Accident mortel
mettant en cause une dépanneuse
à bord du traversier «CAMILLE MARCOUX»
Terminal de Baie-Comeau (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Résumé
Le 9 juillet 1996, le traversier canadien «CAMILLE MARCOUX» était accosté à l'embarcadère-débarcadère de Baie-Comeau (Québec). Pendant les dernières étapes du chargement des véhicules sur le pont-garage, une dépanneuse remorquant une bétonnière s'est engagée sur le tablier qui mène au pont-garage. Après avoir garé la bétonnière, la dépanneuse a fait marche arrière en direction de l'embarcadère-débarcadère et a heurté un piéton qui circulait lui aussi sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, dos à la dépanneuse.
Le Bureau a déterminé que le piéton a été heurté par la dépanneuse alors qu'il circulait sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, dos à la dépanneuse, parce que l'accès n'a pas été interdit aux véhicules pendant que des piétons circulaient sur l'embarcadère-débarcadère et parce qu'un signaleur n'a pas été placé à l'arrière de la dépanneuse pour guider le chauffeur pendant qu'il faisait marche arrière. Le chauffeur n'a pas vu le piéton qui marchait sur le tablier, la dépanneuse n'était pas munie d'un avertisseur sonore automatique de marche arrière, et le piéton ne s'est pas méfié de la dépanneuse en quittant le navire.
1.0 Renseignements de base
1.1 Fiche technique du navire
Nom | « CAMILLE MARCOUX » |
---|---|
Numéro officiel | 368318 |
Port d'immatriculation | Québec (Québec) |
Pavillon | Canada |
Type | Traversier-roulier pour passagers et véhicules |
Jauge bruteNote de bas de page 1 | 6 121,9 tonneaux |
Longueur | 94,5 m |
Tirant d'eau | av.Note de bas de page 2 : 4,65 m ar. : 4,92 m |
Construction | 1974, Sorel (Québec) |
Groupe propulseur | Quatre moteurs diesel Ruxton Paxman développant 7 061 kW en tout |
Propriétaires | Société des traversiers du Québec, Québec (Québec) |
1.1.1 Renseignements sur le navire
Le «CAMILLE MARCOUX» est un traversier-roulier dont le pont-garage est muni d'une rampe arrière. À l'avant, il est muni d'une visière d'étrave qui pivote vers le haut et d'une rampe d'étrave qui pivote vers le bas pour faciliter le chargement et le déchargement des véhicules. La passerelle de navigation est située à l'avant des emménagements et au-dessus du pont-garage. La capacité du bâtiment est de 600 passagers et de 126 véhicules.
1.1.2 Renseignements sur l'embarcadère-débarcadère
Le terminal de Baie-Comeau dessert une liaison avec le port de Matane (Québec) sur la rive sud du fleuve Saint-Laurent. Le terminal est muni d'un embarcadère-débarcadère pour la circulation des véhicules, qui comporte un corridor pour les piétons.
La rampe de l'embarcadère-débarcadère est articulée côté quai par une charnière fixée aux ouvrages terrestres, ce qui permet d'ajuster la hauteur de la rampe selon la hauteur de la marée. Un tapis antidérapant et un cordon installés le long de la rampe délimitent le corridor des piétons.
Du côté navire, l'embarcadère-débarcadère est prolongé par un tablier articulé qui repose sur la rampe d'étrave du navire. Le tablier est moins large que l'embarcadère-débarcadère, et cette partie ne possède pas de corridor réservé aux piétons.
1.1.3 Renseignements sur la dépanneuse
La dépanneuse est un camion à double essieux arrière pouvant remorquer de la machinerie lourde. Elle a un poids net à vide de 12 610 kg. Le champ de vision par la lunette arrière de la cabine du camion est restreint en raison du mécanisme du mât de charge de la dépanneuse. Cette dernière est munie de miroirs latéraux pour l'observation du champ latéral arrière.
1.2 Déroulement des événements
Le 9 juillet 1996, durant la manoeuvre d'approche au terminal maritime de Baie-Comeau, la visière d'étrave du «CAMILLE MARCOUX» est relevée et la rampe d'étrave est abaissée. À 19 h 15Note de bas de page 3, on termine l'accostage et le tablier de l'embacadère-débarcadère est abaissé sur la rampe du navire. Les passagers-piétons s'engagent sur l'embarcadère-débarcadère, suivis des 115 véhicules à bord du traversier.
Vers 19 h 30, on commence le chargement des véhicules. Au moment où le chargement tire à sa fin, les responsables du trafic à bord guident une dépanneuse, qui remorque une bétonnière, vers les aires de stationnement qui sont libres à l'avant du traversier. L'ex-propriétaire de la bétonnière et son oncle suivent à pied la bétonnière et embarquent à bord. L'ex-propriétaire veut assister le chauffeur de la dépanneuse. La bétonnière est garée le long de la muraille bâbord.
Vers 19 h 50, on lance deux coups de sifflet à bord du traversier pour annoncer le départ prévu dans une dizaine de minutes. Le second capitaine demande à l'ex-propriétaire de la bétonnière de se dépêcher à décrocher cette dernière et de quitter le pont-garage. Une discussion brève mais animée s'ensuit entre l'ex-propriétaire et le second capitaine. La dépanneuse, qui a précédé la bétonnière, se trouve coincée entre cette dernière et les véhicules stationnés sur le pont-garage. Le chauffeur de la dépanneuse suit les signaux du maître d'équipage chargé de le guider. Après plusieurs manoeuvres, on dégage la dépanneuse, qui se dirige vers la rampe du navire. Le signaleur marche sur le côté gauche avant de la dépanneuse.
Au moment où la dépanneuse s'engage en marche arrière sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, le chauffeur et le maître d'équipage perdent de vue l'ex-propriétaire et son oncle qui retournent à pied vers l'embarcadère-débarcadère. Le second capitaine demande à l 'ex-propriétaire de se pousser, mais ce dernier continue à marcher au centre du tablier alors que son oncle le suit à quelques pas sur le côté bâbord de la rampe du navire. Le préposé à l'embarcadère-débarcadère, qui observe la dépanneuse faire marche arrière en direction de l'ex-propriétaire, crie et agite les bras pour faire signe à l'ex-propriétaire de se pousser; même le fils de l'ex-propriétaire, qui se trouve en bordure de l'embarcadère-débarcadère, lui fait signe de dégager le passage de la dépanneuse. Toutefois, l'ex-propriétaire ne semble pas se rendre compte que la dépanneuse s'approche de lui.
Vers 19 h 55, la dépanneuse heurte l'ex-propriétaire dans le dos, le projette contre le tablier, et les roues arrière droites lui passent sur le corps. Lorsqu'il entend des cris, le chauffeur immobilise la dépanneuse sur l'embarcadère-débarcadère, les roues arrière sur la rampe et celles d'en avant sur le tablier.
La victime repose sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, entre les roues arrière et avant de la dépanneuse. On informe le capitaine qui, au moyen de l'interphone du bord, demande s'il y a un médecin parmi les passagers qui peut venir en aide à la victime. Une infirmière se présente sur les lieux de l'accident et prodigue immédiatement les premiers soins. À 20 h 1, les services ambulanciers sont demandés par les responsables du bord. À leur arrivée à bord, les policiers de l'endroit pratiquent la réanimation cardio-respiratoire (RCR) sur la victime, sans toutefois obtenir de résultats. La victime demeure inerte sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère. Les ambulanciers arrivent sur les lieux à 20 h 25, et la victime est conduite au centre hospitalier de la région où un médecin constate le décès.
Selon des témoins oculaires, la dépanneuse se serait engagée sur le tablier en marche arrière à une vitesse excédant la limite de vitesse de 5 km/h affichée sur le panneau de circulation placé à la sortie du traversier.
1.3 Victimes
Équipage | Passagers | Tiers | Total | |
---|---|---|---|---|
Tués | - | - | 1 | 1 |
Portés disparus | - | - | - | - |
Blessés graves | - | - | - | - |
Blessés légers | - | - | - | - |
Indemnes | 26 | 180 | 1 | 207 |
Total | 26 | 180 | 2 | 208 |
Le bureau du coroner en chef a pris en charge le corps de la victime pour fins d'autopsie. Selon le rapport médico-légal du ministère de la Sécurité publique du Québec, la mort est attribuable à un polytraumatisme par écrasement.
1.4 Avaries et dommages
Le navire n'a subi aucune avarie. Ni l'embarcadère-débarcadère ni la dépanneuse n'a été endommagé au cours de l'accident.
1.5 Certificats et brevets
1.5.1 Certificats du navire
L'armement en personnel, l'équipement et l'exploitation du «CAMILLE MARCOUX» sont conformes aux règlements en vigueur.
1.5.2 Brevets du personnel
L'effectif sur le pont-garage du traversier comprend huit membres d'équipage, soit deux officiers, un maître d'équipage et cinq matelots. Ces membres d'équipage possèdent les brevets nécessaires pour les postes qu'ils occupent et pour le service auquel leur navire est employé.
1.6 Antécédents du personnel et des personnes en cause
1.6.1 Le capitaine
Le capitaine possède 46 années d'expérience de la navigation, dont 26 en qualité de capitaine. Il commande le «CAMILLE MARCOUX» en tant qu'employé permanent de la Société des traversiers du Québec (STQ) depuis 1983.
1.6.2 Le second capitaine
Le second capitaine possède 16 années d'expérience de la navigation, dont 3 en qualité de second. Il occupe le poste permanent de second capitaine à bord du «CAMILLE MARCOUX» depuis le 27 juin 1995.
1.6.3 Le maître d'équipage
Le maître d'équipage possède 29 années d'expérience en mer, dont 18 en qualité de maître d'équipage. Il occupe le poste permanent de maître d'équipage à bord du «CAMILLE MARCOUX» depuis 1979.
1.6.4 La victime
L'homme qui a perdu la vie avait un emploi permanent dans une usine de Baie-Comeau en plus d'être propriétaire de la compagnie de bétonnières Béton D'Astous. Il avait vendu sa flotte de véhicules et, au moment de l'accident, il livrait cette bétonnière à son nouveau propriétaire sur la rive sud.
1.6.5 Le chauffeur de la dépanneuse
Le chauffeur de la dépanneuse possède 25 années d'expérience comme mécanicien et il conduit une dépanneuse depuis 6 ans.
1.6.6 Le préposé à l'embarcadère-débarcadère
Le préposé possède 21 années d'expérience et a suivi un cours concernant l'opération de l'embarcadère-débarcadère en 1994.
1.7 Renseignements sur les conditions météorologiques et sur la marée
Les conditions météorologiques enregistrées par le personnel du navire concordent avec les observations des autres témoins. Le temps était clair avec des vents du nord-est à cinq noeuds et une température de 11 °C. Il avait plu en soirée le 9 juillet, mais l'embarcadère-débarcadère était sec au moment de l'accident.
La basse mer de la marée moyenne avait eu lieu vers 15 h 55. La marée montait au moment de l'événement, et l'embarcadère-débarcadère accusait une faible pente avec le pont-garage du navire.
1.8 Profil de la Société des traversiers du Québec (STQ)
La STQ, société d'État créée le 4 juin 1971, exploite une flotte de 13 navires dont 11 effectuent
8 liaisons différentes desservant 15 terminaux le long des deux rives du Saint-Laurent.
1.9 Horaire du traversier
En saison estivale, l'horaire publié par la STQ pour les traversées du mardi entre Matane et Baie-Comeau est le suivant :
Départ de Matane - 17 h
Départ de Baie-Comeau - 20 h
L'horaire ne précise ni l'heure d'arrivée ni la durée minimale de l'escale à Baie-Comeau. Les ports sont à quelque 33 milles marins l'un de l'autre et la vitesse commerciale du navire est de 15 noeuds. Ainsi, le temps nécessaire pour la traversée, sans tenir compte des conditions météorologiques et du courant, est d'environ 2 heures et 15 minutes.
En l'occurrence, le traversier est parti de Matane à 17 h 1 et il est arrivé à Baie-Comeau à 19 h 15. Pendant l'escale à Baie-Comeau, 226 passagers et 115 véhicules sont descendus avant que les 180 passagers et 103 véhicules embarquent pour le voyage de retour vers Matane. Aucune réservation n'avait été faite pour le transport de la bétonnière. Le plan d'arrimage a donc dû être modifié à la dernière minute, ce qui a pu occasionner un délai imprévu
1.10 Circulation sur l'embarcadère-débarcadère
Au moment de l'accident, le traversier n'était pas muni d'une échelle de coupée pour les piétons. Ces derniers de même que les véhicules utilisaient le même accès au navire, soit l'embarcadère-débarcadère et la rampe d'étrave qui donne accès à l'intérieur des emménagements. Ainsi, selon le Guide d'utilisation de l'embarcadère routier, publié par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada à l'intention des préposés à l'embarquement et au débarquement des passagers, au début de chaque escale, l'embarcadère-débarcadère est réservé aux piétons qui descendent du traversier et qui y montent, et on fait le déchargement et le chargement des véhicules à la fin.
Des feux de circulation rouge et vert placés sur le côté gauche de l'embarcadère-débarcadère indiquent aux véhicules l'accès à l'embarcadère-débarcadère. L'accès au pont-garage est interdit aux passagers durant la traversée.
La conception des terminaux est différente dans chaque port. Dans le cas du «CAMILLE MARCOUX», qui transite essentiellement entre les ports de Godbout, Matane et Baie-Comeau, l'accostage se fait de la façon suivante dans ces deux derniers ports :
Le traversier est toujours accosté de l'avant à Baie-Comeau et de l'arrière à Matane. Ainsi, les véhicules sont chargés en circulant en marche avant sur la rampe d'étrave au terminal de Baie-Comeau et ils sont déchargés en circulant en marche avant sur la rampe arrière quand le navire est à Matane.
Dans le cas à l'étude, la dépanneuse est entrée en marche avant avec la bétonnière, mais elle est ressortie en marche arrière étant donné que l'espace était restreint sur le pont-garage puisque le chargement du traversier tirait à sa fin.
1.11 Directives de gestion de l'embarcadère-débarcadère
L'exploitation de l'embarcadère-débarcadère fait l'objet d'un guide intituléGuide d'utilisation de l'embarcadère routier de Baie-Comeau, qui a été préparé par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada en février 1992 à l'intention des préposés à l'embarcadère-débarcadère. Le paragraphe 2.6 de ce guide, «Contrôle du trafic», stipule «qu'aucun véhicule ne sera admis sur la rampe lorsque des piétons circuleront sur la rampe.»
La STQ avait déjà entrepris depuis plusieurs années des pourparlers avec les autorités fédérales dans le but de promouvoir l'installation d'une rampe pour les piétons. Dans son rapport sur cet accident, le coroner a recommandé aux autorités compétentes, soit les ministères fédéral et provincial des transports, d'unir leurs efforts pour construire des rampes d'accès indépendantes pour les piétons et les véhicules en vue de permettre aux piétons d'atteindre le pont du navire sans avoir à circuler sur la rampe qu'utilisent les véhicules, comme dans le cas à l'étude.
Depuis, les responsables de la traverse Matane-Côte Nord ont pris connaissance des recommandations du coroner et ils affirment avoir déjà répondu à une partie de celles-ci. Ils ont entrepris, aux terminaux de Matane et de Baie-Comeau, des travaux d'aménagement d'une rampe d'accès direct au navire pour les piétons, indépendante de celle des véhicules.
1.12 Directives d'exploitation du pont-garage
Les membres de l'équipage responsables du chargement et du déchargement à bord du «CAMILLE MARCOUX» se réunissent quelques fois par année pour discuter des modifications en rapport avec les opérations du bord. Les ententes qui sont prises lors de ces réunions sont faites verbalement. La STQ donne également des séances de formation concernant les signaux que les membres de l'équipage affectés au pont-garage doivent utiliser pour l'arrimage des véhicules.
Les membres de l'équipage affectés au chargement et au déchargement guident les véhicules à l'intérieur du pont-garage seulement. En pratique, on n'assigne qu'un signaleur pour guider les automobilistes, mais les chauffeurs de poids lourds et de semi-remorques sont assistés par deux signaleurs. Lors de l'événement, un seul signaleur a servi de guide pour les manoeuvres lors de la sortie de la dépanneuse parce que celle-ci n'était pas sur le pont-garage pour être arrimée, mais plutôt pour y apporter la bétonnière.
1.13 Avertisseur sonore de marche arrière pour les poids lourds
Au Québec, l'avertisseur sonore de marche arrière n'est pas obligatoire pour tous les poids lourds. D'ailleurs, le Code de la sécurité routière au Québec n'a aucun règlement relatif aux dispositifs sonores de marche arrière. À ce jour, seule la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a adopté un règlement qui exige que les véhicules dont le poids est de 2 500 kg ou plus, qui circulent sur les chantiers de construction, soient munis d'un tel dispositif.
Le coroner chargé de l'enquête sur l'accident survenu à bord du «CAMILLE MARCOUX» a déposé son rapport accompagné de ses recommandations en mars 1997. Une fois de plus, dans une de ces recommandations, le coroner reconnaît l'importance d'un avertisseur sonore de marche arrière pour les poids lourds. Cette recommandation, faite à l'intention de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ), veut faire en sorte que les véhicules de plus de 5 500 kg soient munis d'un klaxon automatique de marche arrière.
2.0 Analyse
2.1 Accès à l'embarcadère-débarcadère
L'ex-propriétaire et son oncle n'étaient pas des passagers et ils ne se sont occupés ni du chargement ni de l'arrimage de la bétonnière à bord du «CAMILLE MARCOUX». Il semble qu'on n'a pas suivi les directives du Guide d'utilisation de l'embarcadère routier de Baie-Comeau en laissant circuler librement l'ex-propriétaire et son oncle sur l'embarcadère-débarcadère.
L'ex-propriétaire et son oncle ont quitté le pont-garage en direction de l'embarcadère-débarcadère au moment où la dépanneuse s'apprêtait à le faire. L'ex-propriétaire a été heurté par la dépanneuse alors qu'il se trouvait sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, dos à la dépanneuse.
2.2 Circulation des véhicules
Pour favoriser la sécurité, la circulation des véhicules à l'entrée et à la sortie du pont-garage se fait en marche avant, de façon à demander un moins grand effort visuel et de concentration aux automobilistes et aux chauffeurs de poids lourds. En l'occurrence, à cause de l'espace restreint sur l'avant du pont-garage, quand le chauffeur de la dépanneuse a eu fini de garer la bétonnière, on ne lui a pas demandé de faire demi-tour pour s'engager en marche avant vers la sortie. Le chauffeur aurait eu plus de facilité à voir les piétons s'il s'était dirigé en marche avant vers l'embarcadère-débarcadère.
2.3 Assistance aux chauffeurs de poids lourds
En raison de leur configuration, les poids lourds ont un champ de vision restreint et truffé d'angles morts comparativement à celui des automobiles. Ainsi, l'aide d'un deuxième signaleur, placé à l'arrière, aurait permis au chauffeur de la dépanneuse de faire marche arrière de façon plus sûre, peu importe la manoeuvre exécutée. Or, au moment de l'accident, il n'y avait qu'un seul signaleur, placé à l'avant de la dépanneuse, pour assister le chauffeur dans ses manoeuvres vers la sortie. Un deuxième signaleur placé à l'arrière de la dépanneuse aurait vu les piétons.
2.4 Incidence de l'horaire du traversier sur la sécurité
Les traversiers transportent un grand nombre de passagers et de véhicules et sont exploités selon des horaires serrés, qu'ils doivent respecter autant que possible, particulièrement pendant la saison estivale. Le personnel des traversiers et des terminaux doit s'efforcer d'éviter les retards, car une fois que le traversier a pris du retard, il est difficile de rattraper l'horaire prévu.
En l'occurrence, le chargement de la bétonnière avec la dépanneuse a ralenti les opérations. On a lancé deux coups de sifflet pour rappeler aux membres de l'équipage qu'ils devaient terminer les opérations de chargement dans les plus brefs délais. Même s'il semble n'y avoir eu aucune pression sur les membres de l'équipage pour que les horaires du traversier soient rigidement respectés, ils ont pu interpréter les coups de sifflet comme étant le début des préparatifs d'appareillage, ce qui a pu créer un stress supplémentaire.
Le temps dont disposait le traversier avant le départ était restreint, et le signal qui a été donné aux membres de l'équipage leur donnant une dizaine de minutes pour se préparer à l'appareillage, sont des éléments qui ont précipité les opérations du bord; celles-ci ont provoqué chez le chauffeur de la dépanneuse un stress additionnel alors qu'il roulait en marche arrière. Cette situation a donné lieu au déplacement rapide de la dépanneuse vers la sortie du traversier.
2.5 Avertissement de danger
L'embarcadère-débarcadère est muni de feux de signalisation pour contrôler la circulation des véhicules, mais ces feux ne sont pas conçus pour avertir les piétons de la présence d'un danger quelconque. À part les mesures de sécurité qui consistent à faire monter les piétons à bord avant de charger les véhicules et à installer des cordons pour délimiter la partie de l'embarcadère-débarcadère réservée aux piétons, aucun panneau ou avertisseur visuel ou sonore pour signaler les dangers aux piétons n'a été prévu dans le guide d'utilisation. Essentiellement, le seul moyen dont disposent les préposés à l'embarcadère-débarcadère, est d'alerter de vive voix les piétons qui sont menacés d'un danger quelconque. Le préposé et d'autres témoins ont tenté en vain d'utiliser cette méthode au moment de l'accident. En outre, les témoins ont eu moins de temps pour avertir la victime parce que la dépanneuse se déplacait rapidement.
2.6 Avertisseur sonore de marche arrière
Malgré les nombreuses recommandations faites par les coroners depuis 1988 à la suite d'accidents semblables, le Code de la sécurité routière au Québec n'a toujours pas d'exigence relative à l'installation d'un avertisseur sonore de marche arrière sur les poids lourds. Quant à l'ex-propriétaire de la bétonnière, il se peut qu'il ait été perturbé par la discussion animée qu'il avait eue avec le second capitaine et par le fait qu'il voyait pour la dernière fois les véhicules qu'il avait vendus, ce qui peut l'avoir amené à se dissocier de son environnement immédiat au moment où il s'est engagé sur l'embarcadère-débarcadère. Le fait qu'il ne s'est rendu compte de la présence de la dépanneuse qu'au dernier moment porte à croire que les bruits que faisait la dépanneuse en marche arrière étaient atténués par d'autres bruits environnants, provenant des opérations générales du bord, et n'auraient donc pas attiré son attention avant l'accident.
En raison de l'intérêt grandissant pour la sécurité, certains constructeurs de véhicules automobiles procèdent actuellement à l'élaboration d'un système de détection qui permettrait à l'automobiliste d'obtenir un signal sonore et visuel pour l'avertir de la présence d'une personne ou d'un objet à l'arrière de son véhicule. Cette nouvelle technologie devrait être sur le marché dans un avenir proche et un tel dispositif pourrait sans doute être installé sur les poids lourds. Entre-temps, certains installent un avertisseur sonore de marche arrière extérieur pour éviter de tels accidents.
2.7 Directives écrites de gestion de la sécurité
En adoptant le Code international de gestion de la sécurité le 4 novembre 1993, l'OMI a invité les compagnies à mettre en oeuvre un système de gestion de la sécurité à tous les niveaux de la compagnie, tant à bord des navires qu'à terre. Étant donné que le Code ne s'applique pas aux traversiers, tel le «CAMILLE MARCOUX», qui ne ressortent pas de la Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (SOLAS), l'OMI ne peut que promouvoir ce code. La gestion de la sécurité permet, entre autres, de définir et d'établir par écrit les directives qui permettent d'améliorer constamment les compétences du personnel à terre et à bord des navires en matière de gestion de la sécurité. De telles directives permettent au personnel d'utiliser les méthodes d'exploitation les plus récentes du domaine concernant les traversiers-rouliers pour passagers et véhicules.
3.0 Faits établis
- Les piétons et les véhicules empruntent le même embarcadère-débarcadère pour accéder au pont-garage du navire.
- Deux piétons circulaient librement sur l'embarcadère-débarcadère après le chargement de la bétonnière.
- Le chauffeur de la dépanneuse s'est trouvé dans une situation stressante parce qu'il devait effectuer plusieurs manoeuvres pour décoincer la dépanneuse peu de temps avant le départ prévu.
- Un seul signaleur a été placé à l'avant de la dépanneuse pour guider le chauffeur vers la sortie alors qu'il faisait marche arrière dans un espace restreint.
- L'équipage n'a pas exigé que la dépanneuse fasse demi-tour sur le pont-garage avant de se diriger vers l'embarcadère-débarcadère.
- Les manoeuvres en marche arrière exécutées dans un espace restreint sans l'aide d'un deuxième signaleur ont contribué à l'accident.
- La victime et le chauffeur de la dépanneuse ne se sont pas méfiés l'un de l'autre sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère.
- Les avertissements répétés qui ont été faits par le préposé à l'embarcadère-débarcadère et par d'autres personnes en bordure de la rampe n'ont pas attiré l'attention de l'ex-propriétaire qui s'était engagé vers la sortie.
- Les témoins ont eu moins de temps pour avertir la victime parce que la dépanneuse se déplaçait rapidement.
- Depuis 1988, les coroners ont fait des recommandations aux organismes concernés pour que ceux-ci prennent des mesures. À ce jour, rien n'a encore été mis en oeuvre pour éviter de tels accidents.
- Malgré les nombreuses recommandations à l'intention de la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) au sujet de l'installation obligatoire d'un avertisseur sonore de marche arrière à bord des poids lourds, à ce jour, rien n'apparaît à cet effet dans le Code de la sécurité routière au Québec.
- Seuls les préposés à l'embarcadère-débarcadère disposent de directives écrites concernant les tâches qu'ils ont à accomplir.
Causes et facteurs contributifs
Le piéton a été heurté par la dépanneuse alors qu'il circulait sur le tablier de l'embarcadère-débarcadère, dos à la dépanneuse, parce que l'accès n'a pas été interdit aux véhicules pendant que des piétons circulaient sur l'embarcadère-débarcadère et parce qu'un signaleur n'a pas été placé à l'arrière de la dépanneuse pour guider le chauffeur pendant qu'il faisait marche arrière. Le chauffeur n'a pas vu le piéton qui marchait sur le tablier, la dépanneuse n'était pas munie d'un avertisseur sonore automatique de marche arrière, et le piéton ne s'est pas méfié de la dépanneuse en quittant le navire.
4.0 Mesures de sécurité
4.1 Mesures prises
4.1.1 Recommandations du coroner
Dans son rapport d'enquête sur cet accident, le coroner a fait trois recommandations :
Que la Société des traversiers du Québec (STQ) révise sa directive concernant le déchargement en marche arrière de tout véhicule, conformément au Règlement sur les établissements industriels et commerciaux de la Loi sur la sécurité et la santé du travail, articles 223 et 286, Régie des rentes du Québec 1981, chapitre S-2.1, règlement 9 : «Lorsqu'un véhicule automoteur fait marche arrière, un signaleur doit diriger le conducteur si ce déplacement peut mettre en cause la sécurité d'un travailleur ou du conducteur.»
Recommandation du BST
Que la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) et le ministère des Transports du Québec apportent les modifications législatives au Code de la sécurité routière en vue d'obliger les véhicules de plus de 5 500 kg à être munis d'un klaxon automatique de marche arrière.
Recommandation du BST
Que la STQ, le ministère des Transports du Québec et Transports Canada unissent leurs efforts pour construire sur les quais qui leur appartiennent un accès piétonnier distinct qui permette aux piétons d'atteindre directement le pont supérieur du traversier sans avoir à circuler sur le pont-garage.
Recommandation du BST
La SAAQ trouve intéressante la recommandation du coroner concernant le klaxon automatique, mais a aussi laissé savoir que sa mise en application pourrait être problématique, car l'installation d'un tel dispositif sur plus de 100 000 poids lourds aurait un impact économique difficile à justifier auprès des transporteurs. La SAAQ préconise plutôt que le chauffeur vérifie d'abord le trajet et qu'il se fasse guider par une personne responsable.
4.1.2 Passerelle d'embarquement pour piétons
Le 13 décembre 1996, le Bureau a envoyé la lettre d'information en matière de sécurité maritime no 03/96 à la STQ. Cette lettre avait pour but d'aviser la STQ des lacunes relevées dans les directives concernant l'embarquement et le débarquement des passagers. La STQ a élaboré un concept pour l'embarquement des piétons, et en 1997, elle a apporté des améliorations aux installations d'embarquement des passagers aux terminaux de Matane et de Baie-Comeau. Entre autres, un trottoir d'accès à l'abri des intempéries ainsi qu'une passerelle d'accès au navire totalement indépendante permettent maintenant un embarquement plus sûr des piétons.
4.1.3 Avertisseur sonore
À la suite de l'accident, le propriétaire de la dépanneuse a fait installer un avertisseur sonore de marche arrière sur le véhicule.
Le présent rapport met fin à l'enquête du Bureau de la sécurité des transports sur cet accident. La publication de ce rapport a été autorisée le par le Bureau qui est composé du Président Benoît Bouchard et des membres Maurice Harquail, Charles Simpson et W.A. Tadros.
5.0 Annexes
Annexe A - Croquis du secteur de l'événement
Annexe B - Croquis de l'embarcadère-débarcadère
Annexe C - Photographies
Annexe D - Sigles et abréviations
- ar.
- arrière
- av.
- avant
- BST
- Bureau de la sécurité des transports du Canada
- C
- Celsius
- CSST
- Commission de la santé et de la sécurité du travail
- h
- heure
- HAE
- heure avancée de l=Est
- kg
- kilogramme
- km/h
- kilomètre à l=heure
- kW
- kilowatt
- m
- mètre
- OMI
- Organisation maritime internationale
- SAAQ
- Société de l=assurance automobile du Québec
- SI
- système international (d=unités)
- SOLAS
- Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer
- STQ
- Société des traversiers du Québec
- UTC
- temps universel coordonné
- °
- degré