Rapport d'enquête maritime M93N0002

Échouement
Vraquier chargé «CSL ATLAS»
Lower Cove
Baie Saint George's (Terre-Neuve)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le «CSL ATLAS» a appareillé de Lower Cove (Terre-Neuve) à destination de New York, aux États-Unis. Le capitaine n'a pas eu recours aux services d'un pilote pour le départ. Peu après, le navire s'est échoué à 1,1 encablure à l'ouest de Pigeon Head. Le «CSL ATLAS» a été délesté de 5 645 tonnes de sa cargaison et a été remis à flot le même jour. Le navire a subi des avaries considérables à la partie inférieure de la coque; trois compartiments ont été perforés. L'échouement n'a pas causé de pollution et n'a pas fait de blessés.

    Le Bureau a déterminé que le «CSL ATLAS» s'est échoué parce que le capitaine a appareillé pendant la nuit d'un port qu'il ne connaissait pas bien, qu'il n'a pas suivi la procédure d'appareillage reconnue, n'a pas mis en place un plan de gestion des ressources sur la passerelle ou un plan de traversée au moment de quitter le quai, et n'a pas eu recours aux services du pilote et du remorqueur mis à sa disposition.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiche technique du navire

    «CSL ATLAS»
    Numéro officiel - 71599
    Port d'immatriculation - Nassau, Bahamas
    Pavillon - Bahamas
    Type - Vraquier auto-déchargeur
    Jauge brute - 41 173 tonneaux1
    Cargaison - 57 289 tonnes de calcaire en boulettes
    Longueur - 227,40 m
    Largeur - 32,05 m
    Tirant d'eau Av.2 : 12,00 m
    (au moment du départ) Ar. : 12,25 m
    Construction - 1990, Verolme, Brésil
    Groupe propulseur - Un moteur diesel Sulzer à deux temps, six cylindres, puissance nominale de 11 995 kW, entraînant une seule hélice à pas fixe à droite Propulseur d'étrave
    Propriétaires - CSL International Beverly (Massachusetts) États-Unis

    1 Les unités de mesure dans le présent rapport sont conformes aux normes de l'Organisation maritime internationale (OMI) ou, à défaut de telles normes, elles sont exprimées selon le système international (SI) d'unités.

    2 Voir l'annexe E pour la signification des sigles et abréviations.

    3 Toutes les heures sont exprimées en HNTN (temps universel coordonné (UTC) moins trois heures et demie), sauf indication contraire.

    1.1.1 Renseignements sur le navire

    Le «CSL ATLAS» compte cinq cales sous lesquelles se trouvent les citernes de double-fond. Le compartiment du propulseur d'étrave et le peak avant se trouvent devant la cloison d'abordage et vont du pont principal jusque sous le bordé extérieur. La passerelle de navigation, les emménagements de l'équipage et la salle des machines sont situés à l'arrière du navire (voir les photographies à l'annexe A).

    1.2 Déroulement du voyage

    Le déroulement des événements a été reconstitué à partir d'entrevues avec le personnel du navire. Il ne correspond pas en tous points avec d'autres éléments de preuve matérielle recueillis.

    Le «CSL ATLAS» est arrivé à Lower Cove (Terre-Neuve) à 14 h 483, le 16 décembre 1993. Un pilote, embauché par la compagnie minière, a prêté main-forte lors de l'amarrage. Le capitaine et le pilote ont décidé d'accoster bâbord à quai, en raison des forts vents du nord.

    Une fois le chargement terminé, le navire est parti de Lower Cove à 1 h 54, le 18 décembre, à destination de New York, aux États-Unis (voir le croquis du secteur à l'annexe B). Le capitaine, qui n'avait pas demandé les services d'un pilote, assumait la conduite du navire. Sur la passerelle, il était accompagné de l'officier de quart et d'un timonier. Le second capitaine et un élève-officier étaient postés à l'avant, tandis que le deuxième lieutenant et un élève-officier étaient postés à l'arrière.

    En l'absence d'aides visuelles, la navigation se faisait par radar seulement et était dirigée par le capitaine. On utilisait un système de navigation par repères parallèles. Le sondeur à ultrasons était en fonction; il était réglé pour un affichage numérique, et l'alarme de faible profondeur d'eau sous quille était réglée à 3 m.

    L'officier de quart était chargé d'actionner les commandes de la machine et du propulseur d'étrave suivant les ordres du capitaine, de faire les inscriptions voulues dans le journal passerelle et de surveiller l'indicateur de barre.

    Après qu'on eut largué les amarres, l'éclairage du pont est resté allumé pendant que l'équipage veillait aux préparatifs avant de prendre la mer. On n'a pas posté de vigie sur le gaillard d'avant, là où l'éclairage ne nuisait pas à la visibilité.

    Au cours de la demi-heure qui a suivi, on a changé le cap à différentes reprises et on a exécuté différents ordres aux machines, de «en avant très lente» à «en avant toute».

    Au début, on a mis la barre à gauche pour éloigner l'arrière du navire des ducs d'Albe, puis on a actionné le propulseur d'étrave vers la droite pour faire tourner l'avant du navire. Le capitaine a ensuite ordonné de suivre un cap au 105° vrai (V) lorsque l'arrière du navire a été aligné avec le duc d'Albe est.

    À 2 h 17, alors que le navire avançait à une vitesse estimée à deux ou trois noeuds, on a mis la barre à droite toute et on a utilisé le propulseur d'étrave pour amener le navire sur un cap au 168 °(V). Peu après, on a ordonné de mettre la machine à «en avant toute».

    À ce moment, la distance de l'écho terrestre le plus rapproché était apparemment de deux encablures. Toutefois, à 2 h 21, le navire a heurté le fond du côté tribord avant, après quoi il a gîté sur bâbord. La machine a été placée à «en arrière toute» et, à 2 h 27, on a transféré à la salle des machines la commande de la machine qu'on a fait tourner au régime maximal.

    Une panne de courant s'est produite à bord à 2 h 30, et le courant n'a été rétabli qu'à 2 h 55. Au cours de cette période, le «CSL ATLAS», selon les témoignages, avait dérivé vers la rive et s'était immobilisé sur un cap au 167 °(V), dans un angle de 254 °(V) et à 1,3 encablure de Pig Point, à Pigeon Head.

    Des sondages internes ont permis de découvrir des voies d'eau dans la citerne du peak avant, le compartiment du propulseur d'étrave et la citerne de double-fond no 1. Dès que le courant est revenu, on a commencé à assécher la citerne du peak avant et celle de double-fond no 1. Le pompage s'est poursuivi par la suite.

    Entre 12 h 45 et 13 h 40, on a tenté en vain de remettre le navire à flot, en utilisant ses propres machines principales et avec l'aide du petit remorqueur canadien «POINT VIKING». D'autres tentatives infructueuses de remise à flot ont été faites de 15 h 4 à 16 h 40, avec l'aide du NGCC «J.E. BERNIER». Lors de ces dernières tentatives, le navire s'est déporté légèrement, s'immobilisant sur un cap au 145 °(V).

    À 15 h 30, Environnement Canada a annoncé des coups de vent pour le secteur où le «CSL ATLAS» était échoué. Comme le navire était alors dans une position précaire, le capitaine a demandé la permission de le délester d'une partie de sa cargaison afin de le remettre à flot. La Garde côtière canadienne (GCC), les représentants d'Environnement Canada et les propriétaires du navire ont donné leur approbation. À l'aide du matériel de déchargement du bord, le navire a commencé à 18 h à jeter par-dessus bord une partie de la cargaison de la cale no 1.

    Le «CSL ATLAS» était de nouveau à flot à 22 h 56 et, sous la conduite d'un pilote, s'est rendu jusqu'à un mouillage sûr dans la baie Saint George's. Après que des plongeurs eurent fait un rapport des avaries, on a délivré au navire un certificat de classification provisoire, qui lui permettait de se rendre jusqu'à sa destination, après quoi il devait entrer en cale sèche pour des radoubs permanents.

    1.3 Victimes

    Aucune des 32 personnes à bord n'a été blessée.

    1.4 Avaries au navire

    Le bordé de fond a subi des avaries considérables à l'avant. En plus des trois compartiments perforés, le bordé a subi des ondulations à partir de l'axe longitudinal jusqu'à l'arrondi de bouchain, et le brion a été considérablement enfoncé. Les avaries s'étendaient de part et d'autre de la quille et allaient de l'avant vers l'arrière, de l'étrave jusqu'à la cloison d'abordage.

    1.4.1 Dommages à l'environnement

    Lors des tentatives de remise à flot, on a jeté par-dessus bord quelque 5 645 tonnes de calcaire en boulettes, à 60 m du navire échoué en direction de la rive.

    1.5 Certificats et brevets

    1.5.1 Certificats du navire

    Le navire avait les certificats, l'armement en personnel et l'équipement qu'il était tenu d'avoir en vertu des règlements en vigueur.

    1.5.2 Brevets du personnel

    Le capitaine et l'officier de quart possédaient tous deux les qualifications voulues relativement à la classe du navire à bord duquel ils servaient et au voyage qu'ils entreprenaient.

    1.6 Antécédents du personnel

    1.6.1 Capitaine

    Le capitaine exerçait ces fonctions depuis 1984 et avait le commandement du «CSL ATLAS» depuis un an et demi. Il en était à sa première visite à Lower Cove, bien qu'il ait été appelé à faire entrer son navire dans différents autres ports isolés et à l'en faire sortir. En novembre 1991, il a suivi un cours sur le fonctionnement du radar muni du dispositif d'aide au pointage radar automatique (APRA).

    Le capitaine préférait être à bord pendant les opérations relatives à la cargaison, mais n'y participait pas nécessairement. La soirée précédant le départ, il s'était retiré à 19 h et s'était fait réveiller à 1 h, le 18 décembre. Il était bien reposé lorsqu'il s'est retrouvé de faction.

    1.6.2 Officier de quart

    Le deuxième lieutenant additionnel exerçait ces fonctions depuis deux ans, et depuis trois mois à bord du «CSL ATLAS». Il n'était jamais venu à Lower Cove auparavant.

    Au cours des opérations relatives à la cargaison, il était sur le pont de 6 h à 12 h, et de 18 h à 24 h. Il considérait qu'il n'était pas fatigué au moment du départ, bien qu'il n'eût dormi que quatre heures au cours de l'après-midi précédent.

    1.7 Renseignements sur l'environnement

    1.7.1 Conditions météorologiques

    Avant l'événement et au moment où celui-ci s'est produit, le ciel était partiellement couvert et la visibilité était bonne, aux endroits où elle n'était pas limitée par l'éclairage du pont. Il faisait nuit. Le vent était négligeable.

    1.7.2Courant de marée

    Il n'y avait aucun courant appréciable qui aurait pu gêner la manoeuvre du navire. La marée haute était à 2 h 10.

    1.8 Équipement de navigation

    1.8.1 Instruments de navigation

    Le navire était muni de toute une gamme d'instruments de navigation permettant de l'exploiter en toute sécurité. Au moment de l'événement, les instruments employés étaient les suivants :

    • deux radars de marine Sperry 340, munis chacun d'un écran radar panoramique (PPI). Un des appareils est équipé d'un APRA;
    • un répétiteur de gyrocompas au poste de gouverne;
    • un sondeur à ultrasons muni d'un traceur papier, de capacités d'affichage numérique et d'une alarme réglable de faible profondeur; et
    • un enregistreur de route.

    Le radar muni de l'APRA comporte des caractéristiques qui mettent la technologie avancée au service de la navigation en toute sécurité. Selon les témoignages, le sondeur fonctionnait pendant les manoeuvres d'appareillage et il était réglé pour un affichage numérique. L'alarme de faible profondeur était réglée à 3 m (profondeur d'eau sous quille), mais elle n'a pas retenti.

    Il y avait à bord une carte de l'Amirauté britannique pour la baie Saint George's, mais cette carte n'était pas suffisamment détaillée pour qu'on s'en serve pour entrer dans le secteur de Lower Cove ou en partir. Avant l'appareillage, l'agent du navire avait remis au capitaine les minutes hydrographiques nos 1000902 et 1000903 du Service hydrographique du Canada (SHC), qui portent sur tout le secteur de Lower Cove.

    Lorsqu'on a examiné les minutes hydrographiques qui étaient à bord, après l'événement, on n'a pas relevé de tracés indiquant les caps prévus pour sortir de l'anse, et on n'a pas relevé non plus de marques d'effacement. La position de l'échouement n'était pas indiquée.

    1.8.2 À terre

    Il n'y a aucune aide terrestre à la navigation (navaid) dans le secteur de Lower Cove pendant l'hiver. Entre juin et novembre, une bouée de «danger isolé», indiquant la présence d'un haut-fond, est installée à environ 3,5 encablures au sud du poste à quai de Lower Cove. Comme prévu, cette bouée avait été retirée le 23 novembre 1993, avant la prise des glaces.

    Le quai proprement dit reste éclairé la nuit et, en plus des cinq ducs d'Albe, des pointes de terre évidentes constituent de bons échos radars pour un observateur compétent.

    1.8.3 Publications

    La seule publication du bord qui portait sur Lower Cove était la publication de l'Amirauté britannique intitulée Newfoundland Pilot.

    1.9 Communications radio

    Le capitaine a fait part de l'échouement à l'agent local et à la Station radio de la Garde côtière (SRGC) de Stephenville à 6 h 9 et à 6 h 49 respectivement, à l'aide du radiotéléphone très haute fréquence. On n'a à aucun moment lancé un appel «MAYDAY» ou un message d'URGENCE. Le capitaine a demandé les services d'un remorqueur et d'un pilote après l'échouement, par l'intermédiaire de l'agent local.

    1.10 Documentation

    Le compte rendu du capitaine au sujet de l'échouement figure sous forme abrégée dans le journal de bord ainsi que dans le rapport du capitaine.

    1.11 Stabilité du navire

    La stabilité du navire a été adéquate en tout temps.

    1.12 Planification du voyage

    Bien que le capitaine ait compilé et approuvé un plan de traversée en vue du voyage de Lower Cove à New York, ce plan ne comprenait aucun plan des ports de départ ou de destination. Comme il ne connaissait pas bien le secteur de Lower Cove, le capitaine avait demandé conseil à l'agent, qui était aussi capitaine au long cours et patron de remorqueur, au sujet des manoeuvres qu'il faudrait faire à partir du quai pour éviter le haut-fond situé au sud.

    Cette information n'a pas été transmise aux officiers de navigation, et les caps à suivre n'ont pas non plus été marqués sur les minutes hydrographiques qui se trouvaient à bord.

    1.13 Machines

    La machine principale et les autres machines du «CSL ATLAS» n'ont subi aucune panne ou défectuosité avant l'échouement.

    1.14 Système électrique

    Le navire dispose de trois génératrices du service de bord situées dans l'espace machines, et d'une génératrice de secours située sur le pont des embarcations.

    Lorsque le compartiment du propulseur d'étrave a été envahi, il s'est produit une surintensité de plus de 3 000 A, qui a causé le déclenchement des disjoncteurs des génératrices du service de bord. Le disjoncteur du circuit du propulseur d'étrave ne s'est pas déclenché. Une panne de courant générale a suivi. À ce moment, la génératrice de secours aurait dû prendre la relève et rétablir en partie le courant, mais elle n'a pas démarré. L'électricien s'est rendu dans la salle de la génératrice de secours et a constaté que le commutateur de commande manuelle/ automatique était en position de commande manuelle. Personne n'a pu expliquer pourquoi il en était ainsi. Une fois le commutateur remis en position de commande automatique, la génératrice de secours s'est mise en marche et a alimenté les circuits d'urgence.

    Pendant qu'on effectuait les réparations, on a constaté que le disjoncteur du circuit du propulseur d'étrave avait un délai de déclenchement plus long que celui des disjoncteurs des génératrices. Il semble qu'il en ait été ainsi depuis la construction du navire, mais que cet écart n'avait pas été détecté avant l'événement à l'étude. On a corrigé la situation depuis.

    1.15 Description des approches de Lower Cove

    Lower Cove est exposé aux vents du sud. Dès qu'un grand navire se trouve à l'intérieur de l'anse, il reste relativement peu d'espace de manoeuvre.

    Le poste à quai est dans l'axe nord-est/ sud-ouest et se compose de cinq ducs d'Albe espacés d'environ 52 m, s'étendant sur une distance de 282 m d'est en ouest. Habituellement, les navires passent à deux encablures à l'ouest de Pigeon Head et s'amarrent tribord à quai. De cette façon, une fois le navire chargé, le capitaine peut suivre la route reconnue de départ direct, au sud-ouest. Il est aussi mieux placé pour quitter directement le poste à quai, si le temps se gâte.

    Le poste à quai se trouve à 1 220 m de l'extrémité nord-ouest de Pig Point, à 580 m d'un haut-fond, et le chenal entre le haut-fond et Pig Point a 808 m de largeur.

    Les lignes bathymétriques de 15 m se trouvent à 457 m au sud-est et à 510 m au sud du poste à quai.

    Le pilotage n'est pas obligatoire dans le secteur, mais on peut facilement obtenir les services d'un pilote et l'aide d'un petit remorqueur pour la manoeuvre.

    Comme le capitaine ne connaissait pas bien le secteur de Lower Cove, les gérants du navire lui avaient auparavant dit d'avoir recours aux services d'un pilote pour l'amarrage et l'appareillage.

    En outre, le capitaine savait qu'il pouvait demander les services d'un remorqueur. Toutefois, il a décidé d'assumer seul la conduite de son navire pour le départ.

    1.16 Position où le navire s'est échoué

    Le capitaine a soutenu que le «CSL ATLAS» avait heurté une aiguille située à deux encablures (366 m) de Pigeon Head, avait gîté sur bâbord puis s'était déporté par rapport à l'obstacle. Il a également soutenu que le navire avait été poussé vers la rive et s'était approché jusqu'à 1,3 encablure (238 m) de Pigeon Head, à 7 h.

    À 3 h 9, le capitaine a communiqué par radiotéléphone avec l'agent local et lui a dit que le navire était échoué à 1,1 encablure (201 m) de Pigeon Head.

    Le personnel du navire n'a pas consigné la position où le navire s'était échoué. Toutefois, le pilote, qui est monté à bord pour apporter son aide après l'échouement, a déterminé au radar que le navire se trouvait à 1,1 encablure (201 m) de Pig Point. Son cap était au 145 °(V), et son avant était à une distance estimée à 90 m de la rive. Ses coordonnées approximatives étaient :

    latitude48°31′02"N

    longitude059°00′46"W

    1.17 Inspection sous-marine

    Un examen vidéo de la carène a révélé que le navire était échoué solidement par le travers, à partir de l'avant jusqu'à la moitié de la citerne de double-fond no 1. Le brion était soulevé considérablement; les membres de l'équipage qui étaient près de l'avant ont senti le navire se soulever lorsqu'il a eu son premier contact avec le fond et ont entendu le bruit des tôles qui se déchiraient. On n'a rien senti dans la salle des machines.

    1.18 Confirmation de la profondeur

    Un levé hydrographique détaillé a été fait à Lower Cove en mai 1993. Le Service hydrographique du Canada (Atlantique), à l'Institut océanographique de Bedford, a compilé et réalisé des minutes hydrographiques, lesquelles ont été publiées en octobre 1993.

    À la suite du rapport du capitaine, selon lequel le navire avait heurté une aiguille non portée sur les cartes, la GCC, Région de Terre-Neuve, a dépêché sur place un navire dont la mission consistait à faire deux sondages devant Pigeon Head, pour confirmer la profondeur de l'eau.

    À 20 h 34, le 24 janvier 1994, alors que la marée était à son maximum, soit à 0,88 m au-dessus du zéro des cartes, et que le NGCC «J.E. BERNIER» était posté à deux encablures à l'ouest de Pigeon Head, la profondeur relevée a été de 24 m.

    Un sondage similaire a été fait à marée basse, soit à 2 h 42 le 25 janvier. À ce moment, le niveau de l'eau était à 0,3 m au-dessus du zéro des cartes. La profondeur relevée a été de 23 m.

    On n'a relevé aucune trace de l'aiguille qui avait été signalée.

    2.0 Analyse

    2.1 Introduction

    Les officiers de navigation n'avaient pas été informés des manoeuvres envisagées pour l'appareillage. Le capitaine a choisi d'assumer la conduite du navire seul, et il n'y a eu aucune discussion quant à la façon dont l'appareillage devait se faire. Comme le capitaine ne comptait pas sur l'assistance et le soutien d'un officier supérieur expérimenté qui aurait pu surveiller les opérations, et qu'il n'y avait aucune répartition des responsabilités, les chances de partir sans encombre étaient réduites.

    Les conclusions de l'analyse des éléments de preuve recueillis ne concordent pas avec la version recueillie lors des entrevues avec le personnel du bord quant au déroulement des événements.

    2.2 Avaries au navire

    Un examen vidéo sous-marin des avaries que le navire a subies a permis de constater que celles-ci semblaient aller de l'avant vers l'arrière, de l'étrave jusqu'à la cloison d'abordage, et s'étendaient de part et d'autre de la quille.

    Le brion était considérablement enfoncé, de l'avant vers l'arrière, ce qui indique que les avaries ont été causées par un heurt violent de plein fouet alors que le navire avançait.

    Le type et l'étendue des avaries ne corroborent aucunement le témoignage du capitaine, selon lequel le navire aurait heurté une aiguille pendant qu'il faisait route en marche avant, aurait été poussé en direction de la rive et se serait échoué latéralement.

    2.3 Obstacle sous-marin signalé

    Comme le capitaine a signalé une aiguille non portée sur les cartes à la position où le navire s'est échoué, on a procédé à des sondages du secteur, lesquels n'ont révélé la présence d'aucun obstacle. Étant donné que les sondages de la GCC ont été effectués à la position où l'obstacle avait été signalé, et que le secteur avait fait l'objet d'un levé du Service hydrographique du Canada en mai 1993, l'existence d'un tel obstacle est improbable.

    En outre, l'examen de l'enregistrement vidéo montrant le fond de la mer et les algues dans le secteur où le navire s'est échoué solidement ne donne pas à penser que le navire a dérivé latéralement vers la position où il s'est échoué.

    L'examen du tracé papier du sondeur à ultrasons du navire n'a rien révélé. Il est impossible de vérifier si l'affichage numérique de la profondeur était bien en fonction au moment de l'échouement, comme on l'a déclaré. On ignore pourquoi l'alarme de faible profondeur n'a pas retenti, alors qu'elle était apparemment réglée de la façon indiquée.

    2.4 Décision d'appareiller de nuit

    Ayant obtenu des informations de personnes bien renseignées sur la façon de quitter le poste à quai, le capitaine a cru pouvoir se passer des services d'un pilote pour l'appareillage, contrairement aux directives qu'il avait reçues.

    Il est évident que le capitaine n'avait pas les connaissances locales nécessaires de ce port qu'il ne connaissait pas bien, pour pouvoir appareiller de nuit. Il n'y avait d'ailleurs rien qui le pressait de le faire. Ses chances de réussir sans aide les manoeuvres d'appareillage auraient été meilleures s'il avait attendu le jour.

    2.5 Reconstitution de l'appareillage

    À partir des ordres aux machines consignés dans le journal passerelle, du tracé de l'enregistreur de route et des données sur la manoeuvre du navire (cette information se retrouve sous forme de tableau à l'annexe C), il a été possible de reconstituer approximativement les mouvements du navire entre le moment où il était au poste à quai et celui de l'échouement.

    À partir du croquis (voir l'annexe B), on peut voir que, vers 2 h 15, le navire passait à la hauteur des lignes bathymétriques de 15 m, lorsqu'on a senti une vibration. Au moment où le navire aurait évité à tribord pour dépasser Pig Point, les machines à la position «en avant toute», la profondeur d'eau sous quille aurait été inférieure à 1 m.

    Dans ces eaux peu profondes, la manoeuvrabilité du navire a dû être limitée en raison de l'accroupissement. À mesure qu'augmentait la vitesse sur le fond, l'accroupissement a dû causer une diminution de la profondeur d'eau sous quille, ce qui a dû rendre l'évitage sur tribord plus laborieux, par suite de ces effets hydrodynamiques. Cela a également dû accroître l'avance et le transfert du navire et réduire sa capacité d'éviter.

    Il est probable que le capitaine s'est rendu compte de la situation puisque la vitesse a été réduite à 2 h 16. On a essayé, à 2 h 17, de raccourcir le rayon d'évitage du navire à l'aide du propulseur d'étrave, mais comme le navire avançait alors à une vitesse de deux à trois noeuds, l'effet du propulseur d'étrave a dû être négligeable. On n'a pas mis les machines en marche arrière, ce qui aurait permis de réduire la vitesse, d'atténuer l'accroupissement et d'accroître l'efficacité du propulseur d'étrave. En fait, les machines n'ont été mises en marche arrière qu'après l'échouement.

    Les machines ont été de nouveau mises à «en avant toute» à 2 h 18 puis à 2 h 20, soit immédiatement avant que le navire s'échoue. Dans l'intervalle, toutefois, la profondeur d'eau sous quille et la manoeuvrabilité du navire diminuaient de plus en plus, car le fond montait rapidement.

    Étant donné les manoeuvres qui ont été exécutées à partir du moment où le navire est passé à la hauteur des lignes bathymétriques de 15 m, l'échouement était inévitable.

    2.6 Procédure d'appareillage

    Étant donné que le navire avait été amarré bâbord à quai et en raison des limitations imposées par l'anse, deux options se présentaient au capitaine pour faire sortir son navire du port. Une méthode consiste à faire faire au navire un «virage court» à partir du poste à quai. Le navire sort alors de la baie sur un cap au sud-ouest comme s'il avait été amarré tribord à quai de la façon courante. La seconde méthode, celle que le capitaine a décidé d'adopter, consiste à mettre le navire sur un cap au sud entre le haut-fond et Pigeon Head après avoir effectué un virage serré sur tribord en s'éloignant du poste à quai. L'une ou l'autre des deux méthodes peut être utilisée si on connaît les dangers inhérents à la procédure choisie.

    La profondeur était adéquate près du poste à quai pour qu'une de ces manoeuvres soit possible, et on peut amorcer un évitage de ce genre en mettant à profit les amarres du navire, avec ou sans l'aide d'un remorqueur. Une fois que l'avant ou l'arrière du navire s'est éloigné du poste à quai, on peut amorcer l'évitage en combinant des mouvements alternés de la machine vers l'avant et vers l'arrière à des mouvement correspondants de la barre. On peut aussi utiliser le propulseur d'étrave pour faciliter la manoeuvre, lorsque le navire n'a pas d'erre. Pour exécuter la première manoeuvre, le navire doit éviter de 180° et pour la seconde, de 90°.

    Dans le cas à l'étude, le système de navigation par repères parallèles qu'employait le capitaine ne lui a pas permis de se rendre compte que le navire avait trop avancé avant d'avoir évité de 90° pour venir sur le cap voulu. Pour être efficace, la navigation par repères parallèles doit comporter un moyen de surveiller la progression du navire. En l'occurrence, on n'a pas non plus utilisé l'APRA, qui constitue un outil sophistiqué pour la navigation, en complément du système de navigation par repères parallèles.

    2.7 Visibilité à partir de la passerelle

    Après qu'on eut largué les amarres, les membres de l'équipage ont vaqué aux préparatifs pour prendre la mer, ce qui rendait nécessaire l'allumage de l'éclairage du pont. Bien qu'il soit jugé nécessaire pour ces opérations, l'éclairage du pont nuisait à la visibilité à partir de la passerelle.

    On n'a pas signalé que la visibilité à partir de la passerelle ait joué un rôle dans l'événement à l'étude. Les personnes qui étaient sur la passerelle n'auraient pas été en mesure de bien voir dans l'obsécuritéé. Cela a dû aussi les empêcher de bien saisir la situation et d'évaluer la façon dont le navire réagissait aux manoeuvres ordonnées par le capitaine.

    En l'absence de vigie sur le gaillard d'avant, à l'écart de la zone illuminée par l'éclairage du pont, il était impossible d'être averti d'avance que le navire approchait de la terre.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis

    1. Le capitaine a décidé d'appareiller de nuit d'un port qu'il ne connaissait pas bien.
    2. Le capitaine n'a pas eu recours aux services du pilote ou du remorqueur mis à sa disposition.
    3. On n'a pas fait faire au navire un «virage court» dans le secteur du poste à quai, de façon qu'il puisse suivre la procédure d'appareillage reconnue.
    4. Le plan de départ du capitaine n'était connu que de lui seul; il n'en a pas discuté avec les autres membres de l'équipe à la passerelle.
    5. Il n'y avait sur la passerelle aucun officier supérieur expérimenté qui aurait pu assister le capitaine au moment du départ, et l'officier de quart s'était vu confier trop de fonctions pour être en mesure d'assister le capitaine ou de surveiller la progression du navire.
    6. Le plan de départ du capitaine n'avait pas été tracé sur les minutes hydrographiques à grande échelle du secteur, qui avaient été remises au capitaine avant l'appareillage.
    7. On n'a pas éteint l'éclairage de travail du navire en vue de l'appareillage de nuit, et on n'a pas non plus posté de vigie à un endroit où cet éclairage ne nuisait pas à la visibilité.
    8. La seule aide à la navigation conventionnelle dans le secteur, une bouée de «danger isolé» indiquant la présence du haut-fond au sud du poste à quai, est saisonnière et avait été retirée pour l'hiver.
    9. Le capitaine s'est fié uniquement à la navigation par repères parallèles, malgré la présence de nombreuses cibles radars évidentes.
    10. Tous les mouvements des machines exécutés avant l'échouement ont été en marche avant.
    11. Un enregistrement vidéo du navire échoué et du fond marin adjacent indique que le navire a heurté le fond de plein fouet et est resté échoué; il n'a pas dérivé latéralement vers la position où il s'est échoué.
    12. Le témoignage du capitaine et les inscriptions relatives à l'échouement faites dans les documents officiels ne concordent pas avec les avaries visibles que le navire a subies.
    13. Lorsque le compartiment du propulseur d'étrave a été envahi, les disjoncteurs des génératrices de service se sont déclenchés parce que le disjoncteur du propulseur d'étrave avait un délai de déclenchement plus long que celui des disjoncteurs des génératrices.
    14. La génératrice de secours n'a pas démarré automatiquement après la panne de courant parce que le commutateur de commande n'était pas en position de commande automatique.

    3.2 Causes

    Le «CSL ATLAS» s'est échoué parce que le capitaine a appareillé pendant la nuit d'un port qu'il ne connaissait pas bien, qu'il n'a pas suivi la procédure d'appareillage reconnue, n'a pas mis en place un plan de gestion des ressources sur la passerelle ou un plan de traversée au moment de quitter le quai, et n'a pas eu recours aux services du pilote et du remorqueur mis à sa disposition.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures prises

    4.1.1 Gestion des ressources sur la passerelle

    Les propriétaires du «CSL ATLAS», la CSL International (CSL), ont engagé le Centre for Marine Simulation de Saint John's (Terre-Neuve) pour élaborer un cours et donner de la formation aux officiers de leur flotte sur les techniques de gestion des ressources sur la passerelle. La CSL a laissé savoir que tous ses capitaines et seconds capitaines recevraient cette formation au cours de l'année 1995.

    4.1.2 Planification de la traversée

    En vue de s'assurer que tous ses capitaines et officiers de navigation possèdent les habiletés nécessaires pour la planification des voyages d'un poste à quai à l'autre, la CSL a élaboré une liste de vérification pour la planification des voyages et de la navigation. Les documents pertinents sont soumis à une vérification de la part des gestionnaires de la compagnie à chaque voyage.

    En outre, pour permettre à ses capitaines et à son personnel de navigation d'améliorer leurs connaissances de la planification des manoeuvres dans les ports, la CSL a mis sur pied un programme de formation à leur intention.

    Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau, qui est composé du Président, John W. Stants, et des membres Zita Brunet et Hugh MacNeil.

    Annexes

    Annexe A - Photographies

    Annexe B - Croquis de la baie Saint George's montrant le sillage reconstitué du navire

    Annexe C - Tableau des heures et des événements

    Heure Cap du navire à partir de l'enregistreur de route Événement Source
    0154 068 Tout est largué et clair Journal passerelle
    0202 066,5 L'avant abat sur tribord. Témoignage
    0204 075 En avant très lente, barre à droite. Journal passerelle, témoignage
    0204.5 077,5 Stoppez la machine. Journal passerelle
    0205 080 En avant très lente, barre à droite. Journal passerelle, témoignage
    0206 085 Appareillage du quai. Témoignage
    0207 090 Appareillage du quai. Témoignage
    0208 100 Appareillage du quai. Témoignage
    0209 103 En avant lente, l'arrière par le travers du duc d'Albe est. Journal passerelle, témoignage
    0210 104 En avant demie pour parer le haut-fond. Journal passerelle, témoignage
    0211 104
    0212 104
    0213 104
    0214 104 Barre à droite toute. Témoignage
    0215 108,5 En avant toute, vibration à l'arrière. Journal passerelle, témoignage
    0216 109 En avant demie, navire subit l'effet d'accroupissement. Journal passerelle, témoignage
    0217 120 Virage à droite de 10° à la minute.
    0218 130 En avant toute pour augmenter la vitesse du virage. Journal passerelle, témoignage
    0219 148 Stoppez la machine. Journal passerelle
    0219.5 155 En avant lente et demie. Journal passerelle
    0220 - 0221 163 - 168 En avant toute, barre à droite toute, diminution de la vitesse du virage, échoué , stoppez la machine, solidement échoué. Journal passerelle, témoignage

    Annexe D - Agrandissement de l'enregistrement du traceur de route

    Annexe E - Sigles et abréviations

    A
    ampère(s)
    accroupissement
    Enfoncement et changement de l'assiette du navire, dus à son déplacement dans l'eau, surtout en eaux peu profondes ou dans des chenaux étroits.
    APRA
    aide au pointage radar automatique
    Ar.
    arrière
    Av.
    avant
    avance
    (dans le cas d'un changement de cap donné) Distance sur laquelle le point d'observation à bord d'un navire se déplace en direction de la ligne de progression originale, mesurée à partir du point où l'on manoeuvre la barre. Composante du diamètre ou du cercle de giration d'un navire.
    BST
    Bureau de la sécurité des transports du Canada
    certificat de classification provisoire
    Délivré par une société de classification des navires. Désigné sous le nom de certificat de navigabilité, ce document permet au navire de faire une traversée donnée en attendant que des réparations permanentes soient exécutées.
    CSL
    CSL International
    éclairage du pont
    éclairage de travail sur le pont
    encablure
    un dixième de mille marin
    GCC
    Garde côtière canadienne
    HNTN
    heure normale de Terre - Neuve
    journal passerelle
    Carnet de notes dans lequel sont consignés les mouvements des machines et les événements connexes.
    kW
    kilowatt(s)
    m
    mètre(s) minutes hydrographiques - Données obtenues à la suite d'un levé hydrographique, corrigées et tracées exactement sur une feuille préliminaire avant d'être incorporées à une carte.
    N
    nord
    navaid
    aide à la navigation
    NGCC
    navire de la Garde côtière canadienne
    OMI
    Organisation maritime internationale
    plan de traversée
    Plan établi à l'avance dans lequel sont exposées les mesures à prendre pour que la traversée s'effectue en toute sécurité.
    PPI
    écran radar panoramique
    SI
    système international (d'unités)
    SRGC
    station radio de la Garde côtière
    transfert
    (dans le cas d'un changement de cap donné) Distance sur laquelle le point d'observation à bord d'un navire se déplace à angle droit par rapport à la ligne de progression originale, mesurée à partir du point où l'on manoeuvre la barre. Composante du diamètre ou du cercle de giration d'un navire.
    UTC
    temps universel coordonné
    V
    vrai (degrés)
    W
    ouest
    °
    degré(s)
    minute(s)
    seconde(s)