Naufrage et pertes de vie
Bateau de pêche non immatriculé connu sous le nom de Island Lady
Mer du Labrador (Terre-Neuve-et-Labrador)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Description du bateau
Le bateau dans l’événement à l’étude, connu sous le nom de Island Lady, était un bateau de pêche non ponté en fibre de verre (figure 1) qui n’était pas immatriculé auprès de Transports Canada (TC). Le Island Lady était d’une longueur d’environ 8,5 m et était propulsé par 2 moteurs hors-bord indépendants à essence (90 hp chacun). Un treuil hydraulique pour filet maillant était situé à tribord à mi-longueur du bateau. La pompe hydraulique de ce treuil était alimentée par un moteur à essence installé à bâbord sur le dessus de la cabine.
Le bateau était équipé d’un radar, d’un traceur GPS (système de positionnement mondial), d’un téléphone satellite et d’une radio à très haute fréquence dotée de la fonction d’appel sélectif numérique (VHF-ASN). La fonction ASN de la radio VHF n’était pas fonctionnelle, car la radio n’était pas enregistrée auprès d’Innovation, Sciences et Développement économique CanadaNote de bas de page 1.
En plus de l’équipement installé, le bateau transportait normalement 2 caisses à poisson isolées, des bacs de manutention contenant de la glace et des bidons d’essence supplémentaires. Il y avait également à bord des gilets de sauvetage, 2 combinaisons d’immersion, une bouée de sauvetage et des fusées éclairantes.
Le voyage
Le capitaineNote de bas de page 2 et un membre d’équipageNote de bas de page 3 ont quitté l’usine de transformation du poisson de Mary’s Harbour (Terre-Neuve-et-Labrador) vers 7 hNote de bas de page 4 le 17 septembre pour se rendre aux lieux de pêche à la morue (figure 2). Le capitaine avait l’intention de récupérer tous les filets maillants et les prises qui s’y trouvaient, afin de mettre fin aux activités de pêche à la morue de 2021. Au moment du départ du bateau, les vents étaient variables, soufflant de 10 à 15 nœuds, et les prévisions du matin annonçaient une augmentation des vents du sud-ouest à 25 nœuds dans l’après-midi. La température de l’eau a été signalée comme étant de 5 °C.
Vers 12 h, le bateau a été aperçu au sud de Battle Harbour, Terre-Neuve-et-Labrador. Les prévisions de l’après-midi ont changé en un avis de coup de vent, avec des vents du sud-ouest de 25 nœuds augmentant à 35 nœuds. Peu après 16 h, 2 appels ont été effectués au moyen du téléphone satellite du Island Lady. Un appel a été reçu par un employé de l’usine locale de transformation du poisson, mais la conversation a été interrompue à plusieurs reprises et la connexion a été perdue par la suite; l’autre appel était destiné à une amie du membre d’équipage et un message a été laissé sur sa boîte vocale, mais le message reçu était incompréhensible.
Vers 18 h 30, le père du capitaine a remarqué que son fils n’était pas sur les médias sociaux comme il en avait l’habitude vers la fin de la journée. Compte tenu de cette information, le père a lancé une recherche pour trouver le Island Lady. D’autres pêcheurs se sont joints aux recherches. Au moment où les recherches ont commencé, les vents soufflaient du sud-ouest à 25 nœuds et les vagues atteignaient 1,5 m. Les Services de communication et de trafic maritimes du Labrador de la Garde côtière canadienne (GCC) ont entendu des discussions au sujet des recherches sur les radios VHF et ont lancé un appel PAN PAN. Peu après, le centre secondaire de sauvetage maritime de St. John’s ont confié l’opération à la GCC et à d’autres ressources de recherche et de sauvetage.
La dernière position du bateau lorsqu’il a été aperçu vers 12 h ce jour-là était la seule information disponible sur la zone à rechercher. Plusieurs navires (bateaux de pêche, bateaux de plaisance et navires de la GCC) et aéronefs ont participé aux recherches, qui ont couvert plus de 4 000 milles marins carrés. Vers 11 h le jour suivant, les recherches ont permis de trouver des débris du Island Lady, notamment une caisse à poisson remplie de morues, deux bacs de manutention et des bidons d’essence. Également le jour suivant, des pêcheurs locaux ont trouvé quatre des 14 filets maillants du Island Lady sur le quai de Battle Harbour.
Après 48 heures de recherche, le dossier a été remis à la GRC comme un cas de personnes disparues. Les recherches se sont poursuivies pendant près de 2 semaines avec l’aide de la province, de pêcheurs et de la GCC. Au cours des recherches, ni l’équipage, ni le bateau, ni les 10 filets maillants restants n’ont été retrouvés.
L’enquête sur cet événement n’a pas permis de déterminer avec certitude la cause de la disparition du Island Lady. Toutefois, il est probable que le bateau a coulé et que les 2 membres d’équipage se sont retrouvés dans l’eau de façon inattendue, sans engin de sauvetage leur permettant de flotter et de se protéger contre les conditions environnementales, et sans être en mesure d’effectuer un appel de détresse.
Événements similaires
Entre 2015 et 2021, 15 événements similaires ont été signalés au BST, entraînant la perte de vie de 34 pêcheurs. Dans les 15 événements, les dispositifs d’alerte en cas de détresse (p. ex., les radiobalises de localisation des sinistres [RLS] et les radiobalises individuelles de repérageNote de bas de page 5) n’ont pas été utilisés. Dans 11 de ces 15 événements, les vêtements de flottaison individuels (VFI) n’ont pas été utilisés non plusNote de bas de page 6.
Stabilité du bateau
La stabilité insuffisante des bateaux et navires a contribué à bon nombre de pertes de vie par le passé. À la suite de l’enquête du BST sur le chavirement du navire de pêche CaledonianNote de bas de page 7, le Bureau a recommandé que
le ministère des Transports exige que tous les petits bateaux de pêche fassent l’objet d’une évaluation de stabilité et établisse des normes pour faire en sorte que les renseignements sur la stabilité soient pertinents et que l’équipage y ait facilement accès.
Recommandation M16-03 du BST
En réponse à la recommandation, TC et l’industrie ont collaboré à l’élaboration de directives relatives à l’évaluation de la stabilité des navires de pêcheNote de bas de page 8.
Le Island Lady n’avait jamais fait l’objet d’une évaluation de la stabilité en bonne et due forme, de sorte que les limites de stabilité inhérentes du bateau étaient inconnues et que l’équipage ne connaissait pas les limites d’exploitation sécuritaires du bateau.
Immatriculation
Tous les navires commerciaux doivent être immatriculés auprès de TC, même les navires qui ne sont pas inspectés aux fins de leur certification. L’immatriculation des navires auprès de TC est une exigence de la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, et elle permet à TC d’assurer une surveillance de la sécurité auprès des propriétaires de navires et de sensibiliser ces derniers à leurs responsabilités en matière de conformité. De plus, des données d’immatriculation à jour signifient que les autorités de recherche et de sauvetage obtiennent des renseignements exacts, et que les organismes de réglementation en matière de sécurité ainsi que d’autres organismes du système de sécurité maritime ont accès à des données fiables.
Au terme de l’enquête du BST sur la perte du bateau de pêche Sarah Anne, le Bureau a recommandé que
le ministère des Pêches et des Océans exige que tout navire canadien utilisé pour la pêche commerciale des ressources marines ait une immatriculation à jour et exacte auprès de Transports Canada.
Recommandation M22-01 du BST
Le Island Lady était immatriculé auprès du ministère des Pêches et des Océans, comme exigence pour obtenir un permis de pêche de ressources marines, mais il n’était pas immatriculé auprès de Transports Canada.
Vêtements de flottaison individuels
Le fait de travailler sans VFI sur le pont d’un navire de pêche est une pratique dangereuse qui a été relevée par le BST à maintes reprises. Contrairement aux gilets de sauvetage, qui sont conçus pour être utilisés lors de l’abandon d’un navire, les VFI sont conçus de façon à permettre aux utilisateurs de travailler sans restriction de mouvement, de sorte qu’ils puissent être portés en tout temps. Cependant, de nombreux pêcheurs résistent à porter les VFI, citant des problèmes comme de l’inconfort, le risque de se prendre et la perception qu’il n’est pas pratique ni normal de les utiliser. En outre, les pêcheurs sous-estiment souvent le risque de se retrouver à l’eauNote de bas de page 9.
La réglementation et les initiatives de l’industrie axées sur les risques ont été élaborées en vue de contribuer à modifier les comportements et à sensibiliser les gens à l’importance du port des VFI. Les fabricants de VFI ont également amélioré la conception des VFI afin de répondre aux préoccupations des pêcheurs concernant le confort et le port constant. Cependant, de nombreux pêcheurs continuent de travailler sur le pont sans porter de VFI, même lorsqu’il y en a à leur disposition.
Engins de sauvetage et dispositifs d’alerte en cas de détresse
TC a mis en œuvre des règlements concernant la présence à bord d’engins de sauvetage et de dispositifs d’alerte en cas de détresse dans le Règlement sur la sécurité des bâtiments de pêche et le Règlement de 2020 sur la sécurité de la navigation. Ces règlements visent à ce que les équipages aient accès à des engins de sauvetage aux fins de protection contre les éléments en cas d’abandon d’un navire, et à des dispositifs d’alerte en cas de détresse qui avertissent rapidement le système de recherche et de sauvetage qu’un navire est en détresse et qui fournissent une localisation précise afin d’accélérer l’opération de sauvetage et de réduire au minimum le temps d’exposition aux éléments.
Pour les bateaux comme le Island Lady, lors d’un voyage tel que celui qui était prévu, les options sont de transporter des radeaux de sauvetage ou des embarcations de récupération en nombre suffisant pour contenir l’ensemble des personnes à bord ou de prévoir une combinaison d’immersion ou une combinaison de travail isotherme pour chaque personne à bordNote de bas de page 10. Ces navires doivent également être munis d’une radio VHF-ASN capable de transmettre et de recevoir des alertes de détresse et de sécurité à l’aide de la fonction ASN, d’une RLS à dégagement libre, d’une RLS manuelle ou d’une radiobalise individuelle de repérage.
Des enquêtes précédentes du BSTNote de bas de page 11 ont permis de déterminer que la présence à bord d’un dispositif d’alerte en cas de détresse peut contribuer à sauver la vie des membres d’équipage.
Il n’y avait aucun dispositif d’alerte en cas de détresse en état de fonctionnement à bord du Island Lady. Aucun signal de détresse n’a été reçu, ce qui a retardé les opérations de recherche et de sauvetage et réduit considérablement les chances de survie de l’équipage. L’absence de tel équipement a contribué à maintes reprises à des pertes de vie qui auraient pu être évitées.
Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance énumère les principaux enjeux de sécurité qu’il faut s’employer à régler pour rendre le système de transport canadien encore plus sûr. La question de la sécurité de la pêche commerciale figure sur la Liste de surveillance depuis 2010. Comme le montre l’événement à l’étude, malgré les diverses initiatives en cours visant à améliorer la culture de sécurité au sein de l’industrie de la pêche commerciale, les mêmes lacunes persistent à bord des navires de pêche.
Messages de sécurité
En situation d’urgence, obtenir de l’aide rapidement est essentiel à la survie des pêcheurs. Combiné à des engins de sauvetage, tels qu’un VFI, un dispositif d’alerte en cas de détresse peut s’avérer un moyen efficace d’accroître les chances de survie lorsque survient une situation d’urgence. Une radio VHF-ASN, une RLS ou une radiobalise individuelle de repérage en parfait état de fonctionnement peuvent émettre un signal indiquant la localisation précise d’un navire ou d’une personne en détresse, ce qui permet au personnel de recherche et de sauvetage de les atteindre plus rapidement.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Il a été officiellement publié le .