation des équipages de conduite

Pour maintenir leurs qualifications de vol, les équipages de conduite de Jazz suivent une formation annuelle au sol (formation technique et gestion des ressources de l’équipage [CRM]), ainsi qu’une formation au pilotage sur simulateur et des vérifications de compétence en ligne. Le commandant de bord de l’événement à l’étude avait suivi sa dernière formation périodique en juillet 2021 (4 mois avant l’événement à l’étude), et le premier officier l’avait suivie 9 jours avant l’événement.

La formation au pilotage sur simulateur de vol repose sur des scénarios d’entraînement et de vérification, c’est-à-dire des scénarios qui comprennent des itinéraires et des séquences de défaillance. Les scénarios font l’objet d’une rotation deux fois par année afin que les équipages de conduite bénéficient d’une nouvelle formation lors de chacune de leurs séances semestrielles d’entraînement sur simulateur. Les scénarios de formation initiale chez Jazz comprennent des départs depuis des pistes dont les seuils sont décalés, et le scénario de formation périodique (ainsi que la vérification en vol) utilisé tout au long du 2e semestre de 2018 comportait des départs depuis l’aéroport international Newark Liberty (KEWR) (New Jersey, États-Unis), un aéroport dont les seuils sont décalés sur une distance pouvant atteindre 2540 pieds. Les membres de l’équipage de conduite de l’événement à l’étude avaient tous deux reçu cette formation et avaient fait l’objet de cette vérification en 2018.

La formation technique sur les systèmes d’aéronef est enseignée aux équipages de conduite lors de la formation initiale et au cours de la formation périodique annuelle au sol. Le cours au sol de Jazz pour l’aéronef Regional Jet de la série 900 comprend un module sur le circuit carburant et les messages d’avertissement associés.

1.17.3 Gestion des menaces et des erreurs

Les équipages de conduite de Jazz reçoivent une formation initiale et une formation périodique annuelle sur les compétences non techniques dans le cadre de la séance de formation interne d’une journée en CRM de l’exploitant. Les équipages de conduite reçoivent une formation sur les compétences non techniques le matin. L’après-midi, les principes de gestion des menaces et des erreurs (TEM), abordés lors de la formation, sont mis en application, puis discutés dans le contexte de différents scénarios. Le personnel de cabine, les répartiteurs et les contrôleurs de maintenance des aéronefs de Jazz participent également à l’après-midi axé sur des scénarios. Pendant la formation en TEM, le personnel discute des menaces possibles contenues dans les scénarios et des moyens permettant d’éviter que celles-ci ne se transforment en erreurs lorsqu’un état indésirable de l’aéronef persiste. La formation en TEM axée sur des scénarios de Jazz vise à permettre au personnel de la compagnie aérienne de reconnaître les menaces possibles qui sont présentes dans les scénarios, ainsi que les erreurs susceptibles d’être commises.

La méthodologie de la TEM de Jazz est fondée sur le modèle de TEM de l’OACI (voir la section 1.18.3.3 Gestion des ressources de l’équipage et gestion des menaces et des erreurs pour obtenir des renseignements détaillés). Le programme complet de formation en CRM de l’exploitant est mis à jour chaque année (mais il peut être modifié en cours de cycle si des données essentielles sont mises en évidence) et élaboré à l’aide de renseignements à jour tirés de rapports d’enquête sur la sécurité, de la Liste de surveillance du BST, des données recueillies en interne dans le cadre de la formation au pilotage et de vols de ligne, ainsi que des rapports et statistiques internes du SGS. Au moment de l’événement à l’étude, les sujets les plus courants de la formation en TEM de Jazz concernaient la gestion de l’automatisation du poste de pilotage et le pilotage manuel, la surveillance active des conditions de vol par le pilote surveillant, les atterrissages durs et les passagers turbulents. D’autres sujets de préoccupation, à savoir les sorties en bout de piste et les incursions sur piste, proviennent de la Liste de surveillance du BST et sont tous deux abordés dans les scénarios de formation en TEM de Jazz. Les mauvais alignements au décollage, que l’exploitant considère comme étant moins risqués que les sorties en bout de piste et les incursions sur piste, ne figuraient pas dans ces scénarios.

Les exposés avant vol et les exposés d’approche constituent une application pratique des moyens de protection en matière de TEM de Jazz. Lors de ces exposés, les équipages de conduite doivent chercher et déterminer les menaces possibles (p. ex. les conditions environnementales et les points chauds de l’aéroport). Lorsque l’équipage de conduite de l’événement à l’étude a fait son exposé avant vol, il ne disposait d’aucun renseignement récent indiquant que les mauvais alignements au décollage constituaient une menace possible dans l’environnement et les conditions de décollage dans lesquelles il s’apprêtait à évoluer, de sorte que cette menace n’a pas été prise en considération.

1.17.4 Système de gestion de la sécurité de Jazz

Jazz a indiqué qu’il n’y avait aucun rapport du SGS concernant des préoccupations d’ordre opérationnel ou des lacunes de sécurité à KSAN. De plus, il n’y avait aucune préoccupation pertinente à l’événement en ce qui concerne les seuils décalés, le balisage lumineux de piste, les marques de piste ou les accotements de piste à l’un ou l’autre des aéroports du réseau de Jazz.

1.17.5 Procédures d’exploitation normalisées et listes de vérification

1.17.5.1 Alignement de piste

Ni le manuel d’utilisation de l’aéronef (AOM) Regional Jet de Jazz ni le manuel d’exploitation de la compagnie (COM) n’exigent que les équipages de conduite suivent les marques d’axe de voie de circulation lorsqu’ils circulent et s’engagent sur une piste, à moins qu’ils ne roulent sur une surface contaminée. Par conséquent, le commandant de bord peut à sa convenance s’écarter des marques d’axe de voie de circulation pour des motifs opérationnels (p. ex. utiliser une plus grande longueur de piste pour le décollage).

En ce qui concerne la vérification de l’alignement de piste, la procédure de vérification de l’alignement de piste de Jazz figurant dans l’AOM énonce ce qui suit [traduction] :

Une fois aligné sur l’axe de piste, l’équipage de conduite doit confirmer qu’il s’agit bien de la piste assignée, soit en observant visuellement l’indicatif de piste inscrit sur la surface de celle-ci, soit en consultant les instruments du poste de pilotage (p. ex. le radiophare d’alignement de piste) ou le cap du HSI [indicateur de situation horizontale]. Lorsque la RVR ou la visibilité signalée est inférieure à 2600 ou ½ mille respectivement, seuls l’indicatif de piste ou le radiophare d’alignement de piste peuvent être utilisés pour confirmer la pisteNote de bas de page 34.

Lors du départ de l’aéronef de l’événement à l’étude, l’indicatif de piste n’était pas visible parce que le décollage était effectué depuis la zone située avant le seuil décalé de la piste 27. Le commandant de bord a donc vérifié la piste en utilisant uniquement le cap au compas du HSI, qui lui a permis de confirmer qu’il se trouvait sur le cap de piste. Conformément à la procédure, cette méthode était autorisée, étant donné que le dernier METAR émis pour KSAN indiquait une visibilité de ½ SM. Bien que l’utilisation exclusive du HSI ait permis au commandant de bord de vérifier que l’aéronef se trouvait sur la bonne piste, elle n’a pas permis de confirmer que ce dernier était correctement aligné sur l’axe de piste.

La zone située avant un seuil décalé est considérée comme une partie de la piste disponible pour les décollages (et les courses à l’atterrissage). Aux États-Unis ou au Canada, aucune réglementation n’interdit les décollages à partir de ces parties de la piste lorsque les conditions visuelles sont dégradées ou dans toute autre situation. De même, l’AOM et le COM de Jazz ne fournissent aucune politique, aucune procédure ou aucun document d’orientation aux pilotes en ce qui concerne les restrictions ou les précautions à prendre sur les pistes dont les seuils sont décalés.

1.17.5.2 Fonctionnement du flux transversal de carburant
1.17.5.2.1 Procédures normales

Immédiatement avant le départ et pendant les vérifications avant le décollage de Jazz, le premier officier met en marche le circuit de flux transversal de carburant en enfonçant l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE, ce qui le met dans la position du mode manuel. L’AOM de Jazz illustre la procédure comme suit [traduction] :

Flux transversal de carburant

  • • /man, off [arrêt]

Voyant-poussoir XFLOW AUTO OVERRIDE

  • select in [enfoncer]

Vérifier que le message MAN XFLOW EICAS est affiché. S’assurer qu’aucun message GRAV XFLOW OPEN ou L(R) XFLOW ON n’est affichéNote de bas de page 35.

Après avoir effectué les vérifications, le premier officier ou la première officière les confirme à l’aide de la liste de vérification, en lisant le point suivant « fuel crossflow manual off » (flux transversal de carburant, mode manuel, arrêt). D’après l’AOM, cette personne déclare que le flux transversal de carburant est en mode manuel et qu’aucun message de flux transversal par gravité ou de flux transversal à gauche ou à droite n’est affiché sur l’EICAS du poste de pilotage. Lorsque l’interrupteur à bouton-poussoir XFLOW AUTO OVERRIDE est enfoncé, il s’allume (figure 15).

Figure 15. Panneau carburant avant que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE ne soit enfoncé (à gauche) et après que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE soit enfoncé (à droite) (Source : Tierce partie avec autorisation et annotations du BST)
Panneau carburant avant que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE ne soit enfoncé (à gauche) et après que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE soit enfoncé (à droite) (Source : Tierce partie avec autorisation et annotations du BST)

Après le décollage, le ou la PM sélectionne la poussée de montée, et lorsque la charge de travail le permet, effectue la liste de vérification après décollage, au cours de laquelle le flux transversal automatique est actionné (interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE non enfoncé et éteint), ce qui remet le circuit en mode automatique. Pendant le vol à l’étude, le commandant de bord était le PM et devait exécuter cette liste de vérification. Le flux transversal automatique n’est pas actionné de nouveau pendant le reste du vol, à moins que les procédures de liste de vérification en cas de situation anormale ou d’urgence ne l’exigent.

1.17.5.2.2 Procédures en cas de situation anormale ou d’urgence

Selon les procédures de Jazz et de MHI RJ, lorsque le message d’avertissement « XFLOW PUMP » s’affiche, le PF demande au PM d’exécuter la liste de vérification de la procédure du message d’avertissement XFLOW PUMP, qui indique à l’équipage de conduite de déterminer s’il y a un déséquilibre de carburant. Si tel est le cas, l’équipage a pour consigne de suivre la procédure d’intercommunication par gravité et, dans le cas contraire, il doit surveiller les quantités de carburant.

Lorsque l’équipage de conduite a établi qu’il y avait bel et bien un déséquilibre latéral de carburant et qu’il n’était pas en mesure de le corriger, le PM a suivi la procédure d’intercommunication par gravité prévue dans le QRH de Jazz [traduction] :

Procédure d’intercommunication par gravité

L XFLOW

  • OFF [ARRÊT]

R XFLOW

  • OFF [ARRÊT]

XFLOW AUTO OVERRIDE

  • OFF [ARRÊT]

GRAVITY XFLOW

  • OPEN [OUVERT]

Steady-Heading Sideslip [Glissade à cap constant]

Cette procédure d’intercommunication est pratiquement identique à celle publiée dans le QRH du constructeurNote de bas de page 37.

La réponse à l’instruction fournie à la 3e étape de la procédure, « OFF », n’est pas l’une des 2 positions disponibles de l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE, qui sont AUTO (interrupteur éteint et non enfoncé) et MAN (interrupteur allumé et enfoncé).

Lorsque le PM a atteint cette étape, il a exécuté l’instruction « OFF » en s’assurant que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE n’était pas enfoncé, et donc que le flux transversal de carburant était en mode automatique. Cette position de l’interrupteur était logique pour le PM, car elle correspondait à celle des interrupteurs L XFLOW et R XFLOW adjacents, qui étaient tous les deux dans leur position d’arrêt respective (c.-à-d. qu’ils étaient éteints et n'étaient pas enfoncés).

En fait, le PM a fait ce que le constructeur avait l’intention de prescrire à cette étape de la procédure d’intercommunication. Le but étant que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE demeure en position AUTO, de sorte que le contrôle du FQGC sur le processus de transfert de carburant soit maintenu.

La procédure de Jazz comprend ensuite une note à l’intention des équipages de conduite [traduction] : « Établir un angle d’inclinaison de 10° vers le bas, du côté où la quantité est la plus faible, à l’aide de la pédale de palonnier (le compensateur de direction peut être nécessaire), tout en maintenant un cap constant »Note de bas de page 38. Cette note est légèrement différente de l’instruction donnée dans le QRH publié par MHI RJ, qui énonce [traduction] : « Établir un angle d’inclinaison de 10° vers le bas du côté où la quantité est la plus faible. Utiliser la pédale de palonnier ou le compensateur de direction pour maintenir un cap constant »Note de bas de page 39.

Bien que la différence soit subtile, les 2 procédures sont distinctes. La procédure de Jazz décrit l’établissement de l’angle d’inclinaison à l’aide de la gouverne de direction, tandis que la procédure de MHI RJ consiste à établir un angle d’inclinaison, puis à utiliser la gouverne de direction pour maintenir un cap.

En général, on effectue une glissade pour contrer l’effet de la dérive lors d’un atterrissage par vent de travers en maintenant l’axe longitudinal de l’aéronef parallèle à sa trajectoire de vol. Cependant, la glissade prescrite par les QRH de Jazz et de MHI RJ vise à incliner l’aéronef et à utiliser la gravité pour transférer le poids du carburant d’un côté à l’autre. Le fait d’utiliser la gouverne de direction empêche l’aéronef de tourner.

La liste de vérification de la procédure d’intercommunication par gravité précise ensuite que si les quantités de carburant des réservoirs s’équilibrent à la suite de la glissade, l’équipage de conduite doit fermer le robinet de flux transversal par gravité et peut reprendre le vol coordonné. Si, cependant, le déséquilibre persiste entre les quantités de carburant et que ces dernières ne peuvent pas être contrôlées dans les limites prescrites, le moteur du côté où la quantité de carburant est la plus faible doit être arrêté.

L’équipage de conduite de l’événement à l’étude a suivi l’instruction de la liste de vérification de la procédure d’intercommunication par gravité et a exécuté la liste de vérification pour l’arrêt moteur en vol. L’étape 7 de cette liste de vérification indique aux équipages de conduite de mettre le circuit de flux transversal de carburant en mNote de bas de page 40ode automatique, ce qui est réalisé en appuyant sur l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE pour qu’il ne soit pas enfoncé, ce qui correspond à la position déjà sélectionnée pendant la procédure d’intercommunication par gravité.

La suite de la liste de vérification pour l’arrêt du moteur en vol et la liste de vérification subséquente pour l’approche et l’atterrissage sur un seul moteurNote de bas de page 41 ne fournissent aucune autre instruction à l’équipage de conduite relativement à la fermeture du robinet de flux transversal par gravité, si ce n’est une note à mi-chemin de la liste de vérification pour l’arrêt moteur en vol expliquant que les équipages de conduite [traduction] « peuvent avoir à exécuter la procédure d’intercommunication par gravité lorsque cela s’avère nécessaire et que le temps le permet »Note de bas de page 42.

1.18 Renseignements supplémentaires

1.18.1 Autres événements et enquêtes concernant un mauvais alignement au décollage

Le BST a déjà fait rapport de sorties de piste latérales résultant d’un mauvais alignement au décollage. Les dossiers du BST font état de 10 événements Note de bas de page 43 au cours desquels les équipages de conduite se sont alignés et ont amorcé une course au décollage sur un bord de piste plutôt que sur l’axe de piste. Tous les événements sont survenus dans le cadre d’opérations nocturnes, et 1 d’entre eux faisait particulièrement ressortir des conditions visuelles dégradées.

L’un des événements a donné lieu en 2006 à une enquête du BST Note de bas de page 44 sur un mauvais alignement au décollage d’un Airbus A319-114 immatriculé au Canada de l’aéroport international Harry Reid (KLAS) (Las Vegas, États-Unis) à destination de l’aéroport international Pierre-Elliott-Trudeau (CYUL) (Montréal, Québec). L’enquête a révélé que les marques de piste, combinées au fait que le PF se concentrait principalement sur le départ de l’aéronef qui le précédait et qu’il avait eu recours à sa vision périphérique pour orienter l’aéronef sur la piste, avaient contribué à ce que l’aéronef soit aligné sur l’accotement en asphalte de la piste plutôt que sur l’axe de piste et à ce qu’il endommage les feux de bord de piste pendant la course au décollage. Il convient de noter que ce mauvais alignement au décollage n’a été porté à la connaissance de l’ATC ou de l’aéroport que 2 heures après l’événement et que, pendant ce temps, les débris potentiels provenant des feux brisés auraient pu constituer un danger pour les aéronefs au départ.

En 2009, l’Australian Transport Safety Bureau (ATSB) s’est penché sur les facteurs qui influent sur les cas de mauvais alignement au décollage. L’étude publiée a mis en évidence 7 facteurs de sécurité courants qui contribuent au mauvais alignement au décollage et dont la présence accroît le risque d’un événement. Les 7 facteurs sont les suivants [traduction] :

  • les opérations de nuit;
  • l’environnement de la piste et de la voie de circulation, y compris les marques ou le balisage lumineux d’entrée de piste qui prêtent à confusion, les zones de revêtement supplémentaire sur la piste, l’absence de feux d’axe de piste et les feux de bord de piste encastrés;
  • la distraction (à l’intérieur du poste de pilotage) ou l’inattention de l’équipage de conduite;
  • les mauvaises conditions météorologiques ou une visibilité faible ou réduite;
  • la réalisation d’un départ à partir d’un seuil décalé ou d’une intersection;
  • la délivrance d’une autorisation du contrôle de la circulation aérienne lorsque les aéronefs s’engagent sur la piste ou circulent encore au sol;
  • la fatigue de l’équipage de conduite Note de bas de page 45.

Ces facteurs peuvent être classés soit comme des facteurs humains, des facteurs environnementaux ou des facteurs opérationnels. L’un des principaux facteurs humains relevés dans le cadre de la recherche est la distraction, qui se traduit par une attention partagée. La distraction divise l’attention de l’équipage de conduite, qui se concentre sur l’exécution de tâches à l’intérieur du poste de pilotage au détriment d’une évaluation précise de l’environnement extérieur. Cette situation se produit souvent pendant la circulation au sol, lorsque l’équipage de conduite doit garder les yeux rivés à l’intérieur du poste de pilotage pendant de longues périodes. Comme il est expliqué dans le rapport de l’ATSB, [traduction]

au lieu de maintenir le regard vers l’extérieur à partir du moment où ils s’engagent sur la piste, ils portent leur attention à l’intérieur pour une raison ou une autre, par exemple pour vérifier les instruments, confirmer la configuration de l’aéronef ou exécuter les éléments de la liste de vérification. Bien que les opérations en équipage multiple atténuent partiellement ce risque en précisant et en répartissant les rôles de pilotage et de surveillance de l’aéronef entre les pilotes, il arrive encore que les deux membres d’équipage ne traitent pas les indices environnementaux externes avec précision. Cette attention partagée est souvent nécessaire pour s’aligner ou amorcer la course au décollage […] Note de bas de page 46.

Parmi les facteurs environnementaux décrits dans le rapport de l’ATSB figurent les marques de seuil de piste. Communément appelées « touches de piano », elles aident les équipages de conduite en définissant la largeur de la piste. Comme l’explique le rapport, [traduction]

les aéronefs utilisant un seuil décalé ne pourront pas voir les marques de seuil normales, telles que le numéro de piste ou les « touches de piano », qui constituent des indices importants pendant la phase d’alignement du vol. Note de bas de page 47

Un facteur opérationnel mis en évidence dans le rapport est la nécessité de suivre les marques et les feux d’axe de voie de circulation disponibles pour permettre à l’équipage de conduite de maximiser la possibilité d’aligner correctement l’aéronef sur la piste en vue du décollage. Cela est particulièrement vrai lorsque les autorisations ATC sont transmises pendant l’alignement de l’aéronef ou lors du départ de celui-ci à partir d’une zone autre que le seuil d’une piste, où les indices pour l’alignement latéral par rapport à la piste sont moins nombreux.

L’ATSB donne des exemples de rapports d’événements qu’il a utilisés pour établir la liste des facteurs de sécurité qui augmentent le risque d’un mauvais alignement au décollage. Un exemple Note de bas de page 48 tiré de l’Aviation Safety Reporting System (ASRS) de la NASA décrit un mauvais alignement au décollage d’un Cessna Citation X de KSAN qui s’était aligné sur les feux de bord de piste après être entré dans la zone de seuil décalé de la piste située avant le seuil de la piste 27. Les observations de l’équipage de conduite lors de cet événement ont mis en évidence la grande quantité de surface en asphalte dans cette zone et que le manque d’éclairage d’axe de piste a contribué au mauvais alignement au décollage.

1.18.2 Autres événements de déséquilibre de carburant

1.18.2.1 Événement de Jazz Aviation LP survenu en 2022

Au cours de l’enquête, Jazz a signalé au BST un événement semblable survenu sur un autre aéronef piloté par un équipage différent Note de bas de page 49. Le 3 février 2022, l’équipage de conduite d’un aéronef Regional Jet de la série 900 de Jazz en partance de l’aéroport international James Armstrong Richardson (CYWG) de Winnipeg (Manitoba) a reçu un message d’avertissement « XFLOW PUMP », puis a constaté un déséquilibre croissant de carburant. Jazz a fourni au BST les données de vol de cet événement, et celles-ci ont été examinées de concert avec les données de l’événement de novembre 2021 faisant l’objet de l’enquête dans le présent rapport.

Même si les données démontrent que les actions de chacun des équipages de conduite ont été légèrement différentes, l’événement déclencheur de l’incident de 2022 présente des similitudes convaincantes avec celui de l’incident de 2021. L’aéronef qui avait décollé de CYWG a transféré le carburant du réservoir central aux réservoirs d’ailes selon un plan d’exécution relativement conforme aux spécifications du FQGC Note de bas de page 50, si bien que le réservoir central était vide environ 8 minutes après le départ.

Environ 14 minutes après le départ, un déséquilibre latéral de carburant de 200 livres s’est produit et s’est poursuivi pendant 30 secondes. Quelque 12 à 14 secondes plus tard, le message d’avertissement « XFLOW PUMP » s’est affiché. Étant donné que le carburant contenu dans le réservoir central avait déjà été consommé, l’équipage de conduite a été en mesure de surveiller plus facilement l’évolution du déséquilibre. Selon les calculs, le taux de transfert des réservoirs de carburant dépassait la quantité de carburant consommée par les moteurs. Selon les données de vol, dans les 16 minutes qui ont suivi le message d’avertissement (jusqu’à ce que le déséquilibre soit d’environ 1000 livres), le transfert latéral à partir du réservoir droit se situait entre 2000 et 2200 livres/h (33 et 37 lb/m).

L’équipage de conduite a procédé à l’arrêt du moteur par mesure de précaution lorsque le déséquilibre a atteint environ 1500 livres. Il n’a pas été possible de déterminer le moment où l’équipage a entamé la procédure d’intercommunication par gravité parce que le réglage du robinet de flux transversal par gravité n’est pas un paramètre qui est enregistré; toutefois, environ 1 minute après l’arrêt du moteur, une pression a été exercée sur la gouverne de direction droite. Comme ce fut le cas lors de l’événement de 2021, l’aéronef s’est incliné vers la gauche. Le déséquilibre latéral de carburant a atteint un maximum de 2336 livres au cours de cette manœuvre, alors que l’angle d’inclinaison était d’environ 4°. Les données montrent que cette situation a été maintenue pendant moins d’une minute avant que la gouverne de direction soit manœuvrée à l’opposé et maintenue dans cette position pendant environ 4 minutes. Pendant cette période, le déséquilibre latéral de carburant a été réduit à seulement 224 livres. Le vol a été dérouté pour revenir à CYWG, mais pendant le reste du vol, le déséquilibre latéral de carburant a augmenté de nouveau et a fluctué entre 500 et 1300 livres environ. Le vol a atterri en toute sécurité sans autre incident.

1.18.2.2 Autres événements signalés

TC publie des avis d’Alerte à la sécurité de l’Aviation civile (ASAC) pour transmettre des renseignements importants sur la sécurité et les mesures de suivi recommandées. L’enquête a révélé qu’il n’y a eu aucun avis concernant des problèmes potentiels de pompes de flux transversal sur les aéronefs des séries 700, 900 ou 1000, ni aucune consigne de navigabilité à ce sujet.

TC recueille également les rapports de difficultés en service (RDS) des techniciens d’entretien d’aéronefs, des propriétaires, des exploitants et d’autres sources qui signalent des problèmes, des défauts ou des événements ayant une incidence sur la navigabilité des aéronefs au Canada. Une difficulté en service à signaler est une « [d]ifficulté en service qui compromet ou, si elle n’est pas corrigée, risque de compromettre la sécurité d’un aéronef, de ses occupants ou de toute autre personne » Note de bas de page 51. TC a transmis à l’enquête tous les RDS relatifs aux pompes de flux transversal des aéronefs des séries 700, 900 et 1000. Ce recueil a mis en évidence 11 événements signalés au Canada et aux États-Unis qui étaient liés à des déséquilibres de carburant. Ils se sont produits entre mars 2010 et février 2022.

Bien qu’il existe 11 événements connus et potentiellement semblables, ce nombre ne tient pas compte des autres événements qui n’ont pas été signalés. Selon le RAC, la transmission de RDS est obligatoire Note de bas de page 52. Cependant, TC a également expliqué que la définition d’une difficulté en service à signaler est très large en raison de la complexité des difficultés en service et des nombreux facteurs pouvant avoir une incidence sur la sécurité d’utilisation d’un aéronef. TC indique en outre qu’il n’est pas possible de fournir des orientations définitives sur toutes les difficultés en service possibles et qu’il est donc nécessaire de s’en remettre aux connaissances, à l’expérience et au bon jugement du déclarant ou de l’organisation déclarante pour déterminer ce qui constitue une difficulté en service à signaler Note de bas de page 53.

La FAA a fourni à l’enquête des dossiers faisant état de 7 autres événements connus de déséquilibre latéral de carburant qui sont survenus au cours des 10 années qui ont précédé l’événement de 2021 de Jazz et qui étaient liés à des aéronefs des séries 700, 900 et 1000. Ces 7 événements ont tous amené les équipages de conduite à déclarer une situation d’urgence et à procéder au déroutement des vols.

Dans le cadre de l’enquête, on a effectué une recherche dans l’ASRS pour trouver des événements de déséquilibre latéral de carburant signalés pour des aéronefs des séries 700, 900 et 1000. Cette base de données ne contient aucun rapport sur des événements de ce genre.

Les déséquilibres de carburant peuvent se produire pour un certain nombre de raisons. Les 18 rapports de déséquilibre de carburant susmentionnés présentaient des circonstances différentes de celles observées dans l’événement à l’étude.

En 2005, après avoir reçu des rapports faisant état de l’affichage de faux messages d’avertissement « XLFOW PUMP » à bord des aéronefs Regional Jet des séries 700 et 900, Bombardier — le titulaire du certificat de type d’aéronef à l’époque — a mené une enquête et a publié une lettre de service Note de bas de page 54 informant les exploitants du problème. La lettre de service indiquait que l’anomalie se produisait lorsque l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE était placé en mode manuel au moment même où se terminait la correction automatique d’un déséquilibre de carburant. Cette information se trouvait dans la liste de vérification avant le décollage figurant dans le CRJ AOM Note de bas de page 55 de Jazz, qui demande aux équipages de conduite d’effectuer cette sélection manuelle.

Peu après la publication de cette lettre de service par Bombardier, le fabricant du FQGC de l’aéronef a émis un bulletin de service Note de bas de page 56 pour régler le problème. Le bulletin de service prévoyait une modification au logiciel du FQGC, laquelle avait été apportée au FQGC de l’aéronef de l’événement à l’étude.

En 2012, en réponse à des rapports continus de faux messages d’avertissement « XFLOW PUMP », le fabricant du FQGC a publié une lettre d’information en service afin de recueillir des données de terrain concernant l’enjeu. La lettre a été mise à jour et publiée à nouveau en 2018, demandant aux exploitants d’aéronefs des séries 700, 900 et 1000 de signaler au fabricant les événements liés aux messages d’avertissement « XFLOW PUMP ». L’objectif était d’étudier la chaîne d’événements menant à ces messages d’avertissement, y compris les conditions d’exploitation au moment où le message est déclenché. Les exploitants ont fourni peu de rétroaction au fabricant et, par conséquent, la relation entre l’affichage du message d’avertissement « XFLOW PUMP » et les conditions d’exploitation qui l’entouraient n’a pas pu être analysée de manière exhaustive Note de bas de page 57.

1.18.3 Facteurs humains

1.18.3.1 Vision dans l’obscurité

Le système visuel détecte les différences dans la lumière réfléchie par un objet (appelé luminance) pour voir dans des conditions de luminosité et d’obscurité Note de bas de page 58. Lorsque la luminosité est plus élevée, la vision est assurée par des cônes, qui comportent des récepteurs qui permettent de détecter les couleurs. Lorsque la luminosité est plus faible, la vision est assurée par des bâtonnets. Chaque bâtonnet possède un récepteur qui ne détecte que le blanc, le noir et les nuances de gris. Il existe une zone de croisement de l’intensité lumineuse où les cônes et les bâtonnets sont tous deux utilisés, mais où la couleur est atténuée. Dans cette zone de croisement, le système visuel passe automatiquement et involontairement de l’utilisation des cônes à celle des bâtonnets en fonction de la luminosité ambiante. Les vols de nuit se déroulent généralement dans cette zone de croisement de l’intensité lumineuse Note de bas de page 59.

Dans l’obscurité, une personne ne perçoit pas les couleurs de manière évidente et, par conséquent, les objets colorés sont moins saillants. De plus, les objets qui présentent un faible contraste par rapport à leur arrière-plan sont difficiles à distinguer. Un effet secondaire perceptif d’un faible contraste est le fait qu’une personne peut avoir l’impression que les objets sont plus éloignés qu’ils ne le sont en réalité, ce qui contribue à une mauvaise interprétation des repères visuels dans l’environnement (p. ex. la perception des distances). En outre, si l’horizon ne présente aucun repère visuel dans l’obscurité, certaines parties de l’œil peuvent se détendre, de sorte qu’il devient difficile pour la personne de remarquer les objets éloignés Note de bas de page 60.

1.18.3.2 Traitement de l’information dans des environnements dynamiques

Le traitement de l’information est essentiel à la performance humaine. Il est décrit en plusieurs étapes, à savoir la perception de l’information, la transformation de l’information sous différentes formes, la réaction à l’information, le traitement de l’information rétroactive et l’évaluation des effets sur l’environnement Note de bas de page 61.

1.18.3.2.1 Perception

La perception est le processus par lequel les êtres humains acquièrent, traitent et interprètent l’information provenant du monde extérieur. L’identification d’un objet dans un environnement est liée non seulement à la sensibilité physique d’une personne aux propriétés de détection telles que la lumière, le son et la température, mais aussi aux objectifs, aux connaissances et aux attentes de cette personne Note de bas de page 62. On reconnaît plus rapidement les objets lorsqu’ils sont vus dans leur contexte, plutôt que lorsqu’ils sont présentés de manière isolée ou dans des contextes incohérents Note de bas de page 63. En outre, les objets et attributs qui ressemblent à l’objet cible peuvent être perçus et interprétés comme l’objet auquel ils ressemblent.

La façon dont une personne peut percevoir l’information grâce à un mélange d’indices de détection provenant de l’environnement extérieur et de ses propres objectifs, connaissances et attentes peut être décrite dans le contexte d’un départ de piste. De chaque côté d’une piste, à partir de son axe, se trouve une étendue d’asphalte d’environ 100 pieds de large, à laquelle s’ajoute un accotement revêtu. La vue de la largeur de l’asphalte et la vue de l’accotement sont des indices de l’environnement qui indiquent que l’aéronef est positionné sur l’axe de piste. Certaines pistes aux États-Unis ont de très grandes étendues d’asphalte qui se prolongent au-delà de la ligne de bord de piste de part et d’autre de la piste. En revanche, dans les aéroports du Canada, l’accotement revêtu en bordure de piste ne mesure qu’au plus 25 pieds de large, et au-delà de cet accotement se trouve du gazon ou une autre surface texturée. Lorsqu’un pilote voit une grande surface d’asphalte à côté de l’aéronef, il peut interpréter cet indice comme une indication que l’aéronef est positionné sur l’axe de piste alors qu’en fait, il se peut que l’aéronef soit positionné sur le bord de la piste. Un ensemble d’indices externes est combiné aux objectifs, aux connaissances et aux attentes d’un pilote pour lui permettre de comprendre la position dans l’espace.

Les attentes d’une personne peuvent être utilisées pour prévenir les mauvaises interprétations lorsqu’elle travaille dans des conditions dégradées Note de bas de page 64. Par exemple, les attentes créées par la formation et l’expérience contribuent à la façon dont une personne perçoit et interprète l’information présente dans un environnement, ainsi que la nature de l’information qui est perçue. Par conséquent, il est important que les équipages de conduite qui exploitent des aéronefs à partir d’une zone de seuil décalé sachent que les indices permettant de repérer l’axe de piste sont différents et moins nombreux dans cet environnement. En outre, il est également utile de savoir la raison pour laquelle des conditions visuelles dégradées ou sombres peuvent avoir une incidence négative sur la vision et la perception, et la manière dont cela se produit, afin de soutenir les opérations menées dans ces conditions.

Les signaux et les renseignements sensoriels peuvent être ambigus en fonction de l’environnement dans lequel ils sont perçus. La résolution de l’ambiguïté est un aspect essentiel du traitement des signaux et des renseignements sensoriels. Le cerveau résout l’ambiguïté de 2 façons : les processus ascendants et les processus descendants, ou une combinaison des deux Note de bas de page 65. On parle de traitement ascendant lorsque l’information remonte des niveaux inférieurs vers les niveaux supérieurs d’analyse; les caractéristiques simples des signaux et des renseignements sont intégrées dans des images ou des formes plus larges en fonction de règles ou de connaissances que possède l’observateur Note de bas de page 66. Lorsque l’information circule des niveaux supérieurs vers les niveaux inférieurs d’analyse, il est question de traitement descendant; les connaissances et l’expérience antérieures sont utilisées pour orienter la perception de niveau inférieur Note de bas de page 67.

Lorsque ce concept est appliqué à la perception par un pilote d’un environnement visuel de piste, le pilote voit les indices visuels et l’information dans l’environnement et utilise un traitement ascendant (c.-à-d. les capteurs perceptifs de l’œil qui savent où et quoi regarder) et un traitement descendant (c.-à-d. les connaissances acquises au cours de la formation et des expériences antérieures sur l’organisation de l’environnement) pour interpréter les indices et l’information afin de comprendre la position de l’aéronef sur la piste. L’information et les indices ambigus dans l’environnement externe deviennent plus difficiles à résoudre et sont plus susceptibles d’être mal interprétés lorsqu’il y a interférence ou dégradation de l’information et des indices environnementaux (par exemple, en cas de visibilité réduite ou dans l’obscurité).

1.18.3.2.2 Transformation de l’information et prise de mesures

Le traitement de l’information chez l’être humain peut être regroupé en 3 niveaux : fondé sur les compétences, fondé sur les règles, et fondé sur les connaissances Note de bas de page 68. Malgré cette distinction, bon nombre des tâches importantes accomplies par les personnes représentent, en réalité, des combinaisons de niveaux de performance fondées sur les compétences, les règles et les connaissances.

La performance fondée sur les règles suppose la perception consciente des indices environnementaux, qui déclenchent l’application de règles apprises en fonction de l’expérience. Ces règles établissent un lien entre les indices environnementaux et les objectifs de la tâche, d’une part, et les mesures à prendre, d’autre part Note de bas de page 69. Les activités réalisées au niveau des règles utilisent des règles qui ont été mémorisées en fonction de l’expérience et de la formation. Des problèmes liés à la performance fondée sur les règles peuvent survenir lorsque l’information recueillie ou les indices perçus dans l’environnement ne sont pas mis en correspondance de façon appropriée et qu’une action est manquée ou qu’une mauvaise action pour la situation est appliquée. Un indice peut passer inaperçu ou être mal interprété lorsqu’une personne est pressée ou s’attend fortement à ce que quelque chose se produise à la suite d’une action. Les indices peuvent également être manqués lorsqu’un problème survient à un endroit inattendu, lorsque l’indice est ambigu ou dégradé et lorsque les indices sont semblables Note de bas de page 70.

La performance fondée sur les règles est étroitement liée à la prise de décisions fondée sur la reconnaissance Note de bas de page 71. Tel que l’explique le livre Sources of Power : How People Make Decisions, [traduction]

le modèle de prise de décisions fondées sur la reconnaissance (RPD) fusionne deux processus : la façon dont les décideurs évaluent la situation pour reconnaître la ligne de conduite qui a du sens, et la façon dont ils évaluent cette ligne de conduite en l’imaginant Note de bas de page 72.

Dans ces types de situations, les décideurs déterminent que les situations sont typiques et familières, et ils passent à l’action. Ils comprennent quels types d’objectifs ont du sens, quelles priorités établir, quels indices sont importants et à quoi s’attendre ensuite, ainsi que les façons typiques de réagir dans des situations données Note de bas de page 73. En déterminant qu’une situation est typique, ils déterminent également une ligne de conduite susceptible d’être efficace et procèdent à une simulation mentale rapide pour évaluer son adéquation à la situation. Ce modèle de prise de décisions est le fruit de recherches sur la façon dont les décisions sont prises dans des contextes réels, dynamiques et sensibles au temps Note de bas de page 74. L’évaluation de la situation est un aspect important de la prise de décisions dans ces environnements réels Note de bas de page 75.

Lorsque les personnes prennent des décisions et des mesures fondées sur ce modèle, des erreurs et de mauvais résultats peuvent découler d’une expérience insuffisante (p. ex. lorsque les décideurs n’ont pas l’expérience de la situation) ou de l’information inadéquate (p. ex. si l’information ou les indices nécessaires à une bonne évaluation de la situation ne sont pas disponibles ou sont dégradés) ou encore d’erreurs de simulation mentale (p. ex. lorsque les personnes associent les indices ou les signes d’un problème à une situation différente) Note de bas de page 76.

1.18.3.3 Gestion des ressources de l’équipage et gestion des menaces et des erreurs

Tel qu’il est expliqué dans la Circulaire d’information (CI) de TC no 700-042 : Gestion des ressources de l’équipage (CRM), la CRM

intègre le développement de compétences techniques à la formation sur les communications et la coordination entre les membres de l’équipage, et […] la gestion des risques opérationnels, en appliquant des concepts de gestion des menaces et des erreurs […]Note de bas de page 77.

La CI décrit ensuite la TEM, en précisant qu’elle traite

de la reconnaissance et de l’analyse des dangers potentiels, de la mise en œuvre des stratégies appropriées pour contrer les menaces ainsi que du recours à diverses mesures permettant d’éviter, de déceler ou d’atténuer les erreurs avant qu’elles n’aient des conséquences néfastes, comme un état indésirable de l’aéronefNote de bas de page 78.

La TEM est un principe général de sécurité pour toutes les opérations d’aviation et comprend 3 éléments : les menaces, les erreurs et les situations indésirables de l’aéronef. Le cadre de la TEM repose sur le concept selon lequel les équipages de conduite doivent gérer les menaces et les erreurs comme faisant partie intégrante des opérations aériennes, car elles peuvent toutes deux potentiellement conduire à un état indésirable de l’aéronef, à partir duquel l’équipage doit prendre des mesures pour éviter une situation fâcheuse Note de bas de page 79.

Une menace, telle qu’elle est définie par la CI, désigne « toute condition qui augmente la complexité d’une opération […] [et peut] réduire les marges de sécurité et mener à des erreurs » Note de bas de page 80. Les menaces peuvent être hors du contrôle de l’équipage de conduite (externes) ou sous le contrôle de l’équipage de conduite (internes). Les précipitations, les problèmes de système et le manque de visibilité sont des exemples de menaces externes, tandis que la faim, la vue et l’ouïe sont tous des exemples de menaces internes. Dans le modèle de TEM, la gestion des menaces consiste à reconnaître l’existence d’une menace et à élaborer une stratégie pour la contrer de façon à ne pas réduire les marges de sécurité.

Une erreur est définie comme une « faute commise quand une menace n’est pas bien gérée » Note de bas de page 81. Le non-respect intentionnel des procédures, les malentendus et l’exécution d’une procédure dans le mauvais ordre sont des exemples d’erreurs. Le modèle de TEM intègre différentes conséquences de l’erreur : sans conséquence (n’a pas d’incidence immédiate sur la sécurité), état indésirable (le risque ou les conditions opérationnelles non sécuritaires sont accrus) et erreurs supplémentaires (l’erreur initiale entraîne une autre erreur) Note de bas de page 82.

La gestion des erreurs est « [l]e processus visant à corriger une erreur avant que celle-ci n’ait des conséquences négatives sur la sécurité […] [et à] [p]révenir des erreurs semblables à l’avenir en améliorant la résistance à l’erreur dans le système » Note de bas de page 83. Ce dernier objectif peut être atteint grâce à des stratégies améliorées pour faire face aux menaces externes et à un meilleur contrôle des menaces internes. La gestion des erreurs repose également sur des stratégies consistant à « résister et régler » dans le cadre desquelles l’équipage de conduite résiste à certaines pratiques déjà présentes au sein du système afin d’éviter de nouvelles erreurs et règle les erreurs présentes au sein du système avant qu’elles n’entraînent des conséquences non désirées Note de bas de page 84.

Certains aspects d’un environnement augmentent la complexité opérationnelle. Cependant, si les équipages de conduite reconnaissent les menaces et trouvent des façons de les gérer, les erreurs peuvent être évitées. Comme on peut le lire dans la CI,

[s]i une erreur se produit, des éléments qui font déjà partie du système, comme les inspections et les vérifications opérationnelles, peuvent résister à l’erreur afin d’éviter des conséquences négatives. La personne responsable peut aussi reconnaître qu’elle a commis une erreur et la réparer rapidement Note de bas de page 85.

Selon l’approche de TC, l’exploitant a des responsabilités clés à assumer pour veiller à l’efficacité de la formation en CRM au sein de son organisation :

  • […] un exploitant aérien [devrait traiter] la CRM en tant que partie intégrante de sa culture.
  • La culture de sécurité de l’entreprise devrait soutenir la CRM dans toute l’organisation, et parmi les membres des équipages des aéronefs.
  • La formation en CRM devrait également décrire les dangers et les risques identifiés par le système de gestion de la sécurité de l’exploitant (le cas échéant).
  • La CRM couvre tout le personnel opérationnel et devrait inclure la familiarisation initiale, la pratique annuelle, les commentaires et le renforcement continu.
  • L’exploitant est entièrement responsable de toutes les activités liées à la formation du personnel que ce soit par un programme interne ou par une formation donnée par un sous-traitant Note de bas de page 86.

Pour renforcer davantage l’efficacité de la CRM, les exploitants devraient veiller à ce qu’elle soit intégrée à toutes les étapes de la formation. Les concepts de CRM devraient également être soulignés dans les listes de vérification, les exposés, les procédures en situation anormale et d’urgence ainsi que dans d’autres domaines liés au service de ligne.

2.0 Analyse

Lors du départ et du vol de l’aéronef de l’événement à l’étude, 2 événements distincts et indépendants l’un de l’autre se sont produits, ce qui a donné lieu à la présente enquête de sécurité.

Pendant la course au décollage, à partir de la zone située avant le seuil décalé de la piste 27 de l’aéroport international de San Diego (KSAN) (Californie, États-Unis), les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté 3 feux de bord de piste consécutifs. L’équipage de conduite ne connaissait pas l’existence de la sortie latérale de piste et les dommages mineurs qu’elle avait causés.

Peu après le décollage, alors que l’aéronef était en montée pour atteindre l’altitude de croisière, le message d’avertissement « XFLOW PUMP » s’est affiché. Le message d’avertissement, combiné au déséquilibre latéral de carburant qui a suivi, à la déclaration d’une situation d’urgence auprès du contrôle de la circulation aérienne (ATC) et au déroutement vers l’aéroport international de Los Angeles (KLAX), (Californie, États-Unis), est considéré comme un problème distinct et sans lien avec le mauvais alignement au décollage. Par conséquent, l’analyse traitera les 2 événements comme étant distincts et indépendants.

2.1 Sortie de piste au décollage

2.1.1 Visibilité

Lors du vol aller à KSAN, l’aéronef et l’équipage de conduite de l’événement à l’étude ont atterri sur la piste 27 à 17 h 03, pendant le crépuscule civil du soir. Au moment de l’arrivée, la visibilité était de 10 milles terrestres (SM) et quelques nuages se trouvaient à 200 pieds au-dessus du sol (AGL).

À 18 h 03, pendant les heures d’obscurité, l’aéronef a été refoulé de la porte d’embarquement pour commencer à circuler au sol en vue du décollage pour le vol de retour (le vol de l’événement à l’étude) à destination de l’aéroport international de Vancouver (CYVR) (Colombie-Britannique). Pendant qu’il était stationné au terminal, les conditions météorologiques se sont détériorées. Lorsque l’aéronef a commencé à circuler pour le départ, la visibilité dominante était tombée à 3 SM, et dans certaines parties de la zone autour de l’aéroport, la visibilité n’était plus que de ¾ SM.

Pendant la circulation vers la piste 27, qui a duré près de 40 minutes, les conditions météorologiques ont continué à se détériorer. Au moment où l’aéronef a été autorisé à décoller, la visibilité dominante était de ½ SM dans le brouillard et pouvait descendre jusqu’à ¼ SM par endroits. La portée visuelle de la piste 09 variait de 1200 pieds à 2000 pieds et le plafond se situait à 200 pieds AGL. Le dernier aéronef à avoir tenté un atterrissage sur la piste 09 avant le départ du vol de l’événement à l’étude a effectué une approche interrompue et son équipage de conduite a indiqué qu’il ne pouvait pas voir l’environnement de la piste à partir de l’altitude minimale en approche. Lorsque l’aéronef de l’événement à l’étude s’est approché de la piste pour le décollage, la visibilité dans la zone était considérablement réduite.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

L’aéronef était exploité de nuit dans le brouillard et dans une zone où la visibilité était comprise entre ¼ SM et ½ SM. Par conséquent, l’équipage de conduite disposait de peu de repères visibles pour déterminer et vérifier la position de l’aéronef sur la piste 27 de KSAN.

2.1.2 Balisage lumineux

Les similitudes entre les exigences relatives au balisage lumineux de piste des aéroports au Canada et aux États-Unis favorisent une compréhension commune des balisages lumineux lorsque les équipages de conduite effectuent des vols dans l’un ou l’autre pays. Compte tenu du fait que le tronçon de piste avant le seuil décalé de la piste 27 de KSAN est très long, le balisage lumineux d’approche de la piste est encastré de part et d’autre de l’axe de piste et presque au même niveau que la surface asphaltée de la piste. Toutefois, au moment de l’événement, il y avait des arrivées à l’extrémité opposée de la piste, sur la piste 09 et, par conséquent, le balisage lumineux d’approche n’était pas allumé pour la piste 27. Cela correspond aux pratiques de l’ATC au Canada et aux États-Unis.

Le balisage lumineux de piste qui aurait pu être visible dans la vision périphérique du commandant de bord comprenait les feux d’axe de piste. L’espacement du balisage lumineux d’axe de piste a sans doute donné l’impression qu’il s’agissait du balisage lumineux de bord de piste située sur le côté droit de la piste. La perception de ce repère par le commandant de bord pourrait avoir contribué à ce qu’il estime que l’aéronef était aligné sur le centre de la piste, dans la zone située avant le seuil décalé.

2.1.3 Marques

Tandis que le commandant de bord circulait depuis la marque de point d’attente avant piste de la piste 27 vers la piste, il a manœuvré l’aéronef à droite (est) de l’axe de la voie de circulation afin d’augmenter la longueur de piste disponible pour la course au décollage de l’aéronef. Cette action a eu pour effet de réduire le nombre de repères visuels disponibles permettant de déterminer avec précision l’axe de piste. Jazz Aviation LP (Jazz) n’avait pas de procédure d’exploitation normalisée pour le respect des axes des voies de circulation et permettait aux équipages de conduite de s’en écarter au besoin en fonction de leur évaluation de chaque situation.

Les repères visuels fournis par les dimensions et les marques de piste, y compris les marques latérales, sont nettement différents au Canada de ce qu’ils sont aux États-Unis. Au Canada, les marques latérales de piste ne traversent pas les voies de circulation ou les autres pistes qui la croisent. Aux États-Unis, à l’inverse, ces marques, appelées marques de bord de piste, se poursuivent de part et d’autre de ces intersections. Lorsque l’aéronef de l’événement à l’étude s’est engagé sur la piste, la première marque de piste visible pour le commandant de bord a été la marque blanche pleine du bord gauche, qui correspond à l’orientation de la piste. Le commandant de bord a déterminé qu’il s’agissait de l’axe de piste.

Les seuils de piste offrent généralement des environnements visuels distinctifs, établis par des marques de seuil de piste et des numéros de piste, qui permettent aux équipages de conduite de distinguer la largeur et l’orientation de la piste. Cependant, lorsque les équipages de conduite commencent à décoller depuis la zone située devant un seuil décalé (ou depuis une intersection ailleurs sur la piste), ils disposent d’un moins grand nombre de repères visuels pour les aider à définir la largeur de la piste et, par conséquent, l’axe de celle-ci.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Au moment de circuler pour prendre position sur la piste, le commandant de bord a décalé l’aéronef par rapport à la marque d’axe de voie de circulation afin d’augmenter la distance de piste disponible pour le décollage. Ce faisant, il a dû se fier à d’autres repères visuels pour déterminer la position de l’aéronef sur la piste.

2.1.4 Largeur de l’aire de décollage revêtue

Les accotements le long de la piste 09/27 sont beaucoup plus larges que ceux des aéroports canadiens régulièrement desservis par la flotte de Regional Jet de Jazz. Malgré les avantages que présentent les accotements de piste revêtus, ils ont été expressément désignés comme un facteur de risque dans un rapport de sécurité de l’Australian Transport Safety Bureau.

Bien que la marque latérale de piste aide les pilotes à discerner l’orientation d’une piste, elle ressemble également à un axe de piste. Par conséquent, lorsque le commandant de bord a fait circuler l’aéronef sur la piste 27 et l’a aligné sur les marques latérales situées à gauche de la piste, il a eu l’impression qu’il se trouvait au centre de la piste.

À cet endroit, la surface revêtue s’étendait sur environ 260 pieds à gauche de l’aéronef et jusqu’à 610 pieds à droite. Cette grande surface revêtue de chaque côté a renforcé la perception du commandant de bord selon laquelle l’aéronef se trouvait au centre de la piste.

À l’endroit où le commandant de bord a immobilisé l’aéronef sur la marque de bord de piste gauche, l’environnement visuel devant lui comprenait une partie de l’accotement de piste. La partie de l’accotement peinte en vert foncé se trouvait à environ 180 pieds devant l’aéronef. Contrairement aux aires d’accotement de piste des aéroports canadiens desservis régulièrement par la flotte de Regional Jet de Jazz, qui mesurent entre 0 et 25 pieds de large et laissent immédiatement place au gazon ou à une autre surface texturée, l’accotement de la piste de KSAN mesurait 64 pieds de large et comportait une surface revêtue et partiellement peinte de 125 pieds supplémentaires à l’intérieur de la courbe où la voie de circulation B1 rencontre la piste.

De nuit, dans des conditions visuelles dégradées et quand le balisage lumineux d’approche était allumé à l’extrémité opposée de la piste, le commandant de bord n’a très probablement observé aucune différence perceptible entre la surface de la piste et celle de l’accotement parce que les repères visuels permettant de délimiter les 2 zones n’étaient pas suffisamment saillants.

2.1.5 Expérience et attentes du commandant de bord

L’expérience et les attentes du commandant de bord ont eu une incidence sur la façon dont il a perçu l’environnement visuel. Par exemple, la disparité entre les accotements peints à KSAN et le gazon qui se trouve normalement en bordure de la surface revêtue de la piste aux aéroports canadiens, que le commandant de bord connaissait très bien, a probablement renforcé sa perception selon laquelle l’aéronef était aligné sur l’axe de piste.

Même si le balisage lumineux d’approche de la piste 27 n’était pas allumé au moment du mauvais alignement au décollage, le balisage lumineux de bord de piste et d’axe de piste était allumé. Lorsque le commandant de bord a immobilisé l’aéronef sur la marque de bord de piste gauche, le balisage lumineux de bord de piste se trouvait droit devant lui, et le premier feu devant l’aéronef était encastré dans la surface de la piste de la même façon que les feux d’approche autour de l’axe de piste.

Selon les normes, le balisage lumineux de bord de piste de la zone avant le seuil décalé est rouge pour les équipages de conduite alignés sur la piste 27, qu’ils soient au sol ou en vol. Lorsqu’un aéronef est aligné pour décoller depuis la zone de seuil décalé de la piste 27, les feux d’axe de piste situés immédiatement devant l’aéronef sont blancs. Lors du mauvais alignement de l’événement à l’étude, même si le commandant de bord avait vu des feux rouges droit devant et qu’il aurait été illogique que les feux d’axe de piste soient rouges dans cette zone, il est possible que la présentation visuelle de la piste dans son ensemble ait été suffisamment fidèle à l’environnement visuel auquel il s’attendait. Il est également possible que, dans le contexte dans lequel le commandant de bord les a vus, les feux rouges situés devant l’aéronef aient été interprétés simplement comme des feux, et ce, sans tenir compte de la couleur.

La taille de l’accotement de piste à gauche des feux de bord de piste devant l’aéronef, combinée à l’environnement visuel dont disposait le commandant de bord devant, du côté gauche des feux de bord de piste, correspondait probablement à ce qu’il s’attendait de la moitié gauche de la piste, à gauche des feux d’axe de piste. Compte tenu de l’obscurité, de l’absence de lumière en provenance du balisage lumineux d’approche encastré de la piste 27 et des conditions visuelles dégradées, le commandant de bord s’est surtout concentré sur la zone se trouvant à proximité et directement devant l’aéronef, plutôt que sur une plus longue distance. De jour et dans des conditions visuelles non dégradées, il y a normalement d’autres repères visuels périphériques non saillants dans la zone. Toutefois, en raison des conditions visuelles au moment de l’événement à l’étude, le commandant de bord ne disposait pas de ces repères.

L’enquête a permis de constater que, au cours d’une période de 3 mois entourant la date de l’événement à l’étude, au cours de laquelle tous les vols aller (JZA766) et partant (JZA767) de Jazz (158 vols au total) ont été étudiés, 94 % d’entre eux utilisaient la piste 27. Au cours de cette période, il est arrivé seulement 3 fois que le vol aller atterrisse sur la piste 09 et que le vol partant décolle de la piste 27. Malgré son expérience et le fait qu’il ait effectué régulièrement le trajet entre Vancouver et San Diego, il est possible que le commandant de bord n’ait jamais réalisé de décollage de nuit à partir de la zone située avant le seuil décalé de la piste 27 de KSAN, lorsque les feux d’approche encastrés étaient éteints. Par conséquent, ses attentes et son expérience ont probablement contribué au fait qu’il a confondu le balisage lumineux de bord de piste avec le balisage lumineux d’axe de piste.

Compte tenu du nombre de repères visuels disponibles la nuit de l’événement, l’environnement visuel autour de l’aéronef a été perçu par le commandant de bord comme étant le centre de la piste dans la zone située avant le seuil décalé, tandis que les repères permettant d’indiquer que l’aéronef était au contraire aligné sur le bord de piste étaient trop subtils pour que le commandant de bord se rende compte du mauvais alignement pour le décollage.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Lors du virage à gauche pour s’établir sur le cap de piste en vue du décollage, les repères visuels limités et ambigus qui étaient disponibles répondaient probablement aux attentes du commandant de bord. Par conséquent, il a perçu le bord de piste gauche comme étant l’axe de piste et a aligné l’aéronef latéralement sur le bord gauche plutôt que sur le centre de la piste.

2.1.6 Procédure d’alignement

Selon le manuel d’utilisation de l’aéronef (AOM) de Jazz, l’équipage de conduite doit confirmer qu’il s’agit bien de la piste assignée en utilisant 1 des 3 méthodes suivantes : en observant l’indicatif de piste (numéro) inscrit sur la surface, en utilisant l’indicateur de situation horizontale (HSI) pour vérifier le cap, ou en utilisant le radiophare d’alignement de piste pour vérifier la trajectoire et la direction. L’AOM indique également que, dans des conditions où la visibilité est inférieure à ½ SM ou que la portée visuelle de piste est inférieure à 2600, les seuls moyens de vérification acceptables sont l’indicatif de piste et le radiophare d’alignement de piste. Toutefois, étant donné que les conditions météorologiques ont été signalées sur la fréquence du service automatique d’information de région terminale (ATIS) de KSAN comme étant de ½ SM (pas inférieures à ½ SM) au moment du départ, et que le départ avait lieu dans la zone située avant le seuil décalé, aucun indicatif de piste n’était disponible, et le commandant de bord a effectué cette vérification en consultant seulement le HSI du poste de pilotage, ce qui était autorisé par l’AOM de Jazz.

Bien que la vérification du cap au compas du HSI réponde à l’objectif de la procédure d’alignement telle qu’elle est rédigée, c’est-à-dire vérifier que l’aéronef est sur la bonne piste, elle ne permet pas de prévenir un mauvais alignement latéral sur la piste. À l’inverse, les 2 autres méthodes d’identification des pistes peuvent être des moyens de protection contre une erreur d’assignation de piste et un mauvais alignement de piste. Cependant, seule la vérification du radiophare d’alignement de piste s’applique aux départs à partir de positions autres que le seuil de piste (p. ex. avant un seuil décalé ou à une intersection).

Comme le démontre la recherche de l’Australian Transport Safety Bureau sur les facteurs qui influent sur les événements liés à un mauvais alignement au décollage la nuit, ainsi que les rapports d’événements antérieurs du BST et la collecte de renseignements sur les mauvais alignements qui sont propres à la piste 27 de KSAN, les mauvais alignements au décollage sont peu fréquents, mais ils ne sont pas rares. Étant donné que l’exploitant de l’aéroport ne tient pas de registre relatif aux mauvais alignements au décollage, il est impossible de savoir exactement combien se sont produits dans la zone située avant le seuil décalé de la piste 27 de KSAN. L’ampleur réelle du risque est donc inconnue.

Fait établi quant aux risques

Si les équipages de conduite s’alignent sur des pistes dans la zone située avant le seuil décalé ou effectuent des départs à partir d’une intersection dans des conditions visuelles dégradées ou de nuit, sans confirmer la position latérale de l’aéronef sur la piste, il existe un risque accru de mauvais alignements ou de sorties latérales de piste.

2.1.7 Perception du premier officier

Immédiatement avant le décollage du vol de l’événement à l’étude, 9 aéronefs sont arrivés de façon consécutive sur la piste 09 en très peu de temps, et le dernier aéronef de la séquence a effectué une approche interrompue parce qu’il n’était pas en mesure d’obtenir le repère visuel requis pour atterrir. À ce moment-là, l’aéronef de l’événement à l’étude était le 2e d’une file de 4 aéronefs qui attendaient pour décoller de la même piste dans la direction opposée (piste 27) avant la prochaine séquence d’arrivées consécutives sur la piste 09. KSAN étant un aéroport de service commercial à piste unique, et l’un des plus achalandés au monde, le volume des arrivées et des départs crée une cadence rapide pour les mouvements d’aéronefs. Le jour de l’événement, la cadence rapide, combinée aux conditions météorologiques qui se détérioraient, a probablement fait en sorte que le premier officier a perçu une pression temporelle.

Lorsque le contrôleur de la circulation aérienne a demandé à l’équipage de conduite de l’aéronef de l’événement à l’étude de s’aligner et d’attendre, le premier officier a relu l’instruction. Il a ensuite procédé aux vérifications avant décollage, puis à la confirmation au moyen de la liste de vérification, et il a fait de même pour les vérifications d’alignement et la liste de vérification. Lorsque l’aéronef s’est engagé sur la piste, le premier officier, pour exécuter ses tâches du poste de pilotage, a sans doute porté son attention, en alternance, sur la tâche principale consistant à faire les vérifications du poste de pilotage et sur la surveillance et les contre-vérifications. Compte tenu de l’évolution de la situation et de la pression temporelle perçue, il est probable que les repères environnementaux présents dans l’environnement de la piste n’aient pas été suffisamment saillants pour permettre au premier officier de détecter le mauvais alignement de piste.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

La complexité des opérations selon les règles de vol aux instruments sur une surface de piste unique, avec des arrivées à une extrémité et des départs à l’autre, a créé un environnement dans lequel l’équipage de conduite a perçu une pression temporelle pour le décollage. Par conséquent, le premier officier, qui effectuait les vérifications d’alignement pendant que le commandant de bord circulait pour se mettre en position, n’a pas surveillé la progression de la circulation.

L’équipage de conduite a reçu son autorisation de décollage lorsque l’aéronef de l’événement à l’étude circulait sur la marque de bord gauche de la piste et s’immobilisait. Le premier officier a relu l’autorisation, puis le commandant de bord lui a transféré les commandes de l’aéronef. En raison de la cadence de ces événements, combinée à la perception d’une pression temporelle due à la séquence rapide et continue des arrivées et des départs, le premier officier n’a porté son attention sur l’environnement visuel extérieur que pendant très peu de temps.

Pendant le peu de temps consacré à la vérification de l’état de préparation au décollage, les repères visuels dans l’environnement de la piste correspondaient probablement à ce qui était attendu : à savoir, une rangée de feux droit devant, une autre rangée de feux alignés à 100 pieds à droite et une surface revêtue à gauche du cap de l’aéronef. De plus, l’extrémité de la piste et les bâtiments de l’aéroport n’étaient pas clairement visibles en raison de l’obscurité et des conditions visuelles dégradées.

Étant donné que le premier officier connaissait bien KSAN et qu’il avait déjà volé aux côtés du commandant de bord, il s’attendait de surcroît à ce que l’aéronef soit aligné sur l’axe lorsque le commandant de bord a confirmé l’alignement de piste et lui a transféré les commandes de l’aéronef. En raison des conditions visuelles dégradées de nuit et du peu de temps passé à surveiller l’environnement visuel, les repères visuels disponibles n’étaient pas suffisamment saillants pour modifier l’attente du premier officier selon laquelle l’aéronef était aligné sur l’axe de piste.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

En raison du nombre réduit de repères visuels et de la pression temporelle ressentie, le premier officier ne s’est pas rendu compte que le nez de l’aéronef était aligné avec le bord gauche de la piste lorsqu’il a pris le rôle de pilote aux commandes peu avant le début de la course au décollage.

Pendant la course au décollage, les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté et cassé 3 feux de bord de piste, endommageant du même coup les pneus et les volets de l’aéronef.

L’équipage de conduite ne s’est pas rendu compte que l’aéronef avait heurté les feux de bord de piste, car il a cru que les bruits et les vibrations correspondaient à un contact normal avec les feux d’axe de piste encastrés et, par conséquent, il a poursuivi le départ.

2.1.8 Objets intrus non détectés

À KSAN, le système de surveillance d’équipement aéroportuaire de détection de surface – modèle X (ASDE-X) de la tour ATC fournit des repères accrus aux contrôleurs, ce qui leur permet de mieux identifier tous les aéronefs et véhicules présents sur l’aire de mouvement de l’aéroport. Cependant, le système n’est pas conçu pour alerter les contrôleurs en cas de situations dangereuses conduisant à un mauvais alignement au décollage. Par conséquent, lors d’opérations de nuit effectuées dans des conditions visuelles dégradées, et en l’absence d’alertes relatives à un éventuel mauvais alignement de piste, il est peu probable que le contrôleur aérien ait eu suffisamment d’indices pour repérer le mauvais alignement de l’aéronef de l’événement à l’étude sur la piste.

Dans l’événement à l’étude, l’aéronef a subi des dommages mineurs. Il a fallu remplacer les roues du train d’atterrissage principal gauche et réparer les trous de perforation du volet intérieur gauche. Si l’équipage de conduite ignorait les dommages subis par son aéronef, l’exploitant de l’aéroport et les contrôleurs ne savaient pas non plus que le balisage lumineux de piste avait été endommagé et que des débris étaient restés sur la piste, car KSAN n’est pas équipé d’un système de détection des objets intrus. Pendant les quelque 8 heures qui se sont écoulées entre le mauvais alignement au décollage de l’aéronef de l’événement à l’étude et le moment où le San Diego County Regional Airport Authority a eu connaissance de l’événement, des débris provenant des feux brisés sont demeurés dans l’environnement de la piste, ce qui constituait un danger pour les autres aéronefs au décollage.

Fait établi quant aux risques

Si la présence d’objets intrus sur les pistes n’est pas détectée et repérée en temps opportun, il existe un risque que ceux-ci endommagent les aéronefs pendant les phases critiques de vol.

2.1.9 Gestion des menaces et des erreurs

Une formation en gestion des ressources de l’équipage (CRM) et en gestion des menaces et des erreurs (TEM) est dispensée chaque année à tous les membres d’équipage de conduite et d’équipage de cabine de Jazz, ainsi qu’aux répartiteurs et aux contrôleurs de la maintenance des aéronefs. Pendant la formation en TEM, le personnel discute de menaces possibles et de moyens permettant d’éviter que celles-ci ne se transforment en erreurs lorsqu’un état indésirable de l’aéronef persiste. Cette formation s’appuie sur des scénarios fondés sur des renseignements relatifs aux menaces et aux erreurs pertinentes dans le cadre d’opérations quotidiennes. Selon les procédures de Jazz, les équipages de conduite recensent généralement les menaces courantes ou répandues lors des exposés standards avant vol.

Chaque semestre, Jazz conçoit un entraînement et une vérification sur simulateur en s’appuyant notamment sur les menaces et les erreurs pertinentes recensées par de nombreuses sources internes et externes. Bien que les séances de formation en CRM et en TEM de Jazz comprennent des stratégies visant à aider les équipages de conduite à gérer la distraction et l’attention, cet événement démontre que les tâches d’un membre d’équipage dans le poste de pilotage peuvent devenir complexes et nécessiter une plus grande attention au moment où l’aéronef s’engage sur la piste. La nécessité d’effectuer les vérifications et d’exécuter les listes de vérification connexes du poste de pilotage tout en surveillant l’environnement de l’aéronef exige de changer son attention d’une tâche à l’autre. Ces demandes concurrentes peuvent amener un membre d’équipage de conduite à être partiellement distrait ou inattentif lorsqu’il surveille la position de l’aéronef, ce qui peut l’amener à ne pas bien saisir une situation.

La TEM s’est avérée un ajout efficace à la formation des équipages de conduite et elle est requise pour toutes les opérations aériennes commerciales au Canada. Dans l’événement à l’étude, l’équipage de conduite a cerné une menace (longueur de piste limitée) et l’a gérée en s’écartant de l’axe de la voie de circulation pour utiliser une plus longue distance de piste. Cependant, cette mesure d’atténuation, bien qu’elle permette généralement de réduire le risque de sortie en bout de piste, a également eu pour effet de diminuer le nombre de repères visuels dont disposait l’équipage de conduite pour aligner l’aéronef sur le centre de la piste. Étant donné que l’équipage n’avait pas considéré un mauvais alignement au décollage comme une menace possible courante susceptible de survenir dans l’environnement et les conditions dans lesquels le vol devait se dérouler, cette menace n’a pas été prise en compte ni gérée.

2.2 Déséquilibre de carburant entraînant l’arrêt en vol du moteur droit

2.2.1 Déséquilibre de carburant

Peu avant que l’aéronef ne s’engage sur la piste de décollage, le premier officier a effectué les vérifications avant décollage, ce qui l’a amené à enfoncer l’interrupteur à bouton-poussoir XFLOW AUTO OVERRIDE pour sélectionner « MAN » (mode manuel). Cet interrupteur est situé sur le tableau plafond, directement sous l’interrupteur à bouton-poussoir GRAVITY XFLOW (figure 15, section 1.17.5.2.1 Procédures normales). Selon les procédures élargies figurant dans l’AOM de l’exploitant, une fois que cet interrupteur est enfoncé, le premier officier doit s’assurer de la présence du message MAN XFLOW sur le système d’affichage des paramètres moteurs et d’alerte de l’équipage (EICAS) et de l’absence du message GRAV XFLOW OPEN. La liste de vérification après le décollage, qui est normalement exécutée après le réglage de la poussée de montée lorsque la charge de travail le permet, exige que l’équipage de conduite appuie de nouveau sur l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE pour le remettre en position AUTO.

Les aéronefs Regional Jet des séries 700 et 900 présentaient auparavant un problème connu où la sélection de la pompe de flux transversal en mode manuel déclenchait un faux message d’avertissement « XFLOW PUMP » si la sélection en mode manuel était effectuée alors que le transfert automatique était sur le point de s’arrêter. Le fabricant de l’ordinateur de jaugeage carburant (FQGC) a résolu ce problème en 2006 en intégrant une mise à jour logicielle. Cette mise à jour avait été intégrée au FQGC de l’aéronef de l’événement à l’étude. Cependant, des renseignements plus récents fournis par le fabricant du FQGC indiquent une persistance de ces faux messages. La source de ce problème répétitif n’a pas pu être déterminée en raison de données limitées.

Lors du vol à l’étude, le message d’avertissement XFLOW PUMP a été enregistré à environ 6500 pieds dans la montée initiale, à peu près au moment où le pilote surveillant (PM) (le commandant de bord) effectuait les vérifications après le décollage, ce qui nécessitait d’appuyer sur l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE. Si cet interrupteur avait été laissé par inadvertance sur AUTO au moment du décollage, cette intervention aurait réglé l’interrupteur sur MAN (manuel), au lieu de remettre celui-ci en position AUTO.

Le court délai entre la sélection de l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE, possiblement en mode manuel, et l’apparition du message d’avertissement correspond aux conditions qui étaient auparavant connues pour entraîner un faux avertissement à l’occasion. Par conséquent, comme il n’y a pas eu d’indication de défaillance de la pompe après l’événement, il est probable que le message d’avertissement « XFLOW PUMP » que l’équipage de conduite a reçu n’était pas une véritable indication de défaillance de la pompe, même si le FQGC de l’aéronef avait été mis à jour avec un logiciel conçu pour résoudre ce problème.

Selon les données enregistrées, lorsque l’aéronef poursuivait sa montée, il a maintenu un angle d’inclinaison très léger vers la gauche, soit d’environ 1°. L’équipage n’était probablement pas conscient de cet angle d’inclinaison, car celui-ci était très faible et semblable à l’angle d’inclinaison statique que l’aéronef présentait au sol avant le décollage. Pendant cette période d’inclinaison constante, la quantité de carburant dans le réservoir d’aile gauche est demeurée stable ou a augmenté lentement, tandis que la quantité de carburant dans le réservoir central et le réservoir d’aile droit a continué de diminuer.

Pendant que le vol se poursuivait, l’équipage de conduite a surveillé le déséquilibre de carburant conformément aux instructions de la liste de vérification liée au message d’avertissement XFLOW PUMP. Environ 17 minutes après l’affichage du message d’avertissement « XFLOW PUMP », alors que l’aéronef franchissait le niveau de vol (FL) 310 en montée, le transfert net de carburant du réservoir d’aile droit à celui d’aile gauche était supérieur à 5000 livres par heure (lb/h). Ce débit de transfert n’est possible que si le flux transversal par gravité est ouvert, étant donné qu’il dépasse largement la capacité de la pompe de flux transversal. Ce débit élevé a précédé d’environ 8 minutes l’affichage du message d’avertissement « FUEL IMBALANCE » et l’exécution par l’équipage de conduite de la procédure d’intercommunication par gravité qui s’en est suivie. Bien que le débit de transfert enregistré indique que le robinet de flux transversal par gravité était ouvert, l’équipe n’avait pas encore effectué de procédure exigeant l’ouverture de ce robinet.

Le robinet est actionné de façon entièrement manuelle et n’est pas contrôlé par le FQGC de l’aéronef. Pour que le robinet soit ouvert à ce moment-là, il faut qu’il ait été défaillant ou qu’il ait été ouvert par inadvertance par l’équipage de conduite. Les sélections des interrupteurs du panneau carburant ne sont pas enregistrées par l’enregistreur de données de vol de l’aéronef, de sorte qu’il n’a pas été possible de déterminer avec certitude que le robinet de flux transversal par gravité avait été ouvert par l’équipage de conduite. Toutefois, le robinet ne présentait aucune défaillance mécanique, et le problème ne s’est pas reproduit depuis lors. L’EICAS affiche un message si ce robinet tombe en panne, mais rien n’indique que ce message s’est affiché lors de l’événement à l’étude.

En outre, l’interrupteur de flux transversal par gravité est situé directement au-dessus de l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE sur le panneau carburant du tableau plafond. Ces 2 interrupteurs sont à proximité l’un de l’autre et les débits de transfert enregistrés indiquent que le robinet de flux transversal par gravité devait être ouvert. Par conséquent, le scénario le plus probable est que le robinet a été ouvert par inadvertance par l’équipage de conduite, qui a appuyé sur l’interrupteur avant que les débits de transfert élevés ne soient observés. Les 2 seules procédures normales qui exigent que l’équipage de conduite appuie sur un interrupteur du panneau carburant du tableau plafond sont celles où la fonction XFLOW AUTO OVERRIDE est sélectionnée pendant l’exécution de la liste de vérification avant le décollage et de celle après le décollage. Il est donc possible que cette mauvaise sélection se soit produite à l’un de ces moments.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Lors de l’exécution de la liste de vérification avant le décollage ou de celle après le décollage, il est probable que l’équipage de conduite a appuyé par inadvertance sur l’interrupteur à bouton-poussoir de flux transversal par gravité plutôt que sur celui de surpassement automatique de flux transversal, qui est situé plus ou moins au même endroit. Par conséquent, pendant le vol, le carburant a été périodiquement transféré par gravité entre les réservoirs d’aile de l’aéronef lorsque celui-ci était incliné à gauche ou à droite, ce qui a aggravé le déséquilibre de carburant.

2.2.2 Directives à l’intention des équipages de conduite

2.2.2.1 Directives relatives à la sélection des interrupteurs

La liste de vérification en situation anormale liée au message d’avertissement « XFLOW PUMP » du manuel de référence rapide (QRH) de Jazz informe les équipages de conduite que, s’il n’y a pas de déséquilibre latéral de carburant, ils doivent surveiller les quantités de carburant et, inversement, s’il y a un déséquilibre, ils doivent alors suivre la procédure d’intercommunication par gravité du QRH. Après avoir pris connaissance du message d’avertissement initial, l’équipage de conduite a déterminé que le déséquilibre, qui était inférieur à 200 livres à ce moment-là, était mineur. Lorsque l’aéronef a franchi le FL310 en montée, le déséquilibre latéral de carburant a commencé à s’aggraver. L’équipage de conduite a tenté de régler le problème, mais le déséquilibre latéral de carburant s’est poursuivi et a atteint la limite de 800 livres lorsque l’aéronef se trouvait à son altitude de croisière de FL340. Ce dépassement était accompagné d’un message d’avertissement « FUEL IMBALANCE » sur l’EICAS. Ce message d’avertissement fait l’objet d’une liste de vérification en situation anormale qui lui est propre. Toutefois, compte tenu de la chronologie des messages, le PM est revenu à la liste initiale de vérification en situation anormale liée à la pompe de flux transversal et a donc poursuivi la procédure d’intercommunication par gravité.

Les étapes de la procédure d’intercommunication par gravité figurant dans le QRH de Jazz demandaient au PM de placer les interrupteurs correspondant au flux transversal à gauche et à droite (L XFLOW et R XFLOW) en position « OFF » (arrêt) (interrupteurs non enfoncés). L’équipage devait ensuite placer l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE (dont le bouton-poussoir est étiqueté « MAN ») en position « OFF » (arrêt). Cependant, « OFF » (arrêt) ne correspond pas à l’une des deux positions disponibles : AUTO (interrupteur non enfoncé) ou MAN (interrupteur enfoncé).

Malgré le manque de clarté des instructions, le PM s’est assuré que l’interrupteur XFLOW AUTO OVERRIDE était en position AUTO (non enfoncé). Cette action était cohérente avec la position logique et l’apparence de l’interrupteur par rapport aux autres interrupteurs situés sur le même panneau et mentionnés immédiatement avant dans les étapes de la liste de vérification, et elle correspondait à l’instruction prévue par le constructeur et à la conception de la liste de vérification et à la logique de la position de l’interrupteur. Selon la conception du constructeur, l’interrupteur est censé être en mode automatique et l’interrupteur « MAN » ne doit pas être enfoncé, ce qui permet de maintenir le contrôle du FQGC sur le processus de transfert de carburant.

2.2.2.2 Directives relatives aux glissades

L’équipage de conduite a poursuivi l’exécution de la liste de vérification de la procédure d’intercommunication par gravité et a atteint l’étape qui lui a demandé d’effectuer une glissade à cap constant. Bien que cette manœuvre soit une stratégie courante pour rester aligné sur l’axe de piste lors d’un atterrissage par vent de travers, il ne s’agit pas d’une manœuvre de vol normalement utilisée à l’altitude de croisière. Pour entrer en glissade, il faut incliner l’aéronef avec les ailerons et utiliser la force de la gouverne de direction pour résister au moment de virage, ce qui permet de maintenir l’aéronef dans une assiette latérale tout en conservant un cap constant. Cette assiette, combinée à l’ouverture du robinet de flux transversal par gravité, permettra de transférer le carburant entre le réservoir d’aile gauche et celui d’aile droite. Toutefois, la liste de vérification de la procédure d’intercommunication par gravité figurant dans le QRH de Jazz comporte une note (fournie pour aider l’équipage de conduite à mieux comprendre la liste de vérification) qui indique à l’équipage de conduite d’établir un angle d’inclinaison en utilisant la pédale de palonnier. Cette instruction diffère légèrement de la liste de vérification figurant dans le QRH du constructeur, qui indique expressément aux équipages de conduite d’incliner l’aéronef d’abord, puis d’utiliser la gouverne de direction au besoin pour éviter le moment de virage.

En outre, la liste de vérification n’exige pas que le pilote automatique soit débrayé pour la manœuvre de glissade. Bien que cela n’empêche pas l’aéronef d’entrer en glissade, une interprétation du libellé de la liste de vérification de Jazz peut sous-entendre une instruction différente de celle de la liste de vérification du constructeur. La liste de vérification de Jazz indique aux équipages de conduite d’établir un angle d’inclinaison vers le bas, du côté où il y a le moins de carburant, en utilisant la gouverne de direction. Une manœuvre de la gouverne de direction du côté où se trouve la plus faible quantité de carburant induit un moment de lacet dans cette direction. Si le pilote automatique est embrayé, le système réagira pour maintenir le cap en inclinant l’aéronef, mais du côté opposé, celui où se trouve la plus grande quantité de carburant.

Fait établi quant aux risques

Lorsque le libellé d’une liste de vérification est ambigu ou peu clair ou lorsque le libellé de la liste de vérification d’un exploitant diffère de celui de la liste de vérification fournie par le constructeur, un équipage de conduite peut, pour tenter de remédier à une situation anormale ou d’urgence, exécuter les procédures d’une manière non prévue par le constructeur, ce qui accroît le risque que l’aéronef se retrouve dans un état indésirable.

Selon les données de vol enregistrées, l’équipage de conduite de l’événement à l’étude a laissé le pilote automatique embrayé et, lorsque l’aéronef est entré en glissade, la 1re sollicitation des commandes a été la gouverne de direction droite (du côté de la plus faible quantité de carburant). Cela s’est traduit par un angle d’inclinaison vers la gauche de 2,2° en moyenne pendant environ les 3 minutes suivantes. Étant donné que l’équipage de conduite faisait face à une situation qui lui semblait nouvelle, de nuit, l’angle d’inclinaison dans la direction opposée est passé inaperçu. Encore plus de carburant a ainsi été transféré vers le réservoir d’aile gauche, qui a rapidement atteint sa quantité maximale.

L’équipage de conduite de l’événement à l’étude n’a pas été le seul, dans une telle situation, à manœuvrer la gouverne de direction dans le sens opposé à celui qui était requis. En effet, l’enquête a permis de constater qu’un 2e événement de déséquilibre de carburant est survenu environ 2 mois plus tard à bord d’un autre aéronef de Jazz. L’équipage de conduite concerné a également continué le vol en laissant le pilote automatique embrayé et en exerçant une pression sur la gouverne de direction du côté où la quantité de carburant était la plus faible. Cette manœuvre a provoqué un transfert rapide et important de carburant vers le côté qui en contenait déjà une plus grande quantité (ce qui a rapidement entraîné un déséquilibre latéral de plus de 2300 livres). Toutefois, l’équipage de conduite a reconnu la situation et l’a corrigée, ce qui a permis de réduire le déséquilibre de carburant à seulement 200 livres environ. Cet équipage de conduite a reconnu la situation en moins d’une minute, contrairement à l’équipage de conduite de l’événement à l’étude, mais il faisait jour et l’angle d’inclinaison était d’environ 4°.

Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

De nuit, alors que le pilote automatique était embrayé, l’aéronef a été placé en manœuvre de glissade vers le réservoir d’aile contenant la plus grande quantité de carburant, et ce, sans que l’équipage de conduite s’aperçoive de cette inclinaison opposée. Par conséquent, le déséquilibre latéral de carburant n’a pas été contrôlé et s’est exacerbé.

Le déséquilibre de carburant, qui n’était pas lié aux dommages subis pendant la course au décollage, a amené l’équipage de conduite à déclarer une situation d’urgence et à dérouter l’aéronef vers un aéroport voisin pour un atterrissage d’urgence.

Lorsque l’équipage de conduite a pris la décision de dérouter l’aéronef vers KLAX, l’ATC lui a donné l’autorisation d’effectuer un virage à gauche pour faire demi-tour. Cette assiette de vol soutenue, alors que l’aile gauche (qui transportait le réservoir contenant la plus grande quantité de carburant) était basse et que le robinet de flux transversal par gravité était ouvert, a très certainement continué d’accentuer le déséquilibre latéral de carburant.

Les listes de vérification de la procédure d’intercommunication par gravité des 2 QRH indiquent que si un équilibre latéral de carburant peut être établi, l’équipage doit reprendre le vol coordonné et fermer le robinet de flux transversal par gravité. Cependant, si l’équilibre latéral de carburant ne peut pas être contrôlé dans les limites de l’aéronef, le moteur situé du côté où la quantité de carburant est la plus faible doit être coupé par mesure de précaution. L’équipage de conduite de l’événement à l’étude a exécuté cette procédure conformément à la liste de vérification en situation anormale pour l’arrêt moteur en vol figurant dans le QRH de Jazz.

L’étape 7 de la liste de vérification anormale pour l’arrêt moteur en vol indique aux équipages de conduite de mettre le circuit de flux transversal de carburant en mode automatique, en plaçant l’interrupteur dans la même position (interrupteur non enfoncé) que celle qui doit être sélectionnée pour un vol normal et dans la même position que celle interprétée par le commandant de bord comme étant celle requise lors de la procédure d’intercommunication par gravité. Une note en milieu de liste de vérification indique que les équipages de conduite peuvent être amenés à exécuter la procédure d’intercommunication par gravité au besoin et si le temps le permet.

Toutefois, la suite de la liste de vérification pour l’arrêt moteur en vol et la liste de vérification subséquente pour l’approche et l’atterrissage avec un seul moteur ne contiennent aucune autre instruction sur la fermeture du robinet de flux transversal par gravité. Lorsque ce robinet reste ouvert, tout le carburant restant à bord est disponible pour le moteur en fonction; toutefois, dans cet événement, puisque le robinet est resté ouvert et que le carburant a continué de se transférer dans le réservoir d’aile gauche, qui était physiquement plus bas que le réservoir d’aile droit, le déséquilibre latéral de carburant a dépassé 2400 livres pendant le déroutement vers KLAX.

Selon les données de vol enregistrées, après le déséquilibre latéral maximal, l’angle d’inclinaison de l’aéronef s’est parfois déplacé vers la droite (y compris dans un virage prolongé d’environ 180° vers la droite où l’angle d’inclinaison était d’environ 15°) en approche finale de KLAX. Pendant cette partie du vol, le déséquilibre latéral de carburant a été réduit à environ 1120 livres avant d’augmenter à nouveau une fois l’aéronef établi en approche finale. Il a continué à augmenter jusqu’à l’atterrissage.

Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

Les listes de vérification n’exigeaient pas que l’équipage de conduite ferme le robinet de flux transversal par gravité après la tentative de procédure d’intercommunication par gravité. Par conséquent, le robinet ouvert a parfois aggravé le déséquilibre de carburant lors des manœuvres subséquentes et était à un moment donné plus de 3 fois supérieur au maximum admissible.

3.0 Faits établis

3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

  1. L’aéronef était exploité de nuit dans le brouillard et dans une zone où la visibilité était comprise entre ¼ mille terrestre et ½ mille terrestre. Par conséquent, l’équipage de conduite disposait de peu de repères visibles pour déterminer et vérifier la position de l’aéronef sur la piste 27 de l’aéroport international de San Diego.
  2. Au moment de circuler pour prendre position sur la piste, le commandant de bord a décalé l’aéronef par rapport à la marque d’axe de voie de circulation afin d’augmenter la distance de piste disponible pour le décollage. Ce faisant, il a dû se fier à d’autres repères visuels pour déterminer la position de l’aéronef sur la piste.
  3. Lors du virage à gauche pour s’établir sur le cap de piste en vue du décollage, les repères visuels limités et ambigus qui étaient disponibles répondaient probablement aux attentes du commandant de bord. Par conséquent, il a perçu le bord de piste gauche comme étant l’axe de piste et a aligné l’aéronef latéralement sur le bord gauche plutôt que sur le centre de la piste.
  4. La complexité des opérations selon les règles de vol aux instruments sur une surface de piste unique, avec des arrivées à une extrémité et des départs à l’autre, a créé un environnement dans lequel l’équipage de conduite a perçu une pression temporelle pour le décollage. Par conséquent, le premier officier effectuait les vérifications d’alignement pendant que le commandant de bord circulait pour se mettre en position, n’a pas surveillé la progression de la circulation.
  5. En raison du nombre réduit de repères visuels et de la pression temporelle ressentie, le premier officier ne s’est pas rendu compte que le nez de l’aéronef était aligné avec le bord gauche de la piste lorsqu’il a pris le rôle de pilote aux commandes peu avant le début de la course au décollage.
  6. Pendant la course au décollage, les roues du train d’atterrissage principal gauche de l’aéronef ont heurté et cassé 3 feux de bord de piste, endommageant du même coup les pneus et les volets de l’aéronef.
  7. L’équipage de conduite ne s’est pas rendu compte que l’aéronef avait heurté les feux de bord de piste, car il a cru que les bruits et les vibrations correspondaient à un contact normal avec les feux d’axe de piste encastrés et, par conséquent, il a poursuivi le départ.
  8. Lors de l’exécution de la liste de vérification avant le décollage ou de celle après le décollage, il est probable que l’équipage de conduite a appuyé par inadvertance sur l’interrupteur à bouton-poussoir de flux transversal par gravité plutôt que sur celui de surpassement automatique de flux transversal, qui est situé plus ou moins au même endroit. Par conséquent, pendant le vol, le carburant a été périodiquement transféré par gravité entre les réservoirs d’aile de l’aéronef lorsque celui-ci était incliné à gauche ou à droite, ce qui a aggravé le déséquilibre de carburant.
  9. De nuit, alors que le pilote automatique était embrayé, l’aéronef a été placé en manœuvre de glissade vers le réservoir d’aile contenant la plus grande quantité de carburant, et ce, sans que l’équipage de conduite s’aperçoive de cette inclinaison opposée. Par conséquent, le déséquilibre latéral de carburant n’a pas été contrôlé et s’est exacerbé.
  10. Le déséquilibre de carburant, qui n’était pas lié aux dommages subis pendant la course au décollage, a amené l’équipage à déclarer une situation d’urgence et à dérouter l’aéronef vers un aéroport voisin pour un atterrissage d’urgence.
  11. Les listes de vérification n’exigeaient pas que l’équipage de conduite ferme le robinet de flux transversal par gravité après la tentative de procédure d’intercommunication par gravité. Par conséquent, le robinet ouvert a parfois aggravé le déséquilibre de carburant lors des manœuvres subséquentes et était à un moment donné plus de 3 fois supérieur au maximum admissible.

3.2 Faits établis quant aux risques

Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

  1. Si les équipages de conduite s’alignent sur des pistes dans la zone située avant le seuil décalé ou effectuent des départs à partir d’une intersection dans des conditions visuelles dégradées ou de nuit, sans confirmer la position latérale de l’aéronef sur la piste, il existe un risque accru de mauvais alignements ou de sorties latérales de piste.
  2. Si la présence d’objets intrus sur les pistes n’est pas détectée et repérée en temps opportun, il existe un risque que ceux-ci endommagent les aéronefs pendant les phases critiques de vol.
  3. Lorsque le libellé d’une liste de vérification est ambigu ou peu clair ou lorsque le libellé de la liste de vérification d’un exploitant diffère de celui de la liste de vérification fournie par le constructeur, un équipage de conduite peut, pour tenter de remédier à une situation anormale ou d’urgence, exécuter les procédures d’une manière non prévue par le constructeur, ce qui accroît le risque que l’aéronef se retrouve dans un état indésirable.

4.0 Mesures de sécurité

4.1 Mesures de sécurité prises

4.1.1 Jazz Aviation LP

Le service des opérations aériennes de Jazz Aviation LP (Jazz) a examiné les 35 aéroports aux États-Unis et les 41 aéroports au Canada de son réseau et a déterminé ceux qui nécessitent des mesures d’atténuation des risques afin de réduire au minimum le risque lié à la présence de seuils décalés. À la suite de ces travaux, qui ont porté sur 42 pistes aux États-Unis et 13 pistes au Canada, des avertissements supplémentaires ont été inclus sur les cartes d’aérodromes de Jazz pour mettre en évidence les risques liés aux départs à l’intérieur de ces zones de seuil décalé. Par exemple, les cartes de l’aéroport international de San Diego (KSAN) comprennent désormais une remarque concernant les départs, qui informe les équipages de conduite de la menace d’une vérification incorrecte de la piste. Elle énonce que [traduction] :

  1. Les pistes 9 et 27 ont des seuils d’atterrissage décalés, ce qui a une incidence sur le balisage lumineux et les marques de piste disponibles pour l’alignement et le début de la course au décollage sur l’ensemble de la piste. Faites preuve de prudence lorsque vous décollez par visibilité réduite ou de nuit, afin de vous assurer que l’aéronef se trouve bien sur l’axe de piste.
  2. De nuit ou par faible visibilité, demandez à l’ATC [contrôle de la circulation aérienne] d’allumer les feux de piste sur la piste de départ si le décollage se fait face au trafic à l’atterrissage.
  3. Utilisez le radiophare d’alignement de piste pour vérifier la piste et l’axe de piste en raison l’emplacement des indicatifs de piste aux seuils décalés.
  4. Utilisez les flèches blanches sur l’axe de piste entre le début de la piste et le seuil décalé pour bien confirmer l’alignement avec l’axe de piste.Note de bas de page 87

Outre l’étude des aéroports de son réseau et la modification de ses cartes d’aérodromes, Jazz a diffusé une note de service à tous les pilotes, pour tous les types d’aéronefs, concernant les départs à partir des zones situées avant le seuil décalé d’une piste. Cette note de service faisait référence à l’événement et à l’enquête en cours et informait également les équipages de conduite des menaces possibles lors des départs depuis des zones de pistes autres que le seuil et des mesures d’atténuation en place pour réduire au minimum ces menaces.

Le service des opérations aériennes de Jazz a également publié une modification à la section 2.4.2 (Line-Up Check) du CRJ AOM Volume II Aircraft Operating Manual. La révision énonce que les 2 pilotes doivent vérifier la piste au départ en utilisant soit [traduction]

l’indicatif de piste sur la surface de la piste, le radiophare d’alignement de piste […], la position en temps réel de l’aéronef sur les cartes de circulation ou la carte d’aéroport mobile (AMM) dans l’application Jeppesen. Le cap de l’indicateur de situation horizontale (HSI) peut être utilisé à des fins de vérification de la piste uniquement si aucune autre méthode de vérification de la piste n’est disponibleNote de bas de page 88.

Cependant, la procédure indique que, en cas de visibilité réduite [traduction] « il est interdit de se fier uniquement au cap du HSI »Note de bas de page 89. Le nouveau texte demande en outre aux équipages de conduite de [traduction] « faire preuve de prudence et d’utiliser tous les repères disponibles lors de la vérification de la piste et de l’axe de piste »Note de bas de page 90 aux aéroports avec des seuils décalés ou des seuils pour des pistes convergentes.

Jazz a apporté une modification à la procédure d’intercommunication par gravité figurant dans le QRH du CRJ 900 (ABNORMAL 10-15). La révision 16 comprend un libellé concis sur la façon d’amorcer une glissade et exige que le pilote automatique soit débrayé dans le cadre de la procédure.

Immédiatement après l’événement à l’étude, Jazz a présenté à Transports Canada (TC) un rapport de difficultés en service décrivant en détail les événements liés à la pompe de flux transversal, à l’ordinateur de jaugeage carburant et au déséquilibre de carburant qui s’en est suivi. Par ailleurs, Jazz a immédiatement présenté à TC un autre rapport de difficultés en service à la suite de l’événement de déséquilibre de carburant survenu à Winnipeg en 2022.

Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

Annexes

Annexe A – Séquence des événements du déséquilibre de carburant

Heure Événement
18 h 42 min 38 s L’aéronef tourne et décolle de la piste de l’aéroport international de San Diego (KSAN) (Californie, États-Unis).
18 h 43 min 50 s Première réduction de poussée du moteur. Selon le manuel de référence rapide (QRH) de Jazz Aviation LP, cet événement coïncide avec le moment où le pilote surveillant fait passer le circuit de flux transversal de carburant du mode manuel au mode automatique.
18 h 45 min 15 s à 18 h 45 min 17 s La lecture du circuit carburant indique un déséquilibre d’environ 220 livres.
18 h 45 min 45 s à 18 h 45 min 47 s Le seuil de 30 secondes pour l’activation de la pompe de flux transversal est atteint.
18 h 45 min 49 s La lecture du circuit carburant indique un déséquilibre d’environ 192 livres.
18 h 45 min 57 s Affichage du message d’avertissement « XFLOW PUMP ». Il n’y a pas de déséquilibre important, mais l’équipage de conduite continue de surveiller les quantités de carburant sur les écrans du poste de pilotage.
18 h 47 min 45 s La lecture du réservoir d’aile droit indique une quantité d’environ 93 %, ce qui déclenche l’activation par l’ordinateur de jaugeage carburant (FQGC) de l’éjecteur de transfert, qui déplace le carburant du réservoir central vers le réservoir d’aile droit.
18 h 54 min 37 s La lecture du réservoir d’aile droit indique une quantité d’environ 97 %, ce qui déclenche la désactivation de l’éjecteur de transfert par le FQGC.
19 h 00 min 49 s La lecture du réservoir d’aile droit indique une quantité d’environ 93 %, ce qui déclenche l’activation par le FQGC de l’éjecteur de transfert, qui déplace le carburant du réservoir central vers le réservoir d’aile droit.
19 h 01 min 00 s Heure approximative où le déséquilibre de carburant devient divergent, car le carburant dans le réservoir d’aile gauche augmente lentement et que le carburant dans le réservoir d’aile droit diminue.
19 h 03 min 05 s Déséquilibre latéral de 300 livres.
19 h 04 min 32 s Déséquilibre latéral de 400 livres.
19 h 05 min 37 s Déséquilibre latéral de 500 livres.
19 h 06 min 39 s Déséquilibre latéral de 600 livres.
19 h 06 min 44 s L’aéronef se met en palier à une altitude de croisière de niveau de vol (FL) 340.
19 h 07 min 33 s Déséquilibre latéral de 700 livres.
19 h 09 min 56 s L’équipage de conduite tente d’utiliser des réglages de poussée différentielle des moteurs (réduction de la poussée sur le moteur droit et augmentation de la poussée sur le moteur gauche).
19 h 11 min 00 s Déséquilibre latéral de 800 livres. L’équipage de conduite reçoit le message d’avertissement « FUEL IMBALANCE » puisque le déséquilibre a maintenant atteint la limite de conception de l’aéronef. L’équipage de conduite poursuit la procédure relative au message d’avertissement XFLOW PUMP dans la liste de vérification du QRH, qui lui indique de suivre la procédure d’intercommunication par gravité.
19 h 11 min 25 s Avec le robinet de flux transversal par gravité ouvert, l’équipage de conduite exerce une pression sur la gouverne de direction droite pour amorcer une glissade. Cette manœuvre amène le pilote automatique à incliner l’aéronef vers la gauche afin de compenser et de maintenir le cap. Pendant les 3 minutes suivantes, l’aéronef maintient un angle d’inclinaison moyen d’environ 2,2° vers la gauche.
19 h 14 min 03 s Le réservoir d’aile gauche atteint sa quantité maximale.
19 h 14 min 17 s L’équipage de conduite commence à dérouter le vol vers l’aéroport international de Los Angeles (KLAX) (Californie, États-Unis) et reçoit l’autorisation du contrôle de la circulation aérienne (ATC) d’amorcer un virage à gauche et de commencer la descente.
19 h 16 min 11 s L’équipage de conduite continue de suivre le QRH, qui lui indique de couper le moteur du côté où la quantité de carburant est la plus faible, par mesure de précaution. Cette action est effectuée pendant le virage à gauche en descente.
19 h 35 min 19 s En descente, à environ 10 000 pieds au-dessus du niveau de la mer, le carburant de l’aéronef atteint son point de déséquilibre maximal : 2464 livres.
19 h 44 min 01 s L’aéronef effectue un virage à droite pour s’aligner avec l’approche finale à KLAX. Le déséquilibre de carburant a été réduit à 1120 livres après les 9 minutes de manœuvres précédentes, qui comprenaient de nombreux petits virages à droite.
19 h 46 min 33 s L’aéronef se pose à KLAX avec un déséquilibre latéral de carburant enregistré d’environ 1568 livres.