Déraillement en voie principale
Chemin de fer Canadien Pacifique
Train de marchandises 669-161
Point milliaire 90,21, subdivision de Sutherland
Blucher (Saskatchewan)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L'événement
Le 15 septembre 2017, une équipe de train (l'équipe) du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) a été affectée à 6 h 10Note de bas de page 1 au triage Sutherland, à Saskatoon (Saskatchewan) (). L'équipe devait conduire le train de marchandises 669‑161 (le train) vers l'est, de Sutherland (Saskatchewan), au point milliaire 109,70 sur la subdivision de Sutherland, à Regina (Saskatchewan), au point milliaire 0,0 sur la subdivision de Lanigan.
Le train était composé de 1 locomotive de tête, de 130 wagons-trémies couverts chargés de potasse, et de 1 locomotive télécommandée en queue de train. Le train pesait environ 18 550 tonnes courtes et mesurait 6250 pieds de long. L'équipe de train était formée d'un mécanicien de locomotive et d'un chef de train; les deux étaient qualifiés pour leur poste respectif, répondaient aux exigences relatives au repos et à la condition physique, et connaissaient bien le territoire.
Vers 6 h 30 min 00 s, un contremaître de la voie du CP a effectué une inspection visuelle de la voie aux alentours de la voie de garage à Blucher (Saskatchewan). L'inspection a été faite au moyen d'un véhicule rail-route et d'une barre lumineuse haute puissance, puisqu'il faisait noir au moment de l'inspection. Durant l'inspection du branchement à l'aiguillage ouest de la voie de garage à Blucher (point milliaire 90,20), le contremaître a ralenti à 5 à 10 mi/h afin de faire une inspection rigoureuse aux alentours de l'aiguillage. Peu après cette inspection, le train de travaux 9N14-14 du CP a passé sur cette voie; aucune anomalie n'a été constatée.
Alors qu'il était en route, le train 669-161 a passé le détecteur de boîtes chaudes en bordure de la voie, au point milliaire 92,60, sans déclencher d'alarme. À 7 h 55 min 23 s, le train roulait à 46,2 mi/h et se trouvait à quelque 30 pieds à l'ouest de l'aiguillage ouest de la voie de garage à Blucher (point milliaire 90,20), lorsque l'équipe de train a senti la locomotive s'incliner vers le sud et a entendu un bruit de fracas. Le mécanicien a effectué un serrage minimal des freins pour ralentir le train. Environ 4 secondes plus tard, il y a eu un freinage d'urgence provenant de la conduite générale, et l'équipe a aperçu de la poussière venant du dessous du train, derrière la locomotive de tête. L'équipe a lancé un message radio d'urgence. Après que le train fût immobilisé, le chef de train a effectué une inspection à pied du train et a déterminé que 37 wagons avaient quitté les rails.
Au moment du déraillement, il faisait 6 °C.
Renseignements de base
Renseignements sur la subdivision et la voie
La subdivision de Sutherland du CP est une voie principale simple qui relie Wynyard (Saskatchewan) (point milliaire 0,0) à Saskatoon (point milliaire 113,50). Les mouvements de train sont contrôlés par le système de régulation de l'occupation de la voie (ROV), conformément au Règlement d'exploitation ferroviaire du Canada (REFC) et supervisés par un contrôleur de la circulation ferroviaire en poste à Calgary (Alberta). En ROV, les voies ne sont pas signalisées (c.-à-d. qu'il s'agit de « territoire exempt de signalisation »). Le trafic ferroviaire consistait en quelque 10 trains par jour. La moyenne annuelle était de 15 millions de tonnes milles brutes par mille de voie ferrée. Dans les environs du déraillement, la voie appartenait à la catégorie 4, selon le Règlement concernant la sécurité de la voie (aussi appelé Règlement sur la sécurité de la voie [RSV]) approuvé par Transports Canada. La vitesse prescrite pour les trains de marchandises dans cette zone était de 45 mi/h.
La voie était généralement en palier et en alignement droit. Elle était formée de longs rails soudés de 115 livres fabriqués par Algoma en 1974. Ces derniers reposaient sur des selles à double épaulement de 14 pouces fixées à l'aide de 2 crampons chacune et encadrées d'anticheminants toutes les 2 traverses. Certaines traverses étaient en bois tendre dans un état moyen et d'autres en bois dur en bon état. Il y avait 60 traverses par 100 pieds de voie. Le ballast était composé d'un mélange de pierres concassées et de galets. Les épaulements dépassaient l'extrémité des traverses de 12 pouces.
La voie de garage à Blucher est une voie non principale, 3500 pieds de long, et adjacente à la voie principale. Elle sert au remisage de wagons ferroviaires et au garage de wagons qui déclenchent l'alarme du détecteur de boîtes chaudes au point milliaire 92,60. Dans les 30 pieds de voie à l'ouest des aiguilles ouest de la voie de garage, la voie principale comprenait 3 joints de rail non isolés (1 sur le rail sud et 2 sur le rail nord).
Faits établis
Examen du lieu et renseignements sur le matériel roulant
L'infrastructure de la voie ne présentait aucune marque de roue derrière les wagons déraillés près de l'aiguillage ouest de la voie de garage. La locomotive de tête s'était immobilisée près du passage à niveau de la rue Beck (point milliaire 89,40). Le premier wagon déraillé était le 41e wagon (CNPX 3740) à partir de la tête du train. Ce wagon est demeuré attelé à la tête du train, mais a perdu son bogie arrière. Ce bogie s'est détaché durant le déraillement; on l'a retrouvé par la suite dans les environs de l'aiguillage ouest de la voie de garage. Les 36 autres wagons déraillés (du 42e au 77e wagon à partir de la tête du train) se sont immobilisés dans diverses positions près de la voie de garage, sur une distance d'environ 1500 pieds (). Plusieurs des wagons déraillés ont subi des brèches et ont déversé de la potasse. Un tronçon d'environ 2500 pieds de voie a été endommagé ou détruit.
Durant la remise en état des lieux, seule une moitié d'un joint de rail a été récupérée; l'autre moitié n'a pas été retrouvée. L'extrémité de la partie récupérée du joint présentait un écrasement des abouts de rail sur le champignon de rail du côté est, et les éclisses, des fissures de fatigue (). On a déterminé que le joint se trouvait probablement dans le rail sud, environ 30 pieds à l'ouest de l'aiguillage ouest de la voie de garage, près du point milliaire 90,21.
Une inspection de la tête du train a été faite. Des marques d'impact étaient présentes sur les tables de roulement des roues du côté sud de la locomotive de tête (CEFX 1049) et de plusieurs des wagons de tête du train. Le réservoir de carburant de la CEFX 1049 présentait une marque d'impact avec le rail, mais aucune perforation. Les marques d'impact relevées correspondaient à un contact entre du matériel roulant et l'extrémité d'un rail. Plusieurs des wagons-trémies couverts présentaient eux aussi des marques de contact sur leurs glissoirs de caisse causées par les bogies, probablement comme suite à un roulis prononcé des wagons lorsqu'ils passaient sur le rail au point de déraillement.
Les dommages relevés sur les lieux de l'événement laissent croire que le joint de rail sud près du point milliaire 90,21 a d'abord failli sous la charge de la locomotive, et que les wagons 41 à 77 à partir de la tête du train ont déraillé par la suite.
Examen du joint de rail
Les 2 éclisses fixées à la partie du joint qui a été retrouvée présentaient des ruptures par fatigue qui s'étendaient depuis la portée d'éclissage supérieure sur le dessus des deux éclisses (c.-à-d. la surface de contact supérieure entre le dessus des éclisses et le dessous du champignon du rail). Les fissures de fatigue s'étaient propagées verticalement vers le bas sur environ 10 % de la section transversale des 2 éclisses ( et ). Lorsque ces ruptures par fatigue ont atteint une taille critique, la section transversale restante de l'éclisse ne pouvait plus supporter la charge. Elle a subi une rupture par contrainte excessive et a cédé sous le poids du train.
Inspection et entretien de la voie
Le RSV énonce les normes minimales d'entretien et les exigences d'inspections connexes. Outre le RSV, le CP avait son Livre rouge sur les exigences relatives à la voie et aux ouvrages (Livre rouge), dont les lignes directrices satisfont aux exigences du RSV ou les dépassent. Toutes les inspections de la voie requises avaient été faites conformément au RSV et au Livre rouge du CP.
Au cours des 12 mois qui ont précédé l'événement, 3 inspections de géométrie de la voie avaient été faites dans les environs du lieu de l'événement (en octobre 2016, puis en avril et en mai 2017). Dans ces 3 cas, un défaut désigné au CP comme nécessitant une intervention prioritaireNote de bas de page 2, le S22-SR (S22), et certains petits défauts de tracé avaient été enregistrés dans la zone du joint. Le défaut S22 nécessitant une intervention prioritaire se produit lorsque le déplacement vertical ou le point médian mesuré au moyen d'une corde de 22 pieds tendue le long de la partie supérieure du rail dans une voie de catégorie 4 excède 0,625 pouce. Le RSV comprend des normes sur les défauts de surfaceNote de bas de page 3, mais aucune ne correspond au défaut S22.
Les défauts S22 sont habituellement associés à une déviation excessive des joints, ce qui peut causer des impacts de roue plus élevés et entraîner une rupture de rail ou de joint. Quand ces défauts se produisent à des joints de rail, ils indiquent généralement un support de joint qui se détériore et aurait besoin d'être remis en état. Tout retard dans la remise en état d'un support de joint peut entraîner la formation de fissures dans les éclisses.
Durant les inspections de la géométrie de la voie, un système de vision automatisé prend des photos haute définition de tous les joints de rail pour détecter les fissures dans les éclisses et autres défauts. Dans le cas des 3 joints de rail à proximité de l'aiguillage ouest de la voie de garage, aucun défaut n'avait été détecté durant les 3 inspections. Toutefois, étant donné la présence des défauts S22, cet endroit faisait l'objet d'une surveillance particulière durant les inspections régulières de la voie. D'octobre 2016 à mai 2017, il y a eu détérioration du défaut S22 dans le joint de rail sud, de 0,75 pouce à 1 pouce, ce qui dépassait les critères de défaut S22 nécessitant une intervention prioritaire au CP. Pour un tel défaut, les lignes directrices du CP exigent la surveillance du défaut et la réparation de celui-ci aussitôt que possible. Il n'existe pas au CP de critère d'intervention pressante ou urgente pour un défaut S22.
Les fissures de rail dans les joints de rail (c'est-à-dire des fissures de trou d'éclissage) sont dissimulées à la vue au cours d'une inspection visuelle. Les contrôles de détection des défauts de rail (par ultrasons ou induction) constituent une autre méthode pour cerner des fissures de rail dans les joints de rail. À cet endroit, le dernier contrôle de détection par ultrasons avait eu lieu le 24 août 2017; aucun défaut n'avait été relevé.
Les 2 et 3 août 2017, la voie principale et la voie de garage avaient été renivelées par une régaleuse à ballastNote de bas de page 4 et une bourreuse de voie ferréeNote de bas de page 5. Durant les travaux de nivellement, la régaleuse a réparti le ballast existant et aucun nouveau ballast n'a été ajouté. Le 13 septembre 2017, on a inspecté la voie dans les environs du lieu de déraillement à l'aide d'une locomotive du CP munie de capteurs d'interaction véhicule-voieNote de bas de page 6; aucun défaut n'a été relevé.
Autres événements similaires
Depuis 2014, le BST a mené 4 autres enquêtes semblablesNote de bas de page 7 qui portaient sur des creux de surface dans la voie. Ces défauts avaient été jugés comme étant des états (p. ex., des affaissements localisés de la surface de roulement [LSC]) ou des défauts prioritaires de surface liés à la géométrie de la voie exigeant une surveillance. Dans chaque événement, la voie a failli avant qu'elle ne soit réparée ou que le défaut ne devienne urgent.
Mesures de sécurité
Même si les creux de surface dans la voie jugés comme étant des états (p. ex., LSC) ou des défauts prioritaires de surface liés à la géométrie de la voie font l'objet d'une surveillance conformément aux normes de la compagnie, les éclisses qui comprennent des fissures de fatigue non détectées peuvent demeurer en service et, à la longue, céder sous un train qui passe.
Ceci conclut l'enquête à portée limitée du BST concernant cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce bilan d'enquête le 8 janvier 2018, qui a été officiellement publié le .