Rapport d’enquête sur la sécurité du transport maritime M20A0160

Naufrage et pertes de vie subséquentes
Bateau de pêche Sarah Anne
Baie Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador)

Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.

Table des matières

    Résumé

    Le 25 mai 2020 peu après minuit, le bateau de pêche Sarah Anne a quitté St. Lawrence (Terre-Neuve-et-Labrador) pour effectuer une sortie de pêche au crabe des neiges dans la baie Placentia, avec 4 personnes à bord. À 19 h 45 le même jour, le centre des Services de communication et de trafic maritimes de Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador) a reçu un rapport de retard. Une recherche a été lancée à l’aide de plusieurs navires et aéronefs. Les corps de 3 membres d’équipage ont été retrouvés le jour suivant. Le corps du 4e membre d’équipage a été retrouvé sur le rivage le 6 juin 2020. Le bateau n’a pas été retrouvé.

    1.0 Renseignements de base

    1.1 Fiche technique du bateau

    Tableau 1. Fiche technique du bateau
    Nom auprès de Transports Canada Ann Lorie*
    Numéro matricule auprès de Transports Canada 395976
    Nom auprès de Pêches et Océans Canada Sarah Anne
    Numéro d’immatriculation auprès de Pêches et Océans Canada 03100
    Port d’immatriculation Shelburne (Nouvelle-Écosse)
    Pavillon Canada
    Type Pêche
    Jauge brute 14,48
    Longueur hors tout 10,64 m
    Longueur réglementaire 9,66 m
    Construction 1980, Atkinson’s Harbour Craft Limited, South Side (Nouvelle-Écosse)
    Propulsion 1 moteur diesel (201 kW) entraînant une hélice à pas unique
    Équipage 4
    Propriétaire enregistré Propriétaire privé (St. Lawrence, Terre-Neuve-et-Labrador)

    * Même si le bateau était immatriculé sous le nom Ann Lorie auprès de Transports Canada, il était communément appelé le Sarah Anne, et c’est sous ce nom qu’il était immatriculé auprès de Pêches et Océans Canada. Le nom Sarah Anne est retenu dans le présent rapport.

    1.2 Renseignements sur le bateau

    Le Sarah Anne était un bateau de type Cape Island fabriqué en fibre de verre et en bois, originalement conçu pour la pêche côtière au homard. La timonerie était à l’avant du milieu du bateau, surélevée d’environ 30 cm par rapport au pont principal et accessible par une porte en bois sur la cloison arrière, près de l’axe longitudinal. Il y avait 1 bouée de sauvetage fixée à l’extérieur de cette porte. Près du poste de pilotage dans la timonerie, il y avait 1 appareil GPS (système mondial de localisation), 1 radar, 1 échosondeur et 2 radiotéléphones à très haute fréquence (VHF), dont 1 doté de la fonction d’appel sélectif numérique (ASN)Note de bas de page 1.

    Un radeau de sauvetage gonflable pour 6 personnes se trouvait dans un berceau au-dessus de la timonerie. Le radeau était normalement fixé au berceau à l’aide de courroies. Le mât du bateau contenait des antennes radio et GPS et 1 réflecteur radar (figure 1).

    Figure 1. Photo du Sarah Anne avant l’événement, montrant le réflecteur radar (1), le radeau de sauvetage (2), l’échelle d’accès au radeau de sauvetage (3), le poste de pilotage de la timonerie (4), la section avant du pont de travail principal (5) et la zone d’entreposage arrière (6) (Source : Tiers, avec permission)
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    Photo du Sarah Anne avant l’événement, montrant le réflecteur radar (1), le radeau de sauvetage (2), l’échelle d’accès au radeau de sauvetage (3), le poste de pilotage de la timonerie (4), la section avant du pont de travail principal (5) et la zone d’entreposage arrière (6) (Source : Tiers, avec permission)

    On accédait au local d’habitation avant, dans la proue, à partir de la timonerie. Le local d’habitation était séparé du fond de cale sous la timonerie par une cloison étanche. Environ 10 combinaisons d’immersion étaient entreposées dans le local d’habitation, avec un nombre indéterminé de gilets de sauvetage.

    Le pont de travail principal était divisé en 2 sections. La section avant était équipée de 1 treuil pour casiers et de 1 poste de pilotage à tribord. La mise en place et le remontage des casiers étaient habituellement effectués à cet endroit. Dans la partie centrale du pont, de la timonerie à environ 2 m devant la poupe du bateau, se trouvait 1 écoutille d’environ 60 cm de largeur qui donnait accès à l’arbre porte-hélice. Cette écoutille non étanche était fabriquée de panneaux de contreplaqué et fixée au pont avec des vis. Un dalot d’environ 6 cm de diamètre se trouvait de chaque côté de la coque. L’enquête n’a pas permis de déterminer si les dalots étaient demeurés ouverts ou s’ils étaient bouchés au moment de l’événement. La section arrière du pont était utilisée pour stocker les prises de crabe des neiges, de la glace et des engins de pêche de rechange.

    Trois pompes de cale électriques étaient installées sous le pont principal. Deux de ces pompes étaient activées manuellement à partir de l’intérieur de la timonerie, et la 3e était actionnée automatiquement selon l’augmentation des niveaux d’eau dans la cale. Une pompe portative alimentée par une batterie se trouvait à bord et était utilisée comme pompe d’appoint pour les 3 pompes de cale principales. Puisque le bateau n’était pas équipé d’une alarme de cale, l’équipage devait regarder par une petite écoutille dans le pont de la timonerie pour vérifier si de l’eau s’accumulait dans la zone avant de la cale.

    1.3 Opérations de pêche

    La saison de pêche au crabe des neiges s’étend habituellement du mois d’avril ou mai à juin ou juillet. Pour pêcher le crabe des neiges, le Sarah Anne partait habituellement après minuit, arrivait aux lieux de pêche Note de bas de page 2 avant 5 h et retournait au port la même journée. Le carburant et la glace étaient habituellement chargés l’après-midi avant le départ. Lorsque les membres d’équipage apportaient les casiers et les lignes connexes à bord, ils empilaient chaque filière de casiers et fixaient la pile au bateau dans la section avant du pont de travail une fois que toute la filière de casiers se trouvait à bord Note de bas de page 3.

    En 2019, l’équipage pêchait le crabe des neiges avec 5 filières de 25 casiers chacune. La plus grande charge enregistrée pendant cette saison était de 1711 kg de crabe des neiges, 50 casiers et des lignes (poids combiné de 2543 kg). Le débarquement lors de la dernière journée de la saison 2019 était de 114 kg de crabe des neiges, 75 casiers et des lignes (poids combiné de 1363 kg).

    En vertu des conditions du permis de pêche au crabe des neiges de 2020, le propriétaire pouvait utiliser jusqu’à 200 casiers pour pêcher un quota maximal de 3290 kg de crabe des neiges pendant la saison.

    En 2020, 120 des 200 casiers autorisés étaient utilisés et ils avaient été séparés en 4 filières de 30 casiers chacune. Lors du 1er voyage de 2020, les 4 filières avaient été installées et le bateau était retourné au port. Le 19 mai, lors du 2e voyage, le bateau avait débarqué 1791 kg de crabe des neiges après avoir remonté, puis replacé les casiers des filières 1 et 2; les filières 3 et 4 n’avaient pas été remontées lors de ce voyage.

    1.4 Déroulement du voyage

    Le 25 mai 2020, à environ 0 h 12Note de bas de page 4, le Sarah Anne a quitté St. Lawrence (Terre-Neuve-et-Labrador) chargé de 453 kg de glace, en direction des lieux de pêche au crabe des neiges dans la baie Placentia. L’équipage du bateau était composé de 1 capitaine et 3 membres d’équipage. Il s’agissait du 3e et dernier voyage planifié par l’équipage dans le but de pêcher les 1500 kg de crabe des neiges restant au quota de 2020.

    Vers 10 h, l’équipage du Sarah Anne avait terminé de remonter les filières 1 et 2 et les avait rangées du côté bâbord du pont de travail principal. Environ 725 kg de crabe des neiges avaient été pêchés avec ces 2 filières. À ce moment, l’équipage se préparait à commencer à remonter la filière no 3 et le capitaine s’attendait à atteindre le quota restant avec les filières 3 et 4Note de bas de page 5. Lorsque le bateau a été aperçu la dernière fois, à 10 h 30, à la position approximative de 46°39ʹ N, 054°56ʹ W, l’équipage remontait la filière no 3 (figure 2).

    Figure 2. Lieu de l’événement, indiquant la dernière position connue du Sarah Anne et les voies de navigation à proximité (Source de l’image principale : carte no 4016 du Service hydrographique du Canada avec annotations du BST; source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)
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    Lieu de l’événement, indiquant la dernière position connue du Sarah Anne et les voies de navigation à proximité (Source de l’image principale : carte no 4016 du Service hydrographique du Canada avec annotations du BST; source de l’image en médaillon : Google Earth, avec annotations du BST)

    La même journée en après-midi, un aéronef affrété par Pêches et Océans Canada (MPO) pour surveiller les opérations de pêche dans le secteur a observé un total de 42 bateaux de pêche au cours de sa patrouille de 5 heures. À 18 h 29, l’équipage de l’aéronef a aperçu un autre bateau de pêche au crabe des neiges à proximité de la dernière position connue du Sarah Anne, mais il n’a observé le Sarah Anne à aucun moment pendant le vol.

    Le Sarah Anne devait livrer ses prises à une usine de transformation du poisson à St. Lawrence en fin d’après-midi. À 19 h 45, le retard du bateau a été signalé au centre des Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Placentia.

    1.5 Recherche et sauvetage

    À 19 h 58, les SCTM de Placentia ont transmis le message de retard au centre secondaire de sauvetage maritime (MRSC) de St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) afin qu’il coordonne l’intervention de recherche et sauvetage (SAR). Les SCTM et le MRSC ont tenté de localiser le Sarah Anne ou de communiquer avec son équipage par téléphone, par radio et par tous les autres moyens disponibles pour déterminer si le bateau était en détresse. À 20 h 26, le navire W Jackman de la Garde côtière canadienne (GCC) a été dépêché depuis Burin (Terre-Neuve-et-Labrador). Un hélicoptère Cormorant a ensuite été dépêché depuis Gander (Terre-Neuve-et-Labrador) à 20 h 41. À 20 h 53, les SCTM de Placentia ont relayé un signal de détresse (Mayday). L’Oceanex Connaigra y a répondu et, à 22 h 03, il a été le premier navire à arriver à la dernière position connue du Sarah Anne. Les recherches se sont poursuivies toute la nuit.

    Le jour suivant, entre 4 h 12 et 12 h 36, les ressources SAR ont repêché les corps de 3 membres d’équipage dans un rayon de 5 milles marins (NM) de la dernière position connue du Sarah Anne. Les efforts pour retrouver le dernier membre d’équipage se sont poursuivis jusqu’au 27 mai à 20 h 45, quand l’incident a été transféré à la Gendarmerie royale du Canada en tant que rapport de personne disparue.

    L’intervention SAR s’est déroulée sur une période de 48 heures, avec 9 navires et 5 aéronefs. En tout, les ressources déployées ont consacré plus de 200 heures à ratisser la région pour trouver des survivants.

    Les recherches en vue de retrouver le Sarah Anne et le dernier membre d’équipage se sont poursuivies du 31 mai au 6 juin, avec des ressources n’appartenant pas aux organismes SAR, dont les navires à moteur Keewatin et Paul A. Sacuta. Durant les recherches, un orin de bouée de la filière no 4 a été trouvé dans une zone de 200 m de profondeur, à environ 2 NM au sud-ouest de la position où le Sarah Anne a été aperçu la dernière fois. À partir de cette position, un véhicule sous-marin commandé à distance du Paul A. Sacuta a été utilisé, le 2 juin, pour tenter de retrouver le Sarah Anne. Au cours des recherches sous-marines, on a découvert que l’autre orin de bouée de la filière no 4 s’était détaché. Des 30 casiers, 21 ont été retrouvés à égale distance les uns des autres le long de la ligne de fond, alors que les 9 autres casiers étaient groupés près de l’extrémité rompue. Ni le bateau ni la filière no 3 n’ont été retrouvés au cours des recherches sous-marines.

    Le 6 juin, le corps du dernier membre d’équipage a été repêché à l’anse Doughboy, à 77 NM au nord-nord-est de la dernière position connue du Sarah Anne. Les 4 membres d’équipage retrouvés morts portaient des vêtements de travail. Le bateau n’a pas été retrouvé.

    1.6 Conditions environnementales

    Lorsque le bateau a été vu la dernière fois, à 10 h 30, le vent soufflait de l’ouest-sud-ouest à une vitesse signalée d’environ 5 nœuds, la température de l’air était de 4,8 °C et la température de l’eau était de 4,2 °C. Les vagues atteignaient une hauteur maximale de 0,8 m.

    Dans les heures qui ont suivi le dernier moment où le Sarah Anne a été vu, la hauteur maximale des vagues a augmenté pour atteindre 2,4 m à 20 h. Pendant la majeure partie de la journée, la période des vagues était d’environ 4,5 secondes. Cependant, la période des vagues enregistrée a augmenté par moments jusqu’à 7,4 à 8 secondes entre 10 h 30 et 12 h 55, avant de revenir à une moyenne de 4,3 secondes.

    1.7 Certification et expérience du personnel

    Le capitaine du Sarah Anne comptait environ 40 ans d’expérience de travail à bord de bateaux de pêche et plus de 30 ans d’expérience à titre de capitaine. Compte tenu de son expérience, le Professional Fish Harvesters Certification Board (PFHCB) de Terre-Neuve-et-Labrador lui avait délivré un certificat de pêcheur de niveau IINote de bas de page 6. En 2008, le capitaine avait suivi un cours de 5 jours sur la sécurité de base (Fonctions d’urgence en mer [FUM] A3) pour les pêcheursNote de bas de page 7. Il ne détenait pas de brevet de Transports Canada (TC) et n’avait pas suivi de formation sur la stabilité.

    Un des membres d’équipage avait plus de 19 ans d’expérience dans les domaines de la pêche et du transport maritime commercial. Il détenait un brevet de matelot de quart à la passerelle de TC et avait suivi divers cours de formation sur la sécurité, notamment sur l’aptitude à l’exploitation des bateaux de sauvetage, sur l’aptitude à l’exploitation des canots de secours rapides, sur le secourisme avancé en mer et sur les FUM A1, B1 et B2, ainsi qu’un cours de recyclage sur la sécurité de base et l’aptitude à l’exploitation de bateaux de sauvetage. Il n’avait pas de certificat du PFHCB.

    Un autre membre d’équipage avait au moins 23 ans d’expérience à titre de pêcheur.Selon le PFHCB, il avait suivi la formation sur les FUM A3 et sur le secourisme avancé en mer en 2002. Il n’avait pas renouvelé son certificat d’apprenti pêcheur du PFHCB depuis 2005 et ne détenait aucun brevet de TC.

    Il s’agissait de la première expédition de pêche au crabe des neiges du 4e membre d’équipage. Celui-ci ne détenait pas de certificat du PFHCB ni de brevet de TC.

    Selon l’Occupational Health and Safety Act de Terre-Neuve-et-Labrador, l’employeur peut désigner un travailleur comme responsable de la santé et la sécurité pour surveiller la santé, la sécurité et le bien-être des travailleurs là où moins de 6 personnes se trouvent dans un milieu de travailNote de bas de page 8. L’enquête n’a pas permis de déterminer si un ou l’autre des membres d’équipage agissait à titre de délégué à la santé et la sécurité, ou avait participé à la formation obligatoire pour la certification de santé et de sécurité prescrite par la Loi.

    1.8 Immatriculation et inspection du bateau

    Quand la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada (LMMC 2001) est entrée en vigueur en 2007Note de bas de page 9, elle exigeait que tous les navires de pêche commerciale propulsés par un moteur d’une puissance égale ou supérieure à 7,5 kW (10 hp) appartenant à des personnes qualifiéesNote de bas de page 10 soient immatriculés auprès de TC, et que les renseignements relatifs à l’immatriculation soient completsNote de bas de page 11.

    Le bateau était immatriculé auprès de TC sous le nom d’Ann Lorie. Il y a eu un changement de propriétaire en 2004, mais TC n’en a pas été informé. En 2017, le capitaine a acheté le bateau sans mettre à jour l’immatriculation. En 2018, un expert maritime a mesuré la longueur totale du bateau afin de déterminer si celui-ci répondait aux exigences pour remplir une demande d’immatriculation de bateau commercial du MPO. La demande indiquait que le nom du navire avait été changé d’Ann Lorie à Sarah Anne.

    Bien que les dossiers de TC indiquent qu’il y a eu des changements au chapitre de l’historique d’immatriculation du bateau jusqu’en 2004, TC n’a aucun document indiquant le changement de propriétaire en 2017, la proposition de changement de nom ou le jaugeage.

    TC conserve des dossiers sur les évaluations de stabilité, les inspections et la participation au Programme de conformité des petits bâtiments (PCPB). TC n’a toutefois aucun document indiquant que le Sarah Anne a fait l’objet d’une inspection durant ou depuis sa construction en 1980.

    1.9 Stabilité du bateau

    La stabilité d’un navire est sa capacité à se redresser après avoir donné de la bande sous l’effet de forces externes, comme le vent, les vagues ou des opérations de pêche, une fois que les forces externes ont cessé de s’exercer sur le navire. Conformément à la réglementation de TC, les navires de pêche nouveaux ou modifiés mesurant plus de 9 m de longueur, ceux dont la jauge brute est supérieure à 15 tonneaux qui sont utilisés pour la pêche au hareng ou au capelan ou ceux munis de citernes antiroulis doivent faire l’objet d’évaluations de stabilitéNote de bas de page 12. Ces évaluations aident les équipages à établir des limites d’exploitation sécuritaire, notamment le franc-bord minimal et la charge maximale de cargaison, ainsi que des séquences sécuritaires pour le chargement et l’arrimage de la cargaison et des engins, et la gestion des consommables et des effets de carène liquide. La réglementation stipule également que les renseignements fournis dans ces évaluations doivent être facilement accessibles, compréhensibles et pertinents pour l’exploitation du navire.

    En tant que bateau existant, le Sarah Anne n’avait pas à être soumis à une évaluation de stabilité, mais il devait être suffisamment stable pour mener des opérations de pêche de manière sécuritaireNote de bas de page 13. L’enquête n’a pas permis de déterminer si une évaluation de stabilité avait été effectuée. Le plan d’aménagement général et l’évaluation de stabilité du bateau n’étaient pas parmi les dossiers auxquels les membres d’équipage avaient accès.

    1.9.1 Évaluation de stabilité

    L’objectif fondamental d’une évaluation de stabilité est de déterminer si un navire dispose d’une réserve de stabilité suffisante afin que le risque de chavirement ou de naufrage soit réduit pendant les opérations courantes. Une évaluation de stabilité est calculée pour un navire stationnaire en eau complètement calme. Cette évaluation est un outil que les pêcheurs peuvent utiliser pour évaluer la stabilité dans des conditions réelles d’exploitation, en tenant compte notamment des effets du vent, des vagues et des opérations de pêche. Toutefois, le fait de réussir une évaluation de stabilité ne garantit pas une protection contre le chavirement.

    Afin d’examiner le rôle possible de la stabilité dans le présent événement, le BST a procédé à une évaluation de stabilité complète selon les exigences de TCNote de bas de page 14 (annexe A). Puisque le Sarah Anne n’a pas été récupéré, l’évaluation de stabilité a été effectuée avec un modèle d’un bateau jumeau. Ce modèle a été modifié afin de correspondre à la dernière configuration connue du Sarah Anne. Dans le cadre de l’évaluation de stabilité du Sarah Anne,l’état lège du bateau et 4 conditions d’exploitation, chacune à un différent moment du voyage et avec une estimation spécifique du poids des prises, des produits de consommation et des engins à bord.

    L’évaluation de stabilité du Sarah Anne effectuée par le BST a révélé que le bateau manquait au respect d’au moins 1 critère de stabilité dans chacune des conditions d’exploitation examinées. Le fait de ne pas satisfaire à ces critères de stabilité ne signifie pas qu’un navire chavirera soudainement lorsqu’il sera exploité dans ces conditions, mais plutôt que sa capacité de se redresser après avoir donné de la bande sous l’effet de forces externes est réduite et qu’il court un risque accru de chavirement.

    1.10 Engins de sauvetage

    Au Canada, les accidents liés à la stabilité et les accidents où il y a chute par-dessus bord sont la cause de 87 % des pertes de vie dans l’industrie de la pêcheNote de bas de page 15. Lorsqu’un navire chavire soudainement, personne n’a le temps de se préparer, et il est possible que tous les membres d’équipage se retrouvent dans l’eau en même temps. Dans ce cas, il ne reste aucun membre d’équipage à bord pour aider au sauvetage. En général, tous les membres d’équipage portent des vêtements de travail. Étant donné qu’ils n’ont pas le temps de lancer un appel de détresse, d’enfiler des combinaisons d’immersion ou de déployer manuellement un radeau de sauvetage, ils ne peuvent compter que sur l’équipement qu’ils portent, lequel peut comprendre une balise de localisation personnelle (BLP), ou sur le déploiement automatique d’un radeau de sauvetage et d’une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) pour les aider à survivre jusqu’à l’arrivée des secours.

    Lorsqu’une personne est immergée en eau froide, particulièrement de l’eau à moins de 15 °C, elle peut initialement subir un choc hypothermique qui causera une respiration haletante. Le port d’une combinaison d’immersion, d’un vêtement de flottaison individuel (VFI) ou d’un gilet de sauvetage peut prévenir la noyade lors du choc initial au contact de l’eau froide, en maintenant la bouche de la personne éloignée de la surface de l’eau, ce qui prévient l’ingestion d’eau en cas de respiration haletante ou erratique.

    Le choc hypothermique est suivi d’une perte de motricité, ce qui réduit la capacité de nager ou de s’agripper à un engin de flottaison. L’hypothermie peut se manifester au bout de 30 minutes d’immersion en eau froide; le fait de nager ou de tenter de récupérer un engin de flottaison ou de monter à bord d’un radeau de sauvetage accélère la perte de chaleur corporelle et le déclenchement de l’hypothermie. Cela peut entraîner une perte de motricité supplémentaire et la mort si la personne n’est pas secourue.

    Afin que les personnes dans l’eau puissent être secourues, d’autres doivent savoir qu’elles ont besoin d’aide et doivent pouvoir les repérer. En attendant d’être secourues, les personnes dans l’eau doivent être protégées des éléments pour survivre (tableau 2).

    Tableau 2. L’incidence de l’équipement de sauvetage sur la survie en mer à différentes étapes de l’immersion et du sauvetage en eau froide (Source : BST)
    Étape de l’immersion / du sauvetage Radeau de sauvetage Combinaisons d’immersion Gilets de sauvetage / VFI Aucun équipement
    Entrée dans l’eau froide Temps d’exposition minimal ou nul dans l’eau Entrée dans l’eau Entrée dans l’eau Entrée dans l’eau
    Choc hypothermique initial Prévient/atténue la réaction au choc hypothermique Prévient le déclenchement de la réaction au choc hypothermique et maintient la personne à flot Garde la tête et la bouche de la personne au-dessus de la surface de l’eau lorsque sa respiration est haletante Halètement, ingestion d’eau, réaction cardiaque
    Réaction psychologique Réduit la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Réduit la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Réduit dans une certaine mesure la menace pour la vie et possiblement la réaction de stress Menace immédiate pour la vie; le stress exacerbe la réaction au choc hypothermique
    Perte de motricité due au froid Prévient/atténue les effets du froid Retarde l’apparition des effets du froid Maintient la personne à flot après la perte de dextérité et de sa capacité à nager Respiration erratique, perte de la capacité à nager, frissonnement
    Hypothermie Pourrait retarder considérablement les effets si la personne reste au sec Pourrait retarder considérablement les effets si la personne reste au sec Déclenchement de l’hypothermie – chances de survie réduites Déclenchement de l’hypothermie – survie improbable
    Sauvetage grâce à un signal de détresse* Survie probable Survie probable Réduction des chances de survie Survie improbable
    Sauvetage retardé (pas de signal de détresse) Chances de survie réduites Chances de survie réduites Survie improbable Aucune chance de survie

    * Un signal peut être des communications radio envoyées pendant les préparatifs d’urgence ou peut provenir d’une BLP ou d’une RLS portative ou flottante.

    1.10.1 Équipement de sauvetage

    Le Sarah Anne effectuait des voyages à proximité du littoral, classe 2, à 25 NM ou moins de la côte lorsqu’il était exploité pour la pêche au crabe des neiges. Selon le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP), des gilets de sauvetage et des VFI doivent se trouver à bord de navires de cette taille et lors de ce type de voyage. Les gilets de sauvetage sont conçus pour être portés en cas d’abandon du navire, alors que les VFI sont conçus pour être utilisés de manière continue lors des travaux sur le pont. La réglementation fédéraleNote de bas de page 16 et provincialeNote de bas de page 17 exige que les pêcheurs portent un VFI ou un gilet de sauvetage s’ils sont exposés à un risque. Cependant, de nombreux pêcheurs travaillent sur le pont sans porter de VFI, car ils ne trouvent pas pratique, normal ou nécessaire d’en porterNote de bas de page 18. Le Sarah Anne respectait les exigences du RSBP en ayant à bord plusieurs gilets de sauvetage. Cependant, les membres d’équipage ne portaient ni VFI, ni gilet de sauvetage, ni combinaison d’immersion quand leurs corps ont été retrouvés.

    En outre, le RSBP exige que les navires d’une longueur d’au plus 12 m qui effectuent des voyages à proximité du littoral, classe 2, aient à leur bord un radeau de sauvetage d’une capacité suffisante pour recevoir le nombre de personnes à bord, ou une RLS et une combinaison d’immersion ou une combinaison de protection contre les éléments pour chaque personne à bord si la température de l’eau est inférieure à 15 °CNote de bas de page 19. Les radeaux de sauvetage doivent être rangés de manière à flotter librement si le bateau coule, et ils doivent être entretenus de manière périodiqueNote de bas de page 20. Le Sarah Anne était doté d’un radeau de sauvetage pneumatique pouvant contenir 6 personnes, sans dispositif de largage hydrostatique qui permettrait au radeau de flotter librement en cas de naufrage. Il n’y avait aucun dossier indiquant le moment où le dernier entretien avait eu lieu. Aucun équipement de sécurité qui se trouvait à bord du Sarah Anne n’a été retrouvé après l’événement.

    1.10.2 Alerte de détresse

    Lorsqu’un navire chavire et coule rapidement, la survie des membres d’équipage dépend souvent de la transmission efficace d’un signal de détresse aux ressources SAR. L’équipement servant à transmettre un signal de détresse qu’un navire de pêche est tenu d’avoir à bordNote de bas de page 21 est établi en fonction de la longueur du navire, du type de voyage et de la distance du rivage. Font partie de cet équipement :

    • une lampe de poche étanche à l’eau;
    • des dispositifs pyrotechniques (fusées éclairantes);
    • un miroir à signaux;
    • un dispositif de signalisation sonore;
    • un dispositif de communication radiophonique bidirectionnelle;
    • une RLS.

    Au moment de l’événement, le Sarah Anne était tenu d’avoir à bord un radiotéléphone VHF pouvant recevoir et transmettre des communications vocales grâce à la fonction d’appel sélectif numérique (ASN)Note de bas de page 22. Un radiotéléphone VHF-ASN est muni d’un bouton d’alerte de détresse qui, lorsqu’il est enfoncé pendant 5 secondes, transmet une alerte de détresse numérique aux autres radiotéléphones VHF-ASN à portée. Cependant, si le radiotéléphone n’est pas enregistré avec une identité du service mobile maritime auprès d’un organisme approuvé, comme Innovation, Sciences et Développement économique Canada, le fait d’appuyer sur le bouton d’alerte de détresse ne déclenchera aucun appel de détresse. De plus, des enquêtes antérieures du BST ont révélé que les membres d’équipage pourraient ne pas être en mesure de transmettre manuellement un signal de détresse dans une situation d’urgence en raison d’un manque de temps, d’une impossibilité d’accéder au dispositif d’alerte de détresse ou de priorités concurrentesNote de bas de page 23. Le radiotéléphone VHF-ASN du Sarah Anne n’était pas enregistré et rien n’indique qu’un message de détresse a été transmis de vive voix par radio VHF ou par téléphone cellulaire le jour de l’événement.

    Au moment de l’événement, le Sarah Anne était également tenu, selon le Règlement sur les stations de navires (radio), d’avoir à bord une RLS, mais il n’était pas nécessaire que celle-ci soit à dégagement libre. Les RLS et les BLPNote de bas de page 24 sont des émetteurs radio qui envoient un signal de détresse au centre local de coordination de sauvetage ou au MRSC par l’entremise d’un réseau mondial de satellites. L’enquête a révélé qu’une RLS était enregistrée sous l’ancien nom du bateau (Ann Lorie)et au nom d’un ancien propriétaire, mais qu’elle ne se trouvait pas à bord au moment de l’événement. Il n’y avait aucun dossier indiquant qu’une autre RLS ou BLP était à bord le jour de l’événement.

    Bien que les membres d’équipage avaient des téléphones cellulaires, les autorités n’ont reçu aucun appel de détresse avant l’événement.

    1.11 Surveillance du bateau

    S’il n’existe pas de mesures d’alerte en cas de détresse ou si celles-ci ont échoué, les systèmes de surveillance des navires peuvent signaler qu’un navire est en situation de détresse. Bien qu’au Canada, ces outils ne déclenchent pas d’alerte de détresseNote de bas de page 25, ils sont souvent utilisés par les autorités SAR pour déterminer la dernière position connue d’un navire en retard. Les systèmes suivants sont utilisés au Canada.

    Système de surveillance des navires (SSN). Le SSN utilisé par le MPO pour surveiller la position des navires est un système de suivi des navires par satellite en temps quasi réel. Le MPO exige de certains pêcheurs qu’ils dotent leur navire d’une unité SSN comme condition de permisNote de bas de page 26,Note de bas de page 27. Le Sarah Anne n’avait pas d’unité SSN à bord, et n’était pas tenu d’en avoir comme condition du permis de pêche au crabe des neigesNote de bas de page 28.

    Système d’identification automatique (SIA). Les transpondeurs SIA transmettent la position, les données d’identification, le cap et la vitesse du navire, ainsi que d’autres renseignements, au moyen d’un signal VHF qui peut être reçu par des antennes situées dans la portée optique sur des navires, des stations côtières ou des satellites. TC exige que les navires de pêche de 20 m ou plus de longueur soient munis d’un transpondeur SIANote de bas de page 29,Note de bas de page 30.

    Le SIA a d’abord été conçu pour prévenir les abordages et il continue d’être utilisé à cette fin. Grâce aux progrès de la technologie SIA, il est désormais possible de surveiller les navires et d’envoyer des messages de sécurité à l’échelle mondiale. De plus, le SIA est utilisé en complément des RLS et d’autres émetteurs d’urgence. Le Sarah Anne n’était pas muni d’un transpondeur SIA, mais il n’était pas tenu de l’être. Le fait qu’il n’y avait pas de transpondeur SIA à bord du Sarah Anne a réduit la capacité des navires en étant munis qui se trouvaient dans les environs à identifier le navire ou à détecter sa présence.

    Fait établi : Autre

    Le transport volontaire de transpondeurs SIA par les navires de pêche de toutes tailles permettrait d’accroître la visibilité des navires et de fournir des renseignements à jour au trafic commercial local et aux personnes à terre qui surveillent activement le voyage d’un navire.

    Services du trafic maritime (STM). Les STM contribuent à maintenir la sauvegarde de la vie en mer et la sécurité et l’efficacité de la navigation, ainsi qu’à protéger l’environnement marin des effets néfastes possibles du trafic commercial. Pour ce faire, ils fournissent des renseignements essentiels aux navires dans la zone de service par l’entremise de canaux de la radio VHF maritime. Pour s’acquitter de cette responsabilité, les STM de la baie Placentia ont accès au SIA et disposent de plusieurs tours de radiocommunication VHF-ASN desservant la baie Placentia et de tours radar desservant les voies de navigation.

    Le rapport d’un navire aux STM comprend le nom du navire, sa position, sa destination et son heure d’arrivée prévue à destination ou à la position de son prochain rapport, comme un point d’appel. Si un navire n’envoie pas de rapport et ne répond pas aux tentatives de communication des STM, ou si nul ne le repère à la destination, une notification est envoyée au MRSC à St. John’s 1 heure après l’heure prévue du rapport.

    Les navires de pêche de plus de 24 m de longueur et de plus de 150 tonneaux de jauge brute sont tenus de participer aux STMNote de bas de page 31. Cependant, les navires de toutes tailles peuvent le faire. La vaste majorité des navires de pêche exploités dans la baie Placentia mesurent moins de 24 m de longueur. Selon une enquête menée en 2008 par la Fish, Food and Allied Workers, 44 % des navires utilisaient les STM de la baie PlacentiaNote de bas de page 32. Le Sarah Anne ne participait pas aux STM, et il n’était pas tenu de le faire.

    1.11.1 Trafic commercial dans la baie Placentia

    Le jour de l’événement, le Sarah Anne était utilisé pour pêcher le crabe des neiges près de l’entrée des voies de navigation de la baie Placentia. Dans le cadre de l’enquête, on a examiné la circulation des navires commerciaux le jour de l’événement. D’après les dossiers des STM de la baie Placentia, 2 grands navires commerciaux étaient exploités à proximité des lieux de pêche entre 10 h 30 et 16 h. Durant cette période, le plus près que l’un ou l’autre de ces navires se soit approché de la filière de casiers no 4 du Sarah Anne est de 3,8 NM.

    Dans le cadre de l’enquête, on a étudié la possibilité qu’un abordage soit un facteur dans la disparition du Sarah Anne, et on a examiné les données suivantes : les dossiers des STM de la baie Placentia, les enregistrements des communications vocales du trafic, les enregistrements acoustiques sous-marins, les scénarios de modélisation du courant de dérive de la GCC, les lieux où les membres d’équipage ont été repêchés et où se trouvaient les casiers, ainsi que les zones de débris.

    1.12 Responsabilité de Transports Canada en matière de sécurité des navires de pêche

    L’élaboration et la surveillance des politiques et des programmes sur la sécurité des navires de pêche commerciale relèvent de la responsabilité de TC. Le régime de réglementation visant les navires de pêche commerciale tient compte de la longueur et de la jauge des navires; tous les navires doivent faire l’objet d’un jaugeage au moment de leur immatriculation afin d’établir les normes de sécurité qu’ils doivent respecter.

    La sécurité des navires de pêche d’une longueur d’au plus 24,4 m et d’une jauge brute d’au plus 150, comme le Sarah Anne, est réglementée par le RSBP. Selon la LMMC 2001 et le RSBP, le représentant autorisé (RA) doit veiller à la conformité à la réglementation, par exemple en s’assurant que le navire, ses machines et son équipement sont en bon état de fonctionnement et en tenant un registre d’entretien.

    Si TC a des motifs raisonnables de croire que la conception, la construction ou l’équipement d’un navire de pêche compromet son exploitation sécuritaire ou sa navigabilité dans sa zone d’utilisation, il peut demander au RA d’établir que le navire est conforme aux exigencesNote de bas de page 33. Il n’existe pas de régime d’inspection obligatoire pour la certification visant les bateaux de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux, et le RSBP ne fait pas référence aux exigences de TC relatives à l’inspectionNote de bas de page 34 ou à l’immatriculation.

    Le programme volontaire de conformité des petits bâtiments destiné aux bâtiments de pêche (PCPB-P) offre aux propriétaires de navires immatriculés des consignes détaillées sur la rédaction d’un rapport de conformitéNote de bas de page 35 pour l’ensemble des exigences réglementaires propres aux bateaux de pêche d’une jauge brute d’au plus 15 tonneauxNote de bas de page 36. Ce programme vise à aider les propriétaires et les exploitants à satisfaire à leurs obligations en matière de conformité. Le propriétaire du Sarah Anne ne participait pas au PCPB-P.

    Les données sur les activités menées par TC en matière de surveillance et d’application de la réglementation ne sont pas facilement accessibles par type de navire. En plus d’assurer la surveillance, TC doit fournir des renseignements pour promouvoir la sécurité et la navigabilité.

    TC réglemente la conformité des navires de pêche, mais un navire de pêche est aussi un milieu de travail où la santé et la sécurité au travail est réglementée par la provinceNote de bas de page 37. Par conséquent, dans l’événement en cause, la Division de la santé et de la sécurité au travail du ministère Gouvernement numérique et Service T.-N.-L. était responsable de la santé et de la sécurité au travail des membres d’équipage à bord des navires de pêche basés à Terre-Neuve-et-Labrador.

    1.12.1 Renseignements d’immatriculation

    L’immatriculation d’un navire auprès de TC établit un point de contact entre TC et le propriétaire du navire, et permet à TC de savoir qu’un navire canadien est exploité et de quel type de navire il s’agit. Avec les renseignements à jour et exacts fournis lors de l’immatriculation, TC pourra assurer la surveillance de la sécurité par l’entremise des RA au moyen d’activités d’inspection, de surveillance et d’application de la loi. L’immatriculation permet également à TC de communiquer des messages sur la sécurité directement aux RA, comme des mises à jour aux règlements, des rappels concernant les mesures de sécurité requises et tout autre renseignement qui s’applique à leurs activités. En outre, une immatriculation de navire à jour donne aux RA accès à des programmes et à des initiatives comme le PCPB volontaire. Enfin, des données d’immatriculation exactes seront autant de renseignements utiles sur le navire pour les coordonnateurs SAR en cas d’urgence ou pour le BST en cas d’enquête ultérieure.

    À l’échelle internationale, la nécessité d’une immatriculation à jour et exacte des navires est reconnue, et l’immatriculation des navires est liée aux permis de pêche. Par exemple, en Alaska, une copie de l’immatriculation en vigueur doit être soumise avec la demande d’obtention d’un permis de navire de pêche. En Afrique du Sud, les propriétaires doivent demander à la fois un certificat de sécurité et un permis de navire de pêche, et la période de validité du permis est liée à celle du certificat. Au Royaume-Uni, tous les navires de pêche doivent être inspectés avant de pouvoir être immatriculés, puis tous les 5 ans par la suite, et lors d’un changement de propriétaire. De plus, les propriétaires de chaque navire de pêche doivent signer un certificat chaque année pour déclarer que leur navire est conforme aux exigences de sécurité.

    Dès 1987, un rapport de la GCC soulignait le lien entre les considérations de sécurité et l’octroi de permis de pêcheNote de bas de page 38. Plus récemment, un rapport de 2012 du Conseil canadien des pêcheurs professionnels soulignait la faible qualité des données recueillies par TC et le MPO et demandait aux ministères d’améliorer cette situation en assurant une meilleure coordinationNote de bas de page 39. De plus, en 2018, le Comité sénatorial permanent des pêches et des océans a recommandé que TC et le MPO étudient les changements réglementaires ou législatifs requis pour mettre en œuvre les mesures cernées afin d’harmoniser et rationaliser le processus utilisé par les entités fédérales dans l’octroi des permis aux navires commerciaux et d’augmenter la sécurité des personnes qui conduisent ces navires ou qui travaillent à leur bordNote de bas de page 40.

    En ne faisant pas immatriculer un navire, on contrevient à l’article 46 de la LMMC 2001Note de bas de page 41, et des sanctions administratives pécuniaires pourraient être imposées. Entre 2016 et avril 2021, TC a imposé 1 seule une sanction administrative pécuniaire à un propriétaire de navire de pêche pour une violation de cet article.

    Les bateaux d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux doivent être inscrits soit au Registre des petits bâtiments ou au Registre canadien d’immatriculation des bâtimentsNote de bas de page 42; les différences entre ces deux registres sont présentées au tableau 3. Lorsque toutes les exigences relatives à l’immatriculation sont respectées, le nom du bateau est consigné dans un registre et un certificat d’immatriculation est délivréNote de bas de page 43. Le certificat comprend les renseignements suivants concernant le bateau : sa description, sa jauge, le type d’activité pour lequel il est utilisé, son numéro matricule ainsi que les nom et adresse de son ou ses propriétaires et du RA.

    Tableau 3. Comparaison des deux registres nationaux des navires de Transports Canada (2021)
    Registre Restriction à l’égard de la jauge Identi-fiant du navire Période de validité Frais de renouvel-lement Mode de renouvel-lement Nombre de bateaux de pêche d’une jauge brute d’au plus 15 tonneaux immatriculés Nombre de suspensions de l’immatri-cu-la-tion de navire entre avril 2016 et avril 2021
    Registre des petits bâtiments Seulement pour bateaux d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux Numéro officiel; pas de nom 5 ans 50 $ Manuel 2485 1582
    Registre canadien d’immatri-culation des bâtiments Aucune Numéro officiel et nom unique 3 ans 0 $ Automatique 10 823 290

    La LMMC 2001 énumère un certain nombre de raisons pour lesquelles l’immatriculation d’un navire peut être suspendue, notamment l’omission de signaler un changement de propriétaire ou de RANote de bas de page 44. Les coordonnées des RA devraient être tenues à jour, car c’est à eux que TC envoie les avis de renouvellement d’immatriculation avant la date d’expiration du certificat. Toutefois, si le RA ne renouvelle pas le certificat d’un navire inscrit au Registre canadien d’immatriculation des bâtiments, celui-ci est automatiquement renouvelé sans que les renseignements d’immatriculation soient modifiésNote de bas de page 45. De nombreux navires inscrits à ce registre doivent faire l’objet d’une inspection par TC, ce qui constitue un autre mécanisme de surveillance et de correction des renseignements d’immatriculation inexacts. En revanche, si le certificat d’un bateau inscrit au Registre des petits bâtiments n’est pas renouvelé, l’immatriculation du bateau est suspendue et le reste tant que le formulaire de renouvellement n’est pas soumis. Lors de la réunion d’automne 2021 du Conseil consultatif maritime canadien, TC a fait état d’initiatives de modernisation planifiées pour le registre des bâtiments; le ministère prévoit qu’elles devraient simplifier le processus d’immatriculationNote de bas de page 46.

    Les 1582 suspensions au Registre des petits bâtiments (tableau 3) sont principalement attribuables au fait que des propriétaires de navires de pêche n’avaient pas renouvelé leur certificat d’immatriculation auprès de TC avant la date d’expiration. La raison d’une suspension dans le Registre canadien d’immatriculation des bâtiments n’est pas saisie dans la base de données du Registre.

    Au moment de l’événement, le PFHCB n’encourageait pas les pêcheurs dont les navires ne nécessitaient pas d’inspection de la part de TC à immatriculer leurs navires auprès du ministère. En outre, le Conseil canadien des pêcheurs professionnels, lequel représente 17 associations de pêche de toutes les régions du pays, affirme dans ses documents que les bateaux d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux ne sont pas tenus d’être immatriculés auprès de TC :

    Les deux tiers des bâtiments de pêche sont très petits et ont moins de 15 tonneaux de jauge brute (JB) (sous le seuil d’immatriculation obligatoire à Transports Canada), et seuls 2,5 % ont plus de 100 JBNote de bas de page 47.

    1.13 Programme de conservation et de protection de Pêches et Océans Canada

    Le Programme de conservation et de protection du MPO vise à promouvoir et vérifier la conformité aux lois, règlements, politiques et mesures de gestion des pêches, et ses responsables mettent en œuvre des mesures d’application au besoin. Les outils utilisés pour vérifier et faire respecter la conformité comprennent la délivrance de permis, les conditions de permis, les patrouilles, les rapports de vérification à quai, la surveillance aérienne, le SSN et les rapports d’observateur en mer. De manière générale, le MPO impose des exigences avant, pendant et après les opérations de pêche.

    Par exemple, le MPO exige que :

    • tous les pêcheurs soient titulaires d’un certificat d’enregistrement de pêcheur ou d’un certificat provincial ou territorial de pêcheurNote de bas de page 48 avant de participer à des opérations de pêche commerciale;
    • les navires de pêche soient immatriculés auprès du MPO avant qu’un permis ne leur soit délivré;
    • l’exploitant d’un navire ou le navire détienne un permis pour chaque espèce pêchée, indiquant les quantités pouvant être pêchées et d’autres conditions.

    À Terre-Neuve-et-Labrador, le Professional Fish Harvesters Certification Board (PFHCB) est un organisme sans but lucratif responsable de la professionnalisation des pêcheurs dans la province. Le MPO considère qu’un enregistrement auprès du PFHCB est l’équivalent d’un certificat provincialNote de bas de page 49 et délivre des permis de pêche seulement aux pêcheurs professionnels détenant une accréditation de niveau II du PFHCB. Les exigences du maintien de cette certification provinciale (p. ex., formation) sont gérées par le PFHCB et non pas par le MPO.

    Afin d’obtenir une accréditation de niveau II, un pêcheur doit posséder une expérience reconnue antérieure à 1998 ou un minimum de 5 ans d’expérience de la pêche, et avoir suivi avec succès des cours de formation reconnus équivalant à environ 120 jours de formation. Cette exigence vise à garantir que les pêcheurs commerciaux possèdent un niveau minimal d’expérience et de formation. Le MPO demeure responsable de s’assurer que les pêcheurs détiennent un certificat valide lorsqu’ils pêchent.

    L’objectif principal des efforts de conservation et de protection du MPO est de vérifier le respect des conditions de permis exigeant de rendre compte avec exactitude des activités liées à la pêche, et de détecter les débarquements non déclarés ou non surveillés. Les mesures visant la conservation, l’utilisation durable et la gestion des ressources maritimes sont encadrées par des plans de gestion intégrée des pêches (PGIP) propres à l’espèceNote de bas de page 50. Le PGIP du crabe des neiges décrit les efforts d’application de la loi déployés dans la région de Terre-Neuve. En 2017, 14 149 heures ont été consacrées aux activités d’application de la loi :

    • 7449 heures de patrouille par des agents des pêches;
    • 624 vérifications de navires;
    • 31 accusations portées et 54 avertissements donnés à la suite d’infractions liées à la pêche au crabe des neiges;
    • environ 150 heures de surveillance aérienne.

    1.14 Collaboration entre ministères du gouvernement fédéral

    TC, le MPO et la GCC jouent un rôle direct dans l’industrie de la pêche par l’entremise de leurs règlements et de leurs programmes. TC est responsable de réglementer la sécurité des navires de pêche. Le MPO s’occupe de la gestion des pêches pour assurer la durabilité des ressources et la viabilité économique de l’industrie en tenant dûment compte de la sécurité des pêcheurs. La GCC, qui est un organisme de service spécial au sein du MPO, est responsable d’assurer la sécurité, la sûreté et l’accessibilité des voies navigables du Canada, notamment en fournissant des services lors des missions SAR maritimes.

    Puisque les mesures touchant une composante de la pêche qui sont prises par une organisation pour remplir son mandat peuvent avoir une incidence sur une autre composante et sur la sécurité des pêcheurs, TC, le MPO et la GCC ont signé un protocole d’ententeNote de bas de page 51 en 2006 pour favoriser la collaboration en ce qui concerne la sécurité des pêcheurs commerciaux en mer. Selon ce protocole d’entente, chaque organisation participante peut établir des principes pour promouvoir une culture de sécurité. Ces principes peuvent être pris en compte lors de l’élaboration de règles, règlements, politiques et plans.

    Le protocole d’entente prévoit que les parties se rencontrent pour discuter de la possibilité de créer des bases de données communes ou partagées entre le MPO et TC pour les renseignements d’immatriculation des navires de pêche et les permis de pêche du MPO. TC continue de tenir à jour plusieurs bases de données pour les navires de pêche, alors que le MPO tient à jour différentes bases de données régionales. TC et le MPO n’avaient pas créé de base de données partagée au moment de la rédaction du présent rapport. Toutefois, le MPO et TC ont indiqué qu’ils élaboraient une base de données nationale autonome pour les renseignements d’immatriculation des bateaux de pêche des deux systèmes, ainsi qu’un rapport national sur cette information.

    En 2000, le Bureau d’immatriculation des bâtiments de TC a constaté que le MPO délivrait des permis à l’égard de navires de pêche sans vérifier au préalable que ceux-ci étaient immatriculés auprès de TCNote de bas de page 52. En 2011, une initiative a été lancée dans la région du Pacifique du MPO selon laquelle le ministère demande à voir un certificat d’immatriculation de bâtiment de pêche valide de TC avant de délivrer un permis; aucune autre validation de la conformité aux règlements de sécurité n’est requise. En 2018, une nouvelle région administrative a été formée dans l’Arctique où le MPO demande la confirmation de l’immatriculation des navires auprès de TC comme condition de la délivrance de permis.

    Également en 2018, le MPO a entamé une collaboration avec TC pour repérer les navires de pêche présents dans les deux bases de données ministérielles et les lacunes en matière d’immatriculation. Le travail a débuté dans la région du Québec, par un projet pilote qui est maintenant terminé. Ces travaux sont maintenant en cours à l’échelle nationale pour faire en sorte que chaque navire immatriculé auprès du MPO pour la pêche commerciale soit aussi dûment immatriculé auprès de TCNote de bas de page 53. Dans ce contexte, un travail collaboratif est également consacré à la sensibilisation de l’industrie pour informer les pêcheurs commerciaux que les navires doivent être immatriculés à la fois auprès de TC et auprès de MPO.

    Au total, TC compte des milliers de navires de pêche dûment immatriculés de moins que le MPO dans la région de l’Atlantique. Afin de quantifier l’écart entre les registres, le BST a demandé à connaître le nombre de navires d’une longueur de moins de 35 pieds qui étaient immatriculés à Terre-Neuve-et-Labrador en 2020. TC a indiqué que 744 navires de pêche d’une longueur réglementaire de moins de 10,7 mNote de bas de page 54 avaient une immatriculation active. Le MPO a indiqué un total de 4803 navires de pêche commerciale, ce qui représente une différence de plus de 4000 navires. TC n’exige pas que la province d’exploitation soit la même que la province d’immatriculation.

    1.15 Recommandations actives du BST

    Les petits bateaux de pêche Note de bas de page 55 représentent plus de 99 % de la flotte canadienne complète de navires de pêche immatriculés auprès de TC. Pour la plupart de ces bateaux de pêche, comme le Sarah Anne,il n’y a aucune obligation d’effectuer une évaluation de stabilité ni de fournir à l’équipage des renseignements pertinents sur la stabilité issus d’une telle évaluation. À la suite du naufrage du navire de pêche Caledonian Note de bas de page 56, le Bureau a conclu que les équipages de bateaux de pêche ont besoin renseignements pertinents sur la stabilité en vue d’établir des limites d’exploitation sécuritaire et de s’assurer que les opérations quotidiennes sont menées en toute sécurité. Par conséquent, le Bureau a recommandé que

    le ministère des Transports exige que tous les petits bateaux de pêche fassent l’objet d’une évaluation de stabilité et établisse des normes pour faire en sorte que les renseignements sur la stabilité soient pertinents et que l’équipage y ait facilement accès.
    Recommandation M16-03 du BST

    Le Bureau a également conclu que les pêcheurs exercent souvent leurs activités dans de rudes conditions environnementales et physiques, et que le risque de passer par-dessus bord est élevé. Les enquêtes du BST ont montré que le port d’un VFI accroît les chances de survie des pêcheurs qui tombent dans l’eau. Par conséquent, le Bureau a aussi recommandé que

    le ministère des Transports exige que les personnes portent les vêtements de flottaison individuels appropriés en tout temps lorsqu’elles se trouvent sur le pont d’un bâtiment de pêche commerciale ou à bord d’un bâtiment de pêche commerciale non ponté ou sans structure de pont et que le ministère des Transports veille à l’élaboration de programmes visant à confirmer la conformité.
    Recommandation M16-05 du BST

    Depuis la publication de ces recommandations, le BST a assuré un suivi annuel auprès de TC sur les mesures prises pour y donner suite. Au moment de la rédaction du présent rapport, les réponses les plus récentes de TC dataient de décembre 2021. Le Bureau a estimé que les réponses aux recommandations M16-03 et M16-05 dénotaient une attention non satisfaisante Note de bas de page 57, Note de bas de page 58.

    1.16 Recommandations précédentes

    Le 27 novembre 1998, lors de la traversée entre Les Escoumins et Rimouski (Québec), le Brier Mist a été envahi par l’eau et a coulé à environ 10 NM du rivage. Les corps de 2 personnes ont été repêchés, et 3 membres d’équipage étaient toujours portés disparus au moment de la publication du rapport d’enquête Note de bas de page 59.

    À la suite de son enquête, le Bureau a conclu que tous les pêcheurs devraient avoir une capacité d’avertissement d’une situation de détresse sans avoir recours à une intervention humaine. En outre, les pêcheurs qui sont à l’eau ou à bord d’une embarcation de sauvetage devraient être capables de transmettre en continu leur position aux coordonnateurs SAR pour accélérer le sauvetage. Par conséquent, le Bureau a recommandé que

    le ministère des Transports exige que les petits bateaux de pêche qui effectuent des voyages côtiers aient à leur bord une radiobalise de localisation des sinistres ou tout autre équipement approprié à dégagement hydrostatique qui se déclenche automatiquement, avertit le système de recherche et sauvetage, transmet périodiquement la position et est muni d’un dispositif de localisation directionnelle.
    Recommandation M00-09 du BST

    Le Règlement de 2020 sur la sécurité de la navigation, publié en octobre 2020, exige que tous les navires qui effectuent un voyage à proximité du littoral, classe 1, ou les navires de plus de 12 m de longueur qui effectuent un voyage à proximité du littoral, classe 2, soient munis d’une RLS à dégagement libre, et que tous les bateaux de 12 m ou moins qui effectuent un voyage à proximité du littoral, classe 2 soient munis d’une RLS à dégagement libre, ou d’une RLS manuelle, ou d’une BLP de 406 MHz, ou d’un radiotéléphone VHF portatif avec fonction ASN/GPS. En mars 2021, le Bureau a estimé que la réponse à la recommandation M00-09 dénotait une attention entièrement satisfaisante Note de bas de page 60.

    À la suite de la même enquête, le Bureau a formulé d’autres recommandations pour assurer la sécurité des pêcheurs. Le Bureau croit que les radeaux de sauvetage devraient pouvoir être dégagés facilement lorsque le bateau coule, puisque les chances de survie en cas d’abandon du navire dépendent du largage des radeaux de sauvetage et compte tenu des conditions extrêmement difficiles dans lesquelles les équipages doivent souvent abandonner des bateaux de pêche. Par conséquent, le Bureau a recommandé que

    le ministère des Transports avise les constructeurs et les propriétaires de bateaux de pêche de l’importance d’arrimer les radeaux de sauvetage à bord de tous les navires avec un système de largage muni d’un dispositif de dégagement qui permette de libérer le radeau pneumatique facilement lorsque le navire coule.
    Recommandation M00-07 du BST

    En avril 2005, le Bureau a estimé que la réponse à la recommandation M00-07 dénotait une attention entièrement satisfaisante Note de bas de page 61. Cependant, un risque résiduel subsiste pour les navires qui doivent être munis de radeaux de sauvetage, étant donné que TC n’a pas de système en place pour s’assurer que les radeaux de sauvetage à bord sont à dégagement libre. De plus, il est difficile de sensibiliser les propriétaires à cette question de sécurité lorsqu’il n’existe aucun moyen de garantir que les renseignements sur les propriétaires de navires sont à jour et exacts.

    1.17 Événements antérieurs du BST

    De février 2010 à juillet 2020, les données du BST indiquent qu’il y a eu 20 événements, ayant fait 42 morts (21 de 2018 à 2020), lors desquels un bateau de pêche, d’une longueur inférieure à 12 m, a chaviré ou fait naufrage. Lors de chacun de ces événements, le bateau n’était pas muni d’une RLS et aucun signal de détresse n’a été reçu par les ressources SAR (voir à l’annexe B des exemples de ces événements).

    1.18 Enquête du BST sur une question de sécurité relative à l’industrie de la pêche au Canada

    De 2009 à 2012, le BST a mené une vaste enquête sur une question de sécurité (SII) qui a mené à la publication du rapport intitulé Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada Note de bas de page 62.

    Cette SII a offert une vue d’ensemble des questions de sécurité dans l’industrie de la pêche au pays, révélant les relations complexes et les interdépendances qui existent entre elles. Elle a permis de relever 10 questions de sécurité importantes qui sont interconnectées et qui nécessitent une attention, y compris les questions suivantes qui ont été relevées dans le cadre du naufrage du Sarah Anne :

    • stabilité;
    • gestion des ressources halieutiques;
    • engins de sauvetage;
    • approche de réglementation de la sécurité;
    • formation;
    • information de sécurité;
    • pratiques de travail sécuritaires.

    1.19 Liste de surveillance du BST

    La Liste de surveillance du BST énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr.

    La sécurité de la pêche commerciale figure sur la Liste de surveillance 2020. Le Bureau a inscrit cet enjeu à la Liste de surveillance en 2010. Chaque année, les mêmes lacunes de sécurité à bord des navires de pêche continuent de mettre en péril la vie de milliers de pêcheurs canadiens et les moyens de subsistance de leurs familles et de leurs collectivités. Entre 2018 et 2020, 45 pêcheurs sont morts sur des navires de pêche de toutes tailles et dans tous types d’événements, soit le nombre le plus élevé de pertes de vie sur une période de 3 ans depuis 20 ans. L’événement à l’étude démontre le besoin persistant d’assurer une surveillance réglementaire coordonnée de la pêche commerciale pour aider les RA et les capitaines à prendre en charge la sécurité, ainsi que la nécessité d’un changement de comportement des pêcheurs à l’égard du port d’un VFI.

    MESURES À PRENDRE

    La sécurité de la pêche commerciale demeurera sur la Liste de surveillance jusqu’à ce qu’il y ait suffisamment d’indices qu’une saine culture de sécurité s’est établie à l’échelle de l’industrie et dans les communautés de pêcheurs partout au pays, notamment :

    • Les autorités fédérales et provinciales coordonnent la surveillance réglementaire des pêcheries commerciales.
    • Transports Canada publie des lignes directrices conviviales sur la stabilité des bateaux de pêche et en fait la promotion afin de réduire les pratiques non sécuritaires.
    • Les pêcheurs connaissent et suivent les nouvelles lignes directrices sur la stabilité ainsi que le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche de 2017, et les enquêtes du BST et les consultations auprès de groupes témoins décèlent un changement dans leurs pratiques.
    • Grâce au leadership provenant de l’industrie et des militants pour la sécurité de la pêche, les pêcheurs doivent manifester un changement de comportement net et généralisé – notamment lors des enquêtes du BST – en ce qui concerne leur utilisation des vestes de flottaison, des vêtements de survie, des dispositifs de signalisation d’urgence et des méthodes de travail sécuritaires.

    2.0 Analyse

    Une analyse de la circulation maritime dans le secteur et des détails connus du Sarah Anne et de son équipage n’a révélé aucune indication que le bateau aurait été heurté ou autrement endommagé par un navire commercial plus grand.

    Le Sarah Anne n’a pas été retrouvé et on présume qu’il a coulé. L’enquête n’a pas permis de déterminer avec certitude ce qui aurait causé la perte de stabilité du bateau et son naufrage. Cette analyse portera donc sur l’équipement de sauvetage individuel, les alertes de détresse, la stabilité du bateau et l’immatriculation du bateau.

    2.1 Trafic dans la baie Placentia

    Il n’est pas possible de déterminer le lieu exact du présumé naufrage. Cependant, les coordonnées approximatives du lieu peuvent être déduites à partir de sa dernière position connue et de l’endroit où a été retrouvée la filière de casiers no 4.

    Dans le cadre de cette enquête, on a utilisé les pistes du système d’identification automatique (SIA) de 2 navires commerciaux qui effectuaient un voyage près du lieu de l’événement entre 10 h 30, moment où le Sarah Anne a été vu la dernière fois, et 18 h 29, moment où l’équipage de conduite d’un vol de surveillance de Pêches et Océans Canada (MPO) a aperçu un autre bateau de pêche au crabe des neiges à proximité de la dernière position connue du Sarah Anne. Durant cette période, le plus près que l’un ou l’autre de ces navires se soit approché de la filière de casiers no 4 du Sarah Anne est de 3,8 milles marins (NM).

    La Garde côtière canadienne (GCC) a exécuté des scénarios de modélisation du courant de dérive à l’aide de son logiciel Programme canadien de recherche et sauvetage (CANSARP) en se basant sur l’heure et les endroits connus où les membres d’équipage ont été repêchés. Les prévisions de la dérive ont été comparées aux routes connues des navires commerciaux, cependant les membres d’équipage n’ont pas été repêchés dans un secteur où l’on pourrait s’attendre à qu’ils se soient retrouvés si un abordage s’était produit sur l’une de ces routes.

    Le jour de l’événement, un enregistreur acoustique sous-marin utilisé pour enregistrer les mammifères marins était stationné à 34 NM de l’anse Ship, sur la presqu’île Avalon (Terre-Neuve-et-Labrador). Le Centre d’analyse des données acoustiques de la Marine royale canadienne a analysé les enregistrements acoustiques sous-marins. Le bruit du trafic de navires marchands et des vocalisations des mammifères marins y étaient discernables, mais aucun son indiquant un abordage, comme un arrêt brusque de moteurs, des explosions, un bruit de raclage de métal ou d’autres événements, n’a été relevé.

    Bien que les personnes ayant participé aux recherches le premier soir après l’événement aient maintes fois rapporté avoir vu des débris, peu de débris ont été récupérés, car la priorité était de retrouver des survivants. Les débris qui ont été trouvés dans la zone de recherche n’étaient pas structurels, mais plutôt des objets qui seraient trouvés sur le pont sans y être fixés.

    Fait établi : Autre

    Dans le cadre de l’enquête, de multiples sources d’information ont été examinées pour expliquer la perte du Sarah Anne. Tout bien considéré, rien n’indique que le Sarah Anne ait été heurté par un navire commercial plus grand.

    2.2 Chavirement soudain

    Comme il n’y avait ni navire, ni témoin, ni enregistrement de communications, l’enquête n’a pas permis de déterminer quelle a été la séquence exacte des événements ni combien de temps les membres d’équipage du Sarah Anne ont été dans l’eau avant qu’ils se noient ou avant qu’ils soient repêchés.

    Étant donné que les membres d’équipage ont été retrouvés vêtus de vêtements de travail, il est probable qu’ils travaillaient sur le pont sans porter de vêtement de flottaison individuel (VFI) et qu’ils n’ont eu le temps d’enfiler aucun équipement de sauvetage individuel additionnel. De plus, aucune communication d’urgence n’a été reçue et le radeau de sauvetage n’a pas été déployé, ce qui laisse supposer que le navire a chaviré soudainement. D’autres facteurs appuient également cette hypothèse, comme l’orin de bouée rompu, l’amas de casiers de la filière d’engins no 4 retrouvé à proximité, et le fait que l’équipage ne connaissait pas les limites d’exploitation sécuritaire du bateau en raison de l’absence d’une évaluation de stabilité.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il est probable que le bateau ait chaviré soudainement et que tous les membres d’équipage se soient retrouvés dans l’eau de manière inattendue.

    2.3 Stabilité du bateau

    La stabilité est la capacité d’un navire à se redresser. Une évaluation de stabilité en règle n’est pas requise pour la grande majorité des navires de pêche existantsNote de bas de page 63, comme le Sarah Anne. Toutefois, tous les navires de pêche doivent avoir une stabilité suffisante pour leurs opérations prévues. TC peut également exiger que le représentant autorisé (RA) démontre que la stabilité d’un navire est adéquate.

    Le BST a mené une évaluation de la stabilité sur un modèle d’un bateau jumeau du Sarah Anne modifié pour correspondre à la dernière configuration connue du Sarah Anne. L’évaluation a permis de déterminer qu’il est probable que ce dernier était exploité au-delà de ses limites de stabilité statique et que la stabilité du Sarah Anne se serait détériorée à mesure que des engins et des prises étaient montés à bord (annexe A).

    Dans le cadre de l’évaluation de stabilité du bateau modèle, on a examiné différentes conditions d’exploitation à l’état statique. Toutefois, le Sarah Anne était exploité à l’état dynamique, sous l’influence de forces extérieures, comme le vent, les vagues et les opérations de pêche. Par conséquent, il est probable que la stabilité du bateau en mer ait été plus gravement compromise que ne l’indique l’évaluation du BST. Plus précisément, les effets du changement de la période des vagues, de l’augmentation de la taille des vagues, du poids potentiellement exercé sur le treuil ainsi que du poids et des effets de carène liquide de l’eau sur le pont ou dans la cale ont tous pu avoir une incidence négative sur la stabilité du Sarah Anne.

    En l’absence d’une évaluation de stabilité, les membres d’équipage ne se seraient fiés à leur seule expérience antérieure pour prendre des décisions au sujet des limites d’exploitation sécuritaire. Lorsqu’il a été vu la dernière fois, le bateau avait à bord environ 725 kg de crabe des neiges et 2 filières de casiers pesant approximativement 500 kg chacune (poids combiné d’environ 1700 kg). Étant donné que la filière de casiers no 3 n’a jamais été retrouvée, ces casiers (500 kg) se trouvaient probablement à bord au moment de l’événement. Lors du voyage précédent, lorsque 1791 kg de crabe avaient été pêchés au moyen des filières nos 1 et 2, les filières nos 3 et 4 n’avaient pas été remontées, pour qu’elles restent 6 jours supplémentaires dans l’eau. L’enquête a permis de déterminer qu’il serait raisonnable de croire que la filière no 3 aurait pu à elle seule contenir le quota restant de 1000 kg.

    Par conséquent, le poids total de la charge du Sarah Anne au moment de l’événement était d’environ 3200 kg; ce calcul tient compte des 1700 kg à bord au milieu du voyage, de la filière d’engins no 3 et du quota restant.

    Lors de ce voyage, on prévoyait pêcher le quota restant de 2020 et récupérer les 4 filières d’engins, ce qui correspond à une charge approximative de 3700 kg. Cela représente environ 1200 kg de plus que le capitaine n’en avait l’expérience en pêchant le crabe des neiges dans cette zone et avec ce bateau depuis 2019.

    La réglementation de TC impose la responsabilité aux capitaines et aux RA de s’assurer qu’un navire est apte à naviguer lors des voyages pour lesquels on prévoit l’utiliser. Une évaluation de stabilité fournit des indications à l’équipage pour déterminer les limites de chargement et de franc-bord du navire.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Parce qu’il n’y avait pas d’évaluation en bonne et due forme de la stabilité du bateau, les membres d’équipage ont pris des décisions opérationnelles sans connaître les limites réelles d’exploitation sécuritaire du bateau, ce qui pourrait avoir eu une incidence négative sur la stabilité du bateau et mené à son chavirement et à son naufrage.

    Comme l’événement à l’étude l’a démontré, certains outils, comme les évaluations de stabilité, ne sont pas toujours utilisés ou disponibles pour s’assurer que le bateau est apte à naviguer pour un voyage prévu. En 2016, le BST a recommandé que tous les bateaux de pêche fassent l’objet d’une évaluation de stabilité (recommandation M16-03). Toutefois, pour la majorité des bateaux de pêche, une telle évaluation n’est toujours pas exigée. En décembre 2021, TC a indiqué reconnaître le risque dans le secteur de la pêche et [traduction] « demeure déterminé à travailler avec l’industrie pour s’assurer que les renseignements sur la stabilité sont disponibles et facilement accessibles, et pour surveiller la conformité au moyen du processus d’inspection obligatoire et fondée sur les risquesNote de bas de page 64 », mais a indiqué qu’aucune autre mesure réglementaire ne sera prise pour donner suite à cette recommandation. De nombreux pêcheurs qui exploitent un bateau sans évaluation de la stabilité continueront de méconnaître les limites d’exploitation sécuritaire de leur bateau et, ainsi, courront un risque d’accident pouvant causer la mort.

    2.4 Équipement de sauvetage

    Que la réglementation l’exige ou non, les pêcheurs devraient veiller à leur propre sécurité et porter un équipement de protection, comme un VFI ou une combinaison de travail isotherme, lorsqu’ils travaillent sur le pont. Le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche (RSBP) exige que des gilets de sauvetage conçus pour être portés en cas d’abandon du navire se trouvent à bord. De plus, le port d’un VFI est exigé par mesure de sécurité à bord. Cependant, le RSBP n’exige pas que les membres d’équipage portent un VFI à moins que leur sécurité soit compromise. Étant donné que le port de VFI n’est pas exigé en tout temps, il peut bien arriver que les VFI et des gilets de sauvetage soient rangés à bord et que l’équipage n’y ait pas accès en cas de chavirement soudain du navire.

    Le BST a relevé de nombreux événements similaires où des pêcheurs sont tombés à l’eau sans VFI et a donc recommandé à TC d’exiger que les pêcheurs portent un VFI adéquat en tout temps lorsqu’ils se trouvent sur le pont d’un navire de pêche commerciale, peu importe qu’il existe un risque connu ou non. Cette recommandation (recommandation M16-05 du BST) est toujours active. Comme le démontre l’événement à l’étude, le fait de ne pas porter de VFI continue d’être un facteur causal de pertes de vie de pêcheurs.

    Les VFI et les gilets de sauvetage visent à fournir une flottaison supplémentaire et à augmenter les chances de survie des personnes qui les portent jusqu’à ce qu’elles puissent monter à bord d’un radeau de sauvetage ou que les secours arrivent, car ils réduisent l’exposition aux éléments. En attendant d’embarquer sur un radeau de sauvetage, les personnes qui se trouvent dans l’eau subissent les effets de l’immersion en eau froide, ce qui dégrade progressivement leur capacité à monter à bord du radeau lorsqu’il est prêt à être utilisé. Le fait de porter un VFI augmente les chances de survie d’une personne en prévenant l’ingestion d’eau aux stades du choc dû à l’eau froide et de la perte de motricité, ce qui améliore sa capacité à monter à bord d’un radeau de sauvetage une fois celui-ci déployé.

    Le radeau de sauvetage du Sarah Anne était attaché au toit de la timonerie sans dispositif de largage hydrostatique; il était habituel d’utiliser des courroies pour fixer le radeau de sauvetage à son berceau, ce qui signifie que le radeau devait être déployé manuellement. Comme le Sarah Anne a probablement perdu sa stabilité et chaviré rapidement, l’équipage n’a peut-être pas eu le temps de déployer manuellement le radeau de sauvetage. Celui-ci n’a pas été retrouvé lors des opérations de recherche et sauvetage (SAR); il a probablement coulé avec le bateau.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    En l’absence de pièces d’équipement de sauvetage essentielles pour les aider à flotter et à se protéger des conditions environnementales, les membres d’équipage sont restés dans l’eau froide, probablement sans assistance, et se sont noyés.

    2.5 Alerte de détresse et surveillance du bateau

    En cas de chavirement rapide, surtout en eau froide et loin de la côte, la transmission réussie d’un signal de détresse aux ressources SAR ou aux navires locaux augmente les chances de survie de l’équipage. Dans l’événement à l’étude, les ressources SAR n’ont pas reçu de signal de détresse. Un radiotéléphone à très haute fréquence muni d’une fonction d’appel sélectif numérique (VHF-ASN) était installé à bord, mais il n’était pas programmé avec une identité du service mobile maritime. Comme aucun signal de détresse n’a été reçu par les autorités SAR ou d’autres navires, une opération de recherche et sauvetage a été lancée seulement lorsque l’on a signalé que le bateau était en retard.

    Fait établi quant aux risques

    Si l’utilisateur d’un radiotéléphone VHF-ASN ne le programme pas avec une identité du service mobile maritime aux fins d’utilisation en cas d’urgence, l’appareil ne fonctionnera pas comme prévu lors d’une urgence et n’alertera pas les autorités, ce qui réduit considérablement les probabilités d’un sauvetage.

    Des enquêtes antérieures du BST ont révélé que le fait d’avoir une radiobalise de localisation des sinistres (RLS) à dégagement libre peut contribuer à sauver des vies, car celle-ci envoie automatiquement un signal de détresse lorsqu’elle se détache de son boîtier de support et flotte à la verticale. À l’exception des RLS à dégagement libre, tous les autres dispositifs d’alerte de détresse exigés par la réglementation doivent être activés par un membre d’équipage pour émettre un signal de détresse. Même s’il ne faut que quelques secondes pour le faire fonctionner, un équipement nécessitant une activation manuelle, comme une RLS ou un radiotéléphone VHF-ASN, peut ne pas être accessible ou opérationnel en cas de chavirement soudain d’un navire. Aucun signal de détresse n’a été reçu du Sarah Anne.

    Les exploitants de navires peuvent choisir d’utiliser un système externe pour permettre à d’autres de suivre leur voyage. Ils peuvent participer aux services de trafic maritime ou doter leur navire d’un transpondeur SIA. De tels systèmes n’étaient pas utilisés par le Sarah Anne.

    Fait établi quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Aucun signal de détresse n’a été reçu du Sarah Anne et aucun système externe n’assurait le suivi du voyage. L’intervention de recherche et sauvetage a donc été retardée de plusieurs heures après que les membres d’équipage sont vraisemblablement tombés à l’eau, ce qui a considérablement réduit leurs chances de survie.

    De février 2010 à juillet 2020, on dénombre au moins 15 événements, qui ont fait 34 morts, au cours desquels des bateaux de pêche de moins de 12 mètres de longueur ont chaviré ou fait naufrage. Plus de la moitié des pertes de vie sont survenues au cours des 3 dernières années de cette période, ce qui indique une augmentation de la fréquence des pertes de vie.

    2.6 Immatriculation des navires de pêche commerciale

    Tous les navires de pêche commerciale doivent être immatriculés auprès de TC. Cette immatriculation établit un premier point de contact entre TC et le propriétaire d’un navire, et permet au ministère de savoir qu’un navire est exploité, d’assurer la surveillance de la sécurité et de fournir une orientation au propriétaire. Les navires doivent également être immatriculés de manière distincte auprès du MPO. Les systèmes d’immatriculation des navires de TC et du MPO sont distincts et il n’existe aucun mécanisme national uniforme permettant de s’assurer que les renseignements de base concernant un bateau sont les mêmes dans les registres des deux organismes de réglementation. Le registre du MPO est beaucoup plus précis et complet dans toutes les régions, étant donné que l’immatriculation doit être renouvelée chaque année. Le MPO utilise une combinaison d’options d’application de la loi pour promouvoir et maintenir la conformité aux exigences de permis. Les pêcheurs doivent donc s’assurer qu’ils satisfont aux exigences de leur permis avant d’entreprendre un voyage de pêche.

    La présente enquête a permis de constater une différence d’environ 4000 navires, en 2020, entre les inscriptions auprès de Transports Canada (TC) et du MPO à Terre-Neuve-et-Labrador. Plusieurs raisons expliquent cette disparité :

    Application de la loi et surveillance. En ce qui concerne uniquement la pêche au crabe des neiges à Terre-Neuve-et-Labrador, les dossiers du MPO indiquent des centaines de vérifications annuelles de navires et des douzaines d’accusations et d’avertissements émis pour des infractions aux règlements touchant la pêche. En revanche, TC ne dispose pas de données facilement accessibles pour décrire ses activités de surveillance de la sécurité dans l’industrie de la pêche. Au cours des 5 dernières années, dans l’ensemble du Canada, TC n’a émis que 1 sanction administrative pécuniaire pour omission d’immatriculer correctement un navire. Par conséquent, il n’y a essentiellement aucune conséquence à ne pas immatriculer un navire auprès de TC, ni aucun incitatif à le faire.

    Renouvellement de l’immatriculation. En ce qui concerne les navires inscrits au Registre canadien d’immatriculation des bâtiments, faute de réponse à l’avis de renouvellement envoyé par TC, leur immatriculation est automatiquement renouvelée avec les renseignements d’immatriculation existants. Par conséquent, si le RA ne porte pas attention à la date d’expiration d’un certificat d’immatriculation, il n’y a pas de conséquence évidente, ce qui fait en sorte que le titre de propriété et le nom des navires pourraient ne pas être à jour. En ce qui concerne les bateaux inscrits au Registre des petits bâtiments, l’omission de payer les frais de renouvellement avant la date d’expiration et de répondre à l’avis de renouvellement entraîne une suspension du certificat. La différence entre ces systèmes est manifeste : au cours des 5 dernières années, le certificat de plus de 60 % des bateaux de pêche inscrits au Registre des petits bâtiments a été suspendu pour omission de le renouveler, comparativement au certificat de moins de 3 % des navires de pêche inscrits au Registre canadien d’immatriculation des bâtiments. Faute d’exigence d’une inspection périodique ou d’un renouvellement d’immatriculation entraînant une mise à jour des renseignements consignés, il est possible que TC ne tienne pas compte de petits navires de pêche inscrits au Registre canadien d’immatriculation des bâtiments.

    Collaboration. En 2000, TC a remarqué que le MPO délivrait des permis aux navires de pêche commerciale sans vérifier qu’ils étaient immatriculés auprès de TC. Un protocole d’entente conclu entre TC et le MPO en 2006 prévoit que les parties se rencontrent pour discuter de la possibilité de créer une base de données commune ou partagée pour les renseignements concernant l’immatriculation des navires de pêche et les permis de pêche du MPO. Dans le cas du présent événement, les changements concernant la propriété du Sarah Anne et son nom ont été correctement enregistrés auprès du MPO, mais pas auprès de TC.

    Dans le cadre de l’initiative sur la sécurité en mer de TC et du MPO, des responsables repèrent les navires qui ne sont pas immatriculés, et les représentants autorisés sont incités à s’inscrire au Registre des bâtiments de TC. L’initiative se poursuit actuellement dans les provinces atlantiques. Même si TC et le MPO croient que ces initiatives régionales obtiennent du succès, la vérification de l’immatriculation auprès de TC n’est pas systématique dans toutes les régions et le problème persiste plus de 20 ans plus tard.

    Sensibilisation. À Terre-Neuve-et-Labrador, il existe une idée fausse très répandue dans l’industrie de la pêche selon laquelle TC ne tient pas compte des bateaux de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux et que ceux-ci ne sont pas tenus d’être immatriculés auprès du ministère étant donné qu’ils ne nécessitent pas d’inspections périodiques.

    Ce problème au sujet de l’immatriculation des petits navires de pêche à Terre-Neuve-et-Labrador indique que TC ne déploie pas suffisamment d’efforts pour identifier tous les navires de pêche commerciale en exploitation. Il serait nécessaire de les identifier pour que TC puisse sensibiliser les propriétaires à l’importance de l’immatriculation des navires pour leur sécurité. TC ignorait l’existence d’environ 4000 navires exploités à Terre-Neuve-et-Labrador, ce qui privait ces navires de toute surveillance de la sécurité et risquait de compliquer les éventuelles opérations de recherche et sauvetage.

    La réglementation prévoit un niveau minimal de sécurité, mais pour être efficace, elle doit être connue, comprise et respectée. Si TC ignore l’existence de navires, le ministère ne peut pas mener des activités de sensibilisation, d’information et de conformité à leur intention.

    Fait établi quant aux risques

    Si les navires de pêche ne sont pas inscrits à un registre de TC et s’il n’y a pas de mécanisme en place pour assurer l’exactitude des renseignements d’immatriculation, il est possible que les pêcheurs ne connaissent pas, ne comprennent pas ou ne respectent pas la réglementation visant à améliorer la sécurité de la pêche.

    Les capitaines ont toujours été et sont toujours responsables en dernier ressort de leur propre sécurité et de celle de leur navire et de leur équipageNote de bas de page 65. Cependant, la réalité est que l’on ne connaît pas le niveau de conformité et que des conditions dangereuses pourraient se développer et entraîner des accidents, car les bateaux de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux ne sont pas inspectés aux fins de leur certification et ne sont pas tenus de participer au Programme de conformité des petits bâtiments destiné aux bâtiments de pêche (PCPB-P).

    Comme TC ignorait quels changements avaient été apportés à l’immatriculation du bateau, le propriétaire du Sarah Anne n’a reçu aucune information directement de TC et ne pouvait pas participer au PCPB-P. De plus, il était peu probable qu’une inspection aléatoire ou axée sur les risques soit effectuée.

    2.7 Questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche

    Dans le cadre de l’enquête du BST sur une question de sécurité (SII) relative à l’industrie de la pêche au Canada menée de 2009 à 2012, on a classé les mesures ayant une incidence sur la sécurité dans 10 catégories de questions de sécurité importantes. Ces questions ont fait l’objet d’une analyse plus poussée, laquelle a révélé des interdépendances et des liens complexes entre ellesNote de bas de page 66. Dans l’événement à l’étude, 7 des 10 questions de sécurité étaient en jeu. Celles qui n’ont pas été abordées dans les sections précédentes sont présentées ici (tableau 4). Le BST espère motiver les membres de la communauté des pêcheurs à collaborer afin de transformer les pratiques de pêche actuelles pour favoriser l’adoption de comportements et de pratiques plus sécuritaires.

    Les procédures et pratiques suivantes relatives aux questions de sécurité importantes relevées dans la SII étaient également évidentes dans l’événement à l’étude, mais n’ont pas nécessairement été analysées en détail lors de l’enquête.

    Tableau 4. Circonstances de l’événement à l’étude qui sont liées aux questions de sécurité importantes relevées dans l’Enquête sur les questions de sécurité relatives à l’industrie de la pêche au Canada (M09Z0001)
    Question de sécurité Faits établis dans la SII sur la question de sécurité Circonstances pertinentes dans l’événement à l’étude
    Gestion des ressources halieutiques Les pêcheurs peuvent compromettre la stabilité de leur navire quand ils l’exploitent dans des conditions pour lesquelles il n’a pas été conçu. Le bateau était conçu pour la pêche au homard près des côtes. Dans le présent événement, les lieux de pêche étaient situés à 25 NM du rivage. Les casiers à crabes des neiges s’empilent de façon plus efficace que les casiers à homards, ce qui laisse place pour plus de prises et augmente le poids potentiel sur le pont d’un bateau.
    Le MPO n’a pas de politique nationale concernant la sécurité dans l’industrie de la pêche. Le mandat du MPO vise principalement la santé des ressources maritimes.
    Approche de réglementation de la sécurité Les pêcheurs procèdent à des consultations en personne pour bien comprendre en quoi la réglementation s’applique à leur pêche spécifique. Il n’y avait pas beaucoup de possibilités de consultations en personne avec TC, car le bateau n’était pas correctement immatriculé, et le Conseil canadien des pêcheurs professionnels indiquait sur son site Web que les bateaux d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux, qui n’ont pas besoin d’inspection aux fins de leur certification, n’avaient pas à être immatriculés auprès de TC.
    Il peut y avoir un délai considérable entre le moment où une lacune de sécurité est constatée et celui où un règlement est mis en œuvre. Le BST a signalé en 2000 la nécessité que les navires aient à leur bord de l’équipement d’alerte de détresse, et le nouveau règlement est entré en vigueur en 2020, soit 20 ans plus tard.
    Formation Les pêcheurs évaluent et gèrent les risques en se basant sur leur expérience. Bien que le capitaine possédait une grande expérience de la pêche, il n’avait pas suivi de formation officielle sur la stabilité. Les pêcheurs n’acquièrent pas nécessairement les compétences techniques nécessaires pour comprendre pleinement les principes de stabilité.
    Les pêcheurs mènent généralement leurs activités en se fondant sur des connaissances, des compétences et une attitude qu’ils ont acquises principalement grâce à leur expérience. Le capitaine ne détenait pas de brevet de TC. Il est possible que les connaissances acquises par l’expérience ne reflètent pas les progrès de la technologie et les avantages de dispositifs comme les RLS et le SIA.
    Pratiques de travail sécuritaires Les pêcheurs ne mettent pas toujours l’accent sur l’importance de la sécurité dans les pratiques de travail. Le port d’un VFI pendant les opérations de pêche ne constituait pas une pratique de travail courante.

    2.7.1 Interdépendance des questions de sécurité

    Bien des pêcheurs estiment que la pêche est un métier dangereux et que les accidents sont inévitables, quelles que soient les précautions qu’ils prennentNote de bas de page 67. L’interdépendance des questions de sécurité importantes et les nombreux systèmes complexes au sein desquels l’industrie de la pêche mène ses activités ont été mis en évidence dans la SII et sont parmi les raisons pour lesquelles la sécurité dans le secteur de la pêche tarde à s’améliorer malgré les efforts déployés par les personnes qui en sont responsables.

    Aussi complexes soient-ils, ces systèmes peuvent être modifiés graduellement de façon à améliorer la sécurité de la pêche.

    Les défenseurs de la sécurité dans l’industrie de la pêche ont commencé à prendre conscience de leurs propres responsabilités en matière de sécurité et à les assumer, et des efforts continus sont déployés pour renforcer la sécurité de la pêche et sauver des vies. Les règlements de sécurité visant les navires de pêche évoluent, TC et le MPO collaborent dans le cadre de certaines initiatives, les associations de sécurité continuent de fournir du matériel de formation et d’orientation et d’interagir avec les pêcheurs, et les pêcheurs sont devenus plus soucieux de la sécurité dans certains de leurs comportements. Cependant, ces efforts ne sont pas coordonnés, planifiés ou uniformes entre les régions. De plus, les pêcheurs ne sont pas nécessairement au courant des efforts visant à améliorer la sécurité de la pêche, ou ne les appliquent pas nécessairement à leurs activités.

    Les pratiques de travail non sécuritaires, le manque d’équipement de sauvetage et le manque de prise en charge de la sécurité continuent de mener à des accidents de pêche mortels. Dans l’événement à l’étude, l’enquête n’a pas permis de déterminer avec une certitude absolue les facteurs de causalité dans la disparition du bateau. Cependant, un certain nombre de facteurs ont contribué aux pertes de vie : aucun appel de détresse n’a été reçu, aucun radeau de sauvetage n’était à la disposition de l’équipage, des VFI n’étaient pas portés, le bateau n’était pas surveillé par une tierce partie, le bateau n’était pas équipé d’une RLS, et les limites de stabilité du bateau n’étaient pas connues de l’équipage.

    Fait établi quant aux risques

    La sécurité des pêcheurs continuera d’être compromise jusqu’à ce que les interdépendances et les liens complexes entre les questions de sécurité soient reconnus et pris en compte par le milieu de la pêche.

    3.0 Faits établis

    3.1 Faits établis quant aux causes et aux facteurs contributifs

    Il s’agit des conditions, actes ou lacunes de sécurité qui ont causé l’événement ou y ont contribué.

    1. Il est probable que le bateau ait chaviré soudainement et que tous les membres d’équipage se soient retrouvés dans l’eau de manière inattendue.
    2. Parce qu’il n’y avait pas d’évaluation en bonne et due forme de la stabilité du bateau, les membres d’équipage ont pris des décisions opérationnelles sans connaître les limites réelles d’exploitation sécuritaire du bateau, ce qui pourrait avoir eu une incidence négative sur la stabilité du bateau et mené à son chavirement et à son naufrage.
    3. En l’absence de pièces d’équipement de sauvetage essentielles pour les aider à flotter et à se protéger des conditions environnementales, les membres d’équipage sont restés dans l’eau froide, probablement sans assistance, et se sont noyés.
    4. Aucun signal de détresse n’a été reçu du Sarah Anne et aucun système externe n’assurait le suivi du voyage. L’intervention de recherche et sauvetage a donc été retardée de plusieurs heures après que les membres d’équipage sont vraisemblablement tombés à l’eau, ce qui a considérablement réduit leurs chances de survie.

    3.2 Faits établis quant aux risques

    Il s’agit des conditions, des actes dangereux, ou des lacunes de sécurité qui n’ont pas été un facteur dans cet événement, mais qui pourraient avoir des conséquences néfastes lors de futurs événements.

    1. Si l’utilisateur d’un radiotéléphone très haute fréquence à appel sélectif numérique ne le programme pas avec une identité du service mobile maritime aux fins d’utilisation en cas d’urgence, l’appareil ne fonctionnera pas comme prévu lors d’une urgence et n’alertera pas les autorités, ce qui réduit considérablement les probabilités d’un sauvetage.
    2. Si les navires de pêche ne sont pas inscrits à un registre de Transports Canada et s’il n’y a pas de mécanisme en place pour assurer l’exactitude des renseignements d’immatriculation, il est possible que les pêcheurs ne connaissent pas, ne comprennent pas ou ne respectent pas les règlements visant à améliorer la sécurité de la pêche.
    3. La sécurité des pêcheurs continuera d’être compromise jusqu’à ce que les interdépendances et les liens complexes entre les questions de sécurité soient reconnus et pris en compte par le milieu de la pêche.

    3.3 Autres faits établis

    Ces éléments pourraient permettre d’améliorer la sécurité, de régler une controverse ou de fournir un point de données pour de futures études sur la sécurité.

    1. Le transport volontaire de transpondeurs de système d’identification automatique par les navires de pêche de toutes tailles permettrait d’accroître la visibilité des navires et de fournir des renseignements à jour au trafic commercial local et aux personnes à terre qui surveillent activement le voyage d’un navire.
    2. Dans le cadre de l’enquête, de multiples sources d’information ont été examinées pour expliquer la perte du Sarah Anne. Tout bien considéré, rien n’indique que le Sarah Anne ait été heurté par un navire commercial plus grand.

    4.0 Mesures de sécurité

    4.1 Mesures de sécurité prises

    4.1.1 Bureau de la sécurité des transports du Canada

    L’immatriculation renseigne Transports Canada (TC) au sujet d’un navire, ce qui lui permet à titre d’organisme de réglementation d’améliorer la surveillance de la sécurité, y compris en donnant au propriétaire accès à des initiatives et des programmes de sécurité. De plus, grâce à des renseignements d’immatriculation exacts et à jour, les autorités de recherche et sauvetage disposent de renseignements essentiels au sujet du navire et de son propriétaire lors de situations d’urgence.

    En août 2021, le BST a émis l’avis de sécurité maritime 02/21 au Conseil canadien des pêcheurs professionnels, au sujet de l’information contenue sur le site Web du Conseil selon laquelle les bateaux de pêche d’une jauge brute de moins de 15 tonneaux seraient sous le seuil de l’immatriculation obligatoire auprès de TC. Aucune réponse n’a été reçue.

    4.2 Mesures de sécurité à prendre

    Le 25 mai 2020 peu après minuit, le bateau de pêche Sarah Anne a quitté St. Lawrence (Terre-Neuve-et-Labrador) pour effectuer une sortie de pêche au crabe des neiges dans la baie Placentia, avec 4 personnes à bord. À 19 h 45 le même jour, le centre des Services de communication et de trafic maritimes (SCTM) de Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador) a reçu un rapport de retard. Une recherche a été lancée à l’aide de plusieurs navires et aéronefs. Les corps de 3 membres d’équipage ont été retrouvés le jour suivant. Le corps du 4e membre d’équipage a été retrouvé sur le rivage le 6 juin 2020. Le bateau n’a pas été retrouvé.

    Un certain nombre de facteurs ont contribué aux pertes de vie : aucun appel de détresse n’a été reçu, aucun radeau de sauvetage n’était à la disposition de l’équipage, des vêtements de flottaison individuels (VFI) n’étaient pas portés, le bateau n’était pas surveillé par une tierce partie et n’était pas équipé d’une radiobalise de localisation des sinistres (RLS), et les limites de stabilité du bateau n’étaient pas connues de l’équipage.

    L’enquête a aussi révélé que des milliers de navires de pêche commerciale de plus étaient immatriculés auprès de Pêches et Océans Canada (MPO) qu’auprès de TC dans la région de l’Atlantique. Ainsi, le MPO délivrait des permis pour récolter les ressources marines commercialement sans vérifier que les navires étaient immatriculés correctement auprès de TC, qui est le ministère responsable de la surveillance des exigences de sécurité.

    Les navires commerciaux doivent être immatriculés auprès de TC, même ceux qui ne sont pas inspectés aux fins de certification Note de bas de page 68. Non seulement l’immatriculation des navires auprès de TC est une exigence de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, mais en outre elle permet à TC d’assurer une surveillance de la sécurité et d’offrir aux propriétaires de navires une orientation concernant leur responsabilité en matière de conformité. De plus, le fait d’avoir des données d’immatriculation à jour signifie que de l’information exacte est disponible pour les autorités de recherche et sauvetage, et que des données fiables sont disponibles pour les organismes de réglementation en matière de sécurité et d’autres organisations du système de sécurité maritime.

    Les pêcheurs sont plus susceptibles de respecter les exigences réglementaires ayant trait à la récolte de ressources, entre autres parce que le MPO s’acquitte vigoureusement de son mandat au moyen de conditions de permis et de mesures d’application de la loi en cas de non-conformité. Par contraste, le régime d’application de la loi moins rigoureux de TC fait qu’il n’y a pas de tels incitatifs directs à s’immatriculer auprès de TC ni à garder l’information d’immatriculation à jour. De plus, l’enquête a permis de déterminer que la communication avec les pêcheurs au sujet de l’exigence d’immatriculation auprès de TC est irrégulière et n’est pas toujours bien comprise.

    À l’échelle internationale, l’importance d’une immatriculation en règle et exacte auprès d’un organisme de réglementation en matière de sécurité est reconnue, et de nombreux pays établissent un lien entre le permis de navire de pêche et l’immatriculation ainsi d’ailleurs que l’inspection. Au Canada, le lien entre les considérations de sécurité et l’octroi de permis de pêche est reconnu depuis longtemps Note de bas de page 69, Note de bas de page 70, mais n’a pas été adéquatement pris en compte. Grâce essentiellement à des initiatives Note de bas de page 71 créées par le personnel régional, des efforts sont en cours à TC et au MPO pour s’attaquer à cette question. À l’échelle nationale, TC et le MPO rapportent qu’ils changent les structures de leurs bases de données pour inclure le numéro d’immatriculation unique de l’autre ministère. Toutefois, sans exigences exécutoires, ces initiatives restent un arrangement officieux et ne sont pas une solution permanente. Le MPO peut continuer de délivrer des permis de récolte de ressources marines à des navires qui n’ont pas une immatriculation à jour et exacte auprès de TC. Puisque le MPO fait partie du gouvernement du Canada, le fait qu’il leur délivre un permis peut donner aux pêcheurs l’impression qu’ils satisfont à toutes les exigences du gouvernement avant d’effectuer leurs opérations commerciales.

    Dans de nombreux pays, y compris le Canada, une solution qui est retenue pour coordonner la prestation de services lorsqu’un enjeu relève de la responsabilité d’un ou de plusieurs ministères est une approche « pangouvernementale » ou « de gouvernement horizontal » Note de bas de page 72. Cette approche a été élaborée en réponse aux situations où les enjeux sont interdépendants, comme la sécurité de l’industrie des pêches, et où les objectifs du gouvernement ne peuvent pas être atteints sans que 2 ou plusieurs ministères travaillent ensemble Note de bas de page 73. Pour l’industrie canadienne des pêches, cela signifie que TC et le MPO doivent travailler ensemble pour s’assurer que les pêcheurs respectent toutes les exigences avant d’entreprendre des activités commerciales. Puisque les pêcheurs sont plus fréquemment en contact avec le gouvernement du Canada par l’entremise du MPO, une étape clé pour faire avancer la sécurité de la pêche commerciale sera d’utiliser cette relation pour promouvoir la conformité réglementaire aux exigences de sécurité de TC.

    Si les navires de pêche ne sont pas inscrits à un registre de TC et s’il n’y a pas de mécanisme en place pour assurer l’exactitude des renseignements d’immatriculation, il est possible que les pêcheurs ne connaissent pas, ne comprennent pas ou ne respectent pas les règlements visant à accroître la sécurité de la pêche. Puisque l’immatriculation à jour et exacte auprès de TC est la première étape de la surveillance de la sécurité pour les navires de pêche commerciale, le Bureau recommande que

    le ministère des Pêches et des Océans exige que tout navire canadien utilisé pour la pêche commerciale des ressources marines ait une immatriculation à jour et exacte auprès de Transports Canada.
    Recommandation M22-01 du BST

    Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .

    Annexes

    Annexe A – Évaluation de la stabilité

    Même si une évaluation de stabilité complète n’est pas requise pour un navire de pêche existant comme le Sarah Anne, elle l’est pour un même navire neuf (longueur de plus de 9 m et non muni de 2 cloisons longitudinales étanches aux poissons)Note de bas de page 74. Une évaluation de stabilité complète doit être conforme au Recueil international de règles de stabilité à l’état intact, 2008 de l’Organisation maritime internationaleNote de bas de page 75. Par conséquent, le BST a effectué une évaluation avec un modèle au départ d’une coque d’un bateau jumeau modifiée pour correspondre à la dernière configuration connue du Sarah Anne, en respectant les exigences du Recueil.

    Le bateau jumeau utilisé pour le modèle de la coque était d’un âge semblable, avait le même constructeur et n’avait pas été modifié. Un balayage laser tridimensionnel du bateau jumeau a été réalisé pour reproduire la forme de la coque. Les renseignements sur la construction et la répartition des masses du bateau jumeau et les modifications structurelles ayant possiblement été apportées au Sarah Anne ont été utilisés pour déterminer le centre de gravité selon cette forme; les différences ont été estimées à partir de photos et de témoignages.

    Dans toute évaluation de stabilité statique, les calculs sont effectués en tenant compte de diverses conditions de chargement normales, qui représentent les différentes étapes du voyage d’un navire. Des conditions supplémentaires peuvent être ajoutées pour démontrer la performance d’un navire en matière de stabilité lorsque ses opérations dépassent le cadre des conditions de chargement normales. Les témoignages recueillis et les documents relatifs aux permis ont été examinés pour déterminer les conditions de chargement plausibles le jour de l’événement. Lors de son évaluation du Sarah Anne, le BST a tenu compte des conditions de chargement indiquées au tableau A1 pour évaluer la stabilité statique du bateau.

    Tableau A1. Conditions de chargement prises en compte dans le cadre de l’évaluation de stabilité du Sarah Anne
    Condition Détails sur le chargement
    État lège
    • 0 % de carburant
    • 0 kg de glace
    • 0 kg de crabe des neiges
    • 0 kg d’engins (0 filière)
    • 0 membre d’équipage
    Au départ (pour récupérer les casiers)
    • 100 % de carburant
    • 453 kg de glace
    • 0 kg de crabe des neiges
    • 0 kg d’engins (0 filière)
    • 4 membres d’équipage
    2 filières d’engins et de prises, comme lors de la dernière observation à 10 h, le 25 mai
    • 60 % de carburant
    • 230 kg de glace
    • 725 kg de crabe des neiges
    • 1000 kg d’engins (2 filières)
    • 4 membres d’équipage
    3 filières d’engins et de prises*
    • 40 % de carburant
    • 181 kg de glace
    • 1700 kg de crabe des neiges
    • 1500 kg d’engins (3 filières)
    • 4 membres d’équipage
    Charge prévue à l’arrivée au port lors du voyage du 25 mai
    • 10 % de carburant
    • 113 kg de glace
    • 1700 kg de crabe des neiges
    • 2000 kg d’engins (4 filières)
    • 4 membres d’équipage

    * Puisque la filière d’engins no 3 n’a pas été retrouvée, ce calcul suppose qu’elle était arrimée à bord.

    Une évaluation de stabilité d’un navire doit préciser ses points d’envahissement. L’écoutille du Sarah Anne n’était pas étanche et il n’a pas été possible de déterminer si les dalots étaient ouverts ou fermés le jour de l’événement. Par conséquent, on a conclu que le point d’envahissement était situé sur le rebord supérieur du pavois.

    Le modèle de la coque du Sarah Anne a ensuite été incliné à divers angles de gîte et le bras de redressement a été déterminé pour chaque angleNote de bas de page 76. Les critères restrictifs ont principalement été établis en fonction du tracé de la courbe du bras de redressement et de l’aire sous cette courbe. L’aire représente l’énefrgie disponible pour ramener un navire en position verticale. Plus précisément, les critères restrictifs normalisés dans le Recueil international de règles de stabilité à l’état intact, 2008, mentionnés dans le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche, sont les suivantsNote de bas de page 77 :

    • l’aire sous-tendue par la courbe du bras de redressement ne doit pas être inférieure à 0,055 mètre-radian jusqu’à un angle de gîte de 30°;
    • l’aire sous-tendue par la courbe du bras de redressement ne doit pas être inférieure à 0,09 mètre-radian jusqu’à un angle de gîte de 40° ou à l’angle d’envahissement;
    • l’aire sous-tendue par la courbe du bras de redressement entre les angles de 30° et 40° ou à l’angle d’envahissement, si cet angle est inférieur à 40°, ne doit pas être inférieure à 0,03 mètre-radian;
    • le bras de redressement doit avoir une valeur d’au moins 0,20 m à un angle de gîte supérieur ou égal à 30°;
    • le bras de redressement doit atteindre sa valeur maximale à un angle de gîte égal ou supérieur à 25°;
    • la hauteur métacentrique initiale (GM) ne doit pas être inférieure à 0,15 m.

    L’évaluation de stabilité du Sarah Anne a révélé que le bateau manquait au respect d’au moins 1 des critères de stabilité dans chacune des conditions d’exploitation examinées (tableau A2).

    Tableau A2. Résultats de l’évaluation de stabilité du Sarah Anne
    Critère État lège Au départ (pour récupérer les casiers) 2 filières d’engins et de prises 3 filières d’engins et de prises Charge prévue
    Aire de redressement jusqu’à un angle de 30° > 0,055 mètre-radian Réussite Échec Échec Échec Échec
    Aire de redressement jusqu’à un angle de 40°/envahissement > 0,09 mètre-radian Réussite Réussite Échec Échec Échec
    Aire de redressement entre les angles de 30° et 40°/envahissement > 0,03 mètre-radian Réussite / Échec* Échec Échec Échec Échec
    Bras de redressement à un angle supérieur ou égal à 30° > 0,2 m Réussite Échec Échec Échec Échec
    Valeur maximale du bras de redressement > 25° Réussite Réussite Échec Échec Échec
    Hauteur métacentrique initiale > 0,15 m Réussite Réussite Réussite Réussite Réussite

    * En raison du peu d’information disponible sur le Sarah Anne, le BST a examiné un éventail raisonnable d’estimations du centre de gravité vertical (CGV) du bateau dans le cadre de l’évaluation de stabilité afin de s’assurer que les résultats étaient compatibles avec les conditions d’exploitation. Ce critère (aire de redressement de 30° à 40°/envahissement >0,03 mètre-radian) à l’état lège a été le seul résultat à changer dans la fourchette des estimations du CGV.

    Annexe B – Événements antérieurs

    Les événements suivants signalés au BST sont similaires à l’événement du Sarah Anne, en ce qui concerne l’absence de radiobalises de localisation des sinistres (RLS) et l’utilisation de vêtements de flottaison individuels (VFI) à bord de bateaux de pêche.

    M20A0258 – En juillet 2020, un bateau de pêche non ponté d’une longueur de 6,36 m, qui n’était pas immatriculé auprès de Transports Canada (TC), a coulé rapidement alors qu’il était utilisé pour pêcher le flétan, à 3 milles marins (NM) à l’ouest-nord-ouest de Sally’s Cove (Terre-Neuve-et-Labrador). Une grosse vague a inondé le pavois, et la mise en marche de la pompe de cale n’a pas pu prévenir le naufrage du bateau. Il n’y avait aucune RLS à bord, et on a signalé le retard de l’équipage plus tard cette journée-là. Bien qu’il y avait un VFI pour le capitaine à bord, ce dernier ne le portait pas lorsqu’il est tombé à l’eau, et il n’a pas survécu. Le membre d’équipage, qui portait un VFI, a été secouru après avoir passé 20 heures dans l’eau.

    M19P0242 – En septembre 2019, on a signalé le retard du Jamie Michelle Lynne, un bateau de pêche en aluminium d’une longueur de 9,1 m avec 4 personnes à bord, à 28 NM à l’est de Hay River (Territoires du Nord-Ouest). Le bateau a été retrouvé chaviré en octobre, mais les membres d’équipage n’ont jamais été retrouvés.

    M18A0303 – En septembre 2018, le bateau de pêche de 11,5 m Kyla Anne, avec 3 personnes à bord, a chaviré à son retour vers le port après un voyage de pêche au homard, à environ 1 NM au nord de North Cape (Île-du-Prince-Édouard). Un seul membre d’équipage a survécu au chavirement, en nageant jusqu’au rivage. Aucun VFI ni aucune RLS ne se trouvaient à bord au moment de l’événement.

    M18A0076 – En mai 2018, un bateau de pêche au crabe sans nom d’une longueur de 5,79 m, qui n’était pas immatriculé, a été retrouvé chaviré à 0,04 NM au nord-est de l’anse Beach, à Port Medway (Nouvelle-Écosse). Les 2 membres d’équipage ont été repêchés, et leur mort a été constatée. Ils ne portaient pas de VFI et le bateau n’était pas muni d’une RLS.

    M18A0078 – En mai 2018, un bateau de pêche a rapporté que le bateau de pêche au homard de 8,69 m Ocean Star II, qui avait quitté le port avec 3 membres d’équipage à bord, avait chaviré. Un membre d’équipage a nagé jusqu’au rivage et a appelé le 911. Les deux autres membres d’équipage sont morts. Même si des VFI étaient à bord, aucun membre d’équipage n’en portait au moment de l’événement.

    M16A0327 – En septembre 2016, on a signalé le retard du bateau de pêche Pop’s Pride d’une longueur de 6,7 m qui n’était pas immatriculé auprès de TC et qui devait revenir à St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador) avec 4 membres d’équipage à bord. Deux membres d’équipage, qui portaient un VFI, ont été repêchés, et leur mort a été constatée. Les 2 autres membres d’équipage n’ont pas été retrouvés et sont présumés noyés. Il n’y avait à bord aucune RLS.

    M15A0189 – En juin 2015, on a signalé le retard du bateau de pêche CFV 130214, d’une longueur de 7,1 m, avec 3 membres d’équipage à bord, qui effectuait un voyage de pêche au crabe des neiges dans la baie Placentia (Terre-Neuve-et-Labrador). Aucun signal de détresse n’a été transmis, et l’intervention de recherche et sauvetage (SAR) a seulement été déclenchée au moment où on a signalé le retard du bateau et de son équipage. Les corps des 3 membres d’équipage ont par la suite été récupérés. Le bateau n’a pas été retrouvé et on pense qu’il aurait coulé. Bien que des VFI se trouvaient à bord au moment de l’événement, aucun des membres d’équipage n’en portait pas lorsqu’ils ont été retrouvés. Le bateau n’était pas doté d’une RLS.

    M14P0121 – En juin 2014, le bateau de pêche Five Star de 8,69 m de long, avec 2 membres d’équipage à bord, a chaviré puis coulé lorsque la récolte de crabes dormeurs arrimée sur le pont s’est déplacée alors que le bateau naviguait par mauvais temps près de la baie Kelsey (Colombie-Britannique). L’équipage ne portait pas de VFI durant les opérations de pêche normales. Un membre d’équipage a regagné le rivage à la nage, mais l’autre membre d’équipage n’a pas été repêché et a été présumé noyé. Le bateau n’était pas doté d’une RLS.