Décrochage et collision avec le relief
Cessna 150G, C-FWGF
Immatriculation privée
Saint-Rémi (Québec)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
Déroulement du vol
En fin d’après-midi, le 21 avril 2023, l’élève-pilote et propriétaire de l’avion Cessna 150G (immatriculation C-FWGF, numéro de série 15067098) s’est présenté avec un ami sur le terrain d’une ferme privée à Saint-Urbain-Premier (Québec), où il avait stationné son avion. À 17 h 53Note de bas de page 1, l’élève-pilote a envoyé un message texte à son instructeur de vol pour l’informer qu’il allait voler. L’instructeur, qui était à Saint-Lazare (Québec), a autorisé le vol en soloNote de bas de page 2.
L’aéronef a décollé vers 18 h 30 pour un vol local avec l’élève-pilote et son ami à bord. Les conditions météorologiques étaient favorables au vol selon les règles de vol à vue (VFR) de jour et les vents soufflaient du nord-nord-ouest à environ 14 nœuds. Vers 19 h 20, l’aéronef a survolé une zone résidentielle à l’ouest de Saint-Rémi (Québec) à basse altitudeNote de bas de page 3 où un rassemblement extérieur d’une quinzaine de personnes avait lieu sur un terrain privé. L’une des personnes a reconnu l’avion et a appelé l’élève-pilote à 19 h 21 via une application mobile permettant un appel vidéo pour lui demander de faire un « spectacle ». L’échange a duré 21 secondes, et peu après, l’avion a fait une approche en provenance du nord vers le rassemblement.
L’avion a amorcé un cabré prononcé, et suite à une manœuvre que l’enquête n’a pas pu identifier, il s’est retrouvé en descente verticale. Il a ensuite sectionné des fils électriques avant de s’écraser sur le toit d’une voiture stationnée dans l’entrée d’une maison se trouvant à environ 100 pieds du rassemblement.
Un incendie s’est déclaré. Plusieurs personnes ont accouru au secours de l’élève-pilote et du passager. Tous deux ont été grièvement blessés et transportés en ambulance à un centre hospitalier. L’incendie s’est propagé à la maison et a été maîtrisé par les pompiers après leur arrivée sur les lieux. Personne au sol n’a été blessé. L’avion a été détruit.
Renseignement sur l’élève-pilote
L’élève-pilote détenait un certificat médical de catégorie 4 valide délivré le 26 avril 2022 par Transports Canada (TC), et un permis d’élève-pilote délivré le 24 juin 2022.
L’élève-pilote avait débuté sa formation en vol le 28 janvier 2022 sur un avion Cessna 172 appartenant à Ikaros International Training Inc. (IKAROS). Le 16 juin 2022, il avait acquis l’avion à l’étude et avait poursuivi sa formation en vol sur cet avion. Selon son dossier d’entraînement en vol, il avait effectué son premier vol en solo le 24 juin 2022. Au moment de l’événement, son dossier indiquait un total de 163,3 heures de vol dont 158,1 effectuées sur l’avion à l’étude.
Renseignement sur l’instructeur
L’instructeur de vol détenait une licence de pilote professionnel – avion et un certificat médical de catégorie 1 valide. Il possédait, entre autres, une qualification d’instructeur de vol de classe 2 valide jusqu’au 1er juillet 2023 et était le fondateur et chef instructeur de vol d’IKAROS.
TC avait délivré un certificat d’exploitation d’unité de formation au pilotage à IKAROS le 6 septembre 2013. Le 23 février 2023, TC avait suspendu ce certificat d’exploitation à la demande d’IKAROS, qui ne respectait plus les exigences du certificat puisque l’unique aéronef de l’école avait été détruit quand le hangar dans lequel il était entreposé s’était écroulé. Après cela, l’instructeur avait continué à dispenser de l’entraînement en vol en tant qu’instructeur indépendant.
Renseignements sur l’aéronef
L’avion à l’étude avait été fabriqué en 1967 par la Cessna Aircraft Company à Wichita, au Kansas (États-Unis) sous la désignation de « modèle 150G » (ou « Model 150G »). Il était équipé d’une radiobalise de repérage d’urgence pouvant transmettre sur les fréquences 121,5 MHz et 243 MHz seulement. Aucun signal de détresse n’a été rapporté après la collision.
Les carnets techniques de l’avion n’ont pas pu être obtenus et il a été impossible d’établir le nombre total d’heures de temps dans les airs, la date de la dernière activité de maintenance ni si des anomalies avaient été relevées.
Site de l’accident et examen de l’épave
L’intensité de l’incendie qui s’est déclaré après la collision indique qu’il y avait du carburant à bord. La partie centrale de l’aéronef incluant la cabine a été complètement détruite par le feu. Aucune anomalie n’a été décelée dans la continuité des commandes de vol des composantes ayant échappé au feu.
L’examen de la voiture a permis de constater la présence d’importantes entailles sur le toit et l’aile avant droite qui correspondaient à des dommages typiques causés par la rotation d’une hélice.
L’angle formé par une ligne tirée entre la partie supérieure du poteau électrique à proximité de la maison et la voiture était d’environ 45° (figure 1), ce qui suggère que la vitesse horizontale de l’avion au moment de la collision avec les fils électriques était faible.
L’examen de l’aile droite de l’avion présentait 3 enfoncements le long du bord de fuite dont 2 correspondaient à un impact avec un fil électrique (A et C) et l’autre (B) à un impact avec la traverse du poteau électrique (figure 2). L’aile gauche ne présentait pas de dommages d’impact avec des fils électriques ni avec le poteau.
Formation en vol
La formation en vol pour l’obtention d’une licence de pilote privé – avion doit compter au moins 45 heures de vol dont au moins 17 en double commande et 12 en soloNote de bas de page 4. Ces heures doivent être inscrites au dossier d’entraînement du pilote, tout comme les cours théoriques au sol.
Le dossier d’entraînement du pilote à l’étude était conservé et tenu à jour par l’instructeur de vol et indiquait que l’élève-pilote avait accumulé 20,8 heures de vol en double commande et 142,5 heures de vol en solo. La section Formation théorique du dossier ne comportait aucune inscription et rien ne permet de confirmer si l’élève-pilote avait commencé sa formation théorique offerte en ligne par IKAROS.
Les vols d’entraînement ont été effectués à partir de la base d’IKAROS, c’est-à-dire à l’aérodrome de Montréal/St-Lazare (CST3) (Québec) jusqu’au 24 août 2022. À cette date, l’élève-pilote avait accumulé un total de 14,8 heures de vol en double commande et 26,6 heures de vol en solo.
Par la suite, l’élève-pilote a effectué ses vols en solo à partir de l’aérodrome de St-Mathieu-de-Laprairie (CML8) (Québec), situé à 27 milles marins à l’est de CST3, étant donné que c’est là qu’il avait l’habitude de stationner son avion personnel (avion de l’événement). L’instructeur n’étant pas à CML8, il a autorisé les vols en solo à distance.
Direction et surveillance des vols d’entraînement en solo
Le titulaire d’un permis d’élève-pilote est autorisé à effectuer un vol d’entraînement en solo si les conditions suivantes sont réunies :
- le vol est effectué pour l’entraînement en vol du titulaire;
- il est effectué au Canada;
- il est effectué en vol VFR de jour;
- il est effectué sous la direction et la surveillance [caractères gras ajoutés] d’une personne qualifiée pour dispenser la formation en vue du permis, de la licence ou de la qualification pour lesquels l’expérience de commandant de bord est exigée;
- aucun passager ne se trouve à bordNote de bas de page 5.
Le BST a enquêté sur la collision avec le relief d’un hélicoptère survenue le 19 novembre 2018 et au cours de laquelle un élève-pilote effectuait un vol d’entraînement en solo sous la surveillance d’un instructeur indépendantNote de bas de page 6. Bien que le terme « direction » ne soit pas défini dans le RAC, au cours de l’enquête en question, TC avait indiqué que par « direction » il entendait des instructions et directives données au stagiaire par l’instructeur sur ses attentes concernant le vol d’entraînement. Le stagiaire ne peut donc pas décider du déroulement du vol ou faire ce qu’il veut. Cette interprétation va dans le même sens que la définition d’un exposé avant volNote de bas de page 7. Selon l’article 405.31 du RAC :
Il est interdit de commencer un vol d’entraînement à moins que le stagiaire n’ait reçu de l’instructeur de vol :
- un exposé avant vol;
- des instructions au sol avant vol lorsque de nouveaux exercices en vol doivent être effectués au cours du volNote de bas de page 8.
Dans les mois précédant l’événement à l’étude, l’instructeur acceptait que l’élève-pilote vole régulièrement pour son plaisir, et ce, souvent sans lui donner de directives sur les exercices à pratiquer en vol. L’instructeur l’avait également informé que son permis d’élève-pilote lui interdisait le transport de passagers. Néanmoins, l’élève-pilote emmenait régulièrement un passager lors de ses vols en solo sans prévenir son instructeur.
Le jour de l’événement, l’instructeur a vérifié les conditions météorologiques pour le secteur de CML8 et n’a donné aucune directive à l’élève-pilote. Il ne connaissait pas les heures de décollage et d’atterrissage prévues ni la route de vol planifiée par l’élève-pilote. De plus, il ne savait pas que l’aéronef était stationné sur un terrain privé à Saint-Urbain-Premier depuis au moins 1 semaine. Enfin, aucun plan de vol ou itinéraire de vol n’a été déposé pour le vol à l’étude.
Au cours de l’enquête du BST de 2018 mentionnée ci-dessus, TC a indiqué qu’il acceptait que la direction et la surveillance des vols d’entraînement en solo se fassent à distance, même s’il considérait qu’une surveillance à distance ne devait être qu’occasionnelle et que l’effectuer à tous les vols en solo n’était pas une bonne pratique.
Depuis que l’instructeur agissait à titre d’instructeur indépendant, l’élève-pilote avait effectué 26,3 heures de vol, toutes en solo et surveillées à distance.
L’élève-pilote effectuait son entraînement conformément au sous-alinéa 406.03(2)b)(i) du RAC, qui n’exige pas que les instructeurs indépendants informent TC de leurs activités d’entraînement, ce qui rend la surveillance réglementaire de ces instructeurs difficile. Normalement, les inspecteurs de TC effectuent une surveillance réglementaire uniquement quand une plainte officielle concernant une mauvaise pratique est déposée ou quand un accident ou un incident survient au cours d’un entraînement en vol. Ainsi, TC doit compter sur les instructeurs indépendants pour respecter la réglementation en vigueur et suivre de bonnes pratiques.
Dans le cas à l’étude, TC a été informé le 16 juin 2022 que l’élève-pilote recevait de l’entraînement en vol sur un aéronef autre que celui d’IKAROS et que l’entraînement en vol s’effectuait à partir de CST3. Cependant, aucune mise à jour n’a été envoyée à TC par la suite.
Vol à basse altitude et vol au-dessus d’une zone bâtie ou d’un rassemblement de personnes
Lorsque le vol à basse altitude est nécessaire pour la pratique d’un exercice comme le déroutement au cours d’un vol de navigation, il doit être exécuté en respectant la réglementation en vigueur.
Le RAC stipule ce qui suit :
[...] un aéronef est réputé être utilisé au-dessus d’une zone bâtie ou au-dessus d’un rassemblement de personnes en plein air si la zone bâtie ou le rassemblement de personnes en plein air est à une distance, mesurée horizontalement :
- de 500 pieds ou moins d’un hélicoptère ou d’un ballon;
- de 2 000 pieds ou moins d’un aéronef autre d’un hélicoptère ou qu’un ballonNote de bas de page 9.
Par ailleurs, toujours selon le RAC, il est interdit d’utiliser un aéronef au-dessus d’une zone bâtie ou au-dessus d’un rassemblement de personnes en plein air, à une altitude inférieure à 1000 pieds au-dessus de l’obstacle le plus élevé situé dans un rayon de 2000 pieds ou moins, sauf s’il s’agit d’effectuer le décollage, l’approche ou l’atterrissage d’un aéronefNote de bas de page 10. Cependant, les termes « zone bâtie » et « rassemblement de personnes » ne sont pas définis.
Dans l’événement à l’étude, l’aéronef a survolé une zone résidentielle et un rassemblement d’une quinzaine de personnes à moins de 500 pieds au-dessus du sol et à une distance horizontale inférieure à 2000 pieds.
Manœuvre à basse vitesse et décrochage en vol
Lorsqu’un avion se déplace à une certaine vitesse, l’écoulement d’air autour des ailes crée la portance nécessaire pour soulever et maintenir celui-ci dans les airs. Si la vitesse de l’avion descend sous la vitesse minimale nécessaire pour créer suffisamment de portance, l’avion ne peut plus être maintenu en vol et décroche.
La vitesse de décrochage varie en fonction de plusieurs facteurs tels que l’angle d’inclinaison de l’avion et la position des volets. Le manuel du propriétaire du Cessna « modèle 150 » contient les différentes vitesses corrigéesNote de bas de page 11 (CAS) de décrochage lorsque l’avion pèse 1600 livres et que le moteur est éteint (figure 3) ainsi qu’une table de correction des vitesses indiquéesNote de bas de page 12 (IAS) (figure 4).
L’aéronef de l’événement était équipé d’un avertisseur de décrochage, qui fonctionnait lors des exercices de décrochage effectués en présence de l’instructeur dont le dernier avait été effectué le 15 février 2023. Selon le manuel du propriétaire, une alerte sonore retentit entre 5 et 10 mi/h avant que l’avion n’atteigne la vitesse de décrochageNote de bas de page 13.
Pour qu’un aéronef se rétablisse d’un décrochage, son altitude doit être suffisante pour permettre au pilote d’exécuter la manœuvre de rétablissement, car une perte d’altitude est à prévoir. Ainsi, si le vol est exécuté trop près du sol, il est possible que la hauteur disponible au-dessus du sol soit insuffisante pour permettre le rétablissement du vol après un décrochage.
D’après les informations recueillies durant l’enquête et l’examen du site de l’accident, l’aéronef a emprunté une trajectoire de descente quasi verticale à la suite d’une manœuvre exécutée à faible vitesse, ce qui correspond à une situation de décrochage.
Messages de sécurité
Il est important que les pilotes respectent les exigences en matière de distances et d’altitudes pour le vol au-dessus d’une zone bâtie et d’un rassemblement de personnes, étant donné que ces exigences prévoient une marge minimale de sécurité pour protéger les personnes et les biens au sol au cas où des manœuvres à basse altitude seraient exécutées ou des problèmes en vol surviendraient.
Il est rappelé aux élèves-pilotes que les vols en solo sont autorisés uniquement pour pratiquer des manœuvres nécessaires à l’obtention d’un permis ou d’une licence de pilote.
Pour veiller à la sécurité des vols d’entraînement, y compris ceux effectués en solo, les instructeurs doivent évaluer et renforcer l’adoption et l’application, par les élèves-pilotes, des pratiques liées à une bonne discipline aéronautique. Il est essentiel que les instructeurs dirigent et surveillent activement ces vols d’entraînement en solo, ce qui toutefois peut être difficile si les élèves-pilotes se servent de leur propre aéronef et si les instructeurs effectuent la surveillance des vols à distance.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .