Mouvement non contrôlé ayant entraîné un déraillement de train en voie non principale
Goderich-Exeter Railway
Train 581-01
Installation de silos-élévateurs de Parrish & Heimbecker Limited au port de Goderich
Point milliaire 45,9, subdivision de Goderich
Goderich (Ontario)
Le Bureau de la sécurité des transports du Canada (BST) a enquêté sur cet événement dans le but de promouvoir la sécurité des transports. Le Bureau n’est pas habilité à attribuer ni à déterminer les responsabilités civiles ou pénales. Le présent rapport n’est pas créé pour être utilisé dans le contexte d’une procédure judiciaire, disciplinaire ou autre. Voir Propriété et utilisation du contenu.
L’accident
Le 1er février 2021, une équipe de conduite de Goderich Exeter Railway (GEXR) a été commandée pour 8 h 30Note de bas de page 1 à Stratford (Ontario) pour le train 581-01. Le train était composé de 2 locomotives de tête et de 33 wagons-trémies couverts (14 wagons chargés de pois et 19 wagons vides). Le train, y compris les locomotives, mesurait 1746 pieds de longueur et pesait 2603 tonnes. L’équipe était constituée d’un mécanicien de locomotive (ML) et d’un chef de train. Tous deux étaient qualifiés pour leur poste, satisfaisaient aux exigences en matière de repos et d’aptitude au travail, et connaissaient bien la subdivision.
Le train était une manœuvre de ligne exploitée de façon hebdomadaire de Stratford à Goderich (Ontario) dans le but de livrer des wagons à des clients dans le secteur, notamment à l’installation de silos-élévateurs au port de Goderich (ci-après appelée l’installation). L’installation est principalement desservie par des camions, mais le trafic ferroviaire y transite 2 ou 3 fois par année et, le jour de l’événement, il devait accueillir des wagons-trémies couverts de GEXR.
À environ 13 h 25, le train est arrivé à l’extrémité ouest du triage Goderich. Étant donné la longueur du train, l’équipe avait prévu de diviser le train en 2 sections, de diriger chaque section sur des voies de triage distinctes et de déplacer ensuite les locomotives à l’extrémité est du triage en contournant les wagons. De l’extrémité est du triage, les locomotives devaient être attelées aux wagons pour que le train soit ensuite poussé vers l’ouest en direction des silos-élévateurs. Il s’agissait d’une procédure habituelle pour un train de cette longueur.
La route vers l’ouest du triage Goderich menant vers l’installation présente une pente descendante de 1,5 % à 2,78 % entre les points milliaires 45,88 et 47,48; la dénivellation est d’environ 150 pieds sur une distance de quelque 1,6 mille. La voie prend fin à l’installation.
En arrivant au triage Goderich, le chef de train est descendu du train pour pouvoir manœuvrer les aiguillages de voie pendant le refoulement du train vers le triage et le jumelage de rames sur 2 voies de triage. Le chef de train étant au sol, le train a continué de rouler vers l’ouest. Le ML a effectué un serrage à fond des freins à air des freins automatiques du train ainsi qu’un serrage à fond des freins à air indépendants des locomotives.
À 13 h 28 min 29 s, le train s’est immobilisé au point milliaire 46,21, à environ 100 pieds d’un dérailleur à aiguilleNote de bas de page 2 situé au point milliaire 46,19 (figure 1), sur une section de voie qui est sur une pente descendante de 1,75 %.
Le ML a communiqué par radio avec le chef de train pour l’informer qu’il descendait du train afin de retirer le dérailleur, afin que le train puisse être tiré plus à l’ouest et qu’ils aient plus de place pour le pousser vers l’arrière dans la gare de triage et terminer les manœuvres d’aiguillage. En se levant de son siège, le ML a touché accidentellement la poignée du frein automatique, qui est passée de la position de serrage complet à la position de desserrage (figure 2).
À 13 h 28 min 34 s, les freins automatiques du train ont commencé à se desserrer.
Le ML est sorti de la cabine sans s’apercevoir que les freins automatiques avaient été desserrés. Les freins indépendants des 2 locomotives étaient toujours serrés, mais ils ne pouvaient retenir le train.
Selon les calculs relatifs au freinage du BST, le serrage à fond des freins indépendants sur les 2 locomotives n’était pas suffisant pour retenir le train de 2600 tonnes sur la pente descendante où il était arrêté.
Une fois descendu du train, le ML marchait en direction du dérailleur à aiguille pour enlever le sabot de déraillement et orienter l’aiguillage pour le mouvement prévu en direction de l’installation.
À 13 h 29 min 16 s, alors que le train commençait à avancer de manière incontrôlée, le chef de train a pu serrer les freins à main des 2 derniers wagons du train pour tenter de ralentir le mouvement, mais le train a continué à accélérer.
Après avoir orienté l’aiguillage pour le mouvement, le ML est retourné vers le train lorsqu’il a réalisé que celui-ci roulait dans sa direction. Au moment où le train est passé devant lui, le ML a tenté de monter à bord, mais il n’y est pas parvenu. Le train a continué d’accélérer et, à l’insu du responsable de l’installation, a franchi une barrière et est entré dans l’installation.
Les membres de l’équipe de train étaient au courant que des membres du personnel d’entretien de la voie de GEXR travaillaient à l’installation. Ils ont donc communiqué avec eux par radio pour les avertir qu’un mouvement non contrôlé approchait. Les membres du personnel d’entretien ont été en mesure d’orienter les aiguillages avant que le train arrive pour le rediriger sur une voie libre (MD 76) qui prenait fin dans l’installation, afin de réduire au minimum les dommages supplémentaires.
À 13 h 31 min 42 s, le train a atteint une vitesse de 27 mi/h.
Après avoir parcouru une distance d’environ 8500 pieds, le mouvement non contrôlé a déraillé à 13 h 31 min 46 s, au bout de la voie MD 76, alors que la dénivellation du terrain devenait de plus en plus faible. Le train s’est immobilisé dans l’installation, environ 345 pieds après la fin de la voie, juste avant le havre de Goderich au lac Huron (figure 3).
Examen des lieux
L’examen des lieux a révélé que 2 locomotives et les 4 premiers wagons-trémies couverts qui étaient chargés de pois ont déraillé, et qu’aucun matériel roulant ne s’est renversé (figure 4).
Alors qu’il était parti à la dérive, le train a percuté un tracteur semi-remorque de 18 roues inoccupé, chargé de 38 tonnes céréales, qui était stationné à un passage à niveau dans l’installation. Le tracteur et la semi-remorque ont tous deux été détruits et les céréales se sont répandues au sol (figure 5).
Après le déraillement, la 2e locomotive a heurté une camionnette d’une demi-tonne qui était garée dans un stationnement adjacent. Lors de l’impact, la camionnette a été poussée contre une clôture et les 2 personnes se trouvant à bord se sont retrouvées coincées à l’intérieur (figure 6).
Les services d’urgence ont pu couper la clôture et faire sortir les occupants de la camionnette sans autre incident.
Après avoir déraillé au bout de la voie MD 76, et juste avant de s’arrêter, le train a heurté une grande remise en bois inoccupée.
Aucune blessure n’a été signalée à la suite de cet incident.
Au moment de l’accident, le ciel était dégagé, le temps était sec et la température était de −5 °C.
Renseignements sur l’installation
Parrish & Heimbecker Limited est le propriétaire et le gestionnaire de l’installation. Cette installation privée est clôturée, et l’accès pour les camions et les trains y est contrôlé localement. L’entrée réservée aux trains est également clôturée et l’accès y est autorisé uniquement avec la permission du personnel de l’installation une fois que le train a quitté le triage. Ainsi, la circulation des camions et des trains peut normalement être coordonnée et gérée de façon sécuritaire de l’installation. Dans l’installation, les trains roulent à une vitesse de 5 mi/h.
Renseignements sur les locomotives
Les 2 locomotives ont été construites par Electro-Motive Division de General Motors (EMD). Construite en 1966, la locomotive de tête (RLK 4095) de modèle GP40 n’avait pas été reconstruite ou remise à neuf. La locomotive menée (GEXR 2073) était de modèle GP38-3, construite en 1967 et reconstruite en 2016. Les 2 locomotives étaient munies d’un dispositif de veille automatiqueNote de bas de page 3 (RSC) comme l’exige le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer approuvé par Transports Canada.
Le RSC des 2 locomotives n’était pas équipé d’une protection contre les dérives qui s’active lorsqu’elle détecte une vitesse prédéterminée, et n’était pas tenu de l’être. De plus, la poignée du frein automatique de la locomotive de tête n’était pas munie d’une goupille de sûreté qui aurait pu servir de mécanisme additionnel pour garder la poignée du frein automatique en place, une caractéristique que possèdent de nombreuses locomotives plus récentes (figure 7).
Événement antérieur durant lequel la poignée du frein automatique a involontairement été déplacée à la position de desserrage
Le BST a enquêté sur un événement antérieur durant lequel la poignée du frein automatique a involontairement été déplacée à la position de desserrageNote de bas de page 4.
Lors de cet événement survenu le 29 novembre 2016, le train de ballast BAL-27 du Chemin de fer Canadien Pacifique (CP) roulant en direction sud est arrivé et s’est immobilisé dans une voie d’évitement, freins indépendants et automatiques serrés à fond. Juste avant de quitter la cabine, le ML a récupéré un article entre le pupitre de commande et le siège et a involontairement déplacé la poignée du frein automatique. Peu de temps après, le frein automatique du train BAL-27 s’est desserré; le train n’étant alors retenu que par les freins indépendants des 2 locomotives.
Environ 2 minutes plus tard, le train BAL-27 s’est mis en mouvement à une vitesse d’environ 1 mi/h et a heurté un wagon du train de marchandises 293-28 du CP se dirigeant vers le nord, qui était immobilisé sur la voie principale au point milliaire 138,70 de la subdivision de Weyburn du CP. Même si les 2 locomotives du train BAL-27 étaient équipées de RSC fonctionnels et d’une protection contre la dérive, le mouvement non contrôlé était trop lent pour activer cette dernière.
Liste de surveillance du BST
La Liste de surveillance du BST contient les principaux enjeux de sécurité auxquels il faut remédier pour rendre le système de transport canadien encore plus sécuritaire. Les mouvements imprévus ou non contrôlés d’équipement ferroviaire figurent sur la Liste de surveillance 2020. Comme le montre le présent événement, les mouvements imprévus ou non contrôlés d’équipement ferroviaire continuent d’engendrer des situations très risquées aux conséquences potentiellement graves. Le BST continuera de surveiller et d’évaluer les événements de mouvements non contrôlés.
Mesures de sécurité prises
Goderich Exeter Railway
Le 5 février 2021, GEXR a émis la circulaire no 002-2021, qui indiquait entre autres que [traduction] : « à partir d’aujourd’hui, il est interdit aux mécaniciens de locomotive qui mènent des activités dans le triage Goderich de quitter la cabine d’une locomotive pour effectuer d’autres tâches que celles qui incombent aux mécaniciens de locomotive ». Le même jour, Transports Canada (TC) a émis un avis à l’intention de GEXR dans lequel il reconnaissait la mesure prise.
Transports Canada
Le 12 février 2021, TC a émis une lettre de non-conformité à l’intention de GEXR concernant le matériel roulant qui n’était pas correctement immobilisé en vertu de la règle 112 du Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada.
Le 10 mars 2021, TC a émis 2 arrêtés ministériels en vertu de la Loi sur la sécurité ferroviaire (LSF).
L’arrêté ministériel MO 21-01 émis en vertu de l’article 32.01 de la LSF oblige toutes les compagnies de chemin de fer et compagnies de chemin de fer locales mentionnées dans l’arrêté de mettre en œuvre les mesures de sécurité qui « visent à prévenir tout autre accident attribuable au desserrage involontaire des freins à airNote de bas de page 5 ».
Conformément à l’arrêté ministériel MO 21-02 émis en vertu de l’article 19 de la LSF, les compagnies de chemin de fer et les compagnies de chemin de fer locales dont le nom apparaît à l’annexe de l’arrêté sont tenues de :
modifier le Règlement relatif à l’inspection et à la sécurité des locomotives de chemin de fer afin d’y intégrer les paramètres de conception et de performance pour les locomotives équipées d’une protection contre les dérives. En outre, elles doivent modifier le Règlement d’exploitation ferroviaire du Canada afin de définir clairement le matériel roulant surveillé par opposition au matériel roulant laissé sans surveillance et d’inclure des exigences relatives à l’utilisation de la protection contre les dérives pour réduire les risques qu’un mouvement incontrôlé se produiseNote de bas de page 6.
Le présent rapport conclut l’enquête du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur cet événement. Le Bureau a autorisé la publication de ce rapport le . Le rapport a été officiellement publié le .