Le 27 septembre 2021
Directeur municipal
Ville d’Ottawa
110, avenue Laurier Ouest
Ottawa, (ON) K1P 1J1
Objet :
Avis de sécurité ferroviaire 617-02/21
Défaillance d’un roulement à rouleaux ayant mené au déraillement d’un véhicule du réseau de train léger sur rail d’Ottawa
Le 14 septembre 2019, l’étape 1 du projet de train léger sur rail d’Ottawa (TLRO) commençait sur la ligne de la Confédération à Ottawa (Ontario). Le véhicule sélectionné pour ces activités du TLRO était le véhicule léger sur rail (VLR) Citadis Spirit fabriqué par Alstom; les véhicules sont montés sur des bogies Iponam Note de bas de page 1 (figures 1 et 2). Pour l’étape 1 de son nouveau réseau de trains légers sur rail, le TLRO a acheté 34 VLR de ce type (numérotés 1101 à 1134). Le TLRO relie 2 VLR et exploite 2 VLR comme 1 train de banlieue.
Entre autres, chaque bogie est muni de 4 ensembles de roues résilientes et de 2 ensembles d’essieux. Chaque ensemble d’essieux comprend 2 moyeux à roues et 2 sous-ensembles de roulements cartouches à rouleaux (ensembles de cartouches) reliés par un essieu cannelé plein (figure 3). Les roues sont fixées à l’intérieur de chaque moyeu par des boulons pour former l’ensemble de bogies. L’essieu transfère le poids du véhicule à l’essieu monté et confère à ce dernier un mouvement de roulis fluide.
L’ensemble de cartouche relie l’essieu cannelé à la partie pivotante de la roue et permet aux roues de tourner. Chaque ensemble de cartouche comprend 2 ensembles de roulements à rouleaux coniques, qui sont maintenus fermement par un gros écrou de blocage (écrou de butée) serré à un couple de 3000 newtons-mètresNote de bas de page 2. Un ensemble de cartouche est installé à chaque extrémité d’un essieu cannelé à l’aide de boulons.
Chaque ensemble de cartouche est fabriqué par Texelis à Limoges (France), puis est expédié au Canada pour l’installation.
L’événement
Le 8 août 2021 vers 20 h 34Note de bas de page 3, un train de banlieue du TLRO (le train) qui circulait en direction est passait de la voie nord à la voie sud par l’aiguillage de liaison sud SW-302 à une vitesse d’environ 30 km/h lorsqu’il a déraillé à environ 90 mètres à l’est de la station Tunney’s Pasture à Ottawa (Ontario) (figure 4). Il n’y avait aucun passager à bord au moment de l’événement.
Le train était composé du VLR 1115 et du VLR 1119. Lorsque le déraillement s’est produit, le train était déplacé de la station Tunney’s Pasture à l’installation d’entretien et de remisage du triage Belfast du TLRO pour des réparations. Les 2 VLR ne se sont pas renversés.
L’examen des lieux a permis d’établir que la roue no 3 a chevauché le rail et a déraillé du côté extérieur de la voie sud alors que le train franchissait la liaison. De plus, la roue conjuguée no 4 du même essieu a déraillé du côté intérieur du rail nord avant de s’immobiliser entre les rails. Les traverses en béton et les selles de rail de la voie sud ont été endommagées par l’impact.
Circonstances ayant mené au déraillement
L’analyse des informations enregistrées a révélé ce qui suit :
- À 13 h 25, l’essieu cannelé de la roue no 3 s’est vraisemblablement rompu alors que le VLR roulait vers l’est entre les stations Cyrville et Blair (figure 5). Un examen du consignateur d’événements et des registres du véhicule a démontré que le VLR 1119 avait connu plusieurs avertissements de patinage des roues pendant cette période.
- Après avoir atteint la station Blair, le train a poursuivi sa route vers l’ouest.
- À 14 h 50, le conducteur du train a signalé une odeur de brûlé. Le train était stationné sur le quai nord de la station Tunney’s Pasture afin d’attendre qu’un technicien détermine si un frein était coincé sur le VLR 1115.
- À 15 h, un technicien a repéré des marques de brûlure sur un disque de frein du VLR 1115. Le frein a été isolé et les étriers ont été desserrés. Le train a été retiré du service et retenu à la station Tunney’s Pasture jusqu’à plus tard dans la soirée. Après avoir identifié ce que l’on croyait être le problème, le train VLR 1119 n’a pas été inspecté.
- Entre 20 h 15 et 20 h 25, un technicien s’est chargé des freins du VLR 1115, a observé le mouvement de va-et-vient du train sur la voie nord et a autorisé le train à retourner à l’installation d’entretien et de remisage.
- À 20 h 30, le train a quitté la station Tunney’s Pasture, avec le technicien à bord.
- Immédiatement après que le train eut traversé de la voie nord à la voie sud, il a été secoué de façon inhabituelle à la sortie de l’aiguillage de liaison. Le train s’est arrêté de façon contrôlée, et une inspection subséquente a permis de constater que les roues no 3 et no 4 du VLR 1119 avaient déraillé.
- Afin de minimiser les perturbations du service, il a été décidé de remettre le train sur les rails après 23 h.
- Lors de la remise sur rails du train, on a découvert que la roue no 3 n’était plus fixée à l’essieu.
- La roue no 3 s’est détachée de l’essieu en raison de la défaillance catastrophique d’un roulement à rouleaux, qui n’avait pas été détectée auparavant, ainsi que de la rupture par surchauffe subséquente de la fusée d’essieu (figures 6 et 7).
- Par la suite, des rouleaux de roulements ont été trouvés sur la voie ferrée près de la station uOttawa, ce qui laisse supposer qu’un ensemble de cartouche s’est rompu et que des rouleaux ont été expulsés pendant que le train roulait vers l’ouest entre 13 h 25 et 14 h 50.
L’analyse de la cause fondamentale de défaillance effectuée par Alstom a suggéré que la défaillance du roulement à rouleaux était liée au desserrage du gros écrou de blocage qui retient l’ensemble de cartouche.
Mesures d’atténuation des risques mises en œuvre après le déraillement
Vers 3 h 30 le 9 août 2021, il a été décidé que l’ensemble de la flotte de VLR du TLRO nécessitait une inspection plus poussée afin de déceler tout desserrement de l’ensemble de cartouche avant la reprise des activités.
Les mesures d’atténuation des risques suivantes ont été mises en place :
- Toute la flotte de VLR du TLRO a été retirée du service pendant 5 jours afin de procéder à des mesures du jeu axial des ensembles de cartouches (20 par VLR). Les ensembles de cartouches dont le jeu mesuré présente un excédent de 0,1 mm sont considérés desserrés et doivent être remplacés par un nouvel ensemble.
- Les VLR qui n’avaient aucun ensemble de cartouche desserré ni défaillant ont été remis en service.
- En plus de la cartouche n⁰ 3 rompue sur le VLR 1119, les inspections ont permis d’identifier, au total, 17 ensembles de cartouches desserrés sur 9 autres VLR avec des jeux axiaux entre 0,12 mm et 0,89 mm.
- Tous les ensembles de cartouches rompus ou desserrés ont été remplacés par de nouveaux ensembles de cartouches avant la remise en service des VLR.
- Une nouvelle inspection périodique a été mise en place. Pour cette inspection, il faut surélever le VLR afin d’inspecter les ensembles de cartouches sous les bogies. À l’aide d’un levier, les mesures du jeu axial sont consignées pour chaque ensemble de cartouche. Les ensembles de cartouches desserrés doivent être remplacés. Cette inspection supplémentaire exigeant plus de main-d’œuvre est exigée pour chaque VLR, tous les 7500 km, de façon continue.
Puisque les ensembles de cartouches ont été installés récemment dans le cadre d’un programme de mise à niveau des bogies sur toute la flotte entre la fin de 2019 et le début de 2020, le kilométrage moyen des bogies sur lesquels les ensembles de cartouches présentaient un jeu excessif était d’environ 117 000 km. Les bogies sur le VLR 1119 ont été mis à niveau en décembre 2019 et de nouveaux ensembles de cartouches ont été installés à ce moment. Entre la mise à niveau et le déraillement du 8 août 2021, le bogie moteur 1 du VLR 1119 avait accumulé 145 974 km.
Détection de surchauffe des roulements à rouleaux
Les ensembles de cartouches des VLR du TLRO sont toujours situés sur l’intérieur des roues. Ainsi, l’état des roulements à rouleaux ne peut pas être vérifié visuellement de manière efficace. De plus, la température de fonctionnement des roulements à rouleaux ne peut pas être surveillée au moyen des détecteurs de boîtes chaudes classiques installés en bordure de la voie pour surveiller les roulements à rouleaux situés sur l’extérieur des roues des wagons de marchandises. Par ailleurs, le TLRO ne comporte pas de système en bordure de la voie ou de système embarqué servant à surveiller la température de fonctionnement des roulements à rouleaux d’essieu situés sur l’intérieur des roues. Par conséquent, un roulement à rouleaux surchauffé dans l’ensemble de cartouche pourrait rompre de manière catastrophique sans qu’on ait pu observer ni détecter la défaillance. Comme démontré par le présent événement, cela peut également entraîner un déraillement s’il n’y a aucune intervention.
Surveillance réglementaire
Le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des voitures voyageurs (Règlement de sécurité relatif aux voitures voyageurs) approuvé par Transports Canada indique les normes de sécurité minimales pour les voitures voyageurs au Canada et stipule ce qui suit :
- D’après le paragraphe 3.12 de la section 3. DÉFINITIONS, une voiture voyageurs est « un véhicule de chemin de fer servant à transporter des voyageurs et leurs bagages, en service de banlieue ou en service interurbain ceci comprend les voitures à cabine intégrée ainsi que les véhicules diésel a unités multiples ».
- D’après le paragraphe 23.1 de la section 23. DISPOSITIFS DE DÉTECTION DES BOÎTES CHAUDES, « [u]n dispositif de détection et de signalement des boîtes chaudes, ou un autre moyen approprié pour détecter un échauffement de ces boîtes, doit être prévu à chaque boîte d'essieu à montage intérieur. »
Les voitures voyageurs Renaissance de VIA Rail Canada Inc. (VIA) sont toutes munies de roulements à rouleaux d’essieu installés sur l’intérieur des roues. Conformément auRèglement de sécurité relatif aux voitures voyageurs, toutes les voitures voyageurs Renaissance de VIA sont également munies de systèmes de détection de surchauffe des roulements à rouleaux d’essieu embarqués. Lorsque le système détecte une surchauffe d’un roulement à rouleaux, il déclenche un avertissement pour l’équipe afin que le train puisse être ralenti ou arrêté avant une défaillance catastrophique du roulement à rouleaux.
Par contre, le Règlement de sécurité relatif aux voitures voyageurs ne s’applique pas aux VLR de train de banlieue du TLRO. Une entente entre Transports Canada et la Ville d’Ottawa (la Ville) indique que la Ligne de la Confédération n’est pas considérée comme un chemin de fer au sens de la Loi sur la sécurité ferroviaire. L’entente autorise la Ville à régler toute question couverte par la Loi sur la sécurité ferroviaire relativement à la conception, à la construction, à l’exploitation ainsi qu’à la sûreté et la sécurité du chemin de fer, ce qui inclut l’élaboration et l’application de ses propres règles ou règlements.
Par conséquent, bien qu’il s’agisse d’une entreprise de transport fédérale de compétence fédérale, les lois et les règlements fédéraux en matière de transport ne s’appliquent pas au système de train de banlieue de la Ligne de la Confédération du TLRO, et Transports Canada ne le réglemente pas. Néanmoins, les événements ferroviaires mettant en cause le TLRO doivent être signalés au BST, et le BST a conservé la compétence pour enquêter sur le TLRO dans le cadre de son mandat fédéral.
La Ville a indiqué qu’une disposition concernant de l’équipement de détection de surchauffe en bordure de la voie ou sur le VLR a été envisagée durant la phase de conception du Citadis Spirit d’Alstom pour le TLRO, mais elle n’a pas été identifiée comme une exigence puisque les activités de maintenance régulière avaient été jugées suffisantes.
Un dossier de consolidation sur la sécurité pour le projet TLRO (VLR d’Ottawa) a été créé afin de documenter les dangers potentiels, les stratégies d’atténuation et les activités liées à la sécurité pour le projet de VLR. Le document a identifié au moins deux fois la possibilité d’un essieu bloqué comme étant un danger. La stratégie d’atténuation pour remédier à ce danger connu était un entretien régulier qui comprenait des inspections visuelles pour y déceler toute fuite de graisse tous les 25 000 km. Par contre, un essieu peut se bloquer pour plusieurs raisons, et il n’y avait aucune mention spécifique d’une défaillance catastrophique de roulement à rouleaux qui pourrait entraîner une rupture par surchauffe.
Depuis la mise à niveau des bogies du VLR 1119, le bogie moteur 1 sur le VLR 1119 avait accumulé 145 974 km et aurait fait l’objet d’au moins 5 inspections, comme indiqué dans la stratégie d’atténuation du dossier de consolidation sur la sécurité. Maintenant qu’une défaillance catastrophique de roulement à rouleaux est réellement survenue dans un ensemble de cartouche et qu’elle a provoqué un déraillement, la stratégie préventive d’atténuation des risques qui reposait sur un entretien régulier et des inspections visuelles s’avère insuffisante pour la protection contre de telles défaillances de roulement.
Comme démontré par ce déraillement, une rupture par surchauffe d’un roulement à rouleaux sur un VLR d’un service de transport de passagers peut entraîner de graves conséquences. Il pourrait être souhaitable que les responsables du TLRO s’assurent que des systèmes de détection de surchauffe sont en place pour surveiller la température des ensembles de roulements cartouches à rouleaux de VLR, afin de détecter tout roulement à rouleau qui surchauffe et d’intervenir avant qu’une défaillance catastrophique de roulement à rouleaux en service ne survienne.
Le BST souhaiterait être informé des mesures qui seront prises, le cas échéant, à cet égard.
Veuillez agréer mes meilleures salutations,
Original signée par
Paul Treboutat
Directeur des enquêtes ferroviaires et pipelinières
Bureau de la sécurité des transports du Canada
c.c.
- Directeur général
Sécurité ferroviaire – Transports Canada - Gestionnaire de projet
Alstom Transport - Chef de la direction
Groupe de transport Rideau - Directeur général
Services de transport en commun de la Ville d’Ottawa - Responsable en chef de la sécurité
Sécurité, Conformité, Formation et Perfectionnement – Services des transports
Ville d’Ottawa